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28/06/2015

Draghi, sursis et confettis

POUR LA BCE QUI VIENT TROP APPAREMMENT DE S'ADOUCIR, entraînant le FMI dans son sillage, il ne s'agit que d'un "sursis". Mais on voit mal les Draghi, Lagarde et autre Juncker, banquier du Luxembourg,  passer dans le camp des repentis et Alexis Tsipras renoncé à un référendum qui donne enfin toute sa place au peuple grec le 5 juillet prochain

Draghi, sursis et confettis
Draghi, un repenti ?

 

Appel en solidarité
"Le gouvernement grec a livré un rude combat dans des conditions d'asphyxie financière inouïes pour aboutir à un accord viable et mutuellement bénéfique avec ses partenaires.
Après cinq mois de négociations, les institutions en sont venues à poser un ultimatum qui contrevient aux principes de l'UE et sape la relance de la société et de l'économie grecques.
Les créanciers exigent que le gouvernement grec applique les politiques mémorandaires comme l'avaient fait ses prédécesseurs.
Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l'humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l'obsession du FMI et des institutions européennes pour une politique d'extrême austérité."

Grèce, le coup d’État silencieux

Semaine après semaine, le nœud coulant des négociations étrangle progressivement le gouvernement grec. De hauts dirigeants européens ont d’ailleurs expliqué au « Financial Times » qu’aucun accord ne serait possible avec le premier ministre Alexis Tsipras avant qu’il ne « se débarrasse de l’aile gauche de son gouvernement ». L’Europe, qui prêche la solidarité, ne la consentirait-elle qu’aux conservateurs ?

par Stelios Kouloglou, juin 2015

A Athènes, « tout change et tout reste pareil », comme le dit une chanson traditionnelle grecque. Quatre mois après la victoire électorale de Syriza, les deux partis qui ont gouverné le pays depuis la chute de la dictature, le Mouvement socialiste panhellénique (Pasok) et la Nouvelle Démocratie (droite), sont totalement discrédités. Le premier gouvernement de gauche radical dans l’histoire du pays depuis le « gouvernement des montagnes (1) », au temps de l’occupation allemande, jouit d’une grande popularité (2).

Mais si personne ne mentionne plus le nom de la « troïka » détestée, car responsable du désastre économique actuel, les trois institutions — Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international (FMI) — poursuivent leur politique. Menaces, chantages, ultimatums : une autre « troïka » impose au gouvernement du nouveau premier ministre Alexis Tsipras l’austérité qu’appliquaient docilement ses prédécesseurs.

Avec une production de richesse amputée d’un quart depuis 2010 et un taux de chômage de 27 % (plus de 50 % pour les moins de 25 ans), la Grèce connaît une crise sociale et humanitaire sans précédent. Mais en dépit du résultat des élections de janvier 2015, qui ont donné à M. Tsipras un mandat clair pour en finir avec l’austérité, l’Union européenne continue à faire endosser au pays le rôle du mauvais élève puni par les sévères maîtres d’école de Bruxelles. L’objectif ? Décourager les électeurs « rêveurs » d’Espagne ou d’ailleurs qui croient encore à la possibilité de gouvernements opposés au dogme germanique.

La situation rappelle le Chili du début des années 1970, lorsque le président américain Richard Nixon s’employa à renverser Salvador Allende pour empêcher des débordements similaires ailleurs dans l’arrière-cour américaine. « Faites hurler l’économie ! », avait ordonné le président américain. Lorsque ce fut fait, les tanks du général Augusto Pinochet prirent la relève...

Le coup d’État silencieux qui se déroule en Grèce puise dans une boîte à outils plus moderne — des agences de notation aux médias en passant par la BCE. Une fois l’étau en place, il ne reste plus que deux options au gouvernement Tsipras : se laisser étrangler financièrement s’il persiste à vouloir appliquer son programme ou renier ses promesses et tomber, abandonné par ses électeurs.

C’est justement pour éviter la transmission du virus Syriza — la maladie de l’espoir — au reste du corps européen que le président de la BCE Mario Draghi a annoncé le 22 janvier 2015, soit trois jours avant les élections grecques, que le programme d’intervention de son institution (la BCE achète chaque mois pour 60 milliards d’euros de titres de la dette aux Etats de la zone euro) ne serait accordé à la Grèce que sous conditions. Le maillon faible de la zone euro, celui qui a le plus besoin d’aide, ne recevrait de soutien que s’il se soumettait à la tutelle bruxelloise.

Menaces et sombres prédictions

Les Grecs ont la tête dure. Ils ont voté Syriza, contraignant le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem à les rappeler à l’ordre : « Les Grecs doivent comprendre que les problèmes majeurs de leur économie n’ont pas disparu du seul fait qu’une élection a eu lieu » (Reuters, 27 janvier 2015). « Nous ne pouvons faire d’exception pour tel ou tel pays », a confirmé Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI (The New York Times, 27 janvier 2015), cependant que M. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, renchérissait : « La Grèce doit payer, ce sont les règles du jeu européen » (The New York Times, 31 janvier et 1er février 2015).

Une semaine plus tard, M. Draghi démontrait que l’on savait également « faire hurler l’économie » au sein de la zone euro : sans la moindre justification, il fermait la principale source de financement des banques grecques, remplacée par l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), un dispositif plus coûteux devant être renouvelé chaque semaine. Bref, il plaçait une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants grecs. Dans la foulée, l’agence de notation Moody’s annonçait que la victoire de Syriza « influait négativement sur les perspectives de croissance » de l’économie (Reuters, 27 janvier 2015).

Le scénario du Grexit (la sortie de la Grèce de la zone euro) et du défaut de paiement revenait à l’ordre du jour. Quarante-huit heures à peine après les élections de janvier, le président de l’Institut allemand pour la recherche économique, M. Marcel Fratzscher, ancien économiste à la BCE, expliquait que M. Tsipras jouait « un jeu très dangereux » : « Si les gens commencent à croire qu’il est vraiment sérieux, on pourrait assister à une fuite massive des capitaux et à une ruée vers les banques. Nous en sommes au point où une sortie de l’euro devient possible » (Reuters, 28 janvier 2015). Exemple parfait de prophétie autoréalisatrice qui conduisit à aggraver la situation économique d’Athènes.

Syriza disposait d’une marge de manœuvre limitée. M. Tsipras avait été élu pour renégocier les conditions attachées à l’« aide » dont son pays avait bénéficié, mais dans le cadre de la zone euro, l’idée d’une sortie ne bénéficiant pas d’un soutien majoritaire au sein de la population. Celle-ci a été convaincue par les médias grecs et internationaux qu’un Grexit constituerait une catastrophe d’ampleur biblique. Mais la participation à la monnaie unique touche d’autres cordes, ultrasensibles ici.

Dès son indépendance, en 1822, la Grèce a balancé entre son passé au sein de l’Empire ottoman et l’« européanisation », un objectif qui, aux yeux des élites comme de la population, a toujours signifié la modernisation du pays et sa sortie du sous-développement. La participation au « noyau dur » de l’Europe était censée matérialiser cet idéal national. Pendant la campagne électorale, les candidats de Syriza se sont donc sentis obligés de soutenir que la sortie de l’euro constituait un tabou.

Au centre de la négociation entre le gouvernement Tsipras et les institutions, la question des conditions fixées par les prêteurs : les fameux mémorandums, qui, depuis 2010, obligent Athènes à appliquer des politiques d’austérité et de surimposition dévastatrices. Plus de 90 % des versements des créanciers leur reviennent pourtant directement — parfois dès le lendemain ! —, puisqu’ils sont affectés au remboursement de la dette. Comme l’a résumé le ministre des finances Yanis Varoufakis, qui réclame un nouvel accord avec les créanciers, « la Grèce a passé ces cinq dernières années à vivre pour le prêt suivant comme le drogué qui attend sa prochaine dose » (1er février 2015).

Mais comme le non-remboursement de la dette équivaut à un « événement de crédit », c’est-à-dire à une sorte de banqueroute, le déblocage de la dose est une arme de chantage très puissante aux mains des créanciers. En théorie, puisque les créanciers ont besoin d’être remboursés, on aurait pu imaginer qu’Athènes disposait aussi d’un levier de négociation important. Sauf que l’activation de ce levier aurait conduit la BCE à interrompre le financement des banques grecques, entraînant le retour à la drachme.

Rien d’étonnant donc si, trois semaines à peine après les élections, les dix-huit ministres des finances de la zone euro ont envoyé un ultimatum au dix-neuvième membre de la famille européenne : le gouvernement grec devait appliquer le programme transmis par ses prédécesseurs ou s’acquitter de ses obligations en trouvant l’argent ailleurs. Dans ce cas, concluait le New York Times, « beaucoup d’acteurs du marché financier pensent que la Grèce n’a guère d’autre choix que de quitter l’euro » (16 février 2015).

Pour échapper aux ultimatums étouffants, le gouvernement grec a sollicité une trêve de quatre mois. Il n’a pas réclamé le versement de 7,2 milliards d’euros, mais espérait que, pendant la durée du cessez-le-feu, les deux parties parviendraient à un accord incluant des mesures pour développer l’économie puis résoudre le problème de la dette. Il eût été maladroit de faire tomber tout de suite le gouvernement grec ; les créanciers ont donc accepté.

Athènes pensait pouvoir compter — provisoirement, du moins — sur les sommes qui allaient rentrer dans ses caisses. Le gouvernement espérait disposer, dans les réserves du Fonds européen de stabilité financière, de 1,2 milliard d’euros non utilisé dans le processus de recapitalisation des banques grecques, ainsi que de 1,9 milliard que la BCE avait gagné sur les obligations grecques et promis de restituer à Athènes. Mais, à la mi-mars, la BCE annonçait qu’elle ne restituerait pas ces gains, tandis que les ministres de l’Eurogroupe décidaient non seulement de ne pas verser la somme, mais de la transférer au Luxembourg, comme si l’on craignait que les Grecs ne se changent en détrousseurs de banques ! Inexpérimentée, ne s’attendant pas à de pareilles manœuvres, l’équipe de M. Tsipras avait donné son accord sans exiger de garanties. « En ne demandant pas d’accord écrit, nous avons commis une erreur », a reconnu le premier ministre dans une interview à la chaîne de télévision Star, le 27 avril 2015.

Le gouvernement continuait à jouir d’une grande popularité, en dépit des concessions auxquelles il a consenti : ne pas revenir sur les privatisations décidées par le gouvernement précédent, ajourner l’augmentation du salaire minimum, augmenter encore la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Berlin a donc lancé une opération visant à le discréditer. Fin février, le Spiegel publiait un article sur les « relations torturées entre Varoufakis et Schäuble » (27 février 2015). L’un des trois auteurs en était Nikolaus Blome, récemment transféré de Bild au Spiegel, et héros de la campagne menée en 2010 par le quotidien contre les « Grecs paresseux » (3). Le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, qui, fait rare dans l’histoire de l’Union européenne, mais aussi de la diplomatie internationale, ironisait publiquement sur son homologue grec, qu’il qualifiait de « stupidement naïf » (10 mars 2015), était présenté par le magazine allemand comme un Sisyphe bienveillant, désolé de ce que la Grèce soit condamnée à échouer et à quitter la zone euro. Sauf si, insinuait l’article, M. Varoufakis était démis de ses fonctions.

Tandis que fuites, sombres prédictions et menaces se multipliaient, M. Dijsselbloem avançait un nouveau pion, déclarant dans le New York Times que l’Eurogroupe examinait l’éventualité d’appliquer à la Grèce le modèle chypriote, soit une limitation des mouvements de capitaux et une réduction des dépôts (19 mars 2015)... Une annonce qu’on peine à interpréter autrement que comme une tentative — infructueuse — de provoquer une panique bancaire. Tandis que la BCE et M. Draghi resserraient encore le nœud coulant, limitant davantage les possibilités pour les banques grecques de se financer, Bild publiait un pseudo-reportage sur une scène de panique à Athènes, n’hésitant pas à détourner une photographie banale de retraités faisant la queue devant une banque pour toucher leur retraite (31 mars 2015).

Fin avril, l’opération de Berlin a porté ses premiers fruits. M. Varoufakis a été remplacé par son adjoint Euclide Tsakalotos pour les négociations avec les créanciers. « Le gouvernement doit faire face à un coup d’Etat d’un nouveau genre, a alors déclaré M. Varoufakis. Nos assaillants ne sont plus, comme en 1967, les tanks, mais les banques » (21 avril 2015).

Pour l’instant, le coup d’Etat silencieux n’a touché qu’un ministre. Mais le temps travaille pour les créanciers. Ceux-ci exigent l’application de la recette néolibérale. Chacun avec son obsession. Les idéologues du FMI demandent la dérégulation du marché du travail ainsi que la légalisation des licenciements de masse, qu’ils ont promises aux oligarques grecs, propriétaires des banques. La Commission européenne, autrement dit Berlin, réclame la poursuite des privatisations susceptibles d’intéresser les entreprises allemandes, et ce au moindre coût. Dans la liste interminable des ventes scandaleuses se détache celle, effectuée par l’Etat grec en 2013, de vingt-huit bâtiments qu’il continue d’utiliser. Pendant les vingt années qui viennent, Athènes devra payer 600 millions d’euros de loyer aux nouveaux propriétaires, soit presque le triple de la somme qu’il a touchée grâce à la vente — et qui est directement revenue aux créanciers...

En position de faiblesse, abandonné de ceux dont il espérait le soutien (comme la France), le gouvernement grec ne peut résoudre le problème majeur auquel le pays est confronté : une dette insoutenable. La proposition d’organiser une conférence internationale similaire à celle de 1953, qui dispensa l’Allemagne de la plus grande partie des réparations de guerre, ouvrant la route au miracle économique (4), s’est noyée dans une mer de menaces et d’ultimatums. M. Tsipras s’efforce d’obtenir un meilleur accord que les précédents, mais celui-ci sera sûrement éloigné de ses annonces et du programme voté par les citoyens grecs. M. Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne, a été très clair à ce sujet dès le lendemain des législatives : « Nous ne changeons pas de politique en fonction d’élections » (28 janvier 2015).

Les élections ont-elles donc un sens, si un pays respectant l’essentiel de ses engagements n’a pas le droit de modifier en quoi que ce soit sa politique ? Les néonazis d’Aube dorée disposent d’une réponse toute prête. Peut-on exclure qu’ils bénéficient davantage d’un échec du gouvernement Tsipras que les partisans de M. Schäuble à Athènes ?

Stelios Kouloglou
Journaliste et documentariste.
Député européen membre de Syriza.

(1) Lire Joëlle Fontaine, « “Il nous faut tenir et dominer Athènes” », Le Monde diplomatique, juillet 2012.

(2) Selon un sondage du 9 mai publié par le quotidien Efimerida ton Syntakton, 53,2 % de la population jugerait « positive » ou « plutôt positive » la politique du gouvernement.

(3) Lire Olivier Cyran, « “Bild” contre les cyclonudistes », Le Monde diplomatique, mai 2015.

(4) Lire Renaud Lambert, « Dette publique, un siècle de bras de fer », Le Monde diplomatique, mars 2015.

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