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29/05/2016

Asile et "pays sûrs" ?

Les listes de « pays sûrs » de l’Union européenne : un déni du droit d’asile
Le 30 mai 2016, la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen discutera les amendements proposés au projet de règlement proposé par la Commission européenne en septembre 2015 pour établir une liste commune de « pays d’origine sûrs ». Cette dénomination signifie qu’aucun risque de persécution n’existerait a priori pour les demandeurs d’asile et que l’état de droit serait respecté dans ces pays.

asile, liste des pays surs
Pour respecter formellement les règles européennes et

internationales, l’UE a acté que la Turquie
devenait un pays sûr pour les réfugiés !!!

L’AEDH, EuroMed Droits et la FIDH alertent sur les dangers de l’utilisation de la notion de sûreté pour traiter les demandes d’asile (voir analyse). Aucun pays ne peut être présumé « sûr ». En adoptant une telle liste, l’Union européenne (UE) et ses États membres institutionnaliseraient au niveau européen une pratique consistant pour les États à refuser d’assumer pleinement leurs responsabilités envers les demandeurs d’asile, en violation de leurs obligations internationales.

A ce jour, 12 Etats membres sur 28 possèdent une liste nationale de « pays sûrs », mais ces listes sont loin d’être homogènes. Le projet de la Commission vise à pallier ces disparités. Les sept pays considérés comme « sûrs » par le projet sont : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et la Turquie.

La Commission envisage de suivre la même démarche pour faire adopter une liste commune de « pays tiers sûrs » afin de pouvoir renvoyer les demandeurs d’asile vers les pays par lesquels ils ont transité avant leur arrivée dans l’UE où ils pourraient « légitimement » déposer leur demande d’asile.

Par souci de rationalisation et d’harmonisation du système européen, l’UE donne ainsi une légitimité institutionnelle à un détournement de la demande d’asile à des fins de contrôle migratoire.L’usage de la notion de « sûreté » induit en effet des conséquences graves sur les droits des demandeurs d’asile : examen accéléré des demandes, appels non suspensifs, rejet probable de la demande, irrecevabilité dans le cas des « pays tiers sûrs », et renvoi dans le pays de provenance.En dépit de ces enjeux essentiels, alors que de nombreuses personnes tentent d’accéder à la protection internationale au sein de l’UE, nos organisations déplorent que la société civile n’ait, à aucun moment, été associée à une discussion sur ce projet de texte.

L’AEDH, EuroMed Droits et la FIDH se sont toujours opposés à l’usage du concept de « pays d’origine sûr » dans l’application du droit d’asile. Nul ne peut garantir qu’un pays est sûr pour tous ses ressortissants, qu’il s’agisse des pays visés par la Commission européenne, ou des pays listés par certains Etats. Nos organisations exposent ce constat au travers de fiches régionales et de fiches pays (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro, région du Maghreb).   Nos organisations s’opposent à cette notion qui est contraire au principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit dans le droit international. Nous appelons le Parlement européen et le Conseil à rejeter l’adoption de ce projet de règlement.

Un événement public aura lieu à Paris le 7 juin au siège de la Ligue française des Droits de l’Homme où la LDH, l’AEDH, EuroMed Droits et la FIDH exposeront en détail les violations des droits humains qui se produisent en Turquie (plus d’information à venir sur notre site dans les prochains jours).
Télécharger le communiqué

Télécharger l’analyse

28/05/2016

L’arabe, une « langue de France » sacrifiée

"(...) si l’arabe a été reconnu « langue de France » en 1999, après la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (non ratifiée à ce jour), choisir de l’étudier dans le secteur public relève encore du parcours du combattant. (...)"

 

Alors que l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France, son enseignement dans le secondaire perd sans cesse du terrain au profit du secteur associatif. Un basculement qui date des années 1980, quand l’immigration maghrébine a commencé à occuper une part de plus en plus grande de l’espace public et médiatique. Associé depuis à l’islam et aux ghettos, l’arabe parviendra-t-il à modifier son image ?

«Lorsque vous laissez des classes d’arabe se faire tenir par des femmes qui sont voilées dans des collèges publics, vous nourrissez le populisme. » Dans l’auditoire du Théâtre du Rond-Point venu assister le 7 février 2011 à un débat sur le thème du populisme, la déclaration de M. Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture et chargé d’élaborer le projet de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) pour 2012, ne provoque aucune réaction. Personne ne semble relever l’énormité d’une affirmation aussi fausse que révélatrice de la confusion entretenue en permanence entre enseignement de la langue arabe et prosélytisme musulman ; une confusion qui nuit au développement de cet enseignement dans le secteur public.

Faut-il le rappeler ? Le principe de laïcité (article premier de la Constitution française) et celui de neutralité du service public interdisent en France à un agent de l’Etat de manifester ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions. Et ni l’éducation nationale ni les tribunaux ne font preuve de laxisme sur la question, puisqu’une jurisprudence claire entraîne l’exclusion systématique des contrevenants (1).

langue arabe
Illustration : Jacques LOMBARD

Avec quatre millions de locuteurs, l’arabe est la deuxième langue la plus parlée sur le territoire français, et le succès de comiques dont l’humour repose en partie sur l’utilisation de l’arabe dialectal, comme Jamel Debbouze, témoigne d’un enracinement réel dans la culture populaire. Mais, si l’arabe a été reconnu « langue de France » en 1999, après la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (non ratifiée à ce jour), choisir de l’étudier dans le secteur public relève encore du parcours du combattant.

Dans quarante-cinq départements, il n’est pas du tout enseigné. A Paris, seuls trois collèges le proposent ; un élève scolarisé dans l’un des cent huit autres collèges doit donc attendre son entrée en seconde pour pouvoir suivre les cours dispensés, le samedi après-midi ou le mercredi soir, dans l’un des huit lycées qui le permettent au titre du dispositif Langues inter-établissements (LIE).

Résultat : sur l’ensemble des élèves du secondaire en France, à peine plus de six mille choisissent l’arabe, tandis que quinze mille optent pour le mandarin, quatorze mille pour le russe et douze mille pour le portugais. Au ministère de l’éducation nationale, on martèle qu’il n’y a pas un problème d’offre, mais plutôt une demande trop faible pour qu’il soit possible de maintenir des classes en collège et en lycée.

Cette analyse, qui justifie le non-remplacement des enseignants (deux cent trente-six en 2006, deux cent dix-huit en 2011) et la réduction continue des postes proposés au certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (capes) (2), ne résiste pas à l’examen, car le nombre de jeunes apprenant l’arabe dans le secteur associatif est en expansion depuis le milieu des années 1990. Selon le ministère de l’intérieur, soixante-cinq mille suivent des cours dans des associations communautaires (confessionnelles ou non), soit dix fois plus que les élèves instruits par l’éducation nationale.

Certes, les parents souhaitant voir ouvrir un cours d’arabe peuvent en faire la demande par écrit au recteur d’académie ; mais ils le font rarement, par manque d’information ou en raison d’une mauvaise maîtrise du français : « Ce n’est pas le genre de population qui se mobilise pour obtenir des ouvertures de classe », constate Mme Christine Coqblin, enseignante d’anglais au lycée Diderot, à Paris. Et, même quand l’académie les incite à proposer l’enseignement de l’arabe, les chefs d’établissement sont libres de ne pas donner suite. En 2010, sur les sept écoles secondaires parisiennes de la rive gauche qui ont reçu une lettre d’encouragement du recteur d’académie, aucune ne s’est portée volontaire. Pour des motifs divers : préexistence de plusieurs langues rares dans le collège ou le lycée, peur de nuire à son image de marque, crainte de voir affluer une population réputée « difficile », appréhension de la réaction des parents là où existe un pourcentage important d’élèves juifs.

Dans le primaire, quarante mille élèves suivent des cours d’arabe dans le cadre du dispositif Enseignement de langue et culture d’origine (ELCO), avec des professeurs choisis et rémunérés par les trois pays du Maghreb. Et, à l’université, « la totalité des effectifs est presque dix fois supérieure à ce qu’elle était il y a une dizaine d’années », d’après le vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), M. Luc Deheuvels.

Paradoxale prime au repli communautaire

C’est donc seulement dans le secondaire que le problème se pose — et de façon d’autant plus préoccupante qu’il s’agit d’une période-clé dans la construction des jeunes. Comme le soulignait l’orientaliste Jacques Berque dans son rapport au ministre de l’éducation « L’immigration à l’école de la République », en 1985, une intégration réussie implique en effet aussi la reconnaissance par l’école publique de la langue et de la culture d’origine des parents.

Paradoxalement, près de trente ans plus tard, c’est parce que les enfants issus de l’immigration sont souvent bien intégrés qu’ils éprouvent le besoin de renouer avec leur culture d’origine, dans un contexte où le taux de transmission de la langue arabe entre les générations recule (3). En refusant de prendre en compte cette demande, on encourage le repli communautaire que l’on pensait combattre.

Si certaines familles choisissent d’inscrire leur enfant à la mosquée ou dans une association pour que son apprentissage de la langue se double d’un enseignement religieux, leurs motivations peuvent aussi être plus neutres : « Des parents préféreront que leurs enfants étudient l’anglais et l’espagnol à l’école. Mais, comme il faut aussi les occuper pendant leur temps libre (…), ils les inscrivent à un cours d’arabe hors du cadre public », remarque Mme Zeinab Gain, enseignante d’arabe au lycée Voltaire, à Paris.

Il serait cependant naïf de le nier : les cours dispensés dans les écoles coraniques sont souvent assurés par des enseignants étrangers qui suivent des codes différents de ceux de la société où ils résident ; et les rapports d’autorité archaïques entre maîtres et élèves, ou l’idéologisation et la mythification de la langue, entraînent un décalage avec l’enseignement public. Quant aux associations communautaires, la plupart « perpétuent la tradition maghrébine en matière d’enseignement, à savoir un cours de langue d’une heure et demie et un cours d’éducation islamique d’une demi-heure », explique M. Yahya Cheikh, professeur agrégé d’arabe (4).

Comment en est-on arrivé à la privatisation de l’enseignement de cette langue, alors même que la France fut le premier pays d’Europe occidentale à créer une chaire d’arabe au Collège des lecteurs royaux (futur Collège de France), en 1530 ? Sous le règne de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert fonda l’Ecole des jeunes de langues (ancêtre de l’Inalco) pour répondre aux besoins d’échanges diplomatiques et commerciaux avec l’Empire ottoman en formant des interprètes. L’agrégation d’arabe fut instituée dès 1906…

Pour comprendre, il faut remonter aux années 1980. En 1983, des émeutes éclatent au quartier des Minguettes, dans la banlieue de Lyon — elles aboutiront à l’organisation de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, dite « marche des beurs », de dimension nationale. Puis, en 1989, une fatwa de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, Guide de la révolution iranienne, condamne à mort l’écrivain Salman Rushdie pour son livre Les Versets sataniques. La même année, à Creil, trois collégiennes sont exclues de leur établissement pour avoir refusé de retirer leur foulard. Ces événements font les gros titres des journaux et modifient en profondeur l’image des communautés musulmanes en France, l’immigration maghrébine devenant un enjeu national. « C’est à ce moment qu’on a commencé à fermer des classes pleines, se souvient M. Bruno Levallois, inspecteur général de l’éducation nationale et président du conseil d’administration de l’Institut du monde arabe (IMA). Beaucoup de chefs d’établissement et de recteurs ont pris peur face à tous ces Arabes qui étaient chez nous et qui, justement, faisaient de l’arabe. »

On touche là au cœur du débat. Alors qu’il est parlé par près de trois cents millions de personnes dans le monde et qu’il est l’une des six langues de travail de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’arabe est d’abord perçu en France comme une langue de l’immigration, et facilement associé aux ghettos, au nationalisme arabe, à l’islam. De ce fait, un responsable politique ne peut prendre position en faveur de son enseignement sans se voir opposer un tir de barrage. Quand M. Jean-François Copé s’y risqua, en septembre 2009, sur BFM-TV, alors qu’il était président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, il fut ainsi rapidement interrompu par le journaliste Olivier Mazerolle, visiblement fort soucieux : « Il n’y a pas de dérives possibles ? Parce que, bon… Vous voyez bien… L’apprentissage de l’arabe… »

S’il est vrai que l’expansion de l’islam a permis la diffusion de cette langue à partir du VIIe siècle, beaucoup de musulmans ne parlent pas arabe (c’est le cas de la grande majorité d’entre eux, Indonésiens ou Turcs par exemple), et beaucoup de locuteurs de l’arabe ne sont pas musulmans (comme les chrétiens d’Orient). Réduire l’arabe à son statut de langue sacrée, c’est à la fois ignorer qu’il a préexisté à la révélation coranique et faire le jeu des extrémistes, trop heureux d’accaparer ce précieux héritage.

Prévenir les « comportements déviants »

Sans nul doute, l’arabe souffre aussi de la contagion symbolique de l’histoire coloniale française. Il est la langue du colonisé, et l’on cherche à réduire encore sa place pour assurer la cohésion d’une République une et indivisible. Cette idéologie monolinguiste, héritée de la monarchie et de la Révolution, joue en sa défaveur comme elle a joué voici quelques siècles en défaveur des langues régionales.

En 1999, le député du Val-de-Marne Jacques-Alain Bénisti remit à M. Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée, un rapport préliminaire sur la prévention de la délinquance qui établissait un lien entre le bilinguisme des enfants de migrants et la délinquance (5). Afin de prévenir l’apparition de « comportements déviants » chez les tout-petits, il estimait que les mères des enfants d’origine étrangère devraient « s’obliger à parler le français dans leur foyer » pour habituer leurs enfants à cette seule langue. Largement critiqué par les professionnels de l’éducation, ce rapport a été amendé, mais il montre bien la prégnance en France de l’idéologie monolinguiste, son auteur allant jusqu’à qualifier les langues d’origine de « parlers patois ». De fait, l’ostracisme dans lequel y est tenu l’arabe l’apparente à une langue régionale — preuve s’il en est de sa « familière étrangeté ».

En 2008, le message de l’ancien président Nicolas Sarkozy — absent aux premières Assises de la langue et de la culture arabes, dont il avait souhaité la tenue — était : « La langue arabe est une langue d’avenir et de progrès, de science et de modernité (…). Je souhaite que ces assises débouchent sur des pistes concrètes de développement de [son] enseignement (…) en France. » A la rentrée 2012, seules huit classes ont été créées dans le secondaire. Pourtant, M. Michel Neyreneuf, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional, témoigne du succès de telles initiatives : « Quand nous avons ouvert une classe bilingue dans un collège du centre-ville au Mans, il y a eu quarante demandes pour vingt-cinq places. »

L’arabe sera-t-il sauvé par la mondialisation ? Lors d’une table ronde organisée au salon Expolangues sur le thème « La langue arabe, un atout professionnel et économique », les intervenants ont rappelé l’importance de former des arabophones pour répondre aux besoins croissants dans le domaine, en pleine expansion, de la finance islamique. La maîtrise de l’arabe offre aussi des possibilités de carrières dans la diplomatie ou dans le secteur de l’hôtellerie-restauration (notamment pour les grands hôtels du Golfe). Et l’explosion du secteur de l’information en langue arabe ouvre des perspectives à ceux qui se destineraient aux métiers du journalisme audiovisuel.

Si les promesses politiques se traduisent par des actes, une autre barrière devrait à terme tomber : celle qui réserve l’arabe aux seuls Arabes. Sur BFM-TV toujours, M. Copé, répondant à la question de savoir s’il encouragerait ses propres enfants à apprendre cette langue, s’exclama : « Mais je ne suis pas de culture arabe ! » Pourtant, sur les milliers d’élèves qui étudient le mandarin en France, combien sont « de culture chinoise » ?

Débarrasser l’arabe de son statut de « langue de l’immigration » et encourager son apprentissage à l’école de la République serait une étape essentielle pour permettre à tous ceux qui le souhaitent, quelle que soit leur origine ou leur religion, de prendre en partage cette « langue de France ».

Emmanuelle Talon

Octobre 2012 - Le Monde Diplo

 

Mineurs isolés étrangers

Mineurs isolés étrangers. Toute déclaration pourra être retenue contre vous !

mineurs isolés étrangers

En mars 2015, la cour d’appel de Paris rendait une décision stupéfiante en remettant en cause la minorité d’un jeune étranger isolé de 17 ans qui présentait, à l’appui de sa demande de protection, un acte de naissance et une carte d’identité authentifiés par les services de police. Pour dénier toute valeur probante aux documents établissant la minorité de ce jeune, les juges relevaient l’existence d’erreurs de chronologie dans le récit de vie qu’il avait livré lors de son arrivée en France, sa mauvaise volonté supposée à se soumettre à une expertise osseuse ainsi qu’une « allure » et une « attitude » différentes de ce qu’ils estiment être celles d’un adolescent de 17 ans.

Le jeune s’est pourvu en cassation contre cette décision qui, en dépit de toute logique, donnait plus de poids à l’apparence qu’aux documents d’état civil. La Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature et le Gisti se sont joints à son action. Peine perdue, le 11 mai 2016, les juges de cassation ont rejeté ce pourvoi.  

Pour valider – « sauver » serait un terme plus juste – la décision de la cour d’appel, ils ont dû passer sous silence les deux arguments les plus fallacieux utilisés par celle-ci pour contester la minorité de ce jeune : pas un mot sur l’expertise osseuse ordonnée mais finalement jamais réalisée, rien, non plus, sur l’invocation de l’apparence du jeune étranger à l’audience. Après l’adoption, en mars dernier, par le Parlement, d’une disposition prohibant l’utilisation de ces tests osseux en cas de présentation de documents d’identité valables ou en l’absence de l’accord de l’intéressé, il était en effet difficile de reprocher à un mineur de ne pas s’être soumis à un tel examen. Il était encore plus inavouable de retenir l’argument « à la tête du client », utilisé par les juges d’appel. Ne restaient plus que les incohérences, dans les déclarations du jeune.

Pour la Cour de cassation, les déclarations d’un adolescent suffisent à jeter le doute sur le contenu de ses documents d’état civil étrangers, même s’ils ont été jugés par ailleurs authentiques.

En pratique, les déclarations de ces jeunes étrangers qui arrivent en France livrés à eux-mêmes sont souvent décousues, parfois incohérentes, et cela se comprend aisément. Ils vivent seuls, souvent dans la rue et ont parfois subi de lourds traumatismes au cours de leur périple vers l’Europe semé de dangers en tous genres, de violences et de mensonges.

En autorisant les juges du fond à récuser si facilement les documents d’état civil étrangers, les juges de la Cour de cassation valident un système inique de tri des mineurs étrangers isolés dont les départements ne veulent pas assumer la prise en charge, alors qu’elle leur revient de droit.

Décidément, le maquillage juridique de politiques publiques féroces et discriminatoires envers les étrangers est un exercice facile.

Paris, le 26 mai 2016
Communiqué commun LDH et Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s (Gisti)

Organisations signataires :

  • Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s
  • Ligue des droits de l’Homme

24/05/2016

7 mars 2016, une énième réforme du Ceseda

De nouvelles régressions du droit d’asile et du séjour des étrangers
 
Le 7 mars 2016 a été votée une réforme du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Le gouvernement la présente comme une amélioration des conditions d’intégration des étrangers et une pérennisation de leur statut. Mais à y voir de plus près, deux objectifs traversent l’ensemble du texte : le renforcement de la lutte contre les personnes en situation irrégulière et l’immigration clandestine, et l’économie de fonctionnement de tout ce dispositif. L’analyse de ce texte ne sera pas exhaustive, mais nous présenterons quelques points qui nous semblent particulièrement importants.


Précarisation et surveillance permanente des personnes étrangères
La mesure phare de la loi porte sur la création d’un titre de séjour pluriannuel. D’une durée comprise entre deux et quatre ans, l’avantage indéniable est d’éviter aux étrangers de renouveler chaque année leur titre de séjour, leur évitant les attentes interminables devant les préfectures. Mais cet avantage est contrebalancé par une règle simple : toutes les cartes de séjour temporaire (1 an) et les cartes pluriannuelles pourront être retirées par la préfecture à tout moment si le ou la migrante ne remplit plus les conditions nécessaires.

Jusque-là, le droit offert par une carte de séjour d’un an ne pouvait être remis en cause, sauf cas particulier, qu’au moment de son renouvellement. Maintenant, la préfecture a le pouvoir de le faire à n’importe quel moment. Quitter son emploi, mettre fin ou faire une pause dans une relation, arrêter ses études ne pourra se faire sans prendre le risque de se retrouver rapidement en situation irrégulière. Une suspicion permanente portera sur les personnes étrangères. Pérennisation de leur statut nous disait-on... ou précarisation ?

Quel avantage subsiste à la création de cette carte pluriannuelle ? Economie et gain d’efficacité pour les préfectures. La préfecture est dotée d’une nouvelle mission : surveillance permanente et généralisée des personnes étrangères en situation régulière. Pour pouvoir contrôler de manière précise et en toute tranquillité, la préfecture a maintenant accès à des données jusque-là protégées par le secret professionnel.

Ainsi la préfecture pourra obtenir des informations auprès d’établissements scolaires, de fournisseurs d’énergie, d’établissements de santé, de mairies... que ces institutions ne pourront pas refuser de transmettre. Pour lutter contre la fraude, la vie privée des étrangers et le secret professionnel méritent bien de s’effacer.

Criminalisation des étrangers
La pénalisation pour séjour irrégulier revient en douce pour un certain nombre de personnes en situation irrégulière. Rappelons qu’en 2012, le séjour irrégulier avait été dépénalisé. Toutes les personnes qui ne respecteraient pas, entre autres, une obligation de quitter le territoire français (OQTF), une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), ou une interdiction de circulation sur le territoire français pourraient être condamnées à une peine de 3 ans d’emprisonnement. Se maintenir en situation irrégulière, comme beaucoup de personnes sont contraintes de le faire car elles ont construit une vie en France, suivent une scolarité, suivent un traitement médical, ont une famille, ou parce qu’elles n’ont jamais vécu ailleurs qu’en France… peut conduire à l’emprisonnement.

L’enfermement des mineurs est une pratique désormais inscrite dans le Ceseda. Hollande annonçait pourtant la fin des mineurs en centre de rétention (CRA) en 2012, la possibilité de les enfermer (en tant qu’accompagnants) est maintenant gravé dans le marbre de la loi.

L’assignation à résidence des étrangers dont la préfecture organise l’éloignement se banalise. On ne peut se satisfaire de cette méthode comme alternative aux centres de rétention. La durée est de 90 jours (pour 45 jours en CRA) et si la personne ne se soumet pas à toutes les conditions de la préfecture, rien n’empêchera son enfermement en rétention. D’autres "catégories" d’étrangers sont désormais concernées par cette mesure coercitive, notamment les "dublinés". Ce sont les personnes dont la France refuse d’étudier la demande d’asile et qu’elle renvoie vers le premier pays européen traversé, responsable de leur demande d’asile.

Accès aux droits et à la défense bafoués
Le droit le plus fondamental d’un individu lorsqu’une administration prend une décision contre lui est qu’il puisse s’en défendre devant un juge. La mesure la plus utilisée par les préfectures pour renvoyer in fine une personne étrangère en situation irrégulière (OQTF avec délai de départ volontaire pour les initié-es) doit être désormais contestée dans les 15 jours (1 mois, avant la réforme). Deux semaines, ce sera dorénavant le temps laissé aux personnes étrangères pour se renseigner sur leurs droits, rencontrer une asso puis un avocat, réunir les documents nécessaires et éventuellement déposer une demande d’aide juridictionnelle et saisir le tribunal administratif. C’est quatre fois moins que ce qui est laissé à toute autre personne pour contester un acte administratif (2 mois de délai en principe). Ce qui laisse présumer que beaucoup de personnes n’auront pas la possibilité de déposer à temps leur recours.

Le tribunal devra statuer sur cette demande dans un délai de six semaines. Quelle défense solide peut être construite en aussi peu de temps ? Rencontrer un avocat, réunir les documents nécessaires à sa défense, demande un minimum de temps et de préparation. La procédure est rendue expéditive, visant avant tout à désengorger les tribunaux plutôt qu’à permettre à des personnes d’avoir un accès effectifs à leurs droits et à une défense correcte. Les conséquences pour les personnes étrangères sont aggravées.

ceseda

Illustration Emilie LAY, journaliste indépendante

Les malades étrangers
L’une des conditions essentielles pour l’obtention du titre de séjour "étranger malade" est l’inexistence du traitement de la pathologie dans le pays d’origine. Grâce à la réforme, c’est l’accessibilité qui est prise en compte (lieu de vie, prix du traitement…). Plutôt qu’une avancée c’est avant tout le retour à une norme modifiée il y a quelques années qui est à souligner ici.

En revanche, une énorme reculade est à observer dans ce domaine. Pour rappel, la préfecture ne doit pas connaître la pathologie de la personne, protégée par le secret médical. C’est une institution indépendante du ministère de l’intérieur, l’ARS (agence régionale de la santé), qui, après avoir pris connaissance de la pathologie de la personnes rendait jusqu’à présent un avis consultatif à la préfecture. Aujourd’hui, ce n’est plus l’ARS qui a en charge de rendre cet avis mais l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration), qui est sous l’égide du ministère de l’intérieur. Ce dernier devient donc juge et partie. Si la compétence de l’ARS pouvait être questionnée, la dépendance de l’OFII envers le ministère de l’intérieur ne paraît en aucun cas une solution efficace pour améliorer l’accueil des étrangers malades.

De rares améliorations
Les quelques avancées sont soit l’inscription de pratiques dans la loi, soit le retour à d’anciennes dispositions. Pour en citer quelques unes : l’audience devant le JLD (juge des libertés et de la détention) dans un délai de 48h pour les retenus en CRA (contre 5 jours avant la réforme), la possibilité donnée aux deux parents d’un enfant malade soigné en France d’obtenir un titre de séjour (cela ne concernait qu’un seul parent), l’obligation de démontrer qu’une personne étrangère gravement malade a un accès effectif au traitement dans son pays d’origine et non plus la simple existence de ce traitement, comme cité plus haut.


Ce texte poursuit donc des décennies d’atteintes aux droits des personnes étrangères et de politiques xénophobes. On aurait pu attendre mieux, une inversion de tendance, sous un gouvernement de "gauche"... pour celles et ceux qui y croyaient encore ! Les attaques du gouvernement contre nos libertés avec l’état d’urgence et les nombreuses lois de surveillances, contre les droits des travailleurs et précaires, et contre les personnes étrangères que leur discours politique stigmatise doivent être arrêtées. Unissons nos forces et stoppons la casse sociale.
 
P.-S.
Article réalisé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.