30/07/2009
Surveillance ou solidarité
Le 13 juin dernier, sur RFI, Jean Pierre Dubois, Président de la Ligue des Droits de l’Homme a été interviewé sur le thème des technologies sécuritaires par Edouard Zambeaux (journaliste à France Inter et RFI) :
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E.Z. : Est-ce qu’il y a vraiment un danger, ou ne cherchez-vous pas à nous faire peur ?
Jean Pierre Dubois Président de la LDH : Il y a un danger réel. Pendant très très longtemps, nous étions vraiment isolés. Ces technologies sont très pratiques, très commodes, j’utilise le passe Navigo (Carte à puce valant titre de transport utilisable en Île-de-France) tous les jours, j’ai un téléphone portable, j’utilise une carte bleue, c’est très pratique…
Mais lorsque j’ai accompagné les parlementaires qui protestaient contre le fichier Edwige, le conseiller sécurité de Michèle Alliot-Marie – Big Brother Awards lui a été décerné le prix Georges Orwell 2009 pour l’ensemble de son œuvre. Et donc pour son goût immodéré des fichiers de police (+ 70% en 3 ans, dont Ardoise, Edwige, Cristina ou encore Gesterex), mais aussi pour sa "novlangue" avec sa promotion de la vidéosurveillance, ses invitations à la délation et son talent à fabriquer un "ennemi intérieur" - qui nous a reçu, de manière assez polie, mais cynique, m’a dit :
“Mais vous savez monsieur, vos histoires de fichiers, c’est pas très grave. A partir du moment où vous avez un téléphone, une carte bleue et un passe Navigo, je sais tout ce que vous faites“.
J’étais un peu surpris, je lui ai demandé s’il m’autorisait à rapporter ses propos à la presse, et il m’a dit “bien sûr“. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le cabinet d’Alliot Marie.
Beaucoup de gens se disent qu’ils n’ont rien à se reprocher, et qu’ils ne risquent donc rien. Bien sûr ! Mais la question est très simple : si vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi on vous fiche ? Pourquoi on vous surveille ? Qu’on surveille les détenus dans les prisons, on peut le comprendre, mais pourquoi surveiller tous les citoyens a priori ?
C’est la notion de vie privée, et celle de présomption d’innocence, qui sont attaquées tous les jours directement.
E.Z. : Comment se fait-il que l’opinion publique n’est pas encore très sensible à ces questions ?
J-P. D. : L’opinion publique est soumise à un matraquage depuis des années, qui lui fait peur. A la Ligue des Droits de l’Homme, nous appelons ça la “politique de la peur“. Peur du terrorisme, avec le 11 septembre. Peur de l’immigration, de l’islamisme, des attentats. Peur des jeunes, qui seraient effrayants, peur de l’avenir et de tout ce qui vient de l’extérieur.
Et quand on est soumis à la peur, on a tendance à se protéger et à craindre. Et nous pensons qu’il faut réveiller un débat démocratique qui n’existe plus. En gros : le FN a construit l’agenda politique de la France depuis 10 ans, la droite court après l’extrême-droite, une partie de la gauche court après la droite, et il n’y a plus de débat démocratique, les citoyens ne sont plus éclairés.
E.Z. : Pour vous, en filigrane, c’est la tentation d’un contrôle social, avec des pressions faites sur des militants, associations, agents de l’Etat…
J-P. D. : … et ça commence à susciter beaucoup de révoltes. Depuis le début de l’année 2009, il y a des centaines d’enseignants, éducateurs, magistrats, avocats, médecins, etc., qui disent qu’ils ne veulent plus continuer à faire ce qu’on leur demande. Il en va de leur éthique, de leur déontologie professionnelle : ils travaillent pour les autres, et ne veulent pas devenir des auxiliaires de police.
Il y a une forme de surveillance par ricochet : on demande de plus en plus souvent aux gens, soit comme citoyens de ne plus être solidaires -ce qui arrive aux délinquants de la solidarité que Mr Besson veut poursuivre pénalement-, soit comme fonctionnaires de n’être, non seulement pas solidaires, mais aussi d’être des indicateurs de police.
Et ça, je pense que les gens le refuseront de plus en plus, et que ce combat va monter. Pour dire les choses rapidement, aujourd’hui, on a le choix entre une société de surveillance et une société de solidarité.
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Pour dire les choses encore autrement, à la société de surveillance il nous faut aujourd’hui opposer une société de solidarité. Quitte à désobéir. Nous n’avons pas tellement le choix.
Et c’est possible. Exemples :
Juin 2009, le prix Voltaire, qui s’oppose au prix Orwell, est décerné à Mireille et Monique, bénévoles à Calais. Mireille est une mère de 11 enfants qui héberge des jeunes migrants chez elle au risque d’être poursuivie, et Monique a été interpellée pour apporter une aide matérielle régulière aux sans papiers.
Autre exemple, suite à la sortie du film Welcome de Philippe Lioret, le député PS Daniel Goldberg a déposé une proposition de loi visant à dépénaliser le délit de solidarité et débattue à l'Assemblée Nationale le 30 avril 2009.
Le 17 juillet, Le Monde relate dans ses colonnes une minuscule avancée - mais avancée quand même - obtenue auprès d’Eric Besson, candidat au prix G. Orwell 2010.
A suivre…
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