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28/02/2016

Germaine TILLION

Femme d’exception, Germaine Tillion (30 mai 1907-19 avril 2008) fut l’une des premières ethnologues françaises, formée notamment par Marcel Mauss, et une grande résistante à l’Occupation lors de la Seconde Guerre mondiale. A la tête du réseau du Musée de l’homme, elle participa, entre autres actions, à l’espionnage contre l’occupant et à l’évasion de nombreux prisonniers de guerre. Dénoncée par un prêtre, arrêté par la Gestapo, elle manifeste tout son courage, honorée par son entrée au Panthéon, dans cette lettre qu’elle adresse au tribunal allemand.
Germaine Tillion a été déportée à Ravensbrück !

Germaine Tillion
Elle y écrira Le Verfügbar aux Enfers 

A ARCHIVER

Fresnes, 3 janvier 1943

Messieurs,

J’ai été arrêtée le 13 août 1942, vous le savez, parce que je me trouvais dans une zone d’arrestation. Ne sachant encore au juste de quoi m’inculper et espérant que je pourrais suggérer moi-même une idée, on me mit, pendant trois mois environ, à un régime spécial pour stimuler mon imagination. Malheureusement, ce régime acheva de m’abrutir et mon commissaire dut se rabattre sur son propre génie, qui enfanta les cinq accusations suivantes, dont quatre sont graves et une vraie :

1. Assistance sociale. J’ai en effet fondé et dirigé personnellement pendant un an un service dont le but était de venir en aide à tous les prisonniers de nos colonies relâchés immédiatement après l’armistice. Des appuis officiels sont venus, et mon organisation a fini par prendre une telle ampleur que je devais cesser de la diriger ou renoncer à mes travaux scientifiques, ce qui ne se pouvait pas. J’ai eu la chance de pouvoir confier mes équipes de visites d’hôpitaux et de confection de colis dans de très bonnes mains (un commandant de l’armée coloniale) en juillet 1941. À partir de cette date, je me suis consacrée exclusivement à mon œuvre d’ethnologie berbère, mais sans renoncer à venir en aide (à titre strictement privé et personnel) aux malheureux que le hasard mettait sur mon chemin. Je demande   donc :  En quoi cela est-il contraire aux lois de l’occupation ou à une loi quelconque?

2. Espionnage. Je nie formellement avoir jamais fait quoi que ce soit pouvant être qualifié ainsi. Depuis mon retour à Paris,  je ne suis pas sortie une fois des limites du département de la Seine, fait que la police allemande ne conteste pas. En outre, je n’ai aucune compétence en matière militaire et, si j’avais eu des curiosités dans ce sens, vous auriez ou en trouver des traces chez moi car vous avez pu constater, par l’énorme fatras de mes papiers, tout ce qui m’intéresse fort. D’autre part, la police allemande a contrôlé le fait que c’est dans un café, par hasard, quelques mois avant mon arrestation, que j’ai rencontré un géologue, M. Gilbert T., vaguement connu six ans plus tôt et perdu de vue. Heureuse de reconnaître son obligeance d’il y a six ans, je l’invitai cordialement à venir chez moi et je l’ai revu trois ou quatre fois sans y attacher d’importance, car je connais beaucoup de gens à Paris et, en outre, mes activités sociales et scientifiques m’amenaient de nombreux visiteurs. N’oubliez pas que pendant 2 ans, je me suis trouvée à peu près seule spécialiste de l’ethnologie berbère de ce côté-ci de la Méditerranée, les autres résidant à Alger ou au Maroc. J’ai demandé à mon commissionnaire si, étant chef d’une organisation d’espionnage, il ferait ses confidences à une femme qu’il aurait connue dans un café et vue une ou deux fois (ce qui me laissait une semaine ou deux pour « espionner » en ne perdant pas de temps — et espionner quoi?). J’ajouterai ceci : si ce monsieur rencontré dans un café et vu une ou deux fois m’avait fait de telles confidences, cela n’aurait pu me paraître que très suspect ; en 1942, un homme assez imprudent pour commettre une inconséquence pareille ne peut être considéré que comme un fou ou un agent provocateur. Bien au contraire, M. Gilbert T. me fit la meilleure impression : extrême obligeance, bonté, droiture, dévouement. Et son ami, M. Jacques Legrand, me parut être un homme lettré, d’un excellent milieu, modéré et sûr dans ses jugements, très humains (en outre, ce sont des hommes spartiates et courageux, mais c’est uniquement par vous, messieurs, que je le sais). […] Je demande donc : quelle sorte d’espionnage ai-je fait ? Pour le compte de qui ? Est-ce qu’un verre de bière pris à la terrasse d’un café constitue à lui seul une preuve suffisante à vos yeux?

3. Évasion. J’aurais (si l’on en croit mon acte d’accusation) fait évader, en compagnie de gens que je connais à peine, des gens que je ne connais pas du tout. « Et comment m’y suis-je prise ? » ai-je demandé. Mais il ne fut pas répondu à cette question. D’où je conclus que mon commissaire, présumant (non sans raison) que je ne savais rien, préférait ne pas me mettre au courant. D’accord. Je demande donc si je suis accusée ou non. Et, si je suis accusée, comment puis-je me défendre si je ne sais pas avec détails de quoi je suis accusée ?

4. Parachutistes. J’aurais été très certainement ennuyée si un parachutiste était descendu dans mon jardin, car il m’est absolument impossible de loger quelqu’un chez moi sans que tout le quartier le sache : ma grand-mère, âgée de 93 Ans, va encore chez quelques fournisseurs très proches et cause volontiers avec eux : en outre, nous sommes servies depuis 25 ans par une excellente femme, mais la plus bavarde et la plus peureuse du département. Je n’ose même pas imaginer quelles auraient pu être leurs réactions à toutes deux en présence desdits parachutistes. La seule chose dont je suis sûre, c’est que j’aurais jamais eu l’audace de m’y exposer. Au surplus, si on les interroge avec adresse et douceur, elles vous attesteront que pas un personnage du sexe masculin n’a reçu l’hospitalité chez moi depuis l’armistice. Je demande donc : d’où sortent ces parachutistes ? Où les ai-je pris ? Où les ai-je mis ? Car je ne les ai pourtant pas dissimulés dans un repli de ma conscience (en admettant que celle-ci ait des replis).

5. Entreprise contre la police allemande. Je serais profondément navrée si l’on m’accusait d’ironie, c’est pourquoi je me fais un devoir de citer mot à mot et en détail ce qui me fut notifié au sujet de cette dernière et extraordinaire accusation. Après avoir consulté (d’un œil un peu trop rapide) le dictionnaire, mon commissaire me dit : « Vous êtes accusée d’avoir voulu naturaliser la police allemande et les traîtres français ». Il se rendit compte que ça ne « collait » pas, car il repiqua dans son lexique. Simple lapsus. […]

Pendant que je réfléchissais sur ce thème, mon commissaire, émergeant enfin de son dictionnaire me disait : « Cette fois, je sais. Vous êtes chargée de rendre leur innocence aux membres de la police allemande ».

Il y a là peut-être (probablement) un autre contresens, mais je fus si abasourdie (et réjouie) devant cette entreprise grandiose que je ne songeai pas sur l’instant à demander d’explication. J’ai pourtant l’habitude des requêtes les plus extraordinaires, car, comme vous le savez, j’ai vécu seule, en Afrique, pendant des années, en compagnie de tribus dites sauvages : des femmes mariées à des démons m’ont demandé de les divorcer ; un vieux bonhomme (pire que Barbe-Bleue) qui avait, m’a-t-il dit, mangé ses huit premières épouses, m’a demandé une recette pour ne pas manger la neuvième ; des tribus en guerre m’ont chargé d’un commun accord de leur tracer une frontière; j’ai vu des paiements de prix du sang, des jemaâ secrètes, des sorciers dansant une fois par an sur une montagne sacrée… Je ne parle pas de ceux qui, en transe, avalent des charbons rouges et jouent avec des vipères, la chose étant trop banale. Malgré ces compétences variées, je déclare formellement que, si ces messieurs de la police allemande ont réellement perdu leur innocence, je suis incapable de la leur rendre. Toutefois, s’ils tiennent à la retrouver, ils ne doivent pas désespérer. […] Je ne puis que conseiller à mon commissaire un pèlerinage sur les rives de ce fleuve fameux, d’où il nous reviendra, espérons-le, paré des grâces de Parsifal, mais je souhaite vivement qu’on n’attende pas cet heureux événement pour me dire que signifie cette histoire et en quoi elle me regarde.

Voilà, messieurs, tout ce que je sais au sujet de mon accusation. Vous reconnaîtrez vous-mêmes que c’est peu et que, en apparence, ce n’est guère sérieux. Remarquez que je ne proteste pas contre mon incarcération car je comprends parfaitement que le ratissage actuel est nécessairement trop sommaire pour qu’il n’y ait pas un grand nombre de personnes arrêtées sans raison. (Cela fait, peut-être, compensation, à un plus grand nombre de personnes qui, ayant des raisons d’être arrêtées, ne le sont pas. Et comme dit La Fontaine : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. ») Très franchement, je vous assure que j’envisage sans peur et sans mauvaise humeur tout ce qui n’atteint que moi — avec tout au plus un peu de curiosité, mais vous ne la trouverez ni injustifiée ni prématurée, car il y a près de six mois que je suis en prison.

C’est dans cette espérance, messieurs, que je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments choisis.

Germaine Tillion
Source

20/02/2016

Déluge de bombes sur le code du travail

La LDH fait de l’indivisibilité des droits une référence fondamentale de son engagement. Le combat pour les droits de l’Homme ne peut faire l’impasse de la garantie des droits les plus fondamentaux : droit aux soins de santé, à l’éducation, au logement, droit de vivre en famille, mais aussi droit au travail et du travail, qui demeure central pour la socialisation des individus.

code du travail

Une analyse de Martine Bulard parue dans le Monde Diplomatique

Le patronat et Nicolas Sarkozy en rêvaient, MM. François Hollande et Manuel Valls l’ont fait : si, par hypothèse funeste, le projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » (sic) devait voir le jour, le code du travail ressortirait en miettes. (Le texte complet peut être téléchargé par exemple sur le site de l’Ugict-CGT). « L’objectif, précise la ministre du travail Myriam El Khomri dans un entretien aux Echos (18 février 2016), est de s’adapter aux besoins des entreprises ». On s’en doutait un peu — encore qu’il s’agisse d’une étrange vision des entreprises, réduites à leurs seules sphères dirigeantes.

Bien sûr, il ne s’agit que d’un projet et tout peut encore bouger. Le pouvoir excelle dans les manœuvres consistant à laisser fuiter les dispositions les plus folles pour ensuite accréditer l’idée que le pire a été évité. Ainsi il a laissé courir le bruit que les heures supplémentaires ne seraient plus rémunérées pour finalement décider un plancher obligatoire de 10 %. Tout le monde crie victoire alors que jusqu’à présent la norme était de 25 %, sauf quelques exceptions !

Roi de l’entourloupe, le président de la République assure ne pas toucher aux fondamentaux : contrat de travail à durée indéterminée qui reste la règle et la semaine de 35 heures qui demeure la norme légale. Mais il transforme ces deux principes en coquilles vides. Si les mots restent, la protection des salariés disparaît et avec elle l’égalité de traitement des citoyens devant la loi.

Jusqu’à présent, le principe fondamental du droit du travail donnait la priorité aux lois édictées par les élus de la République à moins qu’un accord à un niveau inférieur (branche, entreprise) se révèle plus favorable au salarié. Désormais, un accord dans une entreprise prévaut sur la loi, même s’il est défavorable à ce dernier. Singulière conception de l’« égalité réelle » ! Cette disposition fondamentale permettra au prochain président de la République d’amputer ce qui restera (encore) des droits des travailleurs.

Quant au fameux contrat de travail à durée indéterminée (CDI) maintenu dans la loi, il pourra être rompu à tout moment en cas « de réorganisation de l’entreprise » ou de « conquête de marché ». Au delà de ces situations somme toute très fréquentes, la direction n’aura même plus à se justifier : il lui suffira de payer trois mois de salaire pour les employés embauchés depuis moins de deux ans, six pour les moins de cinq ans, etc. La notion même de licenciement abusif disparaît de fait. Le patron qui paye peut se séparer de son salarié sans risque de pénalité supplémentaire.

Même tour de passe-passe pour les 35 heures. Entre les dérogations, un décompte du temps de travail et le paiement au rabais des heures supplémentaires, la réforme Aubry va passer aux oubliettes…

Après une lecture rapide des 131 pages de ce nouveau code du travail, on peut retenir les dispositions concernant la durée du travail, la réforme des prud’hommes (le prochain numéro du Monde diplomatique, en kiosques le 2 mars, y consacrera un article), l’élargissement du droit de licencier et de réduire autoritairement les salaires, le moindre paiement des heures supplémentaires, etc.

Le patron décide de la durée du travail

Ce nouveau code reprend les principes édictés par M. Robert Badinter, qui a fait sienne la formule la plus libérale que l’on puisse imaginer, dès l’article 1 : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées (…) par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise. » Lesquelles sont définies par les actionnaires et les directions d’entreprise. Tout en découle.

Lire aussi Rachel Saada, « Le code du travail, garant de l’emploi », Le Monde diplomatique, janvier 2016.

La journée de travail de 10 heures, qui était jusqu’à présent l’exception, pourra se généraliser en « période d’activité accrue » ou « pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ». Elle pourra même s’élever à 12 heures. Jusqu’alors, les dérogations exigeaient une autorisation administrative. Désormais, il suffira d’un accord d’entreprise — dont le recours sera facilité (lire plus loin).

Même principe pour la durée hebdomadaire, laquelle pourra grimper jusqu’à 46 heures en moyenne pendant 16 semaines par an (au lieu de 12 aujourd’hui) et même atteindre 48 heures « en cas de surcroît d’activité », sans autre précision. Un simple accord d’entreprise suffira. Le gouvernement ne renonce pas au plafond des 60 heures réclamé par les entreprises mais il l’encadre quand même d’une autorisation de l’inspection du travail.

Instauré lors de la loi Aubry sur la réduction du temps de travail (RTT), le forfait-jours, qui permet de s’émanciper de la durée légale quotidienne, était réservé aux grandes entreprises et principalement aux cadres (50 % d’entre eux). Le système sera étendu aux entreprises de moins de 50 salariés (sans distinction de fonction). Les charges de travail au quotidien pourront franchir toutes les barrières car, dans la pratique, elles ne seront plus contrôlables.

D’autant que les 11 heures de repos quotidiennes consécutives obligatoire sautent. Elles pourront être « fractionnées » !

De plus, « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif », sauf s’il dépasse le « temps normal ». On appréciera la précision de la formule.

Sécuriser les licenciements

Grâce à M. Nicolas Sarkozy, il y avait déjà la « rupture conventionnelle » (2 millions depuis sa création en juin 2008), faux nez qui cache souvent un moyen de pression patronale pour se séparer d’un salarié. Grâce à quelques syndicats, comme la CFDT et la CGC, qui avaient signé l’accord national interprofessionnel (ANI), et à M. Hollande, qui a concocté la loi dite de « sécurisation de l’emploi », le patronat pouvait réduire les salaires, augmenter le temps de travail et bien sûr licencier « en cas de difficultés économiques », dont l’interprétation était laissée aux juges. Le texte désormais les définit : une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires « pendant plusieurs trimestres consécutifs » (cela peut donc être deux trimestres), des « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois ou une importante dégradation de la trésorerie ». Et ce, « au niveau de l’entreprise » (et non du groupe). Il suffit pour les grosses sociétés de présenter les comptes de leur filiale en déficit (un jeu d’enfant) pour que tout soit possible. Exit le droit au reclassement des salariés licenciés.

En fait le patronat a obtenu ce qu’il réclamait depuis la nuit des temps : le droit de licencier sans entrave.

A ces causes dites défensives de licenciements, s’ajoute la possibilité de jeter les salariés dehors en cas « de mutations technologiques » ou de simple « réorganisation de l’entreprise ». Le travailleur qui refuse une mutation à l’autre bout de la France ou une baisse de salaire, ou encore une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire, sera tout simplement licencié (auparavant, il avait droit au statut de licencié économique) ; il garde ses droits au chômage mais perd celui du reclassement.

En fait le patronat a obtenu ce qu’il réclamait depuis la nuit des temps : le droit de licencier sans entrave.

Ligoter les prud’hommes

Le patron pourra même licencier « sans cause réelle et sérieuse », il lui suffira de payer une indemnité forfaitaire fixée à l’avance, quel que soit le dommage subi par le travailleur. Celle-ci est d’emblée fixée à 3 mois de salaire pour 2 ans d’ancienneté, 6 mois entre 2 et 4 ans, 9 mois entre 5 et 9 ans, 12 mois de 10 à 20 ans, 15 mois pour les plus de 20 ans. Ainsi, un salarié jugé plus assez productif ou trop ouvertement revendicatif peut être jeté sur le carreau à n’importe quel moment.

Travailler plus pour gagner moins

Les heures supplémentaires pourront être majorées de 10 % — et non plus 25 % de plus pour les huit premières heures, 50 % au-delà. Il suffit d’un accord d’entreprise. Pour un salarié payé au Smic, l’employeur devra débourser moins de 1 euro par heure supplémentaire (0,96 euro contre 2,4 euros en vertu de la loi précédente). Une broutille qui le poussera à y recourir au lieu d’embaucher. Quant aux salariés, ils verront leur pouvoir d’achat baisser.

L’entreprise au-dessus de la loi

C’est sans doute le changement le plus important. Malgré les déclarations tonitruantes à la gloire de la République et de ses principes, la loi passe au second plan même quand elle protège mieux les salariés. C’est l’accord d’entreprise qui prime. La loi Macron (lire « Le choix du toujours moins », Le Monde diplomatique, avril 2015) avait déjà introduit cette disposition, mais elle restait exceptionnelle. Elle deviendra la règle.

Certes, cet accord devra être majoritaire, c’est-à-dire signé par des syndicats représentant plus de la moitié des salariés lors des élections professionnelles. Mais si ce n’est pas le cas, les syndicats minoritaires (au moins 30 % des voix) pourront recourir au referendum auprès des salariés. Et le pouvoir de vanter cette démocratie directe en jouant le petit peuple des travailleurs contre les élus syndicaux, forcément bornés.

Bien entendu, la consultation des travailleurs n’est pas en soi condamnable. Mais la question posée n’est pas définie collectivement, loin s’en faut. Si des syndicats minoritaires peuvent impulser la consultation, son contenu demeure entre les mains du patronat et prend souvent l’allure d’un chantage où les salariés ont le choix entre Charybde et Scylla : soit accepter de travailler plus et/ou gagner moins, soit perdre leur emploi… Chez Bosch, à Vénissieux, les salariés avaient accepté en 2004 de travailler 36 heures payées 35 et de renoncer à une partie des majorations pour travail de nuit ; leurs sacrifices n’ont servi qu’à rendre la société plus présentable : leur usine a été vendue en 2010, et plus de 100 emplois ont disparu. Même scénario chez General Motors à Strasbourg, Continental à Clairoix, Dunlop à Amiens...

Les commentateurs vantent souvent les référendums chez Smart, où 56 % des salariés ont répondu favorablement à la hausse du temps de travail (pour la même rémunération) réclamée par l’actionnaire au nom de la défense de l’investissement et de la non-délocalisation. Mais ils oublient de préciser que si 74 % des 385 cadres consultés ont approuvé l’accord, seuls 39 % des 367 ouvriers les ont imités, car ce sont eux qui ont les charges de travail les plus éprouvantes. Faut-il rappeler qu’un cadre vit six ans de plus qu’un ouvrier ? Avec la nouvelle loi, les ouvriers se verront imposer l’intensification de leurs tâches.

D’une entreprise à l’autre, les salariés ayant une même qualification auront des droits fort différents. On pourrait même imaginer des travailleurs aux statuts totalement divergents sur un chantier avec plusieurs sous-traitants. En fait, comme l’explique fort bien le spécialiste du travail Pascal Lokiec, « cela conduit potentiellement au dumping social et complexifie la situation du salarié qui changera de droit applicable en même temps qu’il changera d’entreprise (1) ». Quant à l’emploi, il restera à quai ou encore plus sûrement plongera. Comme le montrent toutes les études, ce n’est pas la prétendue « rigidité » du code du travail qui fait le chômage, mais le manque de débouchés.

Les élus socialistes aux ordres

Tout comme il oppose les travailleurs aux syndicats, les juges aux technocrates (qui seraient les mieux à même de fixer les pénalités patronale aux prud’hommes ou de définir les licenciements économiques), M. Hollande cherche à opposer les élus parlementaires au peuple français. Assuré avec ces orientations ultralibérales de ne pas bénéficier des voix des députés du Front de gauche et d’une partie des Verts pour faire passer sa loi, le chef de l’Etat réclame des élus socialistes qu’ils s’inclinent (même avec des états d’âme). Il menace donc d’employer la force du 49-3 — une disposition constitutionnelle qu’il qualifiait autrefois (avec lucidité) de « brutalité » et de « déni de démocratie ». La boucle est bouclée.

Martine Bulard

(1) Cité par Mathilde Goanec, « La future loi El Khomri achève définitivement les 35 heures », Mediapart, 18 février 2016.

Une pétition à signer 

19/02/2016

Avis de la CNCDH sur le suivi de l'état d'urgence

Au lendemain du vote par le Parlement de la prorogation de l’état d’urgence, c’est un constat sévère que dresse la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la mise en œuvre de l’état d’urgence.

Etat d'urgence, CNCDH

Saisie le 9 décembre 2015, par le président et le vice-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, la CNCDH, institution nationale de promotion et protection des droits de l’homme, accréditée par les Nations unies, participe au contrôle de l’état d’urgence déclenché au lendemain des attentats de novembre 2015.

Abus, dérives, débordements, détournements

3284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester : les chiffres du ministère de l’Intérieur posent le cadre.

Les résultats ?

29 infractions en lien avec le terrorisme ont été constatées. Ces infractions se ventilent de la façon suivante : 23 délits d’apologie d’actes de terrorisme et seulement 6 saisines du Parquet antiterroriste.

La réalité des mesures de l’état d’urgence, c’est aussi :

  • des perquisitions menées de nuit, sans prendre en compte la présence au domicile de personnes vulnérables (dont de nombreux enfants terrorisés),

  • des comportements policiers peu adaptés (menottage abusif, mise en joue avec arme),

  • de nombreux dégâts matériels ou encore l’absence de remise systématique de l’ordre et du récépissé de perquisition,

  • des assignations à résidence par nature attentatoires à la liberté d’aller et de venir et à bien d’autres droits. Du fait des pointages imposés, la vie familiale et professionnelle ne peut qu’en être lourdement désorganisée

  • des détournements de l’état d’urgence, sans lien avec la lutte contre le terrorisme, pour entraver des manifestations d’écologistes, de syndicalistes, et pour lutter contre l’immigration clandestine ;des mesures qui pour l’essentiel sont de nature à stigmatiser une population et une appartenance religieuse.

Le contrôle de l’état d’urgence : les déséquilibres démocratiques et les initiatives citoyennes

Décidées par la seule autorité administrative (ministre de l’Intérieur, préfets), les mesures de l’état d’urgence échappent totalement au contrôle a priori du juge judiciaire. En outre, s’agissant du juge administratif, si les conditions d’un contrôle a posteriori se sont progressivement mises en place, leur efficacité est trop souvent entravée par la pauvreté des pièces (notes blanches) soumises au contrôle du juge.

Dans ce contexte, la CNCDH salue l’engagement résolu des journalistes, des associations et des citoyens qui, dans le quotidien de leur vie, se sont efforcés de recenser les abus et de les combattre.

Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, rappelle que « l’état d’urgence est un état d’exception qui doit demeurer circonscrit dans le temps, encadré et contrôlé strictement. La sortie de l’état d’urgence est une décision politique difficile, mais impérative. Le tribut que l’état d’urgence fait subir à la Nation et à ses citoyens est trop lourd, le respect de l’état de droit est un horizon non négociable ».

Lire aussi : "Pourquoi les saisies informatiques ont été jugées contraires à la Constitution"

06/02/2016

URGENT DE REAGIR

État d’urgence. Au plaisir des préfets, ou la résistible ascension du pouvoir administratif au détriment de l'ordre judiciaire sous la houlette d'un premier ministre exorbitant qui n'hésite pas à garroter la Liberté sans sécuriser qui que ce soit.

L'analyse de la LDH

garrot,
Le Garrot
Eugenio Lucas y Vélasquez (1817-1870).

Legs du comte de Chaudordy.

 

Point de vue de Pierre Tartakowsky

À l’heure d’une possible décision de prolonger l’état d’urgence et de l’inscrire dans la Constitution, l’observation de la variabilité territoriale de son application met au jour le caractère discrétionnaire de ce pouvoir administratif. En raison du flou quant à son étendue et des difficultés de le contrôler, les réformes annoncées font peser de sérieuses menaces sur les libertés individuelles.

État d’urgence ou pas, la loi est la même pour tous. Mais, état d’urgence ou pas, elle s’applique de façons différentes. Ces différenciations sont de divers ordres, notamment territorial ; et elles sont d’autant plus prononcées que leur mise en œuvre dépend du pouvoir administratif. Ce qui, justement, est le cas de l’état d’urgence.

Mieux vaut habiter la Lozère que le Val-d’Oise, et la Creuse que l’Essonne. C’est en tout cas ce qui ressort des – maigres – données disponibles sur le bilan des perquisitions et des assignations à résidence ordonnées par les préfets depuis le 13 novembre dernier. Rappelons que plus de 3 000 des premières et 481 des secondes n’ont finalement débouché que sur quatre mises en examen pour faits associés au terrorisme. Le décalage impressionnant entres les moyens déployés et les résultats obtenus invite à interroger l’ensemble du dispositif et ses mécaniques internes. Il est de fait important de déterminer la réalité des pratiques concrètes de ces opérations si l’on veut se faire une opinion sur la légitimité de leur reconduction.

Or, c’est de cela qu’il est aujourd’hui question avec, d’une part, le projet de faire entrer l’état d’urgence dans la Constitution et, d’autre part, un projet d’une nouvelle et énième loi antiterroriste.

Les variations territoriales de l’état d’urgence, ou le pouvoir discrétionnaire des préfets

On doit à un travail de bénédictin mené par la rédaction du journal Libération les quelques chiffres disponibles à cet égard [1]. Le résultat dépendant de la bonne volonté des préfectures, il est difficilement exploitable statistiquement. Mais il s’en dégage sans conteste un formidable constat dinégalité territoriale. Une inégalité sans lien aucun avec un « taux de terrorisme » supposé mais qui a tout à voir avec la « personnalité » de celui qui a la charge de l’ordre, à savoir le préfet. Ceux des deux départements du Territoire de Belfort et du Val-d’Oise ont ainsi fait preuve d’un zèle remarqué. Le premier a enregistré un nombre de perquisitions trois fois supérieur à celui des départements limitrophes et très au-dessus de la moyenne. Le second a livré sa vision de l’état d’urgence au journal Le Monde, déclarant que « le principe de ces perquisitions, c’est de taper large » [2]. C’est après quelques-unes de ces « tapes » val-d’oisiennes que le ministre de l’Intérieur avait jugé utile de rappeler, par voie de circulaire datée du 25 novembre, qu’une porte pouvait être ouverte par « voie naturelle » plutôt qu’être défoncée… Sur un autre mode, mais qui confirme les espaces d’interprétation « poétique » dont bénéficie le pouvoir administratif en ces circonstances, le préfet de la Gironde a pu ordonner des perquisitions chez des militants écologistes et quelques maraîchers bio, sans doute jugés turbulents, voire même peut-être agaçants, mais sans lien aucun avec le terrorisme.

La disparité départementale ne s’explique pas que par le jeu des personnalités – forcément diverses – des préfets : elle s’enracine dans les textes eux-mêmes. Les critères autorisant les perquisitions sont, en effet, extrêmement larges et propres à interprétation. Cette latitude a ouvert grand la porte à un effet d’aubaine ; les forces de police ont ainsi mis à profit l’état d’urgence pour solder des comptes et mettre quelques pendules à l’heure avec une famille rom, avec des réfugiés tchétchènes, avec le julot du bar d’à côté. L’adage selon lequel mieux vaut quelques innocents poursuivis plutôt qu’un coupable en liberté a ainsi joué à fond et, selon le constat de Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois, un bon nombre de ces perquisitions ont concerné des « objectifs nettement moins prioritaires ».

Cet effet d’aubaine lui-même s’est tari. Les chiffres publiés par la commission des lois attestent ainsi d’une baisse constante du nombre de perquisitions et d’assignations à résidence, par épuisement des cibles et des objectifs stratégiques.

Ce constat grossier d’inégalité mériterait évidemment d’être affiné par territoire, ville, quartier. En son absence, on peut assez raisonnablement inférer de l’expérience que certains lieux ont été plus visés que d’autres, en fonction de critères participant davantage de clichés dominants [3] que d’un travail de bonne police. Il ne s’agit certes que d’une intuition, mais la « défonce » à coups de bélier du restaurant Pepper Grill, sis à Saint-Ouen-l’Aumône, se serait-elle déroulée de la même façon si elle s’était située dans le centre de Paris ou de Lyon, et si le grill en question n’avait pas été hallal ? La question peut évidemment être versée au rayon triste mais inévitable des « pertes collatérales », selon la théorie qui veut que lorsqu’on met en branle les forces de police, on casse quelques œufs, même si l’idée n’était pas initialement de faire une omelette. On pourrait – à la rigueur et en ne se montrant pas très exigeant sur les principes – s’accommoder de cette vision, à défaut de s’en satisfaire. On le pourrait s’il était envisageable de s’inscrire dans la perspective d’un « plus jamais ». Mais c’est malheureusement loin d’être le cas.

Un pouvoir à l’étendue imprécise et peu contrôlable

Car il est fortement question de prolonger l’état d’urgence, tout en le constitutionnalisant. Pour la Ligue des droits de l’Homme, il n’y a là que périls. Le plus évident tient à ce que l’état d’urgence n’a aucunement fait la preuve de son efficacité dans la durée. Autant l’on peut comprendre qu’il soit décrété dans des circonstances très particulières et pour une période limitée dans le temps, autant sa prorogation est duplice. Elle vise à faire croire que des mesures efficaces sont prises face au risque terroriste, que cet état d’urgence est, en soi, protecteur. C’est aussi inexact que de prétendre que le plan Vigipirate nous a prémunis depuis 1978 du risque d’attentats… Cette focalisation sur le spectaculaire stérilise les vrais débats qu’il nous faudrait avoir sur les nécessaires réorientations du travail de police, dans une toute autre direction que celle prise, par exemple, pour la récente loi sur le renseignement, qui privilégie l’écoute de masse plutôt qu’un travail de terrain. Elle s’accorde avec la terrible déclaration de Manuel Valls selon laquelle « expliquer, c’est déjà un peu excuser ». Tout cela concourt à entraver l’adoption de mesures prenant en compte la dimension complexe et globale du phénomène terroriste.

La perspective d’une constitutionnalisation de l’état d’urgence participe de la même illusion problématique. Glissons sur le fait pourtant préoccupant qu’une telle réforme soit proposée durant l’état d’urgence, justement à un moment de démocratie limitée, pour venir alourdir un édifice déjà riche de l’article 16 et de l’état d’exception, sans compter celles contenues par la loi. Car les mesures sécuritaires existent ; elles ne cessent de se multiplier, au point qu’on a pu entendre, à plusieurs reprises, des responsables politiques de premier plan proposer la création de mesures… déjà existantes.

Si la loi constitutionnelle devait être adoptée par les deux chambres et en Congrès dans les termes de ce projet, certaines dispositions seraient gravées dans le marbre et ne pourraient être modifiées que par une nouvelle réforme constitutionnelle [4]. Il s’agit notamment de savoir qui est habilité à déclarer l’état d’urgence, pourquoi, et sur quel champ. Qui ? L’exécutif. La réponse au « pourquoi ? » est particulièrement vague : « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Enfin, la détermination de l’étendue du champ d’application territorial de l’état d’urgence n’est soumise à aucun critère objectif établissant une corrélation expresse avec la nature du péril ou des événements invoqués. Ainsi, en 2005, le Président de la République déclare un état d’urgence étendu à l’ensemble du territoire métropolitain face à de simples émeutes urbaines, et non face à une situation de guerre civile ou de tentative de coup d’État. Qu’en sera-t-il demain, alors même que l’horizon démocratique s’annonce menacé par des formations politiques opposées aux valeurs de la République ?

Au-delà de ces considérations, que l’on pourrait qualifier d’étroitement juridiques, se pose une autre question, décisive : celle du contrôle. Disons, pour simplifier, qu’il est remis entre les mains du juge administratif, autant dire entre des mains fragiles et inadéquates. Il faut, en effet, rappeler – là encore, sans vouloir faire trop juridique – que le contrôle réalisé par le juge administratif vis-à-vis de mesures de police administratives issues de la loi s’avère extrêmement réduit, voire quasi inexistant. Le garant des libertés individuelles, selon la constitution, c’est le juge judiciaire qui est à ce titre porteur d’un pouvoir s’exerçant en amont du pouvoir administratif. Le juge administratif n’intervient qu’a posteriori et avec une capacité moindre [5]. On imagine ce qu’il en sera lorsque ces mesures bénéficieront de la légitimité constitutionnelle. Enfin, la question de la durée est posée d’une façon qui n’est guère rassurante. Effectivement, le projet de réforme constitutionnelle prévoit seulement qu’elle « en fixe la durée » sans autre précision. Ce qui signifie qu’il serait alors possible de proroger plusieurs fois l’état d’urgence, le projet de loi ne conditionnant pas explicitement cette prorogation à la persistance des circonstances qui ont motivé l’application. Bref, c’est la porte ouverte à un état d’urgence permanent…

Menaces sur les libertés individuelles

Dans ce cadre général, les libertés individuelles seraient ramenées à un état d’extrême précarité. À titre d’exemple, les textes laissent apparaître la volonté claire d’approfondir les contrôles d’identité et la capacité de retenue, même des personnes ayant justifié de leur identité. L’assignation à résidence – qui est concrètement une lourde privation de liberté – serait banalisée, y compris à l’encontre de militants, syndicaux ou associatifs, au seul titre de « nécessités opérationnelles », autrement dit parce que les forces de police seraient trop occupées par ailleurs pour prendre le risque d’avoir à les surveiller…

Corrélativement à ce projet de réforme constitutionnelle, une nouvelle loi antiterroriste est annoncée. Or, cette nouvelle loi reconduit, elle aussi, les pires aspects de l’état d’urgence, avec à la clé la même douteuse efficacité. Cette réforme de procédure pénale vise, elle aussi, à renforcer les pouvoirs de police, en dehors de tout état d’urgence ; elle accroît les compétences des préfets en les « libérant » des lourdeurs de la loi. C’est ainsi que, en cas de suspicion d’activité terroriste, ils pourraient faire fouiller les bagages, les voitures, contrôler les identités, voire retenir, quatre heures durant, une personne ayant une pièce d’identité. Là encore, le contrôle mis en avant par le gouvernement est celui du juge administratif. Le problème est que ce juge administratif n’intervient qu’a posteriori et uniquement sur recours de plaignants. Or, pour des raisons assez facilement compréhensibles, nombre de personnes renoncent à faire valoir leur bon droit ; à titre de réflexion, 10 % seulement des 400 assignations à résidence décrétées durant l’état d’urgence ont fait l’objet d’un recours. Par ailleurs, ce juge ne peut guère intervenir qu’en cas d’atteinte « grave et manifestement illégale ». Ce « manifestement » est lourd à gérer ; car, en cas de doute, l’intervention n’est pas légitime. Tout ceci apparaît d’autant plus insuffisant que les marges de manœuvre de la police, elles, sont élargies. Ainsi, il suffira au ministre de l’Intérieur d’avoir des « raisons sérieuses » de penser qu’une personne s’est déplacée pour des raisons liées au terrorisme, ou même a tenté de se rendre sur le théâtre d’opérations terroristes, pour justifier son assignation à résidence. D’une culture juridique de la preuve ou d’un faisceau de présomption, on accentue le passage à une culture de suspicion, où le soupçon suffit à faire preuve. Dans les faits, l’enquête prend alors très souvent la forme de notes blanches des services, documents non datés, non signés, valant à peine mieux qu’une lettre anonyme…

Tout se passe donc comme si les attentats meurtriers de ces derniers mois servaient d’accélérateur à la mise en œuvre de projets liberticides, participant d’une logique de renforcement du pouvoir administratif, voyant ses pouvoirs élargis sans qu’il y ait besoin de justifier d’un délit. Ce glissement n’a pas commencé après les attentats mais avant. Il traduit une volonté de marginalisation du pouvoir judiciaire, que son indépendance rend suspect aux yeux du pouvoir politique, et des droits démocratiques, par définition suspects, puisque faisant prévaloir le débat critique sur l’ordre établi.

Notes

[1] Source : Libération, le 15 janvier 2016.

[2] Source : Le Monde, le 23 novembre 2015.

[3] Dont l’enquête du CNRS « Police et minorité visible : les contrôles d’identité à Paris » donne une idée. URL : www.cnrs.fr/inshs/recherche/....

[4] On se référera avec intérêt à l’analyse collective En sortir de l’urgence produite par diverses associations et juristes, téléchargeable, entre autres, sur les sites de La Quadrature du Net, du syndicat de la magistrature et de la Ligue des droits de l’Homme (à l’URL suivant : www.ldh-france.org/wp-conten...).

[5] Ibid.