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28/12/2014

Discours sur la misère

Victor Hugo « discours sur la misère » à l’Assemblée Nationale le 9 juillet 1849 

«Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli.

Misère au Borinage 1934 (Joris Ivens & Henri Storck)

La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits :

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. Voilà un fait. En voici d’autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté après sa mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon!

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société toute entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère!

Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’État ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé peuvent être sans asile ! tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux!»
Victor Hugo

discours sur la misère,hugo

 

 

11/12/2014

Fin de vie

Pour une fin de vie apaisée, une demande qui monte de toutes parts

fin de vieDéclaration commune des associations laïques

Toutes les enquêtes d’opinion le montrent : une très large majorité de nos concitoyens est favorable à l’instauration d’une aide médicalisée à mourir lorsque les patients sont atteints d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, leur infligeant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu’ils ne supportent pas. La multiplication des drames de la fin de vie, ceux qu’ont vécus notamment M. Vincent Humbert et sa mère ainsi que Mme Chantal Sébire, atteinte d’une grave maladie de la face provoquant des douleurs insupportables, ou que vit encore M. Vincent Lambert, victime des déchirements de sa famille, contribue à renforcer dans les profondeurs du pays l’appel en faveur d’une solution juridique permettant à chacun d’exercer sa liberté de conscience jusqu’au dernier souffle.

L’histoire parlementaire récente met également en évidence un fait nouveau : les clivages politiques peuvent s’estomper pour répondre favorablement à cette demande des citoyens et de nombreux personnels soignants. Ainsi, le 18 janvier 2011, la commission des lois de Sénat a adopté un texte résultant de la fusion de trois propositions de loi tendant à autoriser l’aide médicale à mourir. Seule la pression de forces rétrogrades sur le gouvernement d’alors en a empêché le vote.

Enfin, l’autorité judiciaire elle-même paraît de plus en plus mal à l’aise face aux drames de la fin de vie auxquels les personnels soignants sont confrontés dans une grande solitude : le 25 juin 2014, la cour d’assises de Bayonne a acquitté le docteur Bonnemaison, médecin de l’urgence poursuivi pour avoir abrégé illégalement, pour des motifs compassionnels, les souffrances de sept malades. Quelles que soient les suites susceptibles d’être données à l’appel formé par le Parquet, l’honneur du docteur Bonnemaison a été à tout jamais lavé par le jury populaire de Bayonne.

Un cadre juridique inadapté

Les partisans du statu quo peuvent désormais difficilement soutenir que les soins palliatifs constitueraient l’alternative à l’aide médicale à mourir et qu’une meilleure application de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie apporterait la réponse adéquate à la demande des patients, des personnels soignants et des citoyens en général, confrontés notamment dans leur vie de tous les jours aux conséquences de l’allongement de la durée de l’existence humaine.

En matière de soins d’accompagnement des mourants, la France accuse un retard considérable que ceux qui les brandissent comme un étendard n’ont rien fait pour les développer. Contrairement à la Catalogne, la Belgique ou la Norvège, notre pays ne répond que très imparfaitement à la résolution relative aux soins palliatifs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 28 janvier 2009 qui a estimé « nécessaire [d’étendre] de toute urgence la portée de ce mode novateur de traitement et de soins » et souligné que«  Les soins palliatifs devraient devenir accessibles non seulement aux malades en fin de vie, mais aussi aux patients atteints de maladies graves ou chroniques ainsi qu’à toutes les personnes qui nécessitent des soins individuels importants, qui pourraient bénéficier de cette démarche. » L’indigence de l’offre de soins palliatifs est, en effet, criante : un peu plus de cinq mille lits identifiés pour 320 000 patients par an, selon les données recueillies par l’Observatoire national de la fin de vie.

La loi du 22 avril 2005 comporte, quant à elle, de graves lacunes. L’interruption des traitements pour éviter une obstination de soins déraisonnable au regard de l’état du malade a parfois entraîné des agonies inacceptables. Notamment, la suspension de l’alimentation et de l’hydratation a constitué dans certains cas un délaissement coupable des patients pendant plusieurs jours, voire davantage. En outre, les directives anticipées n’ont pas de force juridiquement contraignante. Enfin et surtout, la mise en œuvre des dispositions de la loi s’avère impossible dans certaines situations comme l’a démontré le spectacle affligeant du déchirement de la famille de M. Vincent Lambert, en état de coma irréversible. En l’espèce, bien que le praticien eût respecté la procédure prévue par le texte, l’application de la loi a été suspendue pendant de longs mois au détriment même des droits qu’elle reconnaît aux malades.

Un engagement à tenir

L’inertie des pouvoirs publics n’a que trop duré. Le vingt-et-unième engagement du programme du candidat à la Présidence de la République François Hollande, aux termes de laquelle « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique insupportable, et qui ne peut être apaisée, [peut] demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », doit être suivie d’effet dans les plus brefs délais. Elle doit l’être dans le sens qu’attendent les citoyens et les soignants : non pas sous la forme d’une modification de la loi du 22 avril 2005 tendant à élargir le champ de la sédation terminale, mais sous celle de l’instauration d’un véritable droit à l’aide médicale à mourir sans lequel la liberté de conscience de chacun ne peut s’exercer complètement.

Les législations étrangères offrent à cet égard un large éventail d’expériences susceptibles d’éclairer un débat qui doit être mené sous les auspices de la seule raison, qu’il s’agisse du suicide médical assisté pratiqué dans les cantons du Valais et de Vaud en Suisse ou dans les Etats américains de l’Oregon, de Washington, du Vermont et, dans une moindre mesure, du Montana et du Nouveau-Mexique ou qu’il s’agisse de l’euthanasie dans les conditions prévues par la loi belge du 28 mai 2002 dont les dispositions s’inspirent de celles entrées en vigueur aux Pays-Bas en 2001 et ont été reprises au Luxembourg en 2009.

Les pouvoirs publics doivent méditer les conseils avisés d’Epicure que nos concitoyens souhaitent pouvoir suivre : « le sage ne tient pas à vivre la durée la plus longue, mais la durée la plus agréable ».