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02/03/2013

"La mémoire n'est pas un truc fiable..."

Les accords d'Évian sont le résultat de négociations entre les représentants de la France et du Gouvernement provisoire de la République algérienne formé par le Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d'Algérie. Ces accords sont signés le 18 mars 1962 à Évian et se traduisent immédiatement par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain.

Ces accords mettaient fin à huit ans d'une guerre qui n'en portait pas encore le nom.

Meurtres pour mémoire, jeanne Puchol

Prix Artémisia 2013 avec une BD intitulée «Charonne - Bou Kadir» (Editions Tirésias) , Jeanne Puchol nous rappelle un terrifiant souvenir d’enfance qui est aussi un fait d’histoire et l’un des fondements de son militantisme politique. Elle n'en est pas à son coup d'essai puisqu'elle a déjà publié « Meurtres pour mémoire» de Didier Daeninckx en 1991 qui traitait du même sujet.....Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce livre ?

«Charonne : ce nom sur mon enfance, qu’il traverse, à la fois lugubre et familier », ainsi commençait un témoignage que j’ai écrit pour le recueil «Elles et eux et l’Algérie», paru chez Tirésias en 2004. C’est à nouveau ce condensé de sens du mot Charonne - la rue où j’ai vécu enfant, le nom de la manifestation du 8 février 1962 – qui m’a donné envie de pousser cette première réflexion plus loin.

Quel est l’enjeu de mémoire d’un ouvrage comme celui-ci ?

Quand on voit Monsieur Gérard Longuet faire un bras d’honneur sur un plateau de télévision à l’idée de la moindre «repentance» vis-à-vis de l’Algérie, quand on voit Madame Michèle Tabarot, fille d’un dirigeant de l’OAS et fière de l’être, devenir secrétaire générale de l’UMP, quand on voit les «nostalgériques» de tout poil rendre hommage à des légionnaires putschistes et donner leur voix au FN, la question se pose-t-elle encore ?

Vous vous êtes basée sur des témoignages de militants, parfois familiaux. Quelles ont été vos autres sources ?

En dehors de ceux de mes parents, les témoignages cités sont indirects : je les ai trouvés sur le site du Comité Vérité et Justice pour Charonne et dans le livre d’Alain Dewerpe, lui-même fils d’une des victimes, «Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État» (Gallimard Folio Histoire, 2006).

L’OAS est au cœur du récit. Qu’a représenté cette organisation ?

J’aurais aimé dire que cette organisation n’a représenté qu’elle-même. Mais non : dès le départ, elle a été composite, rassemblant des radicaux issus de l’extrême droite française, des militaires séditieux et des Français de France ou d’Algérie, entre autres d’anciens grands résistants, sincèrement persuadés que l’Algérie devait rester française. Pourtant, ses visées auraient dû paraître claires dès le départ : créée dans une clandestinité abritée par l’Espagne franquiste, l’OAS révèle ses objectifs factieux et anti-républicains en assassinant des fonctionnaires français en poste en Algérie, tel le commissaire central d’Alger Roger Gavoury, difficilement soupçonnable de soutien au FLN.

La France a-t-elle mal géré la sortie de son aventure coloniale ?

Je ne sais trop comment elle l’a gérée, mais elle ne l’a toujours pas digérée, à mon avis. Il suffit de voir le racisme ordinaire contre les ressortissants «visiblement musulmans» dont un de ses anciens dirigeants, auteur de cette insultante périphrase, et une bonne partie de sa population, sont encore capables…

Vous décrivez les événements du Métro Charonne, le 8 février 1962. Ont-ils créé un trauma particulier dans l’opinion publique française ?

Sans aucun doute, au vu des funérailles des victimes qui ont rassemblé presque un million de personnes le 13 février suivant. Pourquoi ces morts-là ont-ils créé un tel choc, alors que le conflit avait fait déjà beaucoup de victimes de part et d’autre ? Pourquoi, parmi la dizaine d’attentats commis la veille par l’OAS, celui qui visait André Malraux et qui éborgne une fillette émeut-il l’opinion au point qu’il sera le seul qu’elle retiendra ? Peut-être parce que, dans les deux cas, ce sont des Français qui tuent ou blessent d’autres Français : policiers des Brigades Spéciales à Charonne, activistes de l’OAS la veille.

C’est annonciateur de Mai 68 ?

Je ne suis pas historienne et donc assez mal placée pour répondre à cette question, mais je n’en suis pas si sûre, ou bien vraiment de manière marginale. À Charonne, le gros du cortège est constitué de membres et sympathisants de la CGT et du PCF ; ces deux formations ont gardé leurs distances avec les événements de Mai 68. Dans d’autres parties du défilé, qui se déploie dans plusieurs quartiers parisiens, on trouve des étudiants, mais six ans plus tard, ils seront entrés dans la vie active. Sans doute, quelques lycéens auront-ils, ce jour-là, leur premier contact avec la politique et la violence policière, et se retrouveront-ils sur les barricades quelques années après. De même qu’une nouvelle force politique, le PSU, apparue en 1960 à la gauche de la SFIO pour réclamer l’indépendance de l’Algérie, prendra toute sa part à Mai 68.

Vous veniez d’une famille politisée qui habitait le quartier de Charonne. Il y a à l’époque un militantisme très déterminé, très structuré, par le Parti Communiste notamment. C’est une façon de vivre la politique qui a disparu aujourd’hui ?

Vous le savez aussi bien que moi, ce n’est pas parce que les médias ne parlent pas de certaines choses qu’elles n’existent pas. Or les militants sont toujours là, même si la télé ne les montre pas. Certes les formes de militantisme ont changé – l’époque aussi est différente ; mais il me semble que la lutte des travailleurs sans papiers, les assemblées citoyennes organisées par le Front de gauche, les nouvelles formations féministes, le mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… relèvent d’une façon de vivre la politique peut-être moins structurée mais tout aussi déterminée qu’alors.

Il y a une très belle séquence avec Charon, le convoyeur des morts vers l’enfer. Quelle est la symbolique derrière ce personnage ?

Dans la mythologie grecque et romaine, Charon ou Caron, fils d’Érèbe et de la Nuit, reçoit les âmes des morts et les fait passer, sur sa barque, d’une rive à l’autre de l’Achéron, le fleuve qui entoure les Enfers. Encore faut-il que les morts aient de quoi le payer, raison pour laquelle les vivants doivent leur glisser une monnaie dans la bouche. Dans « Charonne – Bou Kadir », Charon passe dans un sens – quand il emmène les victimes de Charonne –, puis dans l’autre – quand il « ramène » aux vivants les morts d’Algérie, du moins leur souvenir, à travers les monuments parisiens qui leur sont dédiés.

Vous dites que la mémoire n’est pas un truc fiable. Raconter l’histoire en BD l’est davantage ?

La mémoire n’est pas un truc fiable tant qu’on n’en retourne pas les pierres, tant qu’on ne confronte pas ses souvenirs parfois défaillants avec les sources, les textes, les références… Ce que j’ai précisément été amenée à faire pour écrire et dessiner ce livre, que je vois comme un « documentaire subjectif ». Je ne sais pas si la démarche est fiable, en tout cas elle tente d’être honnête.

Vous faites en fin de volume le lien avec l’Algérie d’aujourd’hui. Il est question de « repentance » ?

La «repentance» c’est comme la «gouvernance», des mots créés de toute pièce pour éviter d’appeler les choses par leur nom. Et moi, tout ce que je souhaite, c’est qu’on appelle les choses par leur nom : voyez le temps qu’il a fallu pour qu’un précédent président français ne parle plus d’ « événements » mais de «guerre d’Algérie» ; le temps qu’il a fallu pour que l’actuel président français reconnaisse la répression de la manifestation du 17 octobre 1961…

Vous êtes publiée par un petit éditeur, plutôt versé dans la littérature, Tirésias. Comment êtes-vous arrivée à lui ?

Les éditions Tirésias publient de la littérature, certes, mais surtout des essais d’historiens sur les pages les plus sombres et souvent les plus méconnues des grands conflits du XXe siècle : guerre d’Espagne, Deuxième Guerre mondiale et guerre d’Algérie. En 1995, Michel Reynaud, directeur des éditions Tirésias, avait fait appel à plusieurs dizaines d’auteurs de BD (dont Baudoin, Chauzy, David B., Ferrandez, Guibert, Larcenet, Sfar, Willem…) pour créer un contrepoint visuel à son anthologie «La Foire à l’Homme. Écrits-dits dans les Camps du Système Nazi de 1933 à 1945». C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés. J’ai par la suite travaillé à plusieurs reprises avec lui, en illustrant par exemple «Bleuette» de Madeleine Riffaud et «Comme une grande fête» de Max Rainat, parus à l’occasion du 60ème anniversaire de la libération de Paris. Comme je l’ai dit au début de l’entretien, j’avais envie de pousser plus loin ma réflexion sur Charonne. Ce désir a rencontré celui de mon éditeur qui m’a invitée à lui donner corps au sein de sa collection « Lieu est mémoire ». Il en a aussi accepté la forme, alors qu’il ne publie pas de bande dessinée.

Vous passez de Jeanne d’Arc à l’Algérie, toujours l’Histoire ?

Oui, bien que d’une tout autre façon. Cela m’intrigue d’ailleurs, car j’ai toujours été nulle en Histoire à l’école ! Mais dans un cas comme dans l’autre, l’Histoire a trouvé une profonde résonance avec mes propres préoccupations, qu’elles soient politiques, mythologiques, psychanalytiques… avec mes petites obsessions personnelles, en un mot.

Quels sont vos projets ?

Je travaille actuellement avec Laurent Galandon sur «Vivre à en mourir», qui paraitra au Lombard l’année prochaine. L’album raconte le parcours d’un des jeunes résistants juifs qui figurent sur l’Affiche rouge. Encore de l’historique, toujours du politique !

Propos recueillis par Didier Pasamonik pour Actua BD

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