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12/09/2014

Gilles Antonowicz, l’affaire Halimi, du crime crapuleux au meurtre antisémite: histoire d’une dérive

Gilles Antonowicz est avocat. Lors des procès d’assises de l’affaire du « gang des barbares » qui a provoqué en février 2006 - après vingt-quatre jours de séquestration - la mort d’Ilan Halimi, il a été le défenseur d’une jeune mineure, « l’appât », utilisée par Youssouf Fofana pour l’enlèvement.

Par Patricia Jolly, journaliste au Monde

Un avocat de la défense peut-il écrire un livre dans une affaire où il a plaidé ?

Antisémitisme

« Dans ce cas, oui. C’est l’annonce du tournage du film d’Alexandre Arcady « 24 jours : la vérité sur l’affaire Ilan Halimi », sorti en avril, qui m’y a décidé. Car ce film ne reflète qu’une vérité : celle de la souffrance, de la peine et de la douleur, bien légitimes, de la famille Halimi. Ma connaissance approfondie du dossier et ma présence aux deux procès - dont j’ai suivi intégralement les débats - m’a convaincu de la nécessité de m’acquitter du devoir d’information que n’ont pas rempli les médias. Ni le public, ni la presse n’ont eu accès à la cour d’assises parce qu’il y avait des mineurs dans l’affaire, ce qui a contribué à en fausser la perception.

Tous les livres écrits à ce sujet l’ont été, soit avant l’ouverture des procès - c’est notamment le cas du livre de Ruth Halimi, la mère d’Ilan, adapté à l’écran par M. Arcady - soit par des gens n’y ayant pas assisté, comme Morgan Sportes qui a prudemment porté la mention « roman » sur la couverture de son livre « Tout, tout de suite ». Aucun des deux auteurs n’a donc pu restituer la réalité de cinq mois d’audiences et de débats contradictoires.

Mais vous étiez partie prenante dans ce dossier...

Je ne décris pas dans mon livre l’affaire Halimi du point de vue d’un avocat de la défense. Je n’y parle d’ailleurs quasiment pas de ma cliente. Je raconte l’affaire comme un témoin qui souhaite porter un regard distancié sur un drame qui a traumatisé la société française. J’ai écrit ce livre pour remettre de l’ordre. J’ai estimé nécessaire de dire ce qu’il en était réellement de la prétendue dimension antisémite de ce crime. Elle est très différente de celle qui a été abusivement présentée. L’opinion publique doit enfin être informée du véritable contenu d’un dossier dont quelques éléments distillés - sous formes de raccourcis, de caricatures ou d’à-peu-près - ont alimenté les peurs, accentué les fractures sociales, provoqué des replis communautaires, stigmatisé un prétendu « antisémitisme des banlieues ». Ce n’est pas Ilan Halimi pris en sa qualité de jeune juif que nous aurions tous dû pleurer, c’est Ilan Halimi en sa qualité de jeune Français.

Le crime de Youssouf Fofanna n’était pas antisémite ?

C’est un crime crapuleux fondé sur des préjugés, des idées reçues et non sur une haine antisémite. L’objectif de Youssouf Fofana était d’obtenir de l’argent. Avant de s’en prendre à Ilan Halimi, il a organisé huit tentatives d’enlèvements dont les victimes étaient musulmans, « Français jambon beurre » comme dirait Morgan Sportès, ou parfois juifs, mais ce n’était alors que le fruit du hasard. Les juifs sont devenus une cible spécifique le jour où Fofana a appris qu’Israël avait libéré plusieurs centaines de prisonniers palestiniens en échange de la dépouille de quelques soldats israéliens. Ce fut pour lui une révélation. Il s’est dit alors que la communauté juive était solidaire. Il s’est dit que s’il enlevait un juif, que ce dernier ait ou non de l’argent, la communauté paierait. Il a enlevé Ilan Halimi comme il aurait enlevé le baron Empain ou le petit-fils Peugeot s’il en avait eu les moyens. Son but est exclusivement crapuleux. Youssouf Fofana n’a en cet instant rien contre les juifs en tant que tels, ou, plus exactement, il ne les déteste pas plus que les autres puisque, en vérité, il déteste tout et tout le monde : les blancs, la France qu’il veut « niquer », l’Europe et, plus généralement, tout le monde occidental…

Sur quels éléments vous appuyez-vous ?

Notamment sur l’analyse des heures de conversations téléphoniques échangées entre lui, le père et la petite amie d’Ilan Halimi. Enregistrées par les enquêteurs, elles ne contiennent pas la moindre injure antisémite. Le mot « juif » n’y est même jamais prononcé.

Auprès du cousin qui l’a reçu en Côte d’Ivoire pendant sa cavale, ou dans l’interview qu’il a donné à I-télé le 26 février 2006 lors de sa garde-à-vue à Abidjan, Fofana ne se revendique jamais antisémite, même s’il reconnaît avoir visé la communauté juive parce qu'elle est « riche et soudée ». Il tente alors de donner une coloration politique à son crime en prétendant avoir enlevé Ilan Halimi pour apporter son soutien financier aux rebelles qui combattent en Côte d’Ivoire. Il ne parle pas des juifs et, après son extradition, sa première déclaration devant le juge d’instruction français est : « Je ne suis pas antisémite ».

Qu'est-ce qui déclenche alors l’idée d'un crime antisémite ?

Un malentendu et les hasards du calendrier. Quelques jours après la découverte du corps d’Ilan Halimi a lieu le dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Dominique de Villepin, alors premier ministre, en est l’invité. Interrogé sur la possible dimension antisémite du crime, il déclare que le juge d’instruction a « retenu » l’antisémitisme comme circonstance aggravante. Ce qui signifie seulement que le juge d’instruction a retenu cette hypothèse, qu’il va « instruire », « enquêter » à ce sujet. Mais l’assistance et la presse interprètent ce propos comme si le caractère antisémite du crime était désormais avéré, non seulement pour Fofana, mais à l’égard des 27 personnes impliquées dans le dossier.

Fofana s’empare alors de ce quiproquo et va désormais se revendiquer antisémite car il comprend que cela confère à son crime un caractère « exceptionnel » qui attire l’attention des médias. Au procès, un expert psychiatre dira que deux choses intéressaient Fofana : l’argent et le pouvoir. Il a échoué dans sa quête d’argent. Reste le pouvoir qu’il prend grâce à sa posture antisémite. Du coup, le juge le renvoie aux assises avec la circonstance aggravante d'antisémitisme et la cour d'assises le condamne pour cela.

 Vous dénoncez la « désinformation » qui a entouré cette affaire...

Oui. Tout le monde pense par exemple que les geôliers ont été complices du meurtre. C’est faux. Seul Fofana en est l’auteur. Tout le monde pense également que Fofana a tué Ilan Halimi parce qu’il était juif. C’est tout aussi inexact. Fofana tue Ilan Halimi par rage. Il faut lire les propos qu’il tient auprès de la fiancée d’Ilan et de son père après le crime pour en être convaincu. Tout cela figure dans le dossier et n’a jamais été évoqué. »