01/10/2011
L’étau télécratie - démocratie
Notre conscience individuelle n’aura jamais été autant menacée à travers l’exploitation de nos pulsions et il serait temps de brider cette arme de destruction massive que constitue le domaine télévisuel concentré sur la seule rentabilité commerciale.
C’est pour cette raison que la réaction d’Arnaud Montebourg est saine. C’est un des seuls candidats à la présidentielle de 2012, si ce n’est le seul, à avoir évoqué la question, même s’il se situe davantage sur le plan immédiatement réalisable de la concession du domaine public et de ses conséquences économiques que sur des considérations sociologiques et culturelles, inscrites dans le long terme. Mais si ce n’était que cela, cela serait déjà beaucoup.
Beaucoup, puisque cela induirait le contrôle des JT bidonnés et formatés façon Fouquet's, et surtout, permettrait d’envisager une fin à la braderie du «temps de cerveau humain disponible» via un CSA rendu compétent et indépendant. TF1 et M6 sont immédiatement visées. Tant mieux mais les contaminés du PAF sont aujourd’hui nombreux, pendant que l’apprentissage de la soumission s'est diversifiée et l’addiction au petit écran est devenue inappréciable.
On a beaucoup parlé de « Metropolis »… on n’a pas fini d’y penser.
L’alternance rêvée serait donc en effet, que l’on tienne compte et écoute l’analyse de Bernard Stiegler, initiateur et président d’Ars industrialis qui décrit parfaitement les mécanismes mis en jeu pour capter la foule des téléspectateurs isolés dont nous faisons parti à notre corps prétendument défendant. C’est d’autant plus urgent que «la mondialisation et le phénomène d'uniformisation des comportements s'attaquent à la singularité des individus et des cultures», à notre identité initiale. N’en déplaise à un R. Enthoven qui, sans jamais s’investir dans une quelconque proposition constructive, considère la démondialisation comme un gadget tout juste bon à être «disséqué» et roulé dans un ridicule qui n’a rien d’humoristique.
La vidéo qui suit, terriblement angoissante, démontre comment l’émotion a fait place à l’exacerbation des pulsions les plus destructrices et mérite d’être visionnée ne serait-ce que pour prendre conscience du chantier qui reste à entreprendre.
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13/06/2011
Dé-mondialisation : Minc vs Montebourg
Le fait qu’Arnaud Montebourg soit un candidat plus qu'improbable pour les prochaines présidentielles n’enlève rien à son mérite d’argumenter sur l’idée de dé-mondialisation, idée passant de moins en moins pour une utopie et relayée en tant qu’alternative par quantité d’économistes prospectifs. Alain Minc ne fait naturellement pas parti de ceux-là. Jean Claude Guillebaud, éditorialiste catholique lucide s’en est ému et a semble-t-il choisi son camp quitte à faire la promotion de celui qui se trouve être à l’origine des «primaires socialistes» et dont la réflexion sur le sujet mériterait d’être largement débattue. Les ténors et sopranos qui occupent la scène médiatique seraient bien inspirés de s’emparer de la question et de relever …
« L’injure faite à Montebourg »
« La saillie hasardeuse de Luc Ferry sur la pédophilie a fait couler beaucoup d’encre. C’était mérité. Pour ma part, je me suis intéressé à une autre « saillie » verbale, tout aussi loufoque mais plus révélatrice. Dans une interview au site nonfiction.fr, Alain Minc a traité de « connards », puis de « débiles », le candidat socialiste Arnaud Montebourg et ses amis, coupables de s’intéresser au concept de « dé-mondialisation ».
C’était moins les propos de Minc qui tiraient l’oreille – il nous a dit tant de choses depuis trente ans ! – qu’un aussi brusque changement de vocabulaire. Que notre Jiminy Cricket national, perché sur l’épaule des puissants, en arrive à « se lâcher » jusqu’à user d’injures populistes donne à réfléchir. Faut-il y voir le signe d’une panique refoulée ? Sans doute. Dans le même mouvement, pour mieux salir le personnage, Minc compare Montebourg à Marine Le Pen. Vieux refrain… Pour ceux – dont je suis – qui ont lu ses livres et écouté ses prestations, l’accusation est indécente mais surtout très sotte.
Les réflexions de Montebourg sur les limites du dogme libre-échangiste sont partagées aujourd’hui par quantités d’intellectuels et d’économistes. D’Emmanuel Todd à Jacques Sapir, de Hakim El Karoui (ancien du cabinet Raffarin) à Jean-Luc Gréau, Paul Jorion ou Frédéric Lordon, en passant par le groupe dit des « économistes atterrés », on aurait donc du mal à dresser la vraie liste des « connards ». Il faudrait d’ailleurs adjoindre l’ami Georges Corm, ancien ministre libanais des Finances, dont le dernier livre (paru cet automne) s’interrogeait, lui aussi, sur la dé-mondialisation.
L’audace bienvenue du brillant député est d’avoir enfin introduit cette question au cœur de la campagne présidentielle. Elle mérite débat. Ajoutons qu’il aura fallu près de dix ans pour qu’elle perce le mur du dogmatisme ambiant et trouve droit de cité. C’est en 2002 que l’idée a été avancée par le sociologue philippin Walden Bello, diplômé de Princeton. En décembre 2009, un long article de « Newsweek » signalait d’ailleurs que nombre d’entreprises américaines mettaient déjà en œuvre une manière de dé-mondialisation en relocalisant leur fabrication aux États-Unis.
C’est pourtant sur le vieux continent que la remise en cause du dogmatisme libre-échangiste est la plus ardente. Rien de plus logique. L’Europe est devenue la partie du monde la plus ouverte aux quatre vents des échanges planétaires. Elle est beaucoup moins protégée que la Chine ou les États-Unis. Elle paie au prix fort – désindustrialisation, pression à la baisse sur les salaires, inégalités croissantes, désintégration des économies nationales – d’avoir oublié la clause de la « préférence communautaire » (idée française) inscrite en 1959 dans le projet européen. C’est sous la pression des États-Unis que cette clause essentielle fut démantelée.
Dans un petit livre de combat préfacé par Emmanuel Todd (« Votez pour la dé-mondialisation ! », Flammarion, 2 euros), Montebourg rappelle néanmoins que même l’Organisation Mondiale du Commerce autorise, en cas d’urgence sociale, une forme de protectionnisme communautaire. Alors ? Le plus amusant de l’affaire est que tous les « débiles » ainsi injuriés se sont beaucoup moins trompés que Minc lui-même, chantre étourdi de la « mondialisation heureuse ». Son interview récente montre que sa vision du monde n’a pas changé d’un iota. Elle tient en trois lignes : les « sur contraintes » macroéconomiques sont impératives, elles ne laissent à la démocratie qu’une infime marge de manœuvre. Pour les reste, interrogé sur les révoltes sociales en cours, il affiche un beau mépris : « Penser qu’il y a un monde alternatif… foutaise, foutaise ! »
Les « Indignés » apprécieront. À traiter impudemment de « connards » Montebourg et ses amis, Minc s’expose donc à ce qu’on lui retourne de facto le compliment. »
Nouvel Obs. Juin 2011
Jean-Claude Guillebaud
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