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10/09/2010

Voyage au « Pays longiligne »

(Le « Pays longiligne », c'est ainsi que Pablo Neruda baptisait affectueusement le Chili, sa terre natale.)

Ancien médecin issu des classes moyennes et fondateur du parti socialiste (en 1933), Salvador Allende (dit "El Chicho") est le premier socialiste qui accède par les urnes à la tête d'un pays d'Amérique latine. Représentant d'une force de gauche baptisée l'Unité Populaire, il est élu à la présidence de la République le 4 septembre 1970 et mène dès lors une politique très sociale. Il nationalise les mines de cuivres, les industries, morcelant les grands domaines au profit des petits paysans et en augmentant fortement les salaires. Mais les propriétaires nord-américains ne l'entendent pas de cette oreille. Le secrétaire d'Etat, Henry Kissinger, déclare alors : «Nous ne pouvons laisser un pays devenir communiste par l'irresponsabilité de son propre peuple».

Bon nombre de Chiliens issus de classes moyennes et aisées répondent en écho aux Etats Unis de  Richard Nixon et Nelson Rockefeller. Çà et là surgissent de violents foyers d'insurrection, la plupart du temps financés par la CIA.

L'Armée décide de mettre un terme - par la force - à l'expérience socialiste. Le 11 septembre 1973, des unités de la marine neutralisent le port de Valparaiso, des chars envahissent les rues de Santiago, les militaires s'emparent des stations de radio, instaurent le couvre-feu et demandent à Allende de démissionner.

Retranché dans son Palais de la Moneda, le président refuse. Armé d'une mitraillette, il résiste tant qu'il peut, puis acculé dans le palais à demi détruit par les bombardements de l'aviation, se donne la mort. Il avait 65 ans.

… On connaît la suite.

Fjords chiliens.jpg

Retranscription en guise d’hommage du dernier discours du Président Salvatore Allende :


« Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie. La honte rejaillira sur ceux qui ont renié leurs engagements et manqué à leur parole, comme ils ont renié la doctrine des forces armées…

...Le peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer ni massacrer, mais il doit défendre ses conquêtes. Il doit défendre le droit de construire avec son travail une vie digne et meilleure…

En ce moment les avions nous survolent. Il est possible qu’ils nous criblent de projectiles. Mais sachez que nous sommes ici, ne serait-ce que pour affirmer par notre exemple que, dans ce pays, il y a des hommes qui savent accomplir leur devoir. Je le ferai comme représentant du peuple et avec la volonté lucide d’un président qui a conscience de la dignité de sa charge…

Compatriotes, il est possible qu’ils réduisent les radios au silence. Je prends congé de vous. Peut-être est-ce la dernière fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous. Les forces aériennes ont bombardé les tours des radios Portales et Corporación. Mes paroles n’expriment pas l’amertume mais la déception. Elles seront le châtiment moral de ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté, les soldats chiliens, les commandants en chef, l’amiral Merino qui s’est lui-même désigné comme tel, le général Mendoza, ce général vil qui, hier encore, manifestait sa solidarité et sa loyauté envers le gouvernement et qui s’est désigné lui-même commandant en chef des carabiniers.

Face à ces événements, il ne me reste qu’une chose à dire aux travailleurs : je n’abdiquerai pas. Situé en ce moment historique, je paierai de ma vie ma loyauté au peuple. Je vous dis avoir la certitude que la semence que nous avons enfouie dans la conscience digne de milliers et de milliers de Chiliens ne sera pas définitivement perdue. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais on n’arrête les mouvements sociaux ni avec le crime ni avec la force. L’histoire est nôtre, ce sont les peuples qui la font.

Travailleurs de mon pays, je veux vous dire ma gratitude pour la loyauté que vous avez toujours eue, pour la confiance que vous avez mise en un homme qui fut seulement l’interprète des grandes aspirations à la justice, qui s’est engagé à respecter la Constitution et la loi, et qui l’a fait.

C’est le moment final, le dernier où je peux m’adresser à vous. J’espère que la leçon sera comprise. Le capital étranger, l’impérialisme, uni à la réaction, ont créé le climat propice pour que les forces armées rompent avec leur tradition, celle que Schneider leur avait indiquée et que le commandant Araya avait réaffirmée, victimes du même milieu social qui doit aujourd’hui attendre dans ses maisons de conquérir le pouvoir avec l’aide de l’étranger, pour continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges.

Je m’adresse surtout à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé davantage, à la mère qui a toujours su s’occuper de ses enfants. Je m’adresse aux cadres de la patrie, aux cadres patriotes, à ceux qui depuis longtemps luttent contre la sédition dirigée par les syndicats patronaux, syndicats de classe dont le but est de défendre les avantages d’une société capitaliste.

Je m’adresse à la jeunesse, à ces jeunes qui chantèrent et communiquèrent leur joie et leur esprit de lutte.

Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à ceux qui seront poursuivis parce que le fascisme est déjà présent depuis longtemps dans notre pays, perpétrant des attentats terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les gazoducs, devant le silence de ceux qui avaient le devoir d’agir … l’histoire les jugera.

Radio Magallanes va sûrement être réduite au silence et le son paisible de ma voix n’arrivera pas jusqu’à vous. Peu importe, vous continuerez à m’entendre. Je serai toujours à vos côtés, mon souvenir sera au moins celui d’un homme digne qui fut loyal à sa patrie. Le peuple doit se défendre, mais ne pas être sacrifié. Le peuple ne doit pas se laisser abattre ni cribler de coups, et il ne doit pas non plus se laisser humilier. Travailleurs de mon pays, j’ai foi au Chili et en son destin. D’autres hommes surmonteront le moment triste et amer où la trahison prétend s’imposer. Continuez à penser que s’ouvriront bientôt, beaucoup plus tôt que tard, les grandes avenues où passera l’homme libre pour construire un monde meilleur.

Vive le Chili, vive le peuple, vivent les travailleurs !

Ce sont mes dernières paroles. J’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain. J’ai la certitude que, du moins, il y aura une sanction morale qui châtiera la félonie, la lâcheté et la trahison. »

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