Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/09/2009

La guerre n'est plus ce qu'elle était

« La guerre est la forme la plus raffinée et la plus dégradante du travail puisque l'on y travaille à rendre nécessaires de nouveaux travaux. ».
Boris Vian

Longtemps, la guerre a paru comme le seul moyen - à la fois inéluctable et glorieux - de régler les relations entre royaumes, d'ordonner leurs rapports de dépendance ou de rivalité, de constituer des nations ou des groupes de nations géopolitiquement homogènes.

Ce n'est que vers la fin du XVIème siècle que la guerre se théorise. Le Principe de Souveraineté fait son apparition, dans le contexte des guerres de religion, après avoir été défini par le juriste Jean BODIN (1530-1596). Mise en perspective dans une histoire globale, la guerre devient alors l'étape obligée dans la lente progression des sociétés vers la concorde universelle. La guerre sera le principe régulateur de la souveraineté.

Misère de la guerre J Callot OK copier.jpg

Et, ce principe de souveraineté deviendra principe d'ordre du système international en 1648 avec la paix de Westphalie qui met un terme à la guerre de 30 ans (1618-1648). Cette date est très importante car ces traités de 1648 mettent fin, de façon définitive, à l'entité séculière et spirituelle qu'avait été la chrétienté universelle, tout au long du Moyen-âge.

L'Etat souverain devient la forme exclusive d'organisation politique des sociétés européennes :

  • Sur la scène intérieure, l'autorité de l'Etat prime celle du Pape,
  • Sur la scène extérieure, le roi est empereur en son royaume et tous les Etats sont égaux entre eux.

Cette vision du monde, fondée sur l'Etat, est appelée système westphalien. dans lequel les Etats sont des gladiateurs dans une arène et où la seule façon d'assurer sa sécurité est la Puissance.

Dans ce contexte, la guerre, échec de la diplomatie, reste, selon l'enseignement de Machiavel, un recours nécessaire même s'il est regrettable. Les politiques considéraient, en effet, que les malheurs suscités par les conflits étaient une donnée inséparable de la condition humaine.

A la même époque, la guerre est condamnée comme moralement injustifiable, stratégiquement incertaine et économiquement ruineuse. Seule la paix pouvant assurer aux peuples bonheur et prospérité, par la natalité, la sécurité, la continuité des relations commerciales, etc...

Toutefois, ce consensus « pacifiste » (adjectif anachronique et qui n'apparaît qu'à la fin du XIXème siècle) n'est pas total même s'il est majoritaire, grâce à l'apport intellectuel des hommes des Lumières.

Pour ces derniers, il ne suffit pas de sensibiliser l'opinion aux souffrances endurées par les victimes, de dénoncer tout affrontement armé comme injuste et inhumain ; encore faut-il comprendre, diagnostiquer pour proposer des remèdes, et ce, toujours dans le cadre du principe de souveraineté.

Parmi les causes :

  • L'instance économique n'apparaît jamais déterminante, sauf pour QUESNAY,
  • Les raisons religieuses ne suscitent guère l'unanimité, sauf pour VOLTAIRE,
  • En revanche, domine la position de LA BRUYERE selon laquelle la nature humaine est fondamentalement perverse et mauvaise.

Les plans ou projets de paix qui découlent de ces causes se heurtent donc d'emblée à l'impossibilité radicale de changer la nature humaine.

La notion d'humanité, en tant qu'unité légitime de réflexion, ne va émerger qu'avec la Révolution française qui verra s'affronter deux principes antinomiques :

  • Celui des droits de l'individu, consacrés par les deux premiers articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (Art. 1er. - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Art. 2. - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.)
  • Celui de la souveraineté de la nation, qui ressurgit dès l'article troisième (Art. 3. -Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.)

Des controverses exprimant la tension entre droits de l'homme et droits de la nation, les constituants fixeront, après la Terreur, le triomphe de l'intérêt collectif sur l'intérêt individuel. Et c'est bien de l'Ancien Régime que les hommes de la Révolution ont hérité leur conception de la souveraineté absolue de la nation.

Depuis, la souveraineté est l'institution centrale de l'ordre international - dit westphalien - que couronne un système onusien où l'égalité des membres se traduit par le principe « un Etat, une voix » à l'Assemblée Générale et par la non-ingérence (consacrée par la Charte) dans les affaires intérieures.

En fait, le principe de souveraineté (comme je l'ai évoqué) est une construction juridique et donc, comme telle une norme de régulation d'un système international anarchique en droit.

La souveraineté est une fiction politique cachant des relations de domination qui structurent une société internationale, de fait hiérarchique. Sa réalité est la Puissance qui se passe du multilatéralisme si nécessaire.

  • Le 28 janvier 2003, les USA mettent fin à la souveraineté irakienne au nom de leur « autorité souveraine d'utiliser la force pour assurer leur propre sécurité » (BUSH, Discours de la Nation), en se passant de toute légitimation des Nations Unies.
  • 28 juin 2004, l'Irak recouvre sa « pleine souveraineté » conformément à la résolution adoptée, à l'unanimité, par le Conseil de Sécurité de l'ONU.

Mieux qu'un long discours, cet un épisode irakien résume l'ambiguïté, pour ne pas dire l'hypocrisie, inhérente au principe de souveraineté.

Traditionnellement, l'empire américain, sauf au cours de brèves périodes de son histoire (l'élimination des indiens et la guerre du Mexique ou la politique de Théodore Roosevelt en Amérique du Sud) n'est ni volontaire, ni militaire. Les Etats-Unis ont hérité de leur position clef, en particulier à cause des deux guerres mondiales. Si les Américains sont fondés à dire qu'ils sont devenus un empire malgré eux, force est de constater qu'aujourd'hui ils ont fondé une idéologie fondée sur la force, c'est-à-dire la PUISSANCE.

Leur Unitaléralisme est entretenu par la conviction d'être la nation d'exception et d'incarner la justice, construite sur la différence absolue entre la vie des leurs et la vie des autres, les droits des leurs et les droits des autres.

Toutefois, malgré l'ampleur de leur domination, les Etats-Unis n'ont pas réussi à gouverner le Proche-Orient, où ni l'unilatéralisme, ni le régionalisme n'ont donné le moindre résultat.

Pour la première fois dans l'histoire des relations internationales, « les puissants n'ont plus le conflit sous les pieds » : les affrontements ne sont pas là où est la Puissance, d'où la possibilité de l'unilatéralisme américain et l'indifférence de l'Union européenne qui ne peut que fabriquer des normes.

territoire palestineOK.jpg

Face à la Puissance de la Souveraineté, il appartient à l'Europe de développer le Droit International Humanitaire qui ne peut être qu'une excroissance des Droits de l'Homme.

A la LDH, nous avons un travail, un devoir de mémoire, de lucidité et de reconnaissance de l'altérité. Face aux métastases de la violence, il faut transformer un cercle vicieux en cercle vertueux, c'est-à-dire, comme lors de la décolonisation, cesser de refuser la discussion avec les acteurs réels. L'ordre international n'est plus affaire de Puissance, mais d'efforts destinés à la contenir, la limiter, la civiliser en quelque sorte.

La guerre, tout comme la connerie, n'est plus ce qu'elle était !

Les Mées, le 25 juin 2008
Pour la Ligue des Droits de l'Homme

Daniel ADAM