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02/08/2015

Surveillance de tous les citoyens : le gouvernement a désormais carte blanche

Lorsqu'un État s'attribue les pleins pouvoirs, les libertés publiques sont-elles protégées ? Comment appelle-t-on le type de régime qui met en pratique cette façon de "gouverner" ?...

A Manosque, la LDH avait mobilisé autour de la loi "Renseignement" et avait envoyé un courrier aux parlementaires pour qu'ils s'abstiennent d'aller à l’encontre des recommandations tous azimuts qui leur parvenaient. Le 30 avril, une réunion publique se tenaient dans la petite salle du théâtre Jean Le Bleu pour en exposer le détail suite à une série de notes diffusées ici : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 ....

loi renseignement

Réponse du sénateur et ...

Réponse de la LDH de Manosque à Jean-Yves ROUX, Sénateur des AHP :

Monsieur le Sénateur,

Nous vous remercions pour votre courrier en retour qui fait suite au vote de la Loi Renseignement (24/06) laquelle a motivé nos interrogations et alarmes sans que cela puisse, hélas,  influer sur votre détermination à soutenir une loi liberticide digne d'un État totalitaire type « 1984 », ni vous amener à imaginer les répercussions désastreuses qu’elle peut entraîner.

Si, au terme de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est admis que ce dernier puisse concourir par lui-même à l’élaboration de la loi, encore faudrait-il pour cela qu’il soit entendu et que ses arguments soient projetés dans le débat.
Or de « débat » il n’y eut pas et nous regrettons sincèrement que vous n’ayez pu prendre part à celui que nous avions organisé localement avec Maryse Artiguelong (30/04), co-animatrice de l’Observatoire des Libertés et du Numérique. Vous auriez pu y confronter votre point de vue en toute indépendance et cela nous aurait éclairé sur l’idée que vous vous faites des libertés individuelles.

L’avis du Conseil Constitutionnel (23/07), saisi par le président de la République, et qui n’a censuré le texte qu’à la marge ne devrait pour autant pas vous conforter dans votre aveuglement.
En refusant d'instaurer un contrôle effectif des services de renseignement, le Conseil Constitutionnel consacre en fait et de fait un recul historique de la vie privée et de la liberté de communication. Il contribue ainsi à saper encore un peu plus les fondements même de la démocratie.

C’est aussi ce que constate le Comité des droits de l’homme de l’ONU dans son rapport  du 21 juillet dernier lorsqu’il préconise que l’État devrait « veiller (…) à garantir l’efficacité et l’indépendance du système de contrôle des activités de surveillance, notamment en prévoyant que le pouvoir judiciaire participe à l’autorisation et au contrôle (…) ».
D’où cette question : … Pourquoi donc le pouvoir judiciaire est-il absent du dispositif ? …

Quant à la menace terroriste dont vous tirez argument, vous comprendrez bien qu’à trop vouloir l’agiter, on finisse par la banaliser ou par l’attiser sans pour autant s’offrir de moyens de la conjurer.
Mais là n’est sans doute pas le problème de l’actuel pouvoir exécutif dont vous semblez être étonnamment tributaire !…

Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Sénateur, etc, etc.

Surveillance de tous les citoyens : le gouvernement a désormais carte blanche
(Communiqué national de la LDH)

Le Conseil constitutionnel a rendu, jeudi 23 juillet, une décision historique par son mépris des libertés individuelles, du respect de la vie privée et de la  liberté d’expression. Les « sages » ont choisi de faire l’économie d’une analyse réelle de la proportionnalité des lois de surveillance et démontré ainsi leur volonté de ne pas enrayer le jeu politique, pour finalement endosser le rôle de chambre d’enregistrement.

Pourtant, le Conseil constitutionnel avait reçu de nombreuses contributions des organisations citoyennes, via la procédure de la porte étroite, appelant à une analyse en profondeur de la loi et une censure de nombreuses dispositions, à commencer par les trop nombreuses et trop larges finalités.  Bien sûr, le Conseil constitutionnel donne les limites de chacune des finalités, en renvoyant aux différents articles des différents codes (pénal et de procédure pénale, de la défense et de la sécurité intérieure). Toutefois ces finalités restent si larges que toute « atteinte à l’ordre public », comme la participation à une manifestation, peut faire l’objet d’une technique de renseignement. Ainsi, il reviendra aux services de renseignement puis à la CNCTR de définir dans l’urgence ce qui entre dans le champ des finalités, sans aucun contrôle judiciaire.

Par ailleurs, la validation de la mise à l’écart du juge affaiblit profondément le principe de séparation des pouvoirs, qui constitue pourtant une garantie démocratique fondamentale. Le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, est totalement écarté. Quant au Conseil d’État, il pourra en principe être saisi de plaintes par les citoyens, concernant des procédures qui leur sont inconnues, puisque secrètes par nature. C’est dire si l’on est loin d’un droit de recours effectif!

Sur les techniques de renseignement, le Conseil constitutionnel choisit la démonstration par la tautologie : pur écho au gouvernement, il affirme que « ces dispositions ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée ». Quant aux risques liés au fonctionnement des algorithmes et aux faux-positifs, il se garde bien d’en mesurer les effets.

Le Conseil constitutionnel ne s’inquiète pas davantage du secret professionnel des avocats et parlementaires ou du secret des sources des journalistes. Il ne craint pas d’écrire que la collecte des métadonnées, dès lors qu’il ne s’agit pas du contenu des correspondances, ne porte pas atteinte au droit au secret des correspondances et à la liberté d’expression. Ainsi, il fait fi de la quasi-impossibilité de déterminer, par avance, si les données interceptées relèvent d’échanges professionnels ou personnels.

Ce n’est pourtant pas faute d’arguments juridiques étayés, ni de décryptages techniques mis à sa disposition par de nombreux mémoires - http://www.fdn.fr/pjlr/amicus1.pdf ou http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2015/07/Obse....
Pour n’avoir pas voulu voir la réalité concrète d’une terminologie nébuleuse – ce que sont, et ce que produisent un IMSI catcher ou une « boîte noire » – et pour n’avoir pas voulu la confronter, dans une analyse systématique, avec les articles de la Constitution qui consacrent pourtant la séparation des pouvoirs, le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel signe ici une double démission.


Ce ne sont finalement que les quelques dispositions qui crient à l’inconstitutionnalité – dont la surveillance internationale sans aucun contrôle de la CNCTR – ou qui heurtent des principes purement formels – une disposition budgétaire que l’on devra ranger dans la loi de finance plutôt que dans une loi ordinaire – qui ont retenu l’attention de la plus haute juridiction française. Le message est clair : le Conseil constitutionnel n’est pas un frein au « progrès décisif » (selon l’expression de Manuel Valls) que constitue la surveillance généralisée de la population.

L’Observatoire des libertés et du numérique condamne fortement cette dérive vers une société panoptique où tous les citoyens seront susceptibles d’être surveillés, et qui témoigne du naufrage d’un pouvoir aux abois prêt à bafouer les valeurs fondamentales de la République et œuvrant contre l’intérêt de tous en manipulant les peurs. Cette défaite doit résonner comme un appel pour tous les citoyens : mobilisons-nous toujours plus pour défendre nos libertés !

Signataires : Observatoire des libertés et du numérique (OLN) (Cecil, Creis-Terminal, LDH, La Quadrature du Net, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France)

Paris, le 29 juillet 2015

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