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27/01/2015

Pour une laïcité effective

Communiqué LDH

Paris, le 27 janvier 2015

Le président de la République appelle à une mobilisation pour la laïcité. La LDH s’associe à cet appel mais la laïcité, qui est une des valeurs fondatrices de la République, ne répondra à ses objectifs que si nous la mettons à l’œuvre en pleine conscience des changements que connaît le monde.

laicité

Avec la loi de 1905, la République assure la liberté de conscience, et donc la possibilité d’exprimer toutes les convictions, religieuses ou non, y compris l’athéisme, en privé ou en public, la seule réserve étant qu’elles ne mettent pas en cause l’ordre public et n’incitent pas au mépris ou à la haine. La loi garantit également le libre exercice des cultes en privé et en public. Ainsi, « La séparation des Églises et de l’État », selon l’intitulé de la loi, est assurée ; « l’Église chez elle » hors de l’État, mais entièrement libre, comme les autres acteurs et avec les mêmes contraintes au sein de la société civile.

L’assimilation de la pratique de l’islam à ce qu’il est convenu d’appeler « l’islamisme politique » laisse croire à un lien indissoluble entre la religion musulmane et une norme politique qui nierait la séparation entre les Églises et l’État.

Dans notre société, les individus refusent d’être seulement reconnus comme des citoyens assignés à résidence communautaire ou religieuse. Leurs identités multiples les relient à différentes communautés. Cette réalité du pluralisme culturel et religieux n’est en rien incompatible avec la laïcité ; celle-ci est même ce qui rend possible le pluralisme de valeurs, puisque la laïcité crée les conditions de la neutralité de l’État, sans pour autant neutraliser la société. 

Nous défendons le pluralisme convictionnel de la démocratie républicaine, à égalité et sans discrimination, la libre expression et le débat comme seuls modes de fonctionnement démocratique acceptables.

La laïcité était centrale dans les rassemblements multiples du 11 janvier, où s’exprimait une aspiration à la liberté et à la fraternité. Dans un tel contexte de pluralisme culturel, mais aussi de tensions multiples, nous avons besoin de plus que d’un rappel de la laïcité comme valeur. Jaurès disait que « la République, c’est le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir part à la souveraineté ». La laïcité doit être autre chose qu’un mot, elle doit être effective. Pour cela il faut que la République tienne ses promesses de liberté de conscience, d’égalité de droits, de fraternité universelle et de lutte contre toutes les discriminations.

26/01/2015

A propos des élections grecques

Un mois de janvier tonitruant, mais de belles analyses comme celle qui suit même si tout reste à faire...

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A PROPOS DES ÉLECTIONS GRECQUES par Danielle Bleitrach le 26 janvier 2015

Il est évident que l’on a toutes les raisons de se réjouir du vote du peuple grec en mesurant bien le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir pour que se dessine une issue pour les pays d’Europe et pour la France. Nous avons entendu des choses terribles sur le peuple grec de la part des conservateurs, les fanatiques du néo-libéralisme. Mais ce peuple a une histoire, celle de sa propre libération des nazis, celle de la lutte contre le fascisme des colonels et celle aujourd’hui du refus d’une autre dictature celle des financiers, du marché, du FMI et j’ajouterai des marchands d’armes, ça aussi c’est une vieille tradition grecque.

Nous devons féliciter le peuple grec et nous réjouir avec lui. D’abord se réjouir du fait que le peuple grec face à la situation terrible qui est la sienne ait repoussé le fascisme, la solution du capital pour dévoyer sa colère. Le score d’Aube doré demeure néanmoins non négligeable et le fascisme reste implanté dans l’appareil d’État, comme il trouve toujours une assise dans les couches en voie de marginalisation rapide et appui dans le grand patronat..

Le peuple grec a dit non à l’austérité, non à la troïka, à la logique de l’UE. C’est le sens du vote en faveur de Syriza mais aussi en faveur du KKE qui sont les seules forces à progresser (voir répartition des votes dans l’ancien parlement et celui d’aujourd’hui)..

Le fait que dans un tel contexte le KKE ne régresse pas mais au contraire progresse est un autre signe de maturité politique et une chance pour l’avenir parce que ce parti représente la volonté de conserver l’organisation dans la jeunesse et dans les couches populaires. Il donne un contenu de classe à une aspiration encore confuse mais forte.

Parce que Syriza, outre la figure de son leader charismatique, qui s’est présenté comme le renouvellement total d’une classe grecque enfermée dans une alternative sans espoir entre le Pasok (PS) et la droite, demeure une coalition non dénuée de contradictions et c’est là-dessus que tablent les vieilles forces et le capital pour  détourner le choix du peuple grec.

Nous avons connu en 1981, avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir une telle espérance ; rapidement  celle-ci a été trahie, pire encore cela a été l’installation du néo-libéralisme, le règne des cadeaux au patronat et la grande rupture entre les couches moyennes et le prolétariat privé de ses organisations.

Le parti socialiste en France a très vite d’ailleurs prétendu s’approprier la victoire en soulignant que le programme de Syriza est plus proche de la social démocratie que de tout aspect révolutionnaire. Quand on sait la manière dont le PS, en particulier son représentant en Europe Moscovici a tout fait pour torpiller le choix du peuple grec on ne peut qu’être stupéfait d’un tel culot. Mais considérons le positif une fois encore : il est temps de ne pas suivre la ligne de Macron. Désormais François Hollande quand il négocie à Bruxelles a deux alliés anti-austérité, l’Italie et la Grèce et le mouvement dans l’Europe du sud va dans le même sens sous des formes parfois différentes, alors on attend des résultats à la hauteur de la joie du PS. De même sur la question de la paix, en particulier de nouvelles relations avec la Russie, là encore le mouvement pousse avec l’élection grecque dans un sens favorable puisque Syriza et le KKE ont manifesté leur refus d’une confrontation au cœur de l’Europe, de la fascisation ukrainienne..

Maintenant est-ce que l’on peut considérer qu’un changement réel est intervenu par rapport à la crise que vit l’UE? Il s’agit d’une crise structurelle: un appareil coupé des peuples et soumis aux intérêts financiers avec comme seul facteur de régulation un monétarisme et une soumission de plus en plus marquée aux Etats-Unis, à son bellicisme, à sa destruction systématique de toute forme de coopération mutuellement avantageuse. Marquer le refus de l’austérité et se prononcer pour la paix est un grand pas dont on doit se réjouir, mais le mal est trop profond, il faudra d’autres mobilisations, d’autres interventions populaires.

Un pas a été fait, il ne faut pas le sous-estimer, il permet en tous les cas de porter le débat sur des solutions, il rompt avec la fatalité dans laquelle l’alternance PS et droite prétend depuis des années enfermer les nations européennes et qui conduisait immanquablement au fascisme par désespoir et abstention des couches populaires. Mais le risque est là, Syriza est une coalition comme Podemos en Espagne, marqué d’abord par le désaveu de l’alternance mais aussi à la recherche d’une solution qui ne change pas réellement le système, une sorte de volonté d’accommodement dans le changement espéré. Depuis des années, y compris dans les printemps arabes et dans d’autres mouvements encore plus détournés et manipulés comme l’euromaïdan, le capital sait renverser les aspirations d’une jeunesse qui proteste contre l’absence d’avenir. Une jeunesse que l’on a habituée à la suspicion de toute force organisée, élevée aussi dans l’anticommunisme, des couches moyennes diplômées qui voient se dégrader leur situation, mais qui croient encore à un certain spontanéisme et qui s’écroulent quand le capital envoie ses troupes fascistes reprendre en main leur mai 68 d’un jour. Une tentative est faite avec cette élection de donner corps à ces aspirations, c’est une bonne chose.
Voilà dit rapidement où je crois que nous en sommes, tout dépend alors de la capacité non pas à critiquer mais à chercher les moyens de favoriser l’intervention populaire pour imposer ce pourquoi elle a voté. En Grèce mais aussi en France et il faut bien constater que nous sommes démunis et qu’une des grandes questions qui se pose à nous est celle de la reconquête de couches populaires tentées par l’abstention et d’autres dérives.

Danielle Bleitrach

23/01/2015

L'Académie des Banlieues

De quoi les banlieues ont-elles besoin ?....

banlieues, liberté, discriminations

https://www.facebook.com/academie.des.banlieues?fref=nf

Alors que notre pays a su se mobiliser face à la haine et à la menace terroriste, les quartiers populaires forment une nouvelle fois une cible toute trouvée pour ceux qui ne résistent pas à la tentation de surenchères démagogiques.
Surenchères qu’un député de la majorité et le premier ministre lui même n’ont pas hésité à alimenter en tenant des propos irresponsables qui ne peuvent que renforcer le sentiment d’injustice et de stigmatisation que ressentent les habitants des quartiers ainsi visés.
Comment peut-on prétendre mettre sous tutelle des quartiers où vivent des centaines de milliers d’habitants ? Ces femmes et ces hommes seraient ils jugés irresponsables ainsi que les élus qu’ils se sont choisis démocratiquement, pour être ainsi dessaisis de leurs droits les plus élémentaires ? La démocratie ne serait-elle valable que dans les quartiers les plus aisés ? On pourrait aussi rétablir le suffrage censitaire !
Quant à l’affirmation du premier ministre parlant d’« apartheid », c’est soit une formule destinée à faire le buzz médiatique et c’est alors indigne de sa fonction, soit une banalisation inacceptable de ce que fut l’apartheid, c’est-à-dire un régime établissant au sein d’un même pays une séparation juridique en fonction des origines.
Monsieur le Premier Ministre, monsieur le Député, nous vivons dans une République une et indivisible, qui proclame la liberté, l’égalité et la fraternité. Une République qui est fondée sur la démocratie, c'est-à-dire sur la liberté d’expression et l’élection des dirigeants par le peuple.
C’est cette République, ce sont ces valeurs qu’il faut faire vivre dans chaque immeuble, dans chaque rue, dans chaque quartier. C’est cela la responsabilité de l’Etat et non de traiter les gens comme des mineurs incapables de s’administrer démocratiquement.
Comment peut-on parler d’apartheid quand on réduit de façon drastique les dotations aux collectivités locales, en les contraignant à réduire les services publics de proximité qui sont souvent les derniers remparts de la population quand les services publics de l’Etat ont déserté, ainsi que les aides aux associations, fragiles piliers du tissu social?
Comment peut-on parler d’apartheid quand on dirige un gouvernement qui exclut des réseaux d’éducation prioritaire des collèges et des écoles qui accueillent pourtant une très large majorité d’enfants habitant dans des quartiers en grande difficulté ? Comment peut-on faire cela au moment même où tout le monde souligne l’importance de l’éducation et de l’école dans la lutte contre tous les fanatismes ?
Depuis sa création en 2010, l’académie des banlieues n’a eu de cesse de dénoncer les discriminations dont sont victimes les habitants de territoires entiers en matière d’éducation, de sécurité, d’emploi, de transports, de logement, de santé, de culture.
Nous ne demandons rien d’extraordinaire. Simplement l’égalité et le respect ! Un respect qui passe aussi par un traitement médiatique digne et non caricatural, comme c’est hélas trop souvent le cas.

Combattre le terrorisme, ce n’est pas restreindre les libertés

Le peuple de France est descendu dans la rue pour dire non au terrorisme et défendre les libertés. L’un et l’autre. Dans ce qui est devenu une sorte de réflexe pavlovien, la classe politique française souhaite ajouter encore à l’arsenal législatif de nouvelles mesures contre le terrorisme. Alors même que quinze lois ont été adoptées depuis 1986 et que les décrets d’application de la dernière ne sont pas publiés, notre sécurité serait, en effet, mieux assurée par de nouveaux pouvoirs confiés aux forces de l’ordre. Il n’en est rien. C’est un mensonge de prétendre que les dramatiques événements que nous venons de vivre seraient la conséquence d’une insuffisance législative. Il est exact en revanche que la déficience de moyens, les erreurs d’analyse, même si le travail des forces de sécurité française reste remarquable, méritent débat ; mais rien ne justifie les nouvelles dispositions envisagées.

La LDH regrette qu’après l’élan du 11 janvier, ces réponses sécuritaires restent la seule voie empruntée par les pouvoirs publics.

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C’est d’une autre ambition dont nous avons besoin : de réponses de fond qui permettent de comprendre comment notre société a pu faire que de tels actes soient commis ; pas pour excuser, encore moins pour absoudre, mais pour éviter réellement qu’ils ne se reproduisent. Nous avons besoin surtout de réponses préventives. Toutes doivent renforcer l’esprit et la lettre de notre démocratie.

La LDH appelle les citoyens à ne pas se laisser enfermer dans le cercle de la peur. Elle les invite à rappeler aux pouvoirs publics, à la représentation politique française qu’à chaque fois que nous avons concédé de nos libertés, il s’en est suivi moins de démocratie, sans pour autant nous assurer plus de sécurité.

La fraternité qui s’est exprimée le 11 janvier exige un autre horizon que celui que l’on nous propose.

Communiqué LDH

Paris, le 13 janvier 2015.

Second communiqué

Mesures contre le terrorisme : approbation partielle, rappel aux principes et vigilance totale

La Ligue des droits de l’Homme apprécie à sa juste valeur politique que le gouvernement n’ait pas cédé à la surenchère législative et réglementaire que réclamaient les partis de droite, le FN, et autres partisans d’une « guerre de civilisation ». La restriction des libertés n’a jamais favorisé une meilleure sécurité, comme l’atteste le bilan du Patriot Act américain.

La Ligue des droits de l’Homme considère que le plan de renforcement des mesures de protection par un recrutement substantiel de personnels dans la police, le renseignement et la justice, en particulier dans la protection judiciaire de la jeunesse pour agir immédiatement sur le terrain, ainsi que l’affectation de moyens nouveaux en matériel étaient nécessaires. La LDH s’en félicite et souhaite que toute la formation nécessaire à l’exercice de leur métier soit organisée tant en ce qui concerne les opérations de contrôle, qu’en ce qui tient à l’exercice de tous les droits.

En revanche, la LDH sera très vigilante sur la prochaine loi sur le renseignement. Elle est susceptible de comporter des mesures dangereuses pour les libertés sans contrôle et contre-pouvoir suffisants.

De la même manière, la LDH s’interroge sur l’efficacité du projet de regroupement carcéral des détenus qualifiés de « radicaux islamistes ». Une telle mesure peut engendrer des situations insupportables au regard des droits élémentaires de ces personnes mais aussi les amener à se radicaliser encore plus. Dans le contexte de surpeuplement des prisons françaises, ce regroupement ne peut être abordé qu’avec prudence et en préservant les droits fondamentaux des prévenus.

Après avoir transféré le délit d’apologie du terrorisme dans le Code pénal de manière à abolir les garanties qu’offre la loi de 1881 sur la presse, le gouvernement envisage de faire de même en ce qui concerne la loi de 1972 contre le racisme. Les invraisemblables décisions rendues en comparution immédiate, et qui ont entraîné parfois des peines lourdes pour une divagation alcoolique, auraient dû amener le gouvernement à être plus prudent. La LDH considère que ce projet constitue un véritable danger pour la liberté de la presse et à la liberté d’expression. On ne lutte pas contre le racisme en portant atteinte à une autre liberté. Imagine-t-on Charlie jugé en correctionnel au milieu de trafics en tout genre pour la publication d’une caricature ? La LDH appelle le gouvernement à retirer ce projet et à retirer le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal.

Enfin, la création d’un nouveau fichier dit antiterroriste conduit à s’interroger une nouvelle fois sur le nombre de fichiers qui existent, leur gestion et leur traitement, en fait, si ce n’est en droit, en dehors de tout contrôle.

La LDH rappelle une nouvelle fois que l’on ne peut efficacement lutter contre le terrorisme qu’en préservant la lettre et le principe de l’État de droit.

Paris, le 21 janvier 2015

 

11/01/2015

L’intelligence de la raison et le courage de la conviction

Par Pierre Tartakowsky, président de la LDH

Les attentats, bien sûr ! Comment ne pas revenir, encore et encore, sur cette plaie ouverte, sur cette explosion de haine meurtrière ? Et comment faire l’économie d’un retour sur ses enjeux ? La violence de l’épreuve, sa traînée de haine interdisent évidemment que quiconque pense pouvoir tourner la page et revenir à un statu quo ante. Tout nous engage, au contraire, à penser présent et avenir en tirant leçon de l’événement.

 

attentats, charlie

 

D’abord, en ne laissant pas instrumentaliser les grandes mobilisations de solidarité qui ont envahi l’espace public : elles étaient tout entières tournées vers la liberté et la fraternité. Elles appellent des actes, des politiques publiques qui affrontent le racisme, l’antisémitisme, les discriminations, qui travaillent l’Europe et notre pays ; ensuite en mettant en garde – mieux encore, en nous mobilisant – contre les réflexes sécuritaires, surtout lorsqu’ils aboutissent à des résultats absurdes. Oui, l’école a un rôle à jouer face à l’intolérance ; non, ce rôle ne peut se ramener à celui d’auxiliaire de police. Conduire des gamins et des pré-ados au poste, pour une déclaration à l’emporte-pièce, c’est substituer la procédure répressive au nécessaire débat éducatif ; poursuivre un parent pour avoir « pénétré » dans l’école pour exprimer sa colère, c’est enterrer de fait la notion même de communauté éducative.

Ces pratiques sont des impasses dangereuses ; non seulement elles tuent le débat là où il s’agit de le faire vivre mais elles accentuent chez ceux qui sont stigmatisés l’idée, déjà bien présente, que, décidément, la promesse républicaine n’est pas pour eux…

L’époque a moins besoin de bâton que de raison ; cela passe par l’acceptation de la confrontation, par le conflit raisonné, par la formulation de nouveaux compromis à vivre, justement possibles sur la base des valeurs de la République et d’une laïcité garante de la liberté de conscience.

Il est d’autant plus important de le rappeler que d’autres périls frappent à la porte. Les attaques ignobles dont Christiane Taubira, garde des Sceaux, est à nouveau la cible, le résultat de l’élection partielle du Doubs l’illustrent avec force. Avec ses 60 % d’abstention, un FN triomphant et une droite dont une partie s’avère plus que jamais disponible à des alliances non républicaines – elle fournit un résumé saisissant la multiplicité des défis lancés à la face de la République : pauvreté de l’offre politique, démocratie anémiée, légitimation des thèmes racistes, tentations autoritaires…

Face à nous se dresse ainsi une mécanique folle de régression et de peurs dont les pôles, d’apparence antagonique, se renforcent l’un l’autre en une haine commune pour l’égalité et la liberté. Face à quoi nos peurs seront insuffisantes ; sachons mobiliser l’intelligence de la raison et le courage de la conviction.

Trois mots pour les morts et pour les vivants

Pendant que l’on lustre le tapis rouge des chaussées ensanglantées par des monstres fabriqués de toutes pièces et qui sera foulé aux pieds par ceux-là même qui ont une part de responsabilités indéniable dans « guerre civile mondiale » qui se joue partout sur la planète, guerre civile qui bouleverse notre logique, notre sens critique et notre raison, Etienne Balibar tente une sortie de cet enfermement. Ça devrait pouvoir nous aider .

pas à mon nomCompassion, solidarité, fraternité mais aussi inquiétude

 

TRIBUNE par Etienne BALIBAR, philosophe, auteur de Violence et Civilité
«

Trois mots pour les morts et pour les vivants

Un vieil ami japonais, Haruhisa Kato, ancien professeur à l’université Todai, m’écrit ceci : «J’ai vu les images de la France tout entière en deuil. J’en suis profondément bouleversé. Dans le temps, j’ai beaucoup aimé les albums de Wolinski. Je suis abonné depuis toujours au Canard enchaîné. J’apprécie chaque semaine les dessins du Beauf de Cabu. J’ai toujours à côté de mon bureau son album Cabu et Paris, dont plusieurs dessins qu’il a peints de jeunes filles japonaises, touristes épanouies aux Champs-Élysées, sont admirables.» Mais, plus loin, cette réserve : «L’édito du 1er janvier du Monde commençait par ces mots : "Un monde meilleur ? Cela suppose, d’abord, l’intensification de la lutte contre l’État islamique et sa barbarie aveugle."J’ai été très frappé par l’affirmation, passablement contradictoire me semble-t-il, qu’il faut passer par la guerre pour avoir la paix !»

D’autres m’écrivent aussi de partout : Turquie, Argentine, États-Unis… Tous expriment de la compassion et de la solidarité, mais aussi de l’inquiétude : pour notre sécurité et pour notre démocratie, notre civilisation, j’allais dire notre âme. C’est à eux que je veux répondre, en même temps qu’à l’invitation de Libération. Il est juste que les intellectuels s’expriment, sans privilège, surtout pas celui d’une lucidité particulière, mais sans réticence et sans calcul. C’est un devoir de fonction, pour que la parole circule dans la cité à l’heure du péril. Aujourd’hui, dans l’urgence, je ne veux prononcer que trois ou quatre mots.

Communauté. Oui, nous avons besoin de communauté : pour le deuil, pour la solidarité, pour la protection, pour la réflexion. Cette communauté n’est pas exclusive, en particulier elle ne l’est pas de ceux, parmi les citoyens français ou immigrés, qu’une propagande de plus en plus virulente, réminiscente des épisodes les plus sinistres de notre histoire, assimile à l’invasion et au terrorisme pour en faire les boucs émissaires de nos peurs, de notre appauvrissement, ou de nos fantasmes. Mais elle ne l’est pas non plus de ceux qui croient aux thèses du Front national ou que séduit la prose de Houellebecq. Elle doit donc s’expliquer avec elle-même. Et elle ne s’arrête pas aux frontières, tant il est clair que le partage des sentiments, des responsabilités et des initiatives qu’appelle la «guerre civile mondiale» en cours doit se faire en commun, à l’échelle internationale, et si possible (Edgar Morin a parfaitement raison sur ce point) dans un cadre cosmopolitique.

C’est pourquoi la communauté ne se confond pas avec l’«union nationale». Ce concept n’a pratiquement jamais servi qu’à des buts inavouables : imposer le silence aux questions dérangeantes et faire croire à l’inévitabilité des mesures d’exception. La Résistance elle-même (et pour cause) n’a pas invoqué ce terme. Et l’on vient déjà de voir comment, appelant au deuil national, ce qui est sa prérogative, le président de la République en profitait pour glisser une justification de nos interventions militaires, dont il n’est pas certain qu’elles n’aient pas contribué à faire glisser le monde sur sa pente actuelle. Après quoi viennent tous les débats piégés sur les partis qui sont «nationaux» et ceux qui ne le sont pas, dussent-ils en porter le nom. Veut-on donc faire concurrence à Mme Le Pen ?

Imprudence. Les dessinateurs de Charlie Hebdo ont-ils été imprudents ? Oui, mais le mot a deux sens, plus ou moins aisément démêlables (et, bien sûr, il entre ici une part de subjectivité). Mépris du danger, goût du risque, héroïsme si l’on veut. Mais aussi indifférence envers les conséquences éventuellement désastreuses d’une saine provocation : en l’occurrence le sentiment d’humiliation de millions d’hommes déjà stigmatisés, qui les livre aux manipulations de fanatiques organisés. Je crois que Charb et ses camarades ont été imprudents dans les deux sens du terme. Aujourd’hui que cette imprudence leur a coûté la vie, révélant du même coup le danger mortel que court la liberté d’expression, je ne veux penser qu’au premier aspect. Mais pour demain et après-demain (car cette affaire ne sera pas d’un jour), je voudrais bien qu’on réfléchisse à la manière la plus intelligente de gérer le second et sa contradiction avec le premier. Ce ne sera pas nécessairement de la lâcheté.

Jihad. C’est à dessein que pour finir je prononce le mot qui fait peur, car il est temps d’en examiner toutes les implications. Je n’ai que le début d’une idée à ce sujet, mais j’y tiens : notre sort est entre les mains des musulmans, si imprécise que soit cette dénomination. Pourquoi ? Parce qu’il est juste, bien sûr, de mettre en garde contre les amalgames, et de contrer l’islamophobie qui prétend lire l’appel au meurtre dans le Coran ou la tradition orale. Mais cela ne suffira pas. A l’exploitation de l’islam par les réseaux jihadistes - dont, ne l’oublions pas, des musulmans partout dans le monde et en Europe même sont les principales victimes - ne peut répondre qu’une critique théologique, et finalement une réforme du «sens commun» de la religion, qui fasse du jihadisme une contrevérité aux yeux des croyants. Sinon, nous serons tous pris dans le mortel étau du terrorisme, susceptible d’attirer à lui tous les humiliés et offensés de notre société en crise, et des politiques sécuritaires, liberticides, mises en œuvre par des États de plus en plus militarisés. Il y a donc une responsabilité des musulmans, ou plutôt une tâche qui leur incombe. Mais c’est aussi la nôtre, non seulement parce que le «nous» dont je parle, ici et maintenant, inclut par définition beaucoup de musulmans, mais aussi parce que les chances d’une telle critique et d’une telle réforme, déjà ténues, deviendraient carrément nulles si nous nous accommodions encore longtemps des discours d’isolement dont, avec leur religion et leurs cultures, ils sont généralement la cible.
»

Etienne BALIBAR Philosophe, auteur de Violence et Civilité

08/01/2015

Ni rire, ni pleurer. Comprendre.

12 personnes assassinées dans les locaux de Charlie Hebdo.

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Rouge, demain il fera beau....  Georges Wolinski


Beaucoup de questions se posent...
Au hasard :

  • Comment éviterons-nous que la contagion de cette folie qui s'est attaquée aux libertés n'atteignent les moins politisés d'entre-nous ?
  • Comment nous abstiendrons-nous de demander à des présumés musulmans de se désolidariser des musulmans ? Comment éviterons-nous les amalgames et la complaisance vis à vis des "cerveaux malades" qui en font commerce ?
  • Comprendrons-nous que la fraternité ne doit en aucun cas être transcendée par la religion, les partis ou la race ?

Toutes ces questions et beaucoup d'autres ont été soulevées au moment de le "veillée" organisée par Mediapart au soir de la tuerie.

Enregistrement vidéo :

 

03/01/2015

Introspection

Introspection - des intellectuels explorent la crise en nous.

Dans le sillage de "Penser Critique" qui a donné lieu à Notre Monde, projeté fin 2013, «Introspection» est une série d'entretiens consacrée à nos subjectivités individuelles et collectives.

Du 22 décembre 2014 au 2 janvier 2015, Antoine Mercier a reçu dans le journal de 12h30 sur France Culture des intellectuels et chercheurs.
Des points de vue pour penser la crise et réamorcer une réflexion autonome pour commencer l'année.

penser la crise
"Astre et désastre" Alechinsky 1969


Ces entretiens sont ici...

Six ans après le début de la crise dite des « subprimes », le constat d’une désorganisation financière de l’économie mondiale a été parfaitement dressé, sans que ne soit apparue une réelle sortie de crise. Les déficits se creusent en même temps que les États réduisent leur puissance d’agir.
Tout semble reposer sur un hypothétique retour de la croissance dont on ne sait même plus, de surcroît, s’il est vraiment souhaitable.
De ce coup d’arrêt donné à l’idée du progrès est née une crise de la représentation symbolique de notre rapport au monde. Où faut-il ouvrir de nouveaux lendemains ?

Michèle Riot-Sarcey, historienne

Sur la perte de sens du mot liberté.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
« Les mots qui permettaient de penser et d'agir ont perdu un peu de leur substance. (.... )
Qui est libre, qui ne l'est pas ? »
 
 

Alain Borer, poète, essayiste et critique d'art, auteur de «De quel amour blessée»,
Évolutions de la langue que nous parlons disent des maux dont nous souffrons.

« Il faut penser la relation de la langue à l'imaginaire, à l'image de soi et au réel. »

 

José Morel Cinq-Mars, psychanalyste et psychologue, auteur de «Du côté de chez soi», sous-titré : "défendre l'intime, défier la transparence", l'intime est  « le noyau de la vérité de l'être et la condition même de la parole, de la pensée et de la création ». Il est aujourd'hui non seulement attaqué et fragilisé, mais aussi « en passe d'être socialement sacrifié ».

« Défendre l'intime, ce n'est pas refuser l'espace public, c'est  articuler les deux. »

 

Franck Lepage, éducateur, militant de l'éducation populaire et ses « conférences gesticulées »

Avec l'auteur de « Éducation populaire, une utopie d'avenir », l'idée que la crise que nous vivons n’en finit pas parce qu’elle a touché la langue que nous parlons.

« En quelques décennies a disparu toute possibilité de nommer négativement le capitalisme.
Et sans mots négatifs, vous ne pouvez plus penser la contradiction.»
 

Heinz Wismann, philologue et philosophe

Réflexion sur un mot central de notre époque : la "dette".
Comment comprendre d'un point de vue philosophique cet élément central de la crise systémique que nous connaissons aujourd'hui ?

« La dette, à laquelle tout le monde a d'abord recouru pour créer de la croissance, est connotée depuis très longtemps en Occident avec la faute. En Allemand, dette et culpabilité c'est le même mot : "Schuld". »

 

Lecture

Roland Gori, psychanalyste

Dans la période de crise que connaît notre société, il semble naitre une nouvelle langue.
"Langage de crise", ou crise du langage ? Pour le psychanalyste Roland Gori, c'est désormais la langue de la technique qui remplace la parole humaine.

« Notre civilisation est malade d'une nouvelle forme de bureaucratie : la bureaucratie de l'expertise, l'introduction de normes gestionnaires qui détruisent les métiers. »

 

Sophie Wahnich, historienne, spécialiste de la Révolution française

Elle revient sur la place de l’État dans nos sociétés modernes :
sa faiblesse semble aller de pair avec une surenchère autoritaire.

« On cherche, dans le contexte néolibéral, à affaiblir la présence de l’État.
Il y a un consentement très fort des élites politiques à ce choix.
»

 

André Orléan, économiste

Au lendemain des vœux de François Hollande, il évoque la finance et la parole présidentielle à son égard.

 

« Il y a un pêché originel qui pèse durablement sur la crédibilité de la parole présidentielle, c'est le fait qu'il a renié au départ son programme. Le fameux programme du Bourget : mon ennemi, c'est la finance. »

 

Patrick Vassort, sociologue

Il revient sur la crise actuelle du capitalisme, crise qu'il considère comme "celle qui risque d'être sa plus grande", car elle touche selon lui aux fondements de la vie humaine en société. Et il pousse en direct un coup de gueule contre cette démocratie française qui laisse mourir de froid des enfants dans ses rues.


 

 

Lecture
 

01/01/2015

Lucidité, colère, générosité

Pour sortir des conventions insignifiantes et de l'ennui, la LDH de Manosque et du bassin manosquin vous souhaite lucidité, colère, générosité pour 2015 et n’en avoir jamais fini.

Joceli Borgès, Sebastiao Salgado
Portrait de Joceli Borges par Sebastiao Salgado en 1996, au Brésil.