30/01/2011
Hommage à Abou El Kacem Chebbi
La révolution tunisienne couvait comme le feu sous la tourbe. Elle se répand et se propage aujourd’hui comme une trainée de poudre. Les peuples opprimés, de ce côté-là le la méditerranée se battent pour leur Liberté. Beaucoup disent que pour le pain, ils verront plus tard. C’est leur leçon et c’est en cela qu’elle est exemplaire. La liberté passe avant le consumérisme et c'est si vrai que les deux termes sont incompatibles.
Abou El Kacem Chebbi (né le 24 février 1909 à Tozeur et mort le 9 octobre 1934 à Tunis), avait écrit «La volonté de vivre» à Tabarka le 16 septembre 1933. Il aura fallu attendre l’hiver 2010 pour que les masques et les chaines tombent comme il l’avait prédit. Leur cliquetis sonnent peut-être l’heure de la délivrance sur tout le pourtour de la méditerranée. C’est l’heure où la générosité du désespoir affronte à mains nues l’armure des intérêts géostratégiques et les politiciens tyrans et rapaces. Ici, en Europe, on ne peut que vibrer et trembler pour que cette « volonté de vivre » puisse enfin triompher sans que les religions, les partis et les opportunistes s’en approprient paternité et bénéfices.
La Volonté de Vivre
« Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser.
Avec fracas, le vent souffle dans les ravins,
au sommet des montagnes et sous les arbres disant :"Lorsque je tends vers un but,
je me fais porter par l’espoir
et oublie toute prudence ;
Je n’évite pas les chemins escarpés
et n’appréhende pas la chute
dans un feu brûlant.
Qui n’aime pas gravir la montagne,
vivra éternellement au fond des vallées".
Je sens bouillonner dans mon cœur
Le sang de la jeunesse
Des vents nouveaux se lèvent en moi
Je me mets à écouter leur chant
A écouter le tonnerre qui gronde
La pluie qui tombe et la symphonie des vents.
Et lorsque je demande à la Terre :
"Mère, détestes-tu les hommes ?"
Elle me répond :
"Je bénis les ambitieux
et ceux qui aiment affronter les dangers.
Je maudis ceux qui ne s’adaptent pas
aux aléas du temps et se contentent de mener
une vie morne, comme les pierres.
Le monde est vivant.
Il aime la vie et méprise les morts,
aussi fameux qu’ils soient.
Le ciel ne garde pas, en son sein,
Les oiseaux morts
et les abeilles ne butinent pas
les fleurs fanées.
N’eût été ma tendresse maternelle,
les tombeaux n’auraient pas gardé leurs morts".
Par une nuit d’automne,
Lourde de chagrin et d’inquiétude,
Grisé par l’éclat des étoiles,
Je saoule la tristesse de mes chants,
Je demande à l’obscurité :
"La vie rend-elle à celui qu’elle fane
le printemps de son âge ? "
La nuit reste silencieuse.
Les nymphes de l’aube taisent leur chant.
Mais la forêt me répond d'une voix
aussi douce que les vibrations d'une corde :
" Vienne l'hiver, l'hiver de la brume,
l'hiver des neiges, l'hiver des pluies.
S'éteint l'enchantement,
Enchantement des branches
des fleurs, des fruits,
Enchantement du ciel serein et doux,
Enchantement exquis des prairies parfumées.
Les branches tombent avec leurs feuilles,
tombent aussi les fleurs de la belle saison.
Tout disparaît comme un rêve merveilleux
qui brille, un instant, dans une âme,
puis s'évanouit.
Mais restent les graines.
Elles conservent en elles le trésor
d'une belle vie disparue..."
La vie se fait
Et se défait
Puis recommence.
Le rêve des semences émerge de la nuit,
Enveloppé de la lueur obscure de l'aurore,
Elles demandent :
"Où est la brume matinale ?
Où est le soir magique ?
Où est le clair de lune ?
Où sont les rayons de la lune et la vie ?
Où est la vie à laquelle j'aspire ?
J'ai désiré la lumière au-dessus des branches.
J'ai désiré l'ombre sous les arbres"
Il dit aux semences :
"La vie vous est donnée.
Et vous vivrez éternellement
par la descendance qui vous survivra.
La lumière pourra vous bénir,
accueillez la fertilité de la vie.
Celui qui dans ses rêves adore la lumière,
la lumière le bénira là où il va."
En un moment pas plus long
qu'un battement d'ailes,
Leur désir s'accroît et triomphe.
Elles soulèvent la terre qui pèse sur elles
Et une belle végétation surgit pour contempler la beauté de la création.
La lumière est dans mon cœur et mon âme,
Pourquoi aurais-je peur de marcher dans l'obscurité ?
Je voudrais ne jamais être venu en ce monde
Et n'avoir jamais nagé parmi les étoiles.
Je voudrais que l'aube n'ait jamais embrassé mes rêves
Et que la lumière n'ait jamais caressé mes yeux.
Je voudrais n'avoir jamais cessé d'être ce que j'étais,
Une lumière libre répandue sur toute l'existence. »
Abou El Kacem Chebbi – Tiré de "Les chants de la vie"
Traduction de S.Masliah.
Abou El Kacem Chebbi a aussi écrit Ela Toghat Al Alaam qu’il faut traduire « Aux tyrans du monde », la Tunisie étant alors sous protectorat français. Ce poème a été mis en musique en 2002 pour dénoncer le conflit israélo-palestinien.
Alors non, décidemment, la Tunisie n’a pas de leçon à recevoir de ces faux humanistes qui nous gouvernent. Elle leur en donne.
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Écrit par : REZIG | 07/03/2011
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