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18/11/2017

« La violence de la fraternité »

« La violence de la fraternité », le dernier discours de Malcolm X

Le 16 février 1965, Malcolm x, l’un des plus grands militants et activistes afro-américain, livrait ce qui sera son dernier discours. Cinq jours plus tard, il fut assassiné à Harlem.

Ce dernier discours fut prononcé à l’église méthodiste de Corn Hill Rochester de New York. Malcolm X y parle ouvertement de la relation complexe entre la France et les noirs français : discours encore terriblement d’actualité aujourd’hui dans un climat où les médias français dépeignent une image peu flatteuse des immigrés et fils d’immigrés français. Le célèbre activiste met le doigt sur un sujet épineux : Il existe certes, une haine des blancs envers les noirs, mais il est aussi essentiel de prendre conscience de la haine des noirs envers eux même, véhiculée par la culture blanche...

Malcom X
Malcom X & Martin Luther King

« Avant toute chose, mes frères et sœurs, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de venir ici ce soir, à Rochester, et surtout de m’avoir invité, à cette petite tribune informelle pour débattre de préoccupations communes à tous les membres de la communauté, de la communauté de Rochester dans son ensemble. Si je suis ici, c’est pour parler avec vous de la révolution Noire, en marche sur cette terre, des formes qu’elle prend sur le continent africain et de son impact sur les communautés noires. Non seulement ici, en Amérique, mais aussi aujourd’hui en Angleterre, en France, et dans toutes les anciennes puissances coloniales.

La plupart d’entre vous ont sans doute appris par la presse, la semaine dernière, que j’avais pris la peine d’aller à Paris et qu’on m’avait éconduit. Or Paris n’éconduit personne. Comme chacun sait, qui veut est supposé pouvoir se rendre en France ; ce pays a la réputation d’être très libéral. Pourtant, la France connaît des problèmes dont elle n’a pas fait grand étalage. L’Angleterre aussi, connaît des problèmes dont elle n’a pas fait grand étalage, parce que l’Amérique elle, étale ses problèmes. Mais ces trois partenaires, ces trois alliés, rencontrent aujourd’hui des difficultés communes, dont les Noirs américains, les Afro-américains, n’ont pas vraiment idée.

Afin que vous et moi connaissions la nature de la lutte dans laquelle vous et moi sommes engagés, nous devons connaître les différents éléments qui entrent en jeu, au niveau local et national, mais aussi sur le plan international. Les problèmes de l’homme Noir ici, dans ce pays, aujourd’hui, ne sont plus seulement le problème du Noir Américain, ou un problème Américain. C’est un problème devenu si complexe, aux implications si nombreuses, qu’il faut le considérer dans son ensemble, dans le contexte mondial ou international, afin de bien le voir tel qu’il est en réalité. Sinon, vous ne pouvez même plus prendre la mesure des problèmes locaux, à moins d’en saisir la portée dans le contexte international tout entier. Et quand vous l’observez en contexte, il vous apparaît sous un jour nouveau, mais avec plus de clarté.

Vous devriez vous poser cette question : pourquoi un pays comme la France devrait autant s’inquiéter de la venue d’un pauvre petit Noir américain, au point qu’elle lui en interdise ses frontières, quand tout un chacun ou presque peut s’y rendre quand bon lui semble ? C’est avant tout parce que ces trois pays font face aux mêmes problèmes. Or le problème est précisément celui-ci : dans l’hémisphère Ouest, vous et moi n’en avons pas pris conscience mais, nous ne formons pas précisément une minorité sur cette terre. Sur ce continent, il y a les … c’est le peuple brésilien, dont les deux-tiers ont la peau foncée, comme vous et moi. Ce sont les Africains par leurs origines, Africains sont leurs ancêtres ; Africain est leur passé. Et pas seulement au Brésil, mais à travers toute l’Amérique Latine, les Antilles, les États-Unis et le Canada, vous avez des gens d’origine africaine.

Beaucoup d’entre nous se pourvoient en imaginant que seuls sont afro-américains ceux qui se trouvent aux États-Unis… l’Amérique, c’est l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud. Quiconque a des ancêtres africains en Amérique du Sud, est afro-américain. Quiconque en Amérique Centrale a du sang africain, est afro-américain. Quiconque ici, en Amérique du Nord y compris au Canada, est afro-américain s’il a des ancêtres africains… et même jusqu’aux Antilles, c’est un Afro-américain. Quand je parle des Afro-américains, je ne parle pas seulement des vingt-deux millions d’entre-nous qui sommes ici, aux États-Unis. Les Afro-américains, c’est ce grand nombre d’être humains de l’hémisphère Ouest, depuis l’extrême sud de l’Amérique du Sud, jusqu’à la pointe la plus au Nord de l’Amérique du Nord. Tous ont un héritage commun, une origine commune, quand vous remontez jusqu’à leurs racines.
Aujourd’hui, il existe quatre sphères d’influence dans l’hémisphère Ouest, que subit le peuple noir. II y a l’influence espagnole, héritage du passé colonial de l’Espagne sur une partie du Continent. Il y a l’influence française qui concerne la région qu’elle a autrefois colonisée. La région que les britanniques ont autrefois colonisée. Et puis ceux d’entre nous qui sommes ici, aux États-Unis (…)

A cause de la mauvaise santé économique de l’Espagne, et parce qu’elle a perdu sa position prédominante sur la scène mondiale en termes d’influence, très peu de gens de peau noire ont émigré en Espagne. En revanche, le niveau de vie élevé en France et en Angleterre a poussé nombre de Noirs à émigrer des Antilles anglaises en Grande-Bretagne, et nombre de Noirs des Antilles françaises à émigrer en France, et puis vous et moi, déjà ici.

Ça signifie donc que les trois grands alliés, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont un problème aujourd’hui, un problème commun. Mais on ne nous a jamais donné suffisamment d’informations, ni à vous, ni à moi, pour comprendre qu’ils avaient un problème commun. Et ce problème commun, c’est ce nouvel état d’esprit qui est reflété dans la complète division du peuple Noir, en France métropolitaine, en Angleterre et ici, aux États-Unis. Et ce… c’est état d’esprit a évolué au même rythme que les transformations dans les mentalités, sur le continent africain. Donc, quand vous considérez le processus de la révolution africaine et par révolution africaine je veux dire que l’émergence des nations africaines dans l’indépendance qui a lieu depuis les dix ou douze dernières années, a absolument affecté l’état d’esprit des Noirs en occident. A tel point que lorsqu’ils émigrent en Angleterre, ils posent des problèmes aux anglais. Et lorsqu’ils émigrent en France, ils posent des problèmes aux français. Et quand ils… déjà ici aux États-Unis… mais une fois qu’ils s’éveillent, ce même état d’esprit se reflète chez l’homme Noir, aux États-Unis, alors il pose un problème à l’homme blanc, ici en Amérique.

Et ne pensez pas que le problème du blanc en Amérique soit unique. La France a le même. La Grande-Bretagne a le même. Mais la seule différence entre la France, la Grande-Bretagne et nous, c’est que de nombreux leaders Noirs se sont levés ici à l’Ouest, aux États-Unis, et ont créé une sorte d’engagement (militancy) qui a effrayé les américains blancs. Mais ça n’a pas eu lieu en France ou en Angleterre. Ce n’est que récemment que la communauté noire américaine et la communauté anglaise des Antilles, ainsi que la communauté africaine en France ont commencé à s’organiser entre elles. La France meurt de peur. C’est le même phénomène en Angleterre. Jusqu’à … très récemment, c’était la désorganisation complète. Et c’est seulement depuis peu qu’en Angleterre, les Antillais, la communauté africaine et les Asiatiques, ont commencé à s’organiser et à travailler en coordination et en étroite collaboration. Et cela a posé un problème très sérieux à l’Angleterre.

Il me fallait exposer cette situation afin que vous compreniez quelques-uns des problèmes actuels qui se développent ici sur cette terre. Et vous pouvez rapidement comprendre les problèmes entre les Noirs et les Blancs ici à Rochester, entre les Noirs et les Blancs du Mississippi, et entre les Noirs et les Blancs de Californie, à moins que vous ne compreniez le problème fondamental entre Noirs et Blancs… non limité à l’échelle locale, mais au niveau international et de la planète toute entière aujourd’hui. Si vous essayez de le considérer dans cette perspective, vous comprendrez. Mais si vous essayez uniquement de l’appréhender dans sa dimension locale, vous ne le comprendrez jamais. Vous devez considérer la tendance qui se dessine sur cette terre. Et le but de ma venue ici ce soir, est de vous en donner une vision aussi actuelle que possible.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, j’ai quitté le mouvement des Black Muslims, et pendant l’été, j’ai passé cinq mois au Moyen-Orient et sur le continent africain. Pendant cette période, j’ai visité de nombreux pays dont le premier a été l’Égypte, puis l’Arabie, puis le Koweit, le Liban, le Soudan, le Kenya, l’Éthiopie, Zanzibar, le Tanganyika – qui s’appelle aujourd’hui la Tanzanie – le Nigeria, le Ghana, la Guinée, le Liberia, l’Algérie. Et pendant ces cinq mois, j’ai eu la chance de discuter longuement avec le président Nasser en Égypte, le président Julius Nierait en Tanzanie, Jomo Kenyatta au Kenya, Milton Obote en Ouganda, Azikiwe au Nigeria, N’krumah au Ghana et Sékou Touré en Guinée. Les nombreuses informations échangées avec les hommes et d’autres africains, sur ce continent, au cours de ces entretiens, ont élargi ma compréhension et, je le sens, mon acuité intellectuelle. Car, depuis mon retour, je n’ai eu aucun désir d’aucune sorte de me retrouver embourbé dans quelque querelle stérile avec des cervelles d’oiseaux, des esprits étroits qui font partie d’organisations. On y débat de faits trompeurs et qui ne mènent nulle part quand on essaie de trouver des solutions à des problèmes aussi complexes que le nôtre.

Je ne suis pas ici ce soir pour parler de certains de ces mouvements qui sont en désaccord total les uns avec les autres. Je suis ici pour vous parler du problème auquel nous sommes tous confrontés. Et pour avoir… et pour le faire de façon très informelle. Je n’aime pas être tenu à être formel dans ma méthode ou ma façon de procéder, lorsque je m’adresse au public, parce que je trouve qu’habituellement la conversation dans laquelle je m’engage tourne autour des problèmes de race ou de choses raciales, ce qui n’est pas de ma faute. Je n’ai pas créé le problème de race. Et vous le savez, je ne suis pas venu en Amérique sur le Mayflower ou de mon propre gré. Notre peuple a été conduit ici malgré lui, contre notre volonté. Donc, si nous posons le problème maintenant, ils ne devraient pas nous blâmer d’être ici. Ils nous ont amenés ici. (Applaudissement) (…).

Pour défendre ma propre position, tout comme je l’ai fait plus tôt aujourd’hui à Colgate, je suis Musulman, ce qui signifie simplement que ma religion est l’Islam. Je crois en Dieu, l’Être Suprême, le Créateur de l’Univers. C’est une forme de religion très simple, facile à comprendre. Je crois en un Dieu unique. Et c’est simplement bien mieux comme ça. Mais je crois en un Dieu et je crois que ce Dieu avait une religion, a une religion et aura toujours une religion. Et que ce Dieu enseigna la même religion à tous les prophètes, il n’y a donc pas à se quereller à propos de qui était le plus grand, ou qui était le meilleur : Moïse, Jésus, Mahomet, ou quelques autres. Tous étaient des prophètes et venaient d’un seul Dieu. Ils avaient une doctrine, et cette doctrine était conçue pour apporter la lumière sur l’humanité, de telle sorte que toute l’humanité pouvait voir qu’elle était Une et partager une sorte de fraternité qui pourrait être vécu ici sur cette terre. Je crois en cela.

Je crois en la fraternité des hommes. Mais en dépit du fait que je crois en cette fraternité, je dois être réaliste et comprendre qu’ici, en Amérique, nous sommes dans une société qui ne connaît pas la fraternité. Elle n’applique pas ce qu’elle prêche. Elle prêche la fraternité, mais ne l’applique pas. Et parce que… cette société n’applique pas la fraternité, ceux d’entre nous qui sont musulmans – ceux d’entre nous qui ont quitté le mouvement des Black Muslims et se sont regroupés en tant que Musulmans, dans un mouvement fondé sur l’Islam orthodoxe… nous croyons en la fraternité de l’Islam.

Mais nous comprenons aussi que le problème auquel sont confrontés les Noirs de ce pays est si complexe et si difficile, existe depuis si longtemps sans solution, qu’il nous est absolument nécessaire de former une autre organisation. Ce que nous avons fait, sous la forme d’une organisation non religieuse dans laquelle… est connue comme étant l’Organisation de l’Unité afro-américaine, et dont la structure est organisée de manière à permettre une participation active de tout Afro-américain, tout Noir américain, selon un programme conçu pour éliminer les maux politiques, économiques et sociaux auxquels notre peuple est confronté dans la société. Et nous avons mis cela en place parce que nous comprenons que nous devons nous battre contre les maux d’une société qui a échoué à créer la fraternité pour chaque membre de cette société. Ceci ne veut en aucun cas dire que nous sommes anti-blancs, anti-bleus, anti-verts ou antijaunes. Nous sommes anti-Mal. Anti-Discrimination. Anti-Ségrégation. Nous sommes contre quiconque désirant appliquer quelque forme de ségrégation, ou de discrimination contre nous, parce que nous n’avons pas la chance d’être d’une couleur acceptable à vos yeux… (Applaudissements)

Nous ne jugeons pas un homme à cause de la couleur de sa peau. Nous ne vous jugeons pas parce que vous êtes Blancs ; nous ne vous jugeons pas parce que vous êtes Noirs ; nous ne vous jugeons pas parce que vous êtes foncés de peau. Nous vous jugeons à cause de ce que vous faites et de ce que vous appliquez. Et aussi longtemps que vous appliquerez le mal, nous serons contre vous. Et pour nous la plus… la pire forme de mal, c’est le mal fondé sur la condamnation d’un homme à cause de la couleur de sa peau. Et je ne pense pas que quelqu’un ici puisse nier que nous vivons dans une société qui ne juge pas un homme uniquement en fonction de ses talents, de son savoir-faire, de sa possibilité… de son milieu, ou de son manque de diplôme. Cette société juge un homme seulement sur la couleur de sa peau. Si vous êtes blancs, vous pouvez avancer, et si vous êtes noir, vous devez vous battre à chaque pas, sans toute fois pouvoir avancer. (Applaudissements)

Nous vivons dans une société entièrement contrôlée par des gens qui croient en la ségrégation. Nous vivons dans une société entièrement contrôlée par des gens qui croient au racisme, et qui pratiquent la ségrégation, la discrimination et le racisme. Nous croyons en une… et je dis qu’elle est contrôlée non pas par des blancs bien intentionnés, mais contrôlée par les ségrégationnistes, les racistes. Et vous pouvez voir par le schéma que cette société suit partout dans le monde. A l’heure actuelle en Asie, l’armée américaine lance ses bombes sur des gens à peau sombre. Vous ne pouvez pas dire que… c’est comme si vous pouviez justifier le fait d’être si loin de chez soi et de lancer des bombes sur quelqu’un d’autre. Si vous habitiez tout près, j’en suis certain, mais vous ne pouvez pas partir si loin de ce pays, lancer des bombes sur quelqu’un d’autre, et justifier votre présence là-bas, pas avec moi. (Applaudissements)

C’est du racisme. Le racisme tel que l’Amérique le pratique. Du racisme qui entraîne une guerre contre le peuple à peau foncée d’Asie, un e autre forme de racisme réside dans le fait d’engager une guerre contre le peuple à peau foncée du Congo… tout comme il entraîne une guerre contre le peuple à peau foncée du Mississipi, de l’Alabama, de Georgie et de Rochester, État de New York. (Applaudissements)

Nous ne sommes pas contre les gens parce qu’ils sont blancs. Mais nous sommes contre ceux qui pratiquent le racisme. Nous sommes contre ceux qui lancent des bombe sur des gens parce que leur couleur a la malchance d’être d’une teinte différente de la vôtre. Et parce que nous sommes contre ça, la presse dit que nous sommes violents. Nous ne sommes pas pour la violence. Nous sommes pour la paix. Mais les gens contre lesquels nous nous battons sont pour la violence. Vous ne pouvez pas être pacifiques quand vous avez à faire à eux. (Applaudissements)

Ils nous accusent de ce dont ils sont coupables. C’est toujours ce que fait un criminel. Es vous lancent des bombes, puis vous accusent de vous les lancer vous-mêmes. Ils vous fracassent le crâne, puis vous accusent de vous frapper. C’est ce que les racistes ont toujours fait… le criminel, celui qui développe en une science son processus criminel. Ils appliquent l’action criminelle.
Puis, ils utilisent la presse pour faire de vous une victime… voyez comme la victime est le criminel et le criminel la victime. C’est ainsi qu’ils procèdent. (Applaudissements) (…)

Donc, ils n’aiment rien faire sans le soutien du public blanc. Les racistes qui ont habituellement beaucoup d’influence dans la société, ne font pas un geste sans l’opinion publique à leurs côtés. Alors, ils utilisent la presse pour mettre l’opinion publique de leur côté. Lorsqu’ils veulent supprimer ou opprimer la communauté noire, que font-ils ? Ils prennent les statistiques et, par le biais de la presse les communiquent au public. Es font apparaître que la criminalité est plus élevée dans la communauté noire qu’ailleurs.

Quel effet cela produit-il ? (Applaudissements). Ce message… c’est un message très astucieux utilisé par les racistes pour faire croire aux Blancs qu’ils ne sont pas racistes, que le taux de criminalité dans la communauté noire est très élevé. Cela maintient l’image de criminel de la communauté noire. Et dès que cette impression est donnée, alors on rend possible ou on trace la voie de l’instauration d’un État policier dans la communauté noire, tout en obtenant l’approbation complète du public blanc quand la police y entre et utilise toutes sortes de mesures brutales pour supprimer les Noirs, leur fracasse le crâne, leur lance des chiens, ou des choses de ce genre. Et les Blancs les suivent, parce qu’ils croient que tous là-bas sont des criminels. C’est ce que… la presse fait cela. (Applaudissements)

C’est de l’habileté. Et cette habileté s’appelle… cette science s’appelle : « faire de l’image ». Ils vous tiennent en échec par le biais de cette science de l’imagerie. Ils vous conduisent même au mépris de vous-mêmes en vous donnant une mauvaise image de vous. Certains d’entre nous ont ingurgité cette image, et l’ont digérée… jusqu’à ce que d’eux-mêmes, ils ne veuillent plus vivre dans la communauté noire. Ils ne veuillent plus approcher les Noirs eux-mêmes. (Applaudissements)
C’est une science qu’ils utilisent avec beaucoup d’habileté pour faire du criminel la victime et de la victime, le criminel. Par exemple : pendant les émeutes de Harlem j’étais en Afrique, heureusement ! (rires). Pendant ces émeutes, ou à cause de ces émeutes ou bien après ces émeutes, la presse, à nouveau, a dépeint les émeutiers avec une grande habileté, comme étant des truands, des criminels, des voleurs, parce qu’ils s’étaient approprié des biens.

Maintenant, figurez-vous, il est vrai que des biens ont été détruits. Mais considérons cela sous un autre angle. Dans ces communautés noires, l’économie de la communauté n’est pas entre les mains de l’homme Noir. L’homme Noir n’est pas son propre propriétaire. Les bâtiments dans lesquels il vit appartiennent à d’autres. Les magasins de la communauté sont tenus par d’autres. Tout, dans la communauté est hors de son contrôle. Il n’a rien à dire en la matière, il ne peut rien faire si ce n’est y vivre et payer le loyer le plus élevé en échange de l’habitation la plus médiocre, (applaudissements) payer les prix les plus élevés pour se nourrir, pour la plus mauvaise nourriture. Il est victime de cela, victime de l’exploitation économique, de l’exploitation politique et de tout autre type.
Aujourd’hui, il est si frustré, tellement sous la pression de cette énergie explosive qui l’habite, qu’il voudrait attraper celui qui l’exploite. Mais celui qui l’exploite n’habite pas dans son voisinage. Il est seulement le propriétaire de sa maison. Il est seulement le propriétaire de son magasin. Il est seulement le propriétaire du voisinage. Si bien que lorsque l’homme Noir explose, celui qu’il voudrait attraper n’est pas là. Alors, il détruit ses biens. Ce n’est pas un voleur. Il n’essaie pas de voler vos meubles ou votre nourriture de médiocre qualité. Il veut vous attraper, mais vous n’êtes pas là. (Applaudissements)
Au lieu que les sociologues n’analysent le vrai problème, tel qu’il est, n’essaient de le comprendre, tel qu’il est, ils utilisent la presse pour faire croire que ces gens sont des voleurs, des truands. Non ! ce sont des victimes du vol organisé, des propriétaires organisés qui ne sont rien d’autre, que des voleurs, des marchands qui ne sont rien d’autre que des voleurs, des politiciens qui siègent au gouvernement et qui ne sont rien d’autre que des voleurs complices des propriétaires et des marchands. (Applaudissements)

Mais, une fois de plus, la presse est habituée à faire de la victime le criminel et du criminel la victime… c’est de l’imagerie. Et tout comme cette imagerie est employée à l’échelon local, vous pourrez la comprendre mieux grâce à cet exemple pris au plan international : le meilleur exemple, et le plus récent témoignant de mes paroles se trouve dans la situation du Congo. Écoutez ce qui s’est passé : nous nous sommes trouvés dans une situation où des avions lançaient des bombes sur des villages africains. Un village africain n’a aucune défense contre les bombes ; un village africain ne constitue pas une menace suffisante pour être bombardé ! Les avions lançaient pourtant des bombes sur les villages africains. Et lorsque les bombes frappent, elles ne font pas la distinction entre les amis et les ennemis, elles ne font pas la différence entre les hommes et les femmes. Lorsque les bombes sont lancées sur les villages africains du Congo, elles sont lancées sur des femmes noires, sur des enfants noirs, sur des bébés noirs. Les êtres humains se retrouvent déchiquetés… Je n’ai entendu aucun cri de protestation, aucune compassion à l’égard de ces milliers de Noirs abattus par les avions. (Applaudissements)

Et pourquoi n’y eut-il pas de cris de protestation ? Pourquoi ne nous sommes nous pas sentis concernés ? Parce que une fois de plus, très habilement, la presse fait des victimes les criminels et des criminels, les victimes. (Applaudissements)

(…) Mais c’est une chose que vous devez considérer et à laquelle vous devez répondre. Parce qu’il y a des avions américains, des bombes américaines, des parachutistes américains armés de mitrailleuses. Mais vous savez, ils disent que ce ne sont pas des soldats, qu’ils sont simplement là-bas en services d’escorte, qu’ils ont commencé comme conseillers au Sud Vietnam. Vingt mille hommes uniquement conseillers et uniquement en « service d’escorte ». Ils sont capables de commettre ces tueries, et de s’en tirer à bon compte en les qualifiant d’ « humanitaires », d’actions humanitaires. Ou d’agir au nom de l’ « indépendance », de la « liberté ». Toutes sortes de slogans retentissants, mais c’est un crime de sang-froid, une tuerie. Et c’est fait si habilement, que vous et moi nous qualifions d’êtres subtils, en ce vingtième siècle, sommes capables d’en être les spectateurs et de l’approuver. Simplement parce que tout cela est perpétré contre des hommes à peau noire, par des hommes à peau blanche.

(…) Bien que je vous cite cet exemple, vous pourriez me dire : « Qu’est-ce que cela a-t-il à voir avec l’homme noir, en Amérique ? et qu’est-ce que cela a-t-il à voir avec les relations entre Noirs et Blancs, ici à Rochester ? »
Vous devez comprendre une chose. Jusqu’à 1959, l’image du continent africain fut créée par des ennemis de l’Afrique. L’Afrique était dominée par des puissances extérieures dominée par les européens. Et comme ces européens dominaient le continent africain, ils créèrent eux-mêmes l’image de l’Afrique qui fut projetée à l’étranger. Et ils projetèrent une image négative de l’Afrique et du peuple africain. Une image détestable. Ils nous ont fait croire que l’Afrique était un pays de jungles, d’animaux, un pays de cannibales et de sauvages. C’était une image détestable.
Et parce qu’ils réussissaient si bien à projeter cette image négative de l’Afrique, nous qui, ici à l’ouest, étions d’ancêtres africains, les Afro-américains, nous avons considéré l’Afrique, comme un lieu détestable. Nous avons considéré l’africain comme une personne détestable. Et, se référer à nous comme à des africains, c’était nous prendre pour des serviteurs, des enfants, ou parler de nous d’une façon dont nous ne voulions pas que vous parliez de nous.

Pourquoi ? Parce que ceux qui oppriment savent que l’on ne peut faire haïr les racines, sans faire haïr l’arbre. Vous ne pouvez pas haïr les vôtres, sans finir par vous haïr vous-mêmes. Et puisque nous avons tous des origines africaines, on ne peut nous faire haïr l’Afrique, sans nous faire nous haïr nous-mêmes. Et ils l’ont fait, très habilement.

Quel en a été le résultat ? Ils se sont retrouvés avec vingt-deux millions de Noirs, ici, en Amérique qui haïssaient tout ce qu’il y avait d’africain en eux. Nous haïssions les caractéristiques africaines, les caractéristiques africaines. Nous haïssions nos cheveux, nous haïssions notre nez, la forme de notre nez et celle de nos lèvres, la couleur de notre peau. Oui, nous les haïssions. Et c’est vous qui nous avez appris à nous haïr nous-mêmes simplement en usant de votre stratégie astucieuse pour nous faire haïr la terre de nos ancêtres et le peuple de ce continent…

Aussi longtemps que nous avons haï ce à quoi nous pensions qu’ils ressemblaient, nous avons haï ce à quoi nous ressemblions. Et vous dites que j’enseigne la haine ! Pourquoi ? C’est vous qui nous avez enseigné la haine de nous-mêmes. Vous avez enseigné au monde la haine de tout une race, et vous avez maintenant l’audace de nous blâmer parce que nous vous haïssons, simplement parce que nous refusons la corde que vous nous avez mise au cou. (Applaudissements)

Lorsque vous enseignez à un homme la haine de ses lèvres, des lèvres que Dieu lui a donné, de la forme de ce nez que Dieu lui a donné, de la nature de ces cheveux que Dieu lui a donnés, de la couleur de cette peau que Dieu lui a donnée, vous commettez le crime le plus hideux qu’une race puisse commettre. Et c’est le crime que vous avez commis.
Notre couleur est devenue une chaîne. Une chaîne psychologique. Notre sang… le sang africain… est devenu une chaîne psychologique, une prison parce que nous avions honte. Nous croyons… ils vous le lanceraient à la figure, et vous diraient que non. Mais si, ils en avaient honte ! Nous nous sommes sentis piégés parce que notre peau était noire. Nous nous sommes sentis piégés parce que nous avions du sang africain dans nos veines.

Voici comment vous nous avez emprisonnés. Non pas uniquement en nous émanant ici et en faisant de nous des esclaves. Mais l’image que vous avez créée de notre terre et l’image que vous avez créée de notre peuple sur ce continent était un piège, une prison, une chaîne, c’était la pire forme d’esclavage jamais inventée par une race soi-disant civilisée et une nation civilisée, depuis le commencement du monde.

Vous en voyez encore le résultat dans notre peuple, dans ce pays, aujourd’hui. Parce que nous haïssions notre sang africain, nous ne nous sentions pas à la hauteur, nous nous sentions inférieurs, impuissants et notre sentiment d’impuissance ne nous a pas été favorable. Nous nous sommes tournés vers vous pour vous demander de l’aide et vous avez refusé de nous aider. Nous ne nous sentions pas à la hauteur. Nous nous sommes tournés vers vous pour vous demander conseil et vous nous avez donné le mauvais conseil. Nous nous sommes tournés vers vous pour vous demander notre chemin et vous nous avez laissé tourner en rond.

Mais un changement est apparu. En nous. Et de quoi provient-il ? En 1985, en Indonésie, à Bandung, un rassemblement d’hommes de peau foncée fut organisé. Ces hommes d’Afrique et d’Asie sont venus ensemble pour la première fois depuis des siècles. Ils n’avaient pas d’armes nucléaire, pas d’aviation, pas de flotte. Ils ont discuté de leur situation et ont découvert une chose que nous tous en commun… l’oppression, l’exploitation, la souffrance. Et nous avions en commun un oppresseur, un exploiteur.
Si un frère venait du Kenya, il appelait son oppresseur, anglais. Si un autre frère venait du Congo, il appelait son oppresseur, belge. Si un autre venait de Guinée, il appelait son oppresseur, français. Mais, quand vous placiez les oppresseurs ensemble, ils avaient tous une chose en commun, ils venaient tous d’Europe. Et cet européen opprimait le peuple d’Afrique et d’Asie.

Et puisque nous pouvions voir que nous partagions l’oppression et l’exploitation en commun, le chagrin, la tristesse et la douleur, en commun, notre peuple a commencé à se rassembler et à décider, à la conférence de Bandung, qu’il était temps d’oublier nos différences. Nous avions des différences. Certains étaient bouddhistes, hindous, chrétiens ou musulmans, certains n’avaient pas de religion. D’autres étaient socialistes, capitalistes, communistes ou ne revendiquaient aucun système économique. Pourtant, malgré toutes ces différences, ils se mirent d’accord sur un point : l’esprit de Bandung était dès lors d’adoucir les ères de différence et d’accentuer les ères communes.
Et ce fut l’esprit de Bandung qui nourrit les flammes du nationalisme et de la liberté non seulement en Asie, mais particulièrement sur le continent africain. De 1955 à 1960, les flammes du nationalisme, de l’indépendance sur le continent africain devinrent si lumineuses et furieuses qu’elles pouvaient tout brûler et tout atteindre sur leur passage. Et ce même esprit ne resta pas en Afrique. Il se faufila subrepticement à l’ouest et pénétra l’âme et le cœur de l’homme Noir, sur le continent américain qui était séparé de l’Afrique depuis quatre cents ans.

Mais ce même désir de liberté qui avait bouleversé l’âme et le cœur de l’homme Noir sur le continent africain, commença à brûler dans l’âme et le cœur de l’homme Noir ici, en Amérique du sud, en Amérique centrale et en Amérique du nord, nous prouvant que nous n’étions pas séparés. Bien qu’il y ait un océan entre nous, nous étions toujours mus par le même battement de cœur.

L’esprit du nationalisme, sur le continent africain… il commença à retomber ; les puissances… les puissances coloniales ne pouvaient rester là. Les Britanniques eurent des problèmes au Kenya, au Nigeria, au Tanganyika, à Zanzibar et dans d’autres pays du Continent. Les Français eurent des problèmes dans toute l’Afrique du Nord équatoriale, y compris en Algérie, qui devient un point de tension extrême pour la France. Le Congo ne voulait plus tolérer la présence belge. Le continent africain tout entier devint explosif entre 1954 et 1955 et jusqu’en 1959. En 1959, ces puissances ne pouvaient plus rester.
Ce n’est pas qu’elles voulaient partir. Ce n’est pas que tout à coup elles devenaient généreuses. Ce n’est pas que tout à coup elles ne souhaitaient plus exploiter les ressources de l’homme noir. Mais, c’est cet esprit d’indépendance qui consumait l’âme et le cœur de l’homme noir.

Il ne s’autorisait plus à être colonisé, opprimé et exploité. Il ressentait cette volonté d’être maître de son existence et de prendre la vie de ceux qui essayaient de lui prendre la sienne. C’était cela, le nouvel esprit.
Ces puissances ne partirent pas, mais que firent-elles ? Lorsque quelqu’un joue au basket-ball, si… vous le regardez… les joueurs de l’équipe adverse le piègent et s’il ne veut pas se débarrasser de la balle, de la laisser entre les mains de l’autre équipe, il doit la passer à quelqu’un qui n’est pas dans une position dangereuse, qui est de la même équipe que lui. Et puisque la Belgique, la France, la Grande-Bretagne et les autres puissances coloniales étaient piégées… se trouvaient exposées en tant que puissances coloniales… elles devaient trouver quelqu’un qui n’étaient pas dans cette position dangereuse, et les seuls à ne pas être dans cette position à l’égard des Africains étaient les États-Unis. Donc, elles passèrent la balle aux États-Unis. Le gouvernement la ramassa et court comme un fou depuis. (Rires et applaudissements)
Dès qu’ils saisirent la balle, ils comprirent qu’ils étaient confrontés à un nouveau problème. Les Africains s’étaient réveillés, et n’avaient plus peur. Il était devenu impossible aux puissances européennes de rester sur le continent de force. Donc, notre ministère des Affaires Étrangères, tout en saisissant la balle, comprit dans sa nouvelle analyse, qu’il faudrait déployer une nouvelle stratégie, s’il fallait remplacer les puissances coloniales européennes.

Quelle fut sa stratégie ? L’approche amicale. Au lieu d’aller sur place, les dents serrées, il a commencé par sourire aux Africains : « Nous sommes vos amis » (…) C’était une approche pleine de bienveillance, philanthropique. Appelez cela du colonialisme bienveillant, de l’impérialisme philanthropique. De l’humanitarisme soutenu par le dollarisme. De la politique de pure forme (tokenism). C’est l’approche qu’il choisit. Il ne s’est pas rendu là-bas avec de bonnes intentions : comment peut-on partir d’ici et se rendre sur le continent africain avec le « peace Corps », les « Cross roads » et d’autres organisations, lorsque l’on pend des Noirs dans le Mississipi ? Comment peut-on faire cela ? (Applaudissements)

(…) On peut considérer la période allant de 1954 à 1964 comme celle de l’émergence de l’État africain. Comme l’État africain a commencé à se dessiner entre 1954 et 1964, quel impact, quel effet cela eut-il sur les Afro-américains ? sur les Noirs américains ? Comme l’homme Noir en Afrique devenait indépendant, cela le mettait dans la position d’être enfin l’artisan de sa propre image. Jusqu’en 1964, lorsque vous et moi pensions à un Africain, nous l’imaginions nu avec des tam-tams et un os dans le nez. Oh oui !

C’était la seule image d’un Africain qui nous venait à l’esprit. Et depuis 1959, lorsqu’ils ont commencé à rejoindre les Nations-Unies et que vous les voyiez à la télévision, vous étiez sous le choc. On vous présentait un Africain parlant un anglais meilleur que le vôtre. Doué d’un raisonnement plus pertinent que le vôtre. Plus libre que vous. Pourquoi ces pays où vous ne pouviez vous rendre ? (Applaudissements. Ces pays où vous ne pouviez pas vous rendre, tout ce qu’il avait à faire était d’enfiler son costume et de marcher juste devant vous. (Rires et applaudissements)

Il devait vous ébranler et ce n’est qu’à ce moment-là, que vous avez commencé à vous réveiller. (Rires)

Donc, les nations africaines ayant gagné leur indépendance, et l’image du continent africain commençant à charger, les choses s’harmonisèrent, l’image de l’Afrique passant du négatif au positif. Inconsciemment. En Occident l’homme Noir commençait à s’identifier à l’image positive qui apparaissait.

Et lorsqu’il vit que l’homme noir du continent africain prenait une assise, il se sentit empli du désir de prendre une assise aussi.
La même image, la même… aussi négative… on entendait parler d’air servile, d’esprit de compromis, de regard empli de crainte… de la même façon. Mais, lorsque nous avons commencé à en savoir plus sur Jomo Kenyatta, Mau-Mau et les autres, on a trouvé des Noirs dans ce pays qui commençaient à suivre la même ligne. Et qui s’en retrouvaient plus proches que certains ne voulaient l’admettre.

Lorsqu’ils virent… tandis qu’ils devaient changer leur approche du peuple du continent africain, ils ont aussi commencé à modifier leur approche des Noirs sur notre continent. Comme ils appliquaient une politique de pure forme (tokenism) et toute une série d’approches amicales, bienveillantes, et philanthropiques du continent africain, qui n’étaient que des efforts de pure forme, ils commencèrent à faire la même chose avec nous, ici, aux États-Unis.

La politique de pure forme (tokenism)… Ils proposèrent toutes sortes de mesures qui n’étaient pas réellement conçus pour résoudre les problèmes. Chacun de leur mouvement n’était qu’un mouvement de pure forme. Ils n’ont jamais entrepris aucune action réaliste, pour réellement résoudre le problème. Ils proposèrent une décision visant à désagréger la Cour Suprême, qu’ils n’ont jamais appliquée. Pas même à Rochester et encore moins dans le Mississipi. (Applaudissements)

Ils ont grugé les gens du Mississipi en essayant de leur faire croire qu’ils allaient imposer la déségrégation à l’université du Mississipi. Ils y firent venir un Nègre, escorté d’environ six mille à quinze mille soldats, si je me souviens bien. Et je crois bien que ça leur a coûté six millions de dollars. (Rires)

(…) Cette politique de pure forme, consistait en un programme conçu pour protéger les avantages d’à peine quelques Noirs, soigneusement sélectionnés. On leur attribuait une importante situation, ce qui leur permettait ensuite de proclamer haut et fort : « Regardez comme nous faisons des progrès ! » Ils devraient plutôt dire, regarde comme il fait des progrès. Car, pendant que ces Nègres choisis avec soin, vivaient comme des princes, parmi les Blancs, siégeaient à Washington D.C., les masses d’hommes et de femmes noirs de ce pays continuaient à vivre dans des bidonvilles et dans le ghetto. Les masses, (applaudissements) les masses d’hommes et de femmes noirs dans ce pays demeuraient sans emploi et les masses d’hommes et de femmes Noirs de ce pays continuaient à fréquenter les pires écoles et à recevoir le plus mauvais enseignement.
C’est à cette même époque qu’apparut le mouvement des Black Muslims. Et voici ce qu’il fit : jusqu’à l’apparition du mouvement des Black Muslims , le NAACP était considéré comme un mouvement radical. (Rires). Ils voulurent faire une enquête à son sujet. CORE et tous les autres étaient suspects… étaient l’objet de suspicions. On n’entendait plus parler de King. Lorsque les Black, Muslims sont arrivés avec leur discours, l’homme blanc s’est écrié : « Heureusement que le NAACP existe ! » (Rires et applaudissements).

Le mouvement des Black, Muslims avait rendu le NAACP acceptable aux yeux des blancs. Il avait rendu ses leaders acceptables. Alors, ils commencèrent à se référer à eux comme à des leaders Noirs responsables. (Rires) Ce qui signifiaient qu’ils étaient responsables aux yeux des Blancs (applaudissements). Je ne suis pas en train d’attaquer le NAACP. Je vous en parle (rires). Et ce qui le rend si ridicule, vous ne pouvez pas le nier. (Rires).
(…) Le mouvement en soi, attire les éléments de la communauté noire, les plus militants, les plus insatisfaits, les plus intransigeants. Il attira aussi les éléments le plus jeunes de la communauté noire. Le mouvement se développant, il attira les éléments militants, intransigeants et insatisfaits.

Le mouvement était censé être fondé sur la religion de l’islam et par conséquent être un mouvement religieux. Cependant, parce que le monde de l’islam et le monde des musulmans orthodoxes, n’auraient jamais reconnu l’appartenance véritable des Black Muslims à l’islam, il prit ceux d’entre nous qui étaient dans une sorte de vide religieux. Il nous mit dans la position de nous identifier nous-mêmes par le biais de la religion, tandis que le monde dans lequel cette religion était pratiquée, nous rejetait parce ,que nous n’étions pas des pratiquants véritables, des pratiquants de cette religion.

Le gouvernement essaya de nous étiqueter comme politiques, plus que comme religieux de telle sorte qu’il pouvait nous accuser de sédition et de subversion. C’était la seule raison. Mais, bien qu’il nous ait étiqueté comme politiques, parce qu’aucun engagement politique ne nous a autorisé, nous étions dans le vide politiquement. Nous étions dans un vide religieux. Nous étions dans un vide politique. Nous étions aliénés, en fait, coupés de tout type d’activités, même avec le monde contre lequel nous nous battions.

(…) Nous pouvions alors comprendre qu’il nous fallait agir, et ceux qui, parmi nous, étaient activistes commencèrent à se sentir insatisfaits, désillusionnés. La dissension s’installa en définitive, et nous nous séparâmes. Ceux qui rompirent étaient les vrais activistes du mouvement. Ils étaient suffisamment intelligents pour vouloir un programme qui nous permettrait de nous battre pour les droits de tous les Noirs, ici, à l’Ouest.
Cependant, nous voulions aussi notre religion. Si bien que lorsque nous avons quitté le mouvement, la première chose que nous fîmes, fut de nous regrouper au sein d’une nouvelle organisation : « la Mosquée musulmane », dont le siège se trouve à New York. Dans cette organisation, nous avons adopté la religion musulmane, réelle et orthodoxe, qui est une religion de l’islam, une religion de fraternité. Tandis que nous acceptions cette religion et mettions en place cette organisation qui nous permettait de pratiquer cette religion… immédiatement, cette « Mosquée musulmane » particulière était reconnue et acceptée par les officiels religieux du monde musulman.

Nous avons compris en même temps que nous avions un problème dans cette société qui dépassait la religion. Et c’est pour cette raison que nous avons fondé l’Organisation de l’Unité Afroaméricaine, à laquelle tous pouvaient se joindre dans la communauté, grâce à un programme d’action visant à la reconnaissance et au respect des Noirs, en tant qu’être humains.

La parole d’ordre de l’Organisation de l’Unité Afroaméricaine est « Par tous les moyens nécessaires ». Nous ne croyons pas en une lutte menant à… dont les règles sont fixées par ceux qui nous suppriment. Nous ne croyons pas en une lutte dont les règles sont fixées par ceux qui nous exploitent. Nous ne croyons pas pouvoir continuer la bataille en essayant de gagner l’affection de ceux qui nous oppriment et nous exploitent depuis si longtemps.
Nous croyons en la légitimité de notre combat. Nous croyons en la légitimité de nos revendications. Nous croyons que les pratiques mauvaises à l’encontre des Noirs dans cette société sont criminelles et que ceux qui engagent de telles pratiques criminelles ne sont rien d’autre que des criminels. Et nous estimons être en droit de nous battre contre ce criminels, par tous les moyens nécessaires.
Ceci ne veut pas dire que nous sommes pour la violence. Mais nous… nous avons vu l’incapacité du gouvernement fédéral, son manque d’absolu de disposition à protéger les vies et les biens des Noirs. Nous avons vu où les Blancs racistes et organisés, les membres du Klu-Klux-Klan, ceux du Citizen’s Council et les autres peuvent aller dans la communauté noire, pour prendre un homme noir et le faire disparaître, sans que rien ne soit fait. Nous avons vu qu’ils peuvent y entrer. (Applaudissements).

Nous avons à nouveau analysé notre condition. Si nous remontons à 1939, les Noirs, en Amérique, étaient cireurs de chaussures. Les plus éduqués ciraient les chaussures dans le Michigan, à Lansing, la capitale, d’où je viens. Les meilleurs emplois que l’on pouvait trouver, étaient de porter les plateaux et les plats destinés à nourrir les blancs du Country club. Le serveur était toujours considéré comme ayant la plus enviable position, parce qu’il occupait un bon emploi, au milieu des « bons » blancs, vous voyez ! (Rires).

(…) Ça, c’était la condition du Noir jusqu’en 1939… jusqu’à ce que la guerre commence, nous étions confinés dans ce rôle domestique. Lorsque la guerre a éclaté, ils ne voulaient même pas que nous nous enrôlions dans l’armée. Un Noir n’avait pas le droit de s’engager sous les drapeaux. Le pouvait-il ou pas ? Non ! vous ne pouviez pas vous engager dans la marine. Vous vous souvenez ? Ils n’en prenaient pas un seul. C’était en 1939, aux États-Unis d’Amérique !

Ils nous ont appris à chanter : « Sweet land of liberty » et tout le reste. Mais non ! vous ne pouviez pas vous engager. Vous ne pouviez pas incorporer la marine non plus, ils ne voulaient pas que vous vous engagiez. Ils ne prenaient que des blancs. ils n’avaient pas le droit de nous incorporer, jusqu’à ce que les leaders noirs clament haut et fort. (Rires). Qu’ils disent : « Si les blancs doivent mourir, alors nous devons mourir aussi ». (Rires et applaudissements).

Les leaders noirs envoyèrent un bon nombre de noirs se faire tuer, pendant la Seconde Guerre mondiale. Si bien que lorsque l’Amérique entra dans la guerre, elle manqua très vite d’hommes. Jusqu’à la guerre, vous ne pouviez pas entrer dans une usine. J’habitais à Lansing où se trouvaient les usines Oldsmobile et Reo. Il y en avait environ trois dans toute l’usine, et chacun tenait son balai. Ils avaient fait des études. Us étaient allés à l’école. Je crois même que l’un d’entre eux était allé au collège. Il était diplômé de « balaillogie ». (Rires).

Lorsque la vie est devenue difficile, et que l’on a manqué d’hommes, alors, ils nous ont laissé entrer à l’usine. Sans que nous ayons fait le moindre effort. Sans aucun réveil moral soudain. Ils avaient besoin de nous. Ils avaient besoin de main-d’œuvre, de toutes sortes d’ouvriers. Et lorsque la situation devint désespérée et que le besoin se fit sentir, ils ouvrirent tout grand les portes de l’usine et nous firent entrer.

Alors, nous avons appris à faire fonctionner les machines, lorsqu’ils avaient besoin de nous. Ils firent entrer nos femmes ainsi que nos hommes. Comme nous commencions à faire marcher les machines, nous avons commencé à gagner plus d’argent. Comme nous gagnions plus d’argent, nous pouvions vivre dans un meilleur quartier. Comme nous avions changé de quartier, nous allions dans une école un peu meilleure. Comme nous étions dans une école un peu meilleure, nous voulions recevoir un enseignement un peu meilleur, et nous nous trouvions dans de meilleures dispositions pour trouver un emploi un peu meilleur.

Ceci ne provenait pas d’un changement d’inclination de leur part. Ceci ne correspondait à un réveil soudain de leur conscience morale. C’était Hitler. C’était Tojo. C’était Staline. Oui, c’était la pression de l’extérieur, mondiale, qui nous donnait cette possibilité de faire quelques pas en avant.

Pourquoi ne nous autorisèrent-ils pas à nous engager dans l’armée, dès le début ? Ils nous avaient si mal traités, ils avaient peur qu’en nous plaçant dans l’armée, en nous donnant un fusil et en nous montrant comment l’utiliser (rires)… ils avaient peur de ne pas avoir à nous dire sur quoi tirer ! (Rires et applaudissements).

Ils n’auraient probablement pas eu à le faire. C’était leur conscience. Je fais remarquer cela pour insister sur le fait que ce n’est pas un changement d’inclination de la part d’Oncle Sam qui permit à certains d’entre nous de faire quelques pas en avant. C’était la pression mondiale. C’était la menace qui provenait de l’extérieure, le danger venant de l’extérieur qui provoqua… qui occupa son esprit et qui l’obligea à nous autoriser, à vous et à moi, de nous lever un peu plus. Ce n’est pas parce qu’il voulait que nous levions. Ce n’est pas parce que qu’il voulait que nous avancions. Mais parce qu’il était forcé de le faire.
Une fois que vous analysez correctement ces éléments qui ont ouvert les portes, même si elles le furent de force, quand vous considérez leur nature, vous comprendrez mieux votre situation, aujourd’hui. Et vous comprendrez mieux la stratégie que vous devez suivre aujourd’hui. tout mouvement vers la liberté du peuple Noir, s’il est limité à la seule Amérique, est voué à l’échec. (Applaudissements).
Aussi longtemps que votre problème ne sera de portée américaine, vos seuls alliés seront les Américains. Aussi longtemps qu’il paraîtra sous la dénomination de droits civiques, il demeurera un problème intérieur dépendant de la juridiction du gouvernement des États-Unis. Le gouvernement des États-Unis est constitué de ségrégationnistes et de racistes. Les hommes les plus puissants du gouvernement sont-ils racistes. (…).
Maintenant, qu’allons-nous faire ? Comment allons-nous trouver justice avec un Congrès qu’ils contrôlent, un sénat qu’ils contrôlent, une Maison Blanche qu’ils contrôlent une Cour Suprême qu’ils contrôlent ?

Regardez cette décision déplorable rendue par la Cour Suprême. Mes frères, regardez donc ! Ne savez-vous pas que ces messieurs de la Cour Suprême sont passés maîtres dans l’art du juridique… pas uniquement du droit, mais de la phraséologie juridique. Ils sont devenus si bons maîtres en l’art du langage juridique, qu’ils ont pu sans difficulté rendre un décret sur la déségrégation scolaire, et en termes si bien choisis que personne n’aurait pu le contourner. Ils ont proposé cette chose tournée de si belle manière, que dix années plus tard, on y trouve toutes sortes de vides. Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient. Il feignent de vous donner quelque chose, tout en sachant à chaque fois que vous ne pourrez jamais l’utiliser.

L’année dernière, ils ont déposé un projet de loi sur les Droits Civiques à grand renfort de publicité, un peu partout dans le monde, comme si cela devait nous conduire à la Terre Promise de l’intégration. Oh oui ! La semaine dernière, le Bon Révérend Martin Luther King est sorti de prison et s’est rendu à Washington D.C., disant qu’il demanderait chaque jour une nouvelle loi sur la protection du droit de vote des Noirs en Alabama. Pourquoi ? Vous venez à peine d’obtenir une loi. Vous venez à peine d’obtenir le projet de loi sur les Droits Civiques. Vous voulez dire que cette loi dont les mérites furent si longtemps vantés, ne donne même pas suffisamment de pouvoir au gouvernement fédéral pour protéger les Noirs d’Alabama qui n’ont qu’un seul désir, celui de s’inscrire sur les listes électorales ? Pourquoi cette autre ruse infecte, parce qu’ils… nous ont eu par la ruse, année après année. une autre ruse infecte. (Applaudissements).

Donc, depuis nous voyons… je ne veux pas que vous pensiez que je professe la haine. J’aime tous ceux qui m’aiment. (Rires). Mais je peux vous assurer que je n’aime pas ceux qui ne m’aiment pas. (Rires).

Donc, depuis que nous avons compris ce subterfuge, cette supercherie, cette manipulation… non seulement au niveau fédéral, mais national, local, à tous les niveaux. La jeune génération de Noirs qui arrive peut voir qu’aussi longtemps que nous attendrons le Congrès, le Sénat, la Cour Suprême ou le Président pour résoudre nos problèmes, nous serons relégués à être serviteurs pendant encore mille ans. Or, ces temps sont révolus.

Depuis la proposition du projet de loi sur les Droits Civiques… j’ai vu des diplomates africains aux Nations-Unies exprimer haut et fort leur indignation contre l’injustice perpétrée contre les Noirs au Mozambique, en Angola, au Congo et en Afrique du Sud et je me suis demandé comment et pourquoi ils pouvaient rentrer à leur hôtel, allumer la télévision et voir des chiens mordre des Noirs, juste au coin de la rue, des policiers saccager des magasins de Noirs à coups de matraques, juste au coin de la rue, et diriger vers les Noirs leurs lances à eau de pression si forte que leurs vêtements s’en trouvaient mis en pièces, juste au bas de la rue. Je me demandais comment ils pouvaient dire tout ce qu’ils disaient sur ce qui se passait en Angola, au Mozambique et ailleurs, voir ce qui se passait juste au coin de la rue, et montrer à la tribune des Nations-Unies sans rien permettrait un règlement de la situation, avant qu’elle ne devienne en dire explosive et incontrôlable. Je vous remercie. (Applaudissement).
Je suis donc allé en discuter avec certains d’entre eux. Ils m’ont alors dit qu’aussi longtemps que le Noir d’Amérique appellerait sa lutte, une lutte pour les Droits Civiques… que dans le contexte des Droits Civiques, cela resterait intérieur et demeurerait partie intégrante de la juridiction des États-Unis. Et que, si quiconque se permettait d’émettre le moindre commentaire à ce sujet, il serait considéré comme une violation des lois et des règles du protocole. La différence avec les autres est qu’ils ne considèrent pas leurs revendication comme des revendications concernant les Droits Civiques, mais les Droits de l’Homme. Les Droits Civiques appartiennent à la juridiction de leur pays, tandis que les Droits de l’Homme font partie de la Charte des Nations Unies.

Toutes les nations qui ont signé la Charte des Nation-Unies, ont voté la Déclaration des Droits de l’Homme et quiconque considère ses revendications comme étant une violation des Droits de l’Homme, peut les porter devant les Nations-Unies et les faire ainsi porter à la connaissance du Monde. Car, aussi longtemps que vous les considérez comme Droits Civiques, vos seuls alliés seront les membres de la communauté avoisinante, dont la plupart sont responsables de l’injustice causée. Mais dès lors que vous les considérerez comme Droits de l’Homme, leur portée deviendra internationale et vous pourrez les porter devant la Cour Mondiale. Vous pourrez les porter à la connaissance du Monde. Et chacun, partout sur cette terre, pourra devenir votre allié.

L’une des premières dispositions que nous ayons prise, pour ceux d’entre nous qui ont rejoint l’Organisation de l’Unité Afro-américaine, était de présenter un programme qui donnerait à nos revendications une portée internationale et qui montrerait au monde que notre problème n’est plus un problème Noir, ou un problème américain, mais un problème humain. Un problème qui concerne l’humanité. Et un problème qui devrait concerner tous les aspects de l’humanité. Un problème si complexe pour l’Oncle Sam, qu’il lui fut impossible de le résoudre. En conséquence, nous aimerions créer un corps et entrer en consultation avec ceux dont la position nous aiderait à trouver une forme d’ajustement qui permettrait un règlement de la situation, avant qu’elle ne devienne explosive et incontrôlable. Je vous remercie. » (Applaudissement).

(Traduit par Pascal About)
Naya - 16 février 2015

SOURCE : Multitudes

Pour y voir plus clair dans les salles obscures

 

03/04/2016

Simone WEIL, un repère plus qu'une simple histoire

Simone Weil, un engagement absolu

La pensée et la trajectoire fulgurante de Simone Weil (1909-1943) demeurent largement méconnues au-delà d’un cercle de spécialistes. Figure majeure de la philosophie du XXe siècle, dont Albert Camus édita une grande partie de l’œuvre après sa mort, elle fut également une femme de combat. Impliquée dans les luttes et les débats de son temps, elle a marqué de son empreinte la culture politique de la gauche.

simone weil

Le fordisme à travers un extrait du film de Charlie Chaplin
(Les Temps modernes – 1936) et un extrait du livre de Simone Weil (La Condition ouvrière, 1951)

En 1931, Simone Weil, 22 ans, tout juste reçue à l’agrégation de philosophie, s’installe au Puy-en-Velay, une commune du bassin minier de la Haute-Loire, pour y enseigner dans un lycée de jeunes filles. Le directeur de l’Ecole normale supérieure (ENS), Célestin Bouglé, ne peut que s’en réjouir. Celle en qui il voyait un « mélange d’anarchiste et de calotine » — une sorte de fanatique — l’excédait par son esprit de contestation et son militantisme ; il avait souhaité la voir nommée « le plus loin possible de façon à ne plus entendre parler d’elle » (1).

L’arrivée de Simone Weil au Puy représente une étape importante dans le parcours de la philosophe, tout entier frappé du sceau de l’engagement sous la bannière de la solidarité avec les déshérités : « Depuis l’enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale », confie-t-elle dans une lettre de 1938 à Georges Bernanos.

Au lycée Henri-IV, le philosophe Emile Chartier, dit Alain, humaniste et fervent pacifiste, lui avait enseigné que la réflexion et l’action sont inséparables et que le savoir ne devient authentique que dans l’expérience. Elle mettra la leçon en pratique… L’époque est aux bruits de bottes, avec la montée des fascismes en Europe. Bientôt éclate la crise de 1929, qui fait s’abattre le spectre du chômage de masse. La vie politique du pays est alors dominée par le Parti radical (centre gauche) et marquée par l’instabilité parlementaire. Socialistes et communistes rivalisent pour rallier à eux la classe ouvrière.

Dès 1927, Simone Weil intègre un collectif pacifiste auquel elle participe activement. L’année suivante, elle signe une pétition contre la préparation militaire obligatoire imposée aux normaliens et lance des appels aux dons pour les chômeurs auprès de ses camarades. En marge de ses études à l’ENS, elle dispense des cours de littérature aux cheminots, dans l’esprit des universités populaires. Ainsi, elle entend se démarquer des « formes d’enseignement bourgeois » au profit d’une « entreprise d’instruction mutuelle »,« l’instructeur a peut-être à apprendre de celui qu’il instruit ». Ces propos entrent en résonance avec la conclusion de son mémoire sur René Descartes : « Les travailleurs savent tout ; mais hors du travail, ils ne savent pas qu’ils ont possédé toute la sagesse. »

Une fois au Puy, la jeune philosophe, qui place son espoir « dans l’action des syndicats et non dans celle des partis politiques », entre de plain-pied dans le monde ouvrier de la Haute-Loire et de la Loire (2). Elle intègre les milieux militants, prend sa carte au Syndicat national des instituteurs (Confédération générale du travail, CGT), mais aussi à la Fédération unitaire de l’enseignement (syndicaliste-révolutionnaire), et donne des cours sur le marxisme et l’économie politique aux « gueules noires » à la Bourse du travail de Saint-Etienne. Elle contribue au développement des collèges du travail, instituts d’enseignement général et professionnel créés en 1928 par la CGT dans la cité stéphanoise, en vue d’abolir ce qu’elle qualifie elle-même de « honteuse séparation entre le travail intellectuel et le travail manuel ».

Elle s’implique également aux côtés des chômeurs du Puy. Dans un communiqué qu’elle rédige pour leur comité, elle avertit : « Si l’on oblige les chômeurs à reconnaître qu’ils ne peuvent obtenir quelque chose que dans la mesure où ils font trembler, ils se le tiendront pour dit. » La presse locale la traite de « messagère de l’évangile moscoutaire » et de « vierge rouge de la tribu de Lévi ». Elle est réprimandée par sa hiérarchie, interrogée par la police. Elle vit chichement, reversant la quasi-totalité de son salaire aux familles frappées par le chômage et à la caisse de solidarité des mineurs.

Son séjour en Allemagne, à l’été 1932, la convainc qu’une révolution populaire n’y est pas à l’ordre du jour. Constatant le jeu trouble des sociaux-démocrates, alors au pouvoir, et l’« attitude passive » des communistes, elle considère que « les ouvriers allemands ne sont nullement disposés à capituler, mais sont incapables de lutter ». Forte de ses échanges avec Boris Souvarine, l’un des fondateurs du Parti communiste français, exclu en 1924 pour trotskisme, elle étrille aussi l’URSS, un système qui, sur bien des points, « est très exactement le contre-pied » du régime « que croyait instaurer Lénine ».

En 1934, elle décide de se « retirer de toute espèce de politique, sauf pour la recherche théorique ». Les grèves du printemps 1936, qu’elle soutient, ne la feront pas changer d’avis. Car elle a, dès cette époque, fait sienne la conception machiavélienne selon laquelle le conflit social entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent est inhérent à tout corps politique et sans résolution définitive possible (3) : « Les luttes entre concitoyens (…) tiennent à la nature des choses, et ne peuvent pas être apaisées, mais seulement étouffées par la contrainte. » Quand elle entreprend la rédaction de ce qu’elle appelle son « grand œuvre », les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, elle dénonce le « caractère mythologique » accordé aux vertus du progrès, à la puissance libératrice de la machine et aux forces productives, dont le pouvoir révolutionnaire serait une « pure fiction ». Les racines de l’oppression sociale, au lieu d’être intrinsèquement liées au mode de production capitaliste, fondé sur l’exploitation ouvrière, tiendraient à la nature même de la « grande industrie », dont le caractère oppressif ne dépend pas d’un régime politique spécifique, puisqu’il se retrouve aussi dans le système socialiste : « La force que possède la bourgeoisie pour exploiter les ouvriers réside dans les fondements mêmes de notre vie sociale, et ne peut être anéantie par aucune transformation politique et juridique. Cette force, c’est d’abord et essentiellement le régime même de la production moderne. » Il ne suffit donc pas d’abolir le système capitaliste — et l’exploitation — pour supprimer l’oppression ; celle-ci est engendrée par le progrès technique, qui « ravale l’humanité à être la chose de choses inertes », et par les rapports sociaux de « domination de l’homme par l’homme » qu’il induit. L’émancipation passerait par la réappropriation de l’appareil productif dans le cadre d’une société décentralisée s’appuyant sur la « coopération méthodique de tous » et délivrée de cette « idole sociale » que représente le « machinisme ».

Désireuse de ne plus être « un “professeur agrégé” en vadrouille dans la classe ouvrière », Simone Weil entend faire l’épreuve du réel qu’elle vient d’analyser. Elle demande un congé auprès de l’Education nationale et se fait embaucher en usine pour partager pleinement le sort des couches laborieuses. « L’homme est ainsi fait que celui qui écrase ne sent rien, que c’est celui qui est écrasé qui sent. Tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne peut pas s’en rendre compte », a-t-elle un jour expliqué à ses élèves. Entre décembre 1934 et août 1935, elle sera successivement découpeuse sur presses chez Alsthom, manœuvre chez J.-J. Carnaud et Forges, fraiseuse chez Renault. Dans son Journal d’usine, elle décrit les tâches et les cadences, le type de machines qu’elle utilise, l’organisation de la production, etc. La souffrance physique, l’épuisement, les vexations qu’elle subit et le sentiment d’être réduite à l’état de quasi-servitude la bouleversent. Cette expérience l’amène à conclure que « le fait capital n’est pas la souffrance, mais l’humiliation ».

Au cours de l’été 1935, en vacances au Portugal, elle assiste à une procession de femmes de pêcheurs. « Là, j’ai eu soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, que des esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi d’autres. » Marquée par la figure du Christ, elle se tournera vers le catholicisme en 1938, tout en restant une « chrétienne hors de l’Eglise ». C’est cette dimension mystique qui sera plus tard souvent soulignée, alors même que sa radicalité politique tendra à être minorée.

Les « esclaves », ce sont aussi les indigènes dans les colonies françaises, les peuples asservis par une puissance étrangère. La férocité de la répression du soulèvement nationaliste parti de Yen Bai, en Indochine, en février 1930, lui apparaît en lisant la presse. Elle signe plusieurs articles sur la question indochinoise et la situation en Algérie, rencontre le dirigeant nationaliste Messali Hadj, dont elle prend la défense après sa condamnation à deux ans de prison, et se dit opposée à la création d’un Etat juif en Palestine : il ne faut pas, estime-t-elle, « donner le jour à une nation qui, dans cinquante ans, pourra devenir une menace pour le Proche-Orient et pour le monde (4)  ».

A la suite du déclenchement de la guerre civile entre fascistes et républicains en Espagne, en juillet 1936, elle part, seule, pour Barcelone. En raison de ses positions pacifistes, elle soutient la politique de non-intervention de la France, mais ressent la « nécessité intérieure » de « participer moralement ». Bientôt, elle rejoint en Aragon les miliciens anarchistes de la colonne formée par Buenaventura Durruti. Une semaine plus tard, elle se brûle gravement et doit quitter le front. L’expérience de la guerre, « quand il n’est rien de plus naturel (…) que de tuer », conforte son pacifisme et nourrit ses Réflexions sur la barbarie (1939). Mais ce même idéal fera d’elle une opposante farouche à l’entrée en guerre contre Adolf Hitler, jusqu’à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes allemandes, en mars 1939. Peu après, elle admet avoir commis une « erreur criminelle ». Elle rejoint la Résistance à Londres et rédige L’Enracinement, qui paraîtra en 1950 grâce à Albert Camus : une esquisse de ce que devrait être une « civilisation nouvelle » fondée sur la « spiritualité du travail », l’amour du bien public et l’égalité.

Après avoir cessé de se nourrir en solidarité avec les Français soumis au rationnement alimentaire par l’occupant allemand, Simone Weil contracte la tuberculose et meurt le 24 août 1943, à l’âge de 34 ans. Son œuvre ne sera publiée qu’après sa disparition.

Olivier Pironet
Source : Monde Diplo avril 2016

(1) Sauf mention contraire, les citations de Simone Weil sont tirées des Œuvres complètes, Gallimard, Paris (en cours de publication depuis 1998), et des Œuvres (sous la dir. de Florence de Lussy, Gallimard, 1999). Celles concernant les éléments biographiques proviennent de l’ouvrage de Simone Pétrement La Vie de Simone Weil, Fayard, Paris, 1997.

(2) Cf. Jean Duperray, Quand Simone Weil passa chez nous. Témoignage d’un syndicaliste et autres textes inédits, Mille et une nuits, Paris, 2010 (1re éd. : Les Lettres nouvelles, Paris, avril-mai 1964).

(3) Lire « Machiavel contre le machiavélisme », Le Monde diplomatique, novembre 2013.

(4) Nouveaux Cahiers, n° 38, Paris, février 1939.

Voir aussi :

 

16/10/2015

La Bataille d’Einaudi

La Bataille d’Einaudi
ou
Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République
de Fabrice Riceputi, préface de Gilles Manceron, éd Le passager clandestin, octobre 2015, 240 p., 15 €
Ci-dessous, un extrait de l’introduction (pages 23 à 26) de La bataille d’Einaudi.

einaudi, 1961, papon

Pour reprendre l’expression d’un auteur britannique, la République gaullienne, en commettant ce crime, puis en le niant, avait fabriqué une « french memory’s bombe à retardement » [1]. Longtemps restée enfouie dans les tréfonds de la société française, cette bombe mémorielle explosa véritablement devant la cour d’assises de Bordeaux, trente-six ans plus tard. Ce 16 octobre 1997, une brèche s’est alors ouverte dans le mur de silence derrière lequel un consensus national avait si longtemps relégué le drame.Cette brèche ne s’est plus refermée. Au point, selon Henry Rousso, que le 17 octobre 1961, date du massacre d’Algériens pacifiques occulté durant trente ans, est devenu depuis les années 2000 une sorte de « métaphore métonymique » de la guerre d’Algérie, « sale guerre » coloniale dont on dissimula les nombreux crimes. Son abondante commémoration dans les media à chaque anniversaire, une production très importante de livres et de films d’histoire ou de fiction le prenant pour objet depuis les années 2000, font qu’après une longue « amnésie », on pourrait désormais parler, selon lui, d’une « hypermnésie » [2] : l’événement longtemps occulté aurait désormais une place pour ainsi dire disproportionnée dans la mémoire collective.Quoi qu’il en soit, ce retour fracassant doit sans conteste beaucoup à un homme, Jean-Luc Einaudi. C’est ce combat pour la connaissance historique et pour la reconnaissance politique d’un crime raciste colonial d’État que ce livre entend retracer. Un combat qui s’étendit sur trois décennies.La fameuse déposition d’Einaudi à Bordeaux n’en fut que l’épisode le plus connu. Commencé dès le milieu des années 1980, ce combat fut d’abord celui que Jean-Luc Einaudi mena en solitaire pour parvenir à dresser le procès-verbal du massacre dans La bataille de Paris. Il s’agissait en somme de redonner « un nom et une adresse » à un crime d’État nié officiellement et devenu depuis une sorte de rumeur mémorielle, un événement sans historien ni histoire.Puis survint la double confrontation judiciaire avec Maurice Papon. Cette confrontation, Einaudi l’avait en quelque sorte lui-même engagée dès la première page de son livre. Il avait en effet conjointement dédié ce dernier à deux enfants victimes de ce serviteur de l’État, l’une juive, Jeannette Griff, 9 ans, déportée en 1942 de Bordeaux à Drancy avant de l’être à Auschwitz [3], l’autre « française musulmane d’Algérie », Fatima Bedar, 15 ans, noyée dans le canal Saint-Denis en octobre 1961  [4] Bien que seul le premier de ces deux crimes ait pu être jugé par la Cour d’asises de Bordeaux en 1997, le second fut finalement examiné lors d’un autre procès retentissant en 1999. Étrangement, c’est au cours de ce procès intenté par Maurice Papon lui-même à Jean-Luc Einaudi que la justice reconnut « un massacre ».Mais, si c’est par lui que la France redécouvrit véritablement le 17 octobre 1961, la bataille ne se réduisit pas, comme nous le verrons, à ce mano a mano finalement victorieux avec l’ancien préfet de police de Paris, qui fit les délices de la presse et personnifia à l’excès le débat historique. Einaudi ne fut pas seulement celui qui « défia Maurice Papon ». En effet, une fois défaite et ruinée la version officielle de 1961, restait encore à faire plier la raison d’État qui refusait la vérité. Il fallait notamment affronter la résistance acharnée de l’appareil d’État lui-même à livrer ses archives. Le combat pour obtenir leur ouverture sur le 17 octobre contribua à une libération de la recherche sur la guerre d’Algérie. Mais la même raison d’État fit deux victimes trop souvent oubliées : deux archivistes, Philippe Grand et Brigitte Lainé. Ces deux là payèrent chèrement un héroïsme bien ordinaire : le simple fait d’avoir, en défense d’Einaudi face à Papon, témoigné de ce qu’ils savaient, en tant qu’archivistes, devant la justice. Leur ahurissante « affaire » est également racontée ici.Enfin, la bataille d’Einaudi porta en elle une exigence politique dont l’enjeu fut et est encore considérable. Elle touche à l’identité même de la France d’hier, mais aussi d’aujourd’hui : celle d’une reconnaissance officielle, d’une intégration à « l’histoire de France » d’un massacre colonial et raciste hautement emblématique de ce que fut la République coloniale. La France, selon une formule tant de fois employée depuis les années 1990, allait-elle enfin « regarder en face son passé colonial » et en tirer les leçons en s’attaquant à un impensé colonial toujours à l’œuvre ?Cette exigence heurtait de front un consensus français majeur, formé dès la guerre d’Algérie entre les principales forces politiques de la Ve République pour maintenir l’omerta, sur ce crime colonial-là comme sur tous les autres. Ce pacte du silence ne fut rompu qu’en 2012, le plus haut sommet de l’État admettant enfin, mais du bout des lèvres, qu’« une tragédie » avait eu lieu le 17 octobre. Einaudi considéra alors que son combat était largement victorieux. L’« amnésie » proprement dite était bel et bien vaincue. Mais il savait que si la République consentait désormais, contrainte et forcée, à compatir à la « douleur des victimes » de certains crimes coloniaux, elle s’arrêtait toujours, comme frappée d’aphasie, au seuil de la vérité la plus difficile à admettre, celle des responsabilités politiques.

Notes

[1] Cette formule, titre d’un article de Richard J. Golsan (« Memory’s bombes à retardement. Maurice Papon, crimes against humanity and 17 october 1961 », Journal of European Studies, voL. 28, n° 109-110, 1998, p. 153-172) est citée dans Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire (Paris, Tallandier, 2008), remarquable somme sur la répression de l’automne 1961 et son histoire mémorielle, abondamment utilisée pour écrire ce livre.

[2] Henry Rousso, « Les raisins verts de la guerre d’Algérie », in Yves Michaud (dir.), La Guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 127-151.

[3] Arrêtés en gare de Mont-de-Marsan le 18 août 1942, Jeannette Griff, ses trois jeunes frères et sa mère sont morts à Auschwitz le 9 septembre 1942 (voir site internet du MRAP des Landes : www.mrap-landes.org/spip.php ?article561).

[4] Sur Fatima Bedar, voir Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961. Un massacre à Paris, Arthème Fayard/Pluriel, 2011 (réed.), p. 471-474, ainsi que Didier Daenninckx, « Fatima pour mémoire », Mediapart, 22 septembre 2011 (www.mediapart.fr/journal/fra...).

31/03/2015

« On a besoin d'un fantôme »

Ne jamais oublier : « Un dictateur ridiculisé est foutu. »

On a besoin d'un fantôme


En 1943, Hanus Hachenburg, âgé de 13 ans, se retrouve comme des milliers d'autres jeunes internés dans le camp de concentration de Terezín. Il crée une œuvre théâtrale, tombée depuis dans l'oubli. Une étudiante l'a retrouvée.

La trouvaille historique laisse rêveur. Soixante et un ans après la mort Hanuš Hachenburg, une étudiante strasbourgeoise en théâtre a fait la découverte de sa vie. Le témoignage est d'autant plus glaçant, qu'il est sorti tout droit de l'imagination d'un enfant de 13 ans interné dans un camp nazi. « On a besoin d'un fantôme » raconte l'histoire d'un roi, Analphabète Ier, qui veut absolument que tout le monde pense comme lui. Pour épouvanter ses sujets, il décide de créer un fantôme d'État. Les Saucissons Brutaux, qui constituent sa garde rapprochée, arrêtent toutes les personnes de plus de soixante ans afin de récupérer leurs ossements. Les centres de ramassage se remplissent des vieillards du royaume dont les os permettront de fabriquer le fantôme. Honza livre son grand-père famélique pour le bien de la nation, le Juif implore le tyran, et la Mort ne fait plus peur...

Cette pièce de théâtre a été écrite pendant la Seconde Guerre mondiale par un jeune auteur. Il se nomme Hanuš Hachenburg. Il est juif comme les 15.000 autres enfants internés dans le camps. Malgré son jeune âge, le garçon qui n'a que 13 ans, manie avec talent ironie et humour noir. Cette pièce pour marionnettes parue sous forme manuscrite en 1943 dans le journal Vedem, une revue clandestine tenue par les enfants de la baraque n°1 de Terezín. Un espace précieux d'analyse et de création unique dans l'histoire des camps nazis.
Les horreurs de la guerre à travers les yeux d'un enfant.




Éditée pour la toute première fois, cette œuvre étonnante et lucide est accompagnée de poèmes du jeune auteur, de dessins du ghetto et du fac-similé tchèque de la pièce. Cette édition augmentée permet de mieux mesurer la résistance artistique des enfants de Terezín et l'incroyable talent d'un garçon assassiné à Birkenau en juillet 1944. Puis le texte disparaît et le temps passe.

En 2009, Claire Audhuy travaille sur une thèse sur le théâtre dans les camps de concentration nazis pour l'université de Strasbourg. Elle envoie des centaines de tracts aux associations de déportés, amicales d'anciens combattants et de résistants, en russe, polonais, allemand: «Avez-vous été témoin d'une pièce de théâtre pendant que vous étiez déporté?» explique-t-elle sur le site rue 89.

L'étudiante ne reçoit aucune réponse. Jusqu'au jour où son téléphone sonne. Une victime de la Shoah résidant à Prague ose l'appeler: «C'était une toute petite voix, frêle, qui semblait appeler du bout du monde. Il s'agissait d'une femme âgée qui avait vu mon annonce et qui se souvenait avoir assisté à une représentation alors qu'elle était au camp de Terezin en Tchéquie en 1943.»

Dès lors, l'étudiante, aujourd'hui docteur en études théâtrales à l'Université de Strasbourg, part à la recherche de ce document inestimable. Elle le trouve par hasard lors des recherches qu'elle a effectuées sur le théâtre de l'extrême dans les archives du mémorial de Terezín.
Un texte conservé par un rescapé du camp

«J'étais venue pour chercher dans les archives sans vraiment savoir ce que j'allais trouver. J'ai feuilleté par hasard le magazine Vedem, qui est un magazine clandestin créé par des jeunes enfants de Terezín. Je pense que je n'étais pas sur le bon chemin. J'étais en train de chercher une pièce de théâtre et je regardais un manuscrit du journal clandestin, donc, normalement, il n'y avait pas vraiment de lien. Et par hasard, dans les huit cents pages de ce magazine Vedem, il y avait la pièce de théâtre « On a besoin d'un fantôme ». C'était vraiment une grande surprise et un accident. Je n'aurais jamais dû la trouver normalement.»

Conservée grâce à un rescapé de Terezín, Zdeněk Taussig, la pièce dont l'auteur est mort quelques mois plus tard à Auschwitz-Birkenau, a été montée pour la première fois en 2001 par un Australien, Garry Friendmann. L'œuvre n'avait encore jamais fait l'objet d'une publication. Claire Audhuy explique pourquoi non seulement la pièce, mais aussi l'histoire de son jeune auteur Hanuš Hachenburg lui tiennent particulièrement à cœur:

«Il a été déporté à Terezín, puis il est mort à Auschwitz. À Terezín, il a écrit une pièce de théâtre clandestine. Il ne nous reste plus rien d'Hanuš puisqu'il avait treize ans. Donc, je pense qu'il a été plutôt oublié. La seule chose visible qui reste d'Hanuš à Prague, c'est une petite plaque mémorielle qui a été posée au sol devant son orphelinat.»
La pièce de théâtre est rejouée par des enfants

Depuis l'année dernière, Claire Audhuy a mis sur pied un projet spécial afin de présenter cette œuvre et son contexte historique aux élèves des écoles de Genève, en Suisse. Divisés en dix groupes, quelque 140 élèves âgés de 13 et 14 ans ont eu la possibilité de monter cette pièce à l'aide de professionnels du théâtre. «Le texte de la pièce est assez compliqué. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'humour noir et surtout beaucoup de références historiques. Si la pièce pouvait être assez claire pour Hanuš et ses camarades en 1943, elle n'était pas tout-à-fait abordable pour des élèves d'aujourd'hui», explique-t-elle.

«Nous avons dû expliquer certaines parties et surtout le contexte dans lequel elle a été écrite. Au début, les élèves étaient tout à fait perturbés par le texte et ils ne comprenaient pas un certain nombre des choses. Ils avaient surtout une grande appréhension du texte. Ils n'imaginaient pas une seconde que le texte puisse être drôle. Alors que pour moi, il est très drôle.»

Aujourd'hui, l'œuvre est publiée aux éditions Rodéo d'âme. Elle est préfacée par George Brady, rescapé de Terezín et camarade de déportation d'Hanuš Hachenburg. La publication, qui a bénéficié du soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, contient également le fac-similé tchèque, des dessins du ghetto ainsi que divers poèmes du même auteur.

On peut aussi commander cette œuvre à la Fondation pour la Shoah.

26/01/2015

A propos des élections grecques

Un mois de janvier tonitruant, mais de belles analyses comme celle qui suit même si tout reste à faire...

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A PROPOS DES ÉLECTIONS GRECQUES par Danielle Bleitrach le 26 janvier 2015

Il est évident que l’on a toutes les raisons de se réjouir du vote du peuple grec en mesurant bien le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir pour que se dessine une issue pour les pays d’Europe et pour la France. Nous avons entendu des choses terribles sur le peuple grec de la part des conservateurs, les fanatiques du néo-libéralisme. Mais ce peuple a une histoire, celle de sa propre libération des nazis, celle de la lutte contre le fascisme des colonels et celle aujourd’hui du refus d’une autre dictature celle des financiers, du marché, du FMI et j’ajouterai des marchands d’armes, ça aussi c’est une vieille tradition grecque.

Nous devons féliciter le peuple grec et nous réjouir avec lui. D’abord se réjouir du fait que le peuple grec face à la situation terrible qui est la sienne ait repoussé le fascisme, la solution du capital pour dévoyer sa colère. Le score d’Aube doré demeure néanmoins non négligeable et le fascisme reste implanté dans l’appareil d’État, comme il trouve toujours une assise dans les couches en voie de marginalisation rapide et appui dans le grand patronat..

Le peuple grec a dit non à l’austérité, non à la troïka, à la logique de l’UE. C’est le sens du vote en faveur de Syriza mais aussi en faveur du KKE qui sont les seules forces à progresser (voir répartition des votes dans l’ancien parlement et celui d’aujourd’hui)..

Le fait que dans un tel contexte le KKE ne régresse pas mais au contraire progresse est un autre signe de maturité politique et une chance pour l’avenir parce que ce parti représente la volonté de conserver l’organisation dans la jeunesse et dans les couches populaires. Il donne un contenu de classe à une aspiration encore confuse mais forte.

Parce que Syriza, outre la figure de son leader charismatique, qui s’est présenté comme le renouvellement total d’une classe grecque enfermée dans une alternative sans espoir entre le Pasok (PS) et la droite, demeure une coalition non dénuée de contradictions et c’est là-dessus que tablent les vieilles forces et le capital pour  détourner le choix du peuple grec.

Nous avons connu en 1981, avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir une telle espérance ; rapidement  celle-ci a été trahie, pire encore cela a été l’installation du néo-libéralisme, le règne des cadeaux au patronat et la grande rupture entre les couches moyennes et le prolétariat privé de ses organisations.

Le parti socialiste en France a très vite d’ailleurs prétendu s’approprier la victoire en soulignant que le programme de Syriza est plus proche de la social démocratie que de tout aspect révolutionnaire. Quand on sait la manière dont le PS, en particulier son représentant en Europe Moscovici a tout fait pour torpiller le choix du peuple grec on ne peut qu’être stupéfait d’un tel culot. Mais considérons le positif une fois encore : il est temps de ne pas suivre la ligne de Macron. Désormais François Hollande quand il négocie à Bruxelles a deux alliés anti-austérité, l’Italie et la Grèce et le mouvement dans l’Europe du sud va dans le même sens sous des formes parfois différentes, alors on attend des résultats à la hauteur de la joie du PS. De même sur la question de la paix, en particulier de nouvelles relations avec la Russie, là encore le mouvement pousse avec l’élection grecque dans un sens favorable puisque Syriza et le KKE ont manifesté leur refus d’une confrontation au cœur de l’Europe, de la fascisation ukrainienne..

Maintenant est-ce que l’on peut considérer qu’un changement réel est intervenu par rapport à la crise que vit l’UE? Il s’agit d’une crise structurelle: un appareil coupé des peuples et soumis aux intérêts financiers avec comme seul facteur de régulation un monétarisme et une soumission de plus en plus marquée aux Etats-Unis, à son bellicisme, à sa destruction systématique de toute forme de coopération mutuellement avantageuse. Marquer le refus de l’austérité et se prononcer pour la paix est un grand pas dont on doit se réjouir, mais le mal est trop profond, il faudra d’autres mobilisations, d’autres interventions populaires.

Un pas a été fait, il ne faut pas le sous-estimer, il permet en tous les cas de porter le débat sur des solutions, il rompt avec la fatalité dans laquelle l’alternance PS et droite prétend depuis des années enfermer les nations européennes et qui conduisait immanquablement au fascisme par désespoir et abstention des couches populaires. Mais le risque est là, Syriza est une coalition comme Podemos en Espagne, marqué d’abord par le désaveu de l’alternance mais aussi à la recherche d’une solution qui ne change pas réellement le système, une sorte de volonté d’accommodement dans le changement espéré. Depuis des années, y compris dans les printemps arabes et dans d’autres mouvements encore plus détournés et manipulés comme l’euromaïdan, le capital sait renverser les aspirations d’une jeunesse qui proteste contre l’absence d’avenir. Une jeunesse que l’on a habituée à la suspicion de toute force organisée, élevée aussi dans l’anticommunisme, des couches moyennes diplômées qui voient se dégrader leur situation, mais qui croient encore à un certain spontanéisme et qui s’écroulent quand le capital envoie ses troupes fascistes reprendre en main leur mai 68 d’un jour. Une tentative est faite avec cette élection de donner corps à ces aspirations, c’est une bonne chose.
Voilà dit rapidement où je crois que nous en sommes, tout dépend alors de la capacité non pas à critiquer mais à chercher les moyens de favoriser l’intervention populaire pour imposer ce pourquoi elle a voté. En Grèce mais aussi en France et il faut bien constater que nous sommes démunis et qu’une des grandes questions qui se pose à nous est celle de la reconquête de couches populaires tentées par l’abstention et d’autres dérives.

Danielle Bleitrach

16/03/2014

Léon Landini, écoutes et leurres diplomatiques

Comme tout sujet s’épuise et peut même finir par lasser la caravane éditorialiste, on pourra toujours faire provisoirement diversion en examinant les 634 pistes sur lesquelles le vol MH370 a pu atterrir… En attendant et si l’on veut bien y prêter attention, Léon Landini fait une fois de plus preuve de lucidité. A défaut de rassurer, son éclairage sur la récente actualité est une respiration nécessaire.

Landini, écoutes et leurres diplomatiques
E. Snowden

Depuis quelques jours, la droite est sens dessus dessous parce que certains juges ont mis sur écoute les conversations téléphoniques de Sarkozy, mis en cause dans plusieurs affaires graves.

Pourtant personne n’est scandalisé quand le gouvernement américain se permet d’espionner les conversations de tous les Français et, ajouterai-je, de tous les "Européens", Angela Merkel en tête !

Cela semble à peine « problématique » à nos gouvernants, qu’ils soient de droite ou de gauche, puisque les protestations à ce sujet sont de pure forme…

En définitive pour savoir ce que disent Sarkozy ou son avocat, le plus simple serait de le demander aux Américains qui, eux sont au courant de tout sans que cela préoccupe grand monde !

Au sujet de l’Ukraine, par l’intermédiaire des médias à leur dévotion, nos gouvernants déclarent péremptoirement qu’il est interdit à un pays de diviser en deux une nation et que cette interdiction est une loi internationale.

C’est sans doute pour cette raison qu’ils s’y sont mis à plusieurs pour dépecer la Yougoslavie en utilisant pour cela des bombes à uranium appauvri. Dans certains villages de ce pays où des bombes radio-actives ont été lâchées, les villages se dépeuplent car un nombre important d’habitants décède brutalement entre 50 et 60 ans : mais cela n’intéresse ni nos médias, ni nos gouvernants.

C’est sans doute aussi « parce qu’on n’a pas le droit de diviser un pays » que les puissances occidentales ont divisé la Corée, avec un mur frontalier de plusieurs centaines de kilomètres, qu’elles refusent la réunion de Taïwan à la Chine populaire, qu’elles viennent de susciter la division meurtrière du Soudan et que pendant trente ans, elles ont imposé la division en deux du Vietnam. Quant à la Tchécoslovaquie, elle a été divisée en deux parties sans même un référendum avec la bénédiction de son grand voisin allemand et de toute l’Union européenne… Ne parlons même pas de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui fut démantelée en 1991 sur une simple décision de trois présidents de République (sur 15 !), dont l’Ukrainien Koutchma, sous les applaudissements des Occidentaux, alors qu’UN AN PLUS TÔT, 76% des Soviétiques avaient voté pour le maintien de la Fédération soviétique ! Enfin, Laurent Fabius a-t-il entendu parler du Mur de la honte qui, à l’initiative de l’Etat d’Israël, divise la Palestine historique en instituant un véritable apartheid à l’encontre les habitants des Territoires occupés ?

En ce moment-même, les eurocrates de droite et de « gauche » réfléchissent à la manière la plus efficace de faire éclater l’Espagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Italie ou la France en invoquant l’Europe des régions transfrontalières…

Par ailleurs, en tant qu’ancien résistant, je suis révolté – le mot est faible ! – pour dire le mépris et le dégoût que m’inspire le Président de la République lorsqu’il reçoit à l’Elysée, en notre nom à tous, le soi-disant premier ministre de l’Ukraine. Premier ministre autoproclamé qu’une photo parue récemment sur l’internet montre effectuant le salut hitlérien !!!

Recevoir ce personnage au moment même où nous célébrons le 70ème anniversaire du Conseil National de la Résistance est indigne d’un président qui est censé nous représenter !

Léon Landini, ancien officier F.T.P.-M.O.I

11/03/2014

Jules Durand, Dreyfus ouvrier

L'émission « La Fabrique de l'Histoire » sur France culture vient de consacrer un documentaire sur l'affaire du « Dreyfus ouvrier » Jules Durand, dans le cadre d'une semaine sur le thème de l'engagement.

Elle fait suite à la réunion publique et à la journée d'études à l'université du Havre des 13 et 14 novembre derniers, où la LDH était très présente, et dont les travaux vont être prochainement publiés.

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Enquête sur l'affaire Jules Durand ou le 2 poids & 2 mesures
Mise en perspective : Les ouvriers marseillais soutiennent Jules Durand (3 février 2014) 

Portrait de Jules Durand inconnu © Radio France
Un documentaire de Anaïs Kien, réalisé par Françoise Camar

 

Le 25 novembre 1910, Jules Durand est condamné à avoir la tête tranchée par la cour d’assises de Rouen.

Le jeune secrétaire du syndicat des Dockers charbonniers du Havre, était accusé d'avoir appelé à se débarrasser des "Jaunes", ceux qui ne font pas grève contrairement à leurs collègues depuis près de trois semaines. 

A la suite d'une rixe un soir sur le port à la sortie des bistrots un Jaune trouve la mort. 

La Compagnie Transatlantique saisit cette belle occasion d'en finir avec cette grève et organise l'instruction dans ses propres locaux. 

Lorsque le verdict tombe, l'affaire devient nationale, Jaurès s'insurge de cette machination dans les colonnes de l'Humanité, les dockers du monde entier envoient pétitions et messages de soutien pour que Durand soit innocenté. Il le sera mais trop tard. Devenu fou, Il trouvera la mort à l'asile de Rouen, probablement inconscient que la vérité avait été rétablie. 

Cependant les auteurs de cette machination ne furent jamais inquiétés. 
Avec les témoignages de:

Marc Hedrich, juge d'instruction au tribunal de grande instance du Havre, Jean-Pierre Castelain, ethnologue, association des Amis de Jules Durand, Johan Porthier, secrétaire du syndicat des dockers, Jacques Defortescu, secrétaire de l'institut  d'histoire sociale CGT-Seine-Maritime, Pierre Lebas, ancien secrétaire de l'union locale CGT du Havre...

Dockers charbonniers havrais © Radio France

Site des Amis de Jules Durand 

29/01/2014

Les étrangers antifascistes à Marseille

Autour de Gilberto Bosques Saldivar
Un recueil de documents et de témoignages inédits sur la résistance au fascisme et au nazisme en Provence pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les étrangers antifascistes, antinazis et républicains chassés de leur pays par les dictatures, furent très nombreux en Provence et à Marseille.

Etrangers antifascistes à Marseille, Bosques Saldivar

Parmi eux il en est qui ont mené combat contre le fascisme et le nazisme sur le sol méridional, jouant un rôle non négligeable dans la lutte contre l'occupant.
Tous ont trouvé en Gilberto Bosques Saldivar (1892-1995), consul du Mexique en France et vétéran de la révolution mexicaine, un appui indéfectible. L'ouvrage, qui fait suite à une journée organisée le 11 octobre 2013 aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône (dans le cadre du colloque "La culture de l'Europe en exil, Marseille, 1940-1944"), présente quatre cas emblématiques, au travers de témoignages.

  • Tout d'abord, celui de la jeune résistante autrichienne Mélanie Berger (née en 1921) qui, avec son groupe, œuvrait à la démoralisation des troupes allemandes. Arrêtée par la police de Vichy, lourdement condamnée par les juridictions d'exception de l’État français, incarcérée dans la prison des Baumettes, elle parvint toutefois à s'évader et à reprendre le combat.
  • Les mineurs espagnols de Meyreuil offrent un autre exemple d'engagement.Ces immigrés républicains faisaient partie du 6e GTE (groupe de travailleurs étrangers), structure crée par l’État français dans un but répressif et pour pallier au manque de main-d’œuvre. Ils s'organisèrent pour survivre, mais aussi, clandestinement, pour mener grèves et actions collectives. Leurs enfants, qui ont effectué un important travail de collecte de témoignages et de documents, évoquent ici leur vie à Meyreuil.
  • Le jeune communiste italien Giuliano Pajetta fut parmi les bénéficiaires d'un visa délivré par le consul du Mexique. Mais il choisit de ne pas partir pour les Amériques, s'évada du camp des Milles, relança l'action de son parti en Provence. Combattant en Italie, déporté à Mauthausen, il échappa à la mort. Sa fille Elvira, retrace son itinéraire de résistant, en Espagne, en France et dans son pays natal.
  • Une part importante de l'ouvrage est consacrée à Gilberto Bosques Saldivar, consul général du Mexique à Marseille et à son rôle essentiel dans le sauvetage de centaines de républicains espagnols, de combattants des brigades internationales et "d'indésirables", qu'il a pu faire partir pour le Mexique. Les deux filles du consul Bosques, Laura et Maria-Teresa, portent témoignage de son action, mais aussi de leur enfance à Marseille.
    Enfin, Gérard Malgat, auteur d'un important ouvrage sur Gilberto Bosques, apporte l'éclairage du biographe.

L'auteur : Robert Mencherini est historien spécialiste de l'histoire du monde et du mouvement ouvriers et participe à plusieurs équipes de recherche régionales et nationales. Il a coordonné l'écriture de cet ouvrage. Lequel fait suite à la Journée organisée par l'association PROMEMO avec le soutien du CG 13, de l'Office national des Anciens combattants - Victimes de Guerre des BdR (ONAC-VG), de l'Ambassade du Mexique en France, en partenariat avec l'association des Amis du Musée virtuel de la Résistance en PACA (MUREL), de l'association des anciens combattants de la Résistance (ANACR Marseille), de l'association Solidarité Provence Amérique du Sud (ASPAS) et des enfants de Républicains espagnols de Meyreuil.
L'ouvrage est actuellement en souscription (jusqu’au 4 mars) aux éditions Gaussen à Marseille.

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17/10/2013

17 octobre 1961 - 17 octobre 2013

17 octobre 1961 - 17 octobre 2013 : 52e anniversaire - Vérité et Justice

Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre feu discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, préfet de police de Paris. Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés – notamment par la « force de police auxiliaire » – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrême des forces de police.

17 octobre 1961, vérité en marche

52 ans après, la Vérité est en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, - en particulier la Guerre d’Algérie - non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’État que constitue le 17 octobre 1961. L’an dernier, le Président de la République a certes fait un premier pas important, en déclarant « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie, Certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation », à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à « honorer » les criminels de l’OAS.

Dans ce domaine, il est donc nécessaire que des mesures significatives soient prises :

  •  redéfinition de la « Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie », (dotée de plus de sept millions d’euros), créée en application de l’article 3 de la loi du 23 février 2005 (dont l’abrogation est demandée sous sa forme actuelle) vantant les « aspects positifs de la colonisation ». Cette Fondation est sous la coupe d’associations nostalgiques de l’Algérie Française qui voudraient exiger des historiens qu’ils se plient à la mémoire de « certains » témoins ;
  •  pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, avec leurs homologues de l’autre rive de la Méditerranée ;
  •  la vérité doit être dite sur l’organisation criminelle de l’OAS que certains, au sein de l’ancienne majorité présidentielle ont voulu réhabiliter.

Ce n’est qu’à ce prix que pourra disparaître la séquelle la plus grave de la Guerre d’Algérie, à savoir le racisme dont sont victimes aujourd’hui nombre de citoyennes et citoyens, ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois meurtrières.

On ne construit pas la démocratie sur des mensonges et des occultations. Après un demi-siècle, il est temps :

  •  que le Président de la République, au nom de la France, confirme, par un geste symbolique, la reconnaissance et la condamnation de ce crime d’État ;
  •  que la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie soit redéfinie sur des bases totalement différentes ;
  •  que l’État français reconnaisse sa responsabilité dans l’internement arbitraire, pendant la Guerre d’Algérie, d’Algériens dans des camps ;
  •  que l’État français reconnaisse sa responsabilité dans l’abandon des harkis, les massacres et l’enfermement dans les camps en France en 1962 ;
  •  que la liberté d’accès aux archives soit effective pour tous, historiens et citoyens ;
  •  que la recherche historique sur ces questions soit encouragée, dans un cadre franco-algérien, international et indépendant.

A l’occasion de ce 52e anniversaire, nous exigeons Vérité et Justice

Rassemblement le 17 octobre 2013 à 18h au Pont Saint-Michel à Paris

Signataires (au 4 octobre 2013) :

Associations : 4ACG (Anciens Appelés à la Guerre d’Algérie et leurs Amis contre la Guerre), 17 Octobre Contre l’Oubli, 93 Au cœur de la République, ACCA (Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui), Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Féraoun et leurs Compagnons, AHDH (Association Harkis droits de l’Homme), ANPROMEVO (Association Nationale pour la Protection de la Mémoire des Victimes de l’OAS), Au Nom de la Mémoire, Arac (Association Républicaine des Anciens Combattants), Comité Vérité et Justice pour Charonne, Fnaca Paris (Fédération Nationale des Anciens Combattants AFN), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples), Sortir du colonialisme

Syndicats : FSU (Fédération syndicale unitaire), Fédération SUD Education

Partis Politiques : AL (Alternative Libertaire), PCF (Parti communiste français)

 

03/10/2013

Une lettre d'Albert Einstein

Une note de Danielle Bleitrach à propos d'un courrier d'Albert Einstein qui devrait éclaircir la vision trouble que l'on peut avoir d’un État d’Israël éperdument cynique et donner du courage aux défenseurs de cet État qui en manqueraient :

Traité de non-prolifération nucléaire. Israël n'est pas membre du TNP et n'a pas signé la Convention sur les armes biologiques (bactériologiques). L’État hébreux a signé, mais non ratifié, la Convention sur les armes chimiques.
Vecteurs. L'armée israélienne en disposerait potentiellement de trois pour utiliser ses armes nucléaires : ses avions F-16 et F-15 ; les missiles balistiques Jéricho I et II ; des missiles de croisière embarqués sur trois sous-marins de la classe Dolphin.


«Quand Einstein et Hannah Arendt dénonçaient avec d’autres intellectuels juifs l’apparition d’un parti fasciste qui n’est autre que l’ancêtre du Likoud, le parti de Benjamin Netanhayoun, l’actuel premier ministre qui est actuellement en train de donner ses lettres de noblesse à l’antisémitisme en le transformant en lutte contre un danger planétaire qui menace l’humanité, en refusant à l’Iran le droit au nucléaire civil alors même que ce fou dangereux ne se contente plus d’opprimer les Palestiniens mais s’arroge le droit de posséder, lui, l’armement nucléaire et chimique. Comment peut-on tolérer qu’un pouvoir fasciste, qui a la haine pour seule vocation au nom d’Israël Uber alles, défie toute l’humanité ? Voilà le visage réel du fascisme et s’il s’est trouvé un Bertolt Brecht pour refuser le nazisme au nom de tous les peuples y compris ce lui que l’on nomme allemand, le devoir des juifs est de refuser ce fascisme là au nom de tous les peuples y compris de celui que l’on nomme juif.»

einstein, lettre de 1948

Danielle Bleitrach - le 03 oct 2013

     «

Les dirigeants israéliens sont des fascistes par Albert Einstein,
lettre adressée au New york Times en 1948
 

A l’éditeur du New-York Times
New York, 2 Dec. 1948

Parmi les phénomènes politiques les plus inquiétants de notre époque, il y a dans l’État nouvellement créé d’Israël, l’apparition du "Parti de la Liberté" (Tnuat Haherut), un parti politique étroitement apparenté dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et son appel social aux partis Nazi et fascistes.

Il a été formé par les membres et partisans de l’ancien Irgun Zvai Leumi, une organisation terroriste d’Extrême-Droite et nationaliste en Palestine.

La visite actuelle de Menahem Begin, le chef de ce parti, aux États-Unis est évidemment calculée pour donner l’impression d’un soutien américain à son parti lors des prochaines élections israéliennes, et pour cimenter les liens politiques avec les éléments Sionistes conservateurs aux États-Unis.

Plusieurs Américains de réputation nationale ont prêté leurs noms pour accueillir sa visite.

Il est inconcevable que ceux qui s’opposent au fascisme dans le monde entier, si correctement informés quant au passé et aux perspectives politiques de M. Begin, puissent ajouter leurs noms et soutenir le mouvement qu’il représente.

Avant que des dommages irréparables ne soient faits par des contributions financières, des manifestations publiques en soutien à Begin et avant de donner l’impression en Palestine qu’une grande partie de l’Amérique soutient des éléments fascistes en Israël, le public américain doit être informé sur le passé et les objectifs de M. Begin et de son mouvement.

Les déclarations publiques du parti de Begin ne montrent rien quant à leur caractère réel. Aujourd’hui ils parlent de liberté, de démocratie et d’anti-impérialisme, alors que jusqu’à récemment ils ont prêché ouvertement la doctrine de l’État Fasciste.

C’est dans ses actions que le parti terroriste trahit son véritable caractère. De ses actions passées nous pouvons juger ce qu’il pourrait faire à l’avenir.

Attaque d’un village Arabe

Un exemple choquant fût leur comportement dans le village Arabe de Deir Yassine
Ce village, à l’écart des routes principales et entouré par des terres Juives, n’avait pas pris part à la guerre et avait même combattu des bandes arabes qui voulaient utiliser comme base le village.

Le 9 Avril, d’après le New-York Times, des bandes de terroristes ont attaqué ce village paisible, qui n’était pas un objectif militaire dans le combat, ont tué la plupart de ses habitants – 240 hommes, femmes et enfants – et ont maintenu quelques uns en vie pour les faire défiler comme captifs dans les rues de Jérusalem.

La majeure partie de la communauté juive a été horrifiée par cet acte,et l’Agence Juive a envoyé un télégramme d’excuses au Roi Abdullah de Trans-Jordanie.

Mais les terroristes, loin d’avoir honte de leurs actes, étaient fiers de ce massacre, l’ont largement annoncé et ont invité tous les correspondants étrangers présents dans le pays à venir voir les tas de cadavres et les dégâts causés à Deir Yassin.

L’incident de Deir Yassin illustre le caractère et les actions du Parti de la Liberté. Au sein de la communauté juive, ils ont prêché un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale.

Comme d’autres partis fascistes, ils ont été utilisés pour casser les grèves et ont eux-même encouragé la destruction des syndicats libres. Dans leur Convention, ils ont proposé les syndicats de corporation sur le modèle fasciste italien.

Lors des dernières années de violences sporadiques anti-Britanniques, l’IZL et le groupe Stern ont inauguré le règne de la terreur parmi la communauté juive de Palestine.

Des professeurs ont été battus pour s’être exprimés contre eux, des adultes ont été abattus pour ne pas avoir laissé leurs enfants les rejoindre.

Par des méthodes de gangsters, des tabassages, des bris de fenêtres et des vols largement répandus, les terroristes ont intimidé la population et ont exigé un lourd tribut.

Les hommes du Parti de la Liberté n’ont pas pris part aux accomplissements constructifs en Palestine. Ils n’ont repris aucune terre, n’ont construit aucune colonie et ont seulement amoindri l’activité de la Défense Juive.

Leurs efforts dans l’immigration, très divulgués, étaient minutieux et consacrés principalement à faire venir des compatriotes fascistes.

Contradictions

Les contradictions entre les affirmations "en or" faites actuellement par Begin et son Parti et les rapports de leur performance passée en Palestine donnent l’impression d’un parti politique peu ordinaire.

C’est la marque indubitable d’un parti fasciste pour qui le terrorisme (contre les Juifs, les Arabes ainsi que les Britanniques) et les fausses déclarations sont des moyens, et dont un "État Leader" est l’objectif.

À la lumière des observations précédentes, il est impératif que la vérité au sujet de M. Begin et de son mouvement soit connue dans ce pays.

Il est encore plus tragique que la haute direction du Sionisme américain ait refusé de faire campagne contre les efforts de Begin, ou même d’exposer à ses propres éléments les dangers pour Israël que représente le soutien à Begin.
     »

Les soussignés prennent donc ces moyens pour présenter publiquement quelques faits frappants au sujet de Begin et de son parti et pour recommander à tous ceux qui sont concernés de ne pas soutenir cette dernière manifestation du fascisme.
ISIDORE ABRAMOWITZ, HANNAH ARENDT, ABRAHAM BRICK, RABBI JESSURUN CARDOZO, ALBERT EINSTEIN, HERMAN EISEN, M.D., HAYIM FINEMAN, M. GALLEN, M.D., H.H. HARRIS, ZELIG S. HARRIS, SIDNEY HOOK, FRED KARUSH, BRURIA KAUFMAN, IRMA L. LINDHEIM, NACHMAN MAJSEL, SEYMOUR MELMAN, MYER D. MENDELSON, M.D., HARRY M. ORLINSKY, SAMUEL PITLICK, FRITZ ROHRLICH, LOUIS P. ROCKER, RUTH SAGER, ITZHAK SANKOWSKY, I.J. SHOENBERG, SAMUEL SHUMAN, M. ZNGER, IRMA WOLPE, STEFAN WOLPE.

Commentaires de Qumsiyeh :

L’Herut est le précurseur du parti israélien du Likud (conformément à l’idéologie de Vladimir Jabotinsky).
Begin (un terroriste recherché) est devenu plus tard le Premier Ministre d’Israel (Likud) et sous son gouvernement, des dizaines de milliers de civils libanais et palestiniens ont été tuées dans les années 80.
Les successeurs de Menachem Begin au Likud (et en tant que premiers ministres israéliens) dont Netanyahu et Sharon sont responsables d’innombrables autres décès de civils.
Tandis que les auteurs mentionnent les excuses de l’Agence Juive "envoyée au Roi Abdullah" qui n’est pas même Palestinien, des recherches postérieures démontrent la participation de la Hagannah et de l’Agence Juive dans le massacre de Deir Yassin ainsi que la participation de l’Agence Juive et du Fonds National Juif dans le nettoyage ethnique

02/03/2008, Qumsiyeh
Traduction : MG pour ISM

09/09/2013

La Syrie et la mort

Extrait d’un poème, comme un cri de la poétesse irakienne Nazik Al-Malaika.

Gifle stridente sur le visage des fauteurs de guerre, la réalité que ce cri recouvre devrait crever leurs tympans. Leur argumentation piteuse consiste à faire croire aux vertus humanitaires de leurs arsenal militaire qui ne disparaîtra que «dans le silence cruel de l’éternité où la mort devient remède» sans égard pour les êtres humains qui ne savent où trouver refuge.

Syrie, Nazik Al-Malaika

L’aube s’est levée

Écoute bien le bruit des pas de ceux qui sont en marche
Dans le silence de l’aube, prête attention aux processions en pleurs
Dix, vingt morts
Ne cherche pas à les dénombrer, écoute ceux qui pleurent.
Entends la voix du pauvre enfant
Des morts, des morts, ils sont morts en nombre
Des morts, des morts, il n’y a plus de demain
Partout un corps que pleure un affligé
Pas un instant d’éternité, pas de silence
Voilà ce qu’a fait la main de la mort
La mort, la mort, la mort
L’humanité se plaint, se plaint de ce qu’a commis la mort

Le choléra

Dans l’horreur de la caverne, parmi les corps
Dans le silence cruel de l’éternité où la mort devient remède
Le mal du choléra s’est réveillé.
Haineux, prêt à bondir, il s’élance,
Il dévale la vallée riante, éclatante
Il crie, déchaîné et furieux,
Sans écouter le bruit de ceux qui pleurent.
Partout ses griffes ont laissé derrière lui des morts ;
Dans la cabane du paysan, à la maison,
Rien d’autre que les cris de la mort
La mort, la mort, la mort
Sous la forme du choléra, la mort se venge.

Le silence est persistant

Rien d’autre que le retour des « Dieu est grand » ...
Même le fossoyeur a baissé les bras, il n’y a plus d’auxiliaire.
La mosquée, son muezzin est mort,
Et le mort, qui en fera-t-il l’oraison funèbre ?
Il ne reste plus que des pleurs et des gémissements
L’enfant, sans père ni mère,
Pleure d’un cœur dévasté :
Demain, nul doute, la maladie mauvaise le dévorera.
O spectre du choléra, tu n’as rien laissé,
Rien, sinon les affres de la mort,
La mort, la mort, la mort.
O Égypte, ce qu’a fait la mort m’a déchiré le cœur.

11/07/2013

Génocide des tsiganes le 2 août 2013 à Auschwitz

Le Samudaripen : entre 1938 et 1945, des centaines de milliers de Tsiganes ont été exterminés par les nazis et leurs alliés. En France, ils ont pu disposer du fichage initié bien avant la guerre par la Troisième République, et de la collaboration active du régime de Vichy.
Pourtant, si la France a admis sa responsabilité dans la Shoah, elle continue de l'éluder en ce qui concerne le Samudaripen, le génocide des Tsiganes.

En l’occurrence, le pire n'est pas le refus de lire l'Histoire et d'en tirer les conséquences, mais la lâcheté qui méprise pour éviter d’avoir à rougir de soi-même et de ses reniements.

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Le 24 juin dernier, La voix des Rroms envoyait au président de la République française, M. François Hollande, une invitation solennelle à la commémoration du génocide des tsiganes le 2 août 2013 à Auschwitz. Organisée par le réseau européen de jeunesse ternYpe, dont fait partie La voix des Rroms, cette commémoration a lieu à la date anniversaire de la liquidation par les nazis de 2500 tsiganes dans la nuit du 2 au 3 août 1944 à Auschwitz - Birkenau.

Cette lettre d’invitation devait être publiée par un organe de presse nationale.

  • Nous (La voix des Roms) l’avons proposée au Monde, qui l’a refusée en raison du nombre important des tribunes prévues à publier.
  • Nous l’avons proposée à Libération, qui ne nous a pas répondu, ce qui après 3 jours équivaut refus, aux termes du message automatique de confirmation de réception de notre courriel.
  • Nous l’avons proposée au Figaro, qui n’a pas répondu non plus et ne l’a pas publié.

C’est clair, il y a une autre actualité sur les Rroms, plus payante médiatiquement et électoralement. Elle est rythmé par des propos d’un Jean-Marie Le Pen et d’un Christian Estrosi. Par les réactions d’un Manuel Valls aussi, dont l’action contredit le discours, bien que le discours reste débile et donc non convaincant, tant il est empreint d’ignorance, si ce n’est de mauvaise foi.

Nous n’avons pas droit à la parole publique, sauf si c’est pour réagir à ces propos-là, pour dire quasi sur commande que nous sommes indignés, choqués, et autres adjectifs à la mode. Non, nous ne le sommes pas! Non, nous n’avons pas des nausées, sauf pour quelques femmes enceintes, et c’est dû à leur grossesse, à la vie qu’elle portent en elles et qu’elle donneront bientôt. Elles mettront au monde les enfants qui enterreront l’ignorance crasse et la médiocrité qui couvrent des manœuvres politiciennes mortifères, si nous n’y arrivons pas avant.

Non, nous ne sommes pas indignés, ni choqués! Ces sentiments bon marchés ne sont pas des nôtres. Nous sommes révoltés, comme des millions de nos frères humains au-delà des races, des langues, des couleurs de peau, des religions ou de leur absence, des habitats ou de leur absence, des emplois ou de leurs absence et cette liste-là pourrait s’allonger bien plus.

Nous commémorerons le Samudaripen, le génocide qui fit 500.000 morts parmi nos anciens, en restant debout et la tête haute. Nous le ferons malgré les refus ou le silence méprisant de ceux qui, gérant de l’argent public ou privé, ne nous ont pas accordé un seul centime pour couvrir les frais du voyage pour ce groupe de jeunes qui souhaite se rendre à Auschwitz. Nous le ferons grâce à la solidarité des hommes et des femmes qui ont répondu et qui continuent à répondre présents à notre appel à la solidarité. Car la dignité ne s’achète pas.

Nous avons voulu que les Français prennent connaissance des termes dans lesquels nous avons invité le président Hollande à nous rejoindre dans cette commémoration, termes qui traduisent une fois de plus la dignité qui est la nôtre. Les médias sollicités n’ont pas voulu publier notre lettre. Il est vrai, elle fait tache entre les discours des Le Pen, Estrosi & C°.
Eh bien, nous vous la livrons avec nos moyens, limités, mais les nôtres.

Télécharger la lettre de La voix des Rroms à François Hollande.

27/11/2012

Palestine - ONU

Cinq jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, à un moment où l'on retient son souffle de peur de voir fondre ce fragile espoir de paix comme un sucre dans un verre d’eau, le chef du bureau politique du Hamas Khaled Mechaal annonce qu’il soutient la demande palestinienne à l’ONU. Ce jeudi à New York, les Palestiniens demanderont le statut d’Etat observateur non-membre de l’ONU.

Palestine, 194èm état à l'ONU    

De son coté, oh surprise !, la France votera cette semaine en faveur de l’octroi d’un nouveau statut rehaussé de la Palestine à l’ONU -celui d’Etat observateur-, a annoncé mardi le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.

«Ce vote, nous allons le faire avec cohérence et lucidité. Vous savez que depuis des années et des années, la position constante de la France a été de reconnaître l’Etat palestinien. C’est la raison pour laquelle jeudi ou vendredi prochain, quand la question sera posée, la France répondra « oui » par souci de cohérence», a déclaré Laurent Fabius, devant les députés.

Les Palestiniens, qui ne sont actuellement à l’ONU qu’une simple «entité observatrice», ont annoncé leur intention de demander jeudi devant l’Assemblée générale de l’ONU un statut d’Etat non-membre.

Le ministre a rappelé que cette position constante de Paris en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien avait été exprimée en 1982 devant la Knesset par l’ex-président socialiste François Mitterrand. Elle avait été réaffirmée l’an dernier sous la présidence de Nicolas Sarkozy (droite) lors de l’admission de la Palestine à l’Unesco et figurait dans le programme de campagne présidentielle du candidat François Hollande.

«Mais, en même temps, il faut faire preuve de beaucoup de lucidité, d’une part parce que le texte (de la demande palestinienne) est actuellement en discussion et d’autre part parce que le moment où cette question va être proposée est très délicat», a poursuivi Laurent Fabius.

Le ministre a évoqué à cet égard le cessez-le-feu «extrêmement fragile» à Gaza, la perspective des élections israéliennes et le changement prochain de l’administration américaine.

«C’est seulement par la négociation -que nous demandons sans conditions et immédiate- entre les deux parties qu’on pourra aboutir à la concrétisation d’un Etat palestinien. Si l’on est à la fois cohérent et lucide, à ce moment-là, on travaillera pour la paix», a-t-il conclu.

La semaine dernière, Laurent Fabius, s’exprimant devant le Sénat, avait déjà laissé entendre qu’il était plutôt favorable à ce changement de statut pour les Palestiniens alors que la présidence française semblait jusqu’alors plutôt encline à choisir l’abstention. Fidèle soutien d’Israël, les Etats-Unis, eux, sont catégoriquement opposés à la démarche palestinienne à l’ONU.

(AFP)

10/11/2012

Attendre ?... Encore ?

« J’ose dire avec des millions d’hommes que la grande paix humaine est possible. »
Jean Jaurès

Quatorze Conseils généraux ont pris position pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple : l’Aisne (le 16/04/2008), l’Allier, l’Ardèche, la Corrèze, le Doubs (en octobre 2008), la Haute-Garonne, l’Hérault, la Loire, l’Oise, le Rhône (le 25/11/2011), la Haute-Saône, la Somme, l’Essonne (le 21/11/2011), la Nièvre (le 25/06/2012).

Attendons toujours que le président de la République soit fidèle aux principes défendus par l'ancien président du Conseil Général de Corrèze ! Mais on peut en douter.

fusillés pour l'exemple  

« Le Bihan était né dans un hameau où on ne parlait que le breton. Il ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il avait appris à l’école, il l’avait oublié entièrement. Il était aussi ignorant qu’on puisse l’être, ce qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice, bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à l’institutrice de parler le breton à l’école…

Il partit dès le premier jour…Un matin, le soldat Le Bihan tiraillait derrière un bosquet, quand vint l’ordre de se porter en avant. Comme il s’élançait, une balle lui traversa la main droite de part en part. Il n’en continua pas moins de courir. Mais quand, de nouveau couché par terre, il voulut recommencer à tirer, il ne le put, et le capitaine lui donna l’ordre de rejoindre le poste de secours le plus proche. Il se mit en route et après quelque temps arriva au poste ou il montra sa blessure à un major, qui parut extrêmement intéressé…Le major lui posa diverses questions, auxquelles Le Bihan ne répondit pas, ne les ayant pas comprises. Le major n’insista pas. D‘une part, il n’avait pas de temps à perdre, et, d’autre part, il avait ses idées arrêtées sur la discipline aux armées, et la manière de la faire observer. Il griffonna quelque chose sur un bout de papier, qu’il remit à Le Bihan, et donna l‘ordre a un planton de le conduire plus loin à l’arrière, ce qui fut fait …. Le Bihan se laissa conduire où l’on voulut …. Or, aussitôt « remis aux autorités » et le billet du major déchiffré, le soldat Le Bihan fut conduit au poteau et fusillé. Accusation : « blessure volontaire à la main droite. »

 

Communiqué LDH du 20 août 2012 :

La LDH, dont le combat pour la réhabilitation des victimes des tribunaux militaires, qui a commencé pendant la guerre elle-même, a constitué son deuxième grand combat historique après celui pour la réhabilitation de Dreyfus, considère qu’il n’est pas achevé.

Après le discours important du Premier ministre Lionel Jospin le 11 novembre 1998 à Craonne, elle estime que les propos du président Sarkozy à Douaumont en 2008 et à l’Etoile en 2011 ne sont qu’une réponse partielle. Et qu’il faut passer à une autre étape, celle de la réhabilitation effective des nombreuses victimes des conseils de guerre et autres fusillés pour l’exemple du fait de l’arbitraire militaire durant la Grande guerre. Elle ne veut pas qu’on referme ce dossier avant qu’il n’ait été véritablement ouvert. Pour elle, une véritable réhabilitation ne peut reposer uniquement sur une nouvelle déclaration présidentielle.

Ses propositions se situent dans le prolongement de la lutte qu’elle a menée durant des décennies, qui a obtenu, avant la fin de la guerre et surtout après, entre 1919 et 1935, des réhabilitations par des annulations des condamnations en appel ou en cassation et le vote de cinq lois qui ont permis des amnisties. Puis, afin de lever des décisions que la Cour de cassation n’avait pas voulu annuler, l’installation d’une cour spéciale de révision qui a pu lever des condamnations symboliques comme celle des « caporaux de Souain », dont l’instituteur Théophile Maupas dont le cas avait été défendu avec acharnement par sa veuve, Blanche Maupas, en lien étroit avec la LDH.

Les propositions de la LDH ont été élaborées notamment en liaison avec le général André Bach, chef du service historique de l’armée de terre de 1997 à 2002, qui a été auditionné par le Comité central en février 2010.

La question a été opportunément relancée ces dernières années, grâce à la campagne menée avec force, depuis 2007, par la Libre Pensée, dont la LDH est proche et avec laquelle elle mène de nombreuses initiatives communes. Elle souhaite, quant à elle, qu’on ne se limite pas à une minorité de cas, les quelques 600 cas d’exécutions par fusillade après condamnation par un tribunal militaire. Il faut s’efforcer d’établir les faits sur le plus grand nombre possible des cas de fusillés pour l’exemple, y compris ceux, les plus nombreux, de militaires qui l’ont été sans condamnation judiciaire, ce qui ne peut être que le travail d’une commission dans la perspective du centenaire de 1914. Plus de 2 000 autres condamnations à mort ont été commuées en peines de travaux forcés ou « travaux publics », c’est-à-dire de déportation judiciaire dans les colonies, dont de nombreux soldats ne sont jamais revenus, tous comme d’autres, qui ont été condamnés directement à ces peines. En outre, surtout en 1917, des « mauvais sujets » (près de 2000 hommes ?) ont été prélevés au sein des régiments « mutinés », et victimes, sans jugement, de déportation dans les colonies. D’autres soldats, tout au long de la guerre, ont été victimes d’exécutions sommaires, qui paraissent particulièrement nombreuses parmi les étrangers engagés volontaires et les troupes coloniales.

Par ailleurs, sa connaissance du droit lui apprend que, pour ce qui est des condamnations prononcées, seule une grâce peut être collective (qui dispense de l’exécution de la peine, sans lever la condamnation). Une loi d’amnistie n’efface pas une condamnation. L’acte de réhabilitation ne peut pas relever d’une loi. Une loi peut en revanche installer, en le motivant par une reconnaissance civique et morale, un processus qui conduirait à des réhabilitations judiciaires. La réhabilitation judiciaire, qui implique l’annulation des condamnations, ne peut être que le résultat d’une série de décisions individuelles qu’une commission peut préparer, en transmettant à la Cour de cassation un ensemble de cas qu’elle aura examinés, en vue de la levée des condamnations prononcées sans nouveau jugement, comme dans le cas de son arrêt Dreyfus. Cela seul peut assurer une véritable réhabilitation, permettre l’inscription « mort pour la France » sur les registres d’état-civil, et encourager, si cela n’a pas encore été fait, celle de leur nom sur les monuments aux morts.

De nombreuses familles veulent savoir ce qu’il est advenu durant cette guerre à leurs ancêtres mobilisés qui n’ont pas eu la mention « mort pour la France ». 140 000 militaires français morts durant la guerre n’ont pas eu droit à la mention « mort pour la France ». Pour permettre que la vérité soit dite sur le plus grand nombre possible de faits et qu’intervienne le plus grand nombre possible de réhabilitations correspondant à toutes ces injustices, la LDH demande donc qu’une commission installée par une loi puisse donner aux familles le maximum de renseignements sur les circonstances de la disparition de soldats qui étaient leurs aïeux et permette que les condamnations arbitraires soient effectivement cassées sans renvoi.

Pour éviter toute réponse réductrice et limitée, qui refermerait ce dossier avant même qu’il ait été étudié et rendu public, l’objectif d’une telle commission serait de s’efforcer de faire la lumière sur le plus grand nombre possible de ces faits. Une telle commission pourrait rassembler des historiens, des juristes, des représentants d’associations et du Service historique de la Défense, pour examiner les cas soumis par des familles, des associations ou que des travaux de recherche auraient révélés. Au-delà de la reconnaissance politique pleine et entière de ce qui reste une honte pour l’armée française, telle est la demande que formule, pour sa part, la Ligue des droits de l’Homme, en liaison avec des historiens et des représentants d’associations d’anciens combattants. 

17/10/2012

« M’emmerdez pas avec ça ! »

Le titre évoque une réplique du général Bigeard    , qui tout en reconnaissant avoir utilisé la torture, l’a justifiée sans avoir eu à l’assumer devant un quelconque tribunal.

20 novembre 2012     : J.Y. Le Drian, ministre hollandais de la Défense honorera la mémoire du tortionnaire Marcel Bigeard à Fréjus.

Contrepoint : Louisette Ighilahriz, une de ses victimes, témoigne …

«J'étais allongée nue, toujours nue. Ils pouvaient venir une, deux ou trois fois par jour. Dès que j'entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures, et les heures des jours. Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s'habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter. » 

Quarante ans plus tard, elle en parle avec la voix blanche. Elle n'a jamais eu la force d'évoquer avec sa famille ces trois mois qui l'ont marquée à vie, physiquement et psychologiquement. Elle avait vingt ans. C'était en 1957, à Alger. Capturée par l'armée française le 28 septembre, après être tombée dans une embuscade avec son commando, elle avait été transférée, grièvement blessée, à l'état-major de la 10e division parachutiste de Massu, au Paradou Hydra. 

« Massu était brutal, infect. Bigeard n'était pas mieux, mais, le pire, c'était Graziani. Lui était innommable, c'était un pervers qui prenait plaisir à torturer. Ce n'était pas des êtres humains. J'ai souvent hurlé à Bigeard : » Vous n'êtes pas un homme si vous ne m'achevez pas ! « Et lui me répondait en ricanant : »Pas encore, pas encore ! « Pendant ces trois mois, je n'ai eu qu'un but : me suicider, mais, la pire des souffrances, c'est de vouloir à tout prix se supprimer et de ne pas en trouver les moyens.  » Elle a tenu bon, de septembre à décembre 1957. Sa famille payait cher le prix de ses actes de « terrorisme ». « Ils ont arrêté mes parents et presque tous mes frères et soeurs. Maman a subi le supplice de la baignoire pendant trois semaines de suite. Un jour, ils ont amené devant elle le plus jeune de ses neuf enfants, mon petit frère de trois ans, et ils l'ont pendu... » L'enfant, ranimé in extremis, s'en est sorti. La mère, aujourd'hui une vieille dame charmante et douce, n'avait pas parlé.

Sa fille aurait fini par mourir, dans un flot d'urine, de sang et d'excréments, si un événement imprévu n'était intervenu. « Un soir où je me balançais la tête de droite à gauche, comme d'habitude, pour tenter de calmer mes souffrances, quelqu'un s'est approché de mon lit. Il était grand et devait avoir environ quarante-cinq ans. Il a soulevé ma couverture, et s'est écrié d'une voix horrifiée : » Mais, mon petit, on vous a torturée ! Qui a fait cela ? Qui ? « Je n'ai rien répondu. D'habitude, on ne me vouvoyait pas. J'étais sûre que cette phrase cachait un piège.  » Ce n'était pas un piège. L'inconnu la fera transporter dans un hôpital d'Alger, soigner, puis transférer en prison. Ainsi, elle échappera aux griffes de Massu, Bigeard et Graziani. Louisette Ighilahriz, « Lila » de son nom de guerre, retrouvera la liberté cinq ans plus tard, avec l'indépendance de l'Algérie. 

Extrait d'un article de Florence Beaugé - Le Monde du 20 juin 2000

La Cité nationale de l’histoire de l’immigration abrite depuis le 8 octobre l’exposition
«Vies d’exils, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie», une plongée inédite dans le quotidien des travailleurs algériens en France entre 1954 et 1962, conçue et réalisée par les historiens Linda Amiri et Benjamin Stora.

Est-il si bizarre que cette histoire ressorte au moment où l’on commémore le 17octobre 1961 : le jour où, premières séquelles de la guerre d’Algérie, pour le simple fait d’avoir manifesté pacifiquement par dizaines de milliers contre un couvre-feu illégal et scandaleux visant exclusivement les Algériens en région parisienne, 11 000 personnes furent arrêtées et au moins 200 tuées dans des conditions insupportables.

 

bigeard,17 novembre 61,louisette ighilahriz,le drian,fréjus   

A l'annonce de la mort de Bigeard, Louisette Ighilahriz, a déclaré :
«Chez nous, le nom de Marcel Bigeard est synonyme de mort et de torture. Il aurait pu libérer sa conscience avant de mourir. J'en suis profondément déçue, malade».

16/08/2012

L'urgence

 

La pensée des philosophes est parfois inaccessible dans l’instant. C’est lorsqu’elle devient intelligible, qu’elle passe dans le domaine public, qu’il risque d’être trop tard, qu’il faut accélérer le mouvement en réaction.

Deleuze, néo-fascisme« Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore […]. Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de microfascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma. » 

Gilles Deleuze, février 1977, Deux régimes de fous – Textes et entretiens 1975 – 1995, Les éditions de Minuit, 2003.

30/07/2012

Envers et contre Coubertin

Limiter les performances sportives à ce qu’elles montrent c’est ignorer tout ce qu’elles escamotent ne serait-ce que dans leur propre secteur qui, au contraire de ce qu’il prétend, est loin de toucher à l’universel. Sans doute le jeu en vaut-il la chandelle et le non temps consacré au décervelage, l’anesthésie populiste.

Il est par exemple, peu probable que les jeux et enjeux des JO de Londres 2012 soient choisis comme l’occasion de révéler au grand nombre d’individus qui les suivent la face caché du triste baron Pierre de Coubertin...

Très influencé par quelques auteurs comme Francis Galton (1822-1911) naturaliste britannique, fondateur de l'eugénisme qui s'efforça toute sa vie de démontrer l'inégalité des races humaines ou Joseph Arthur de Gobineau, (1816-1882) l'un des inspirateur du caractère raciste de l'idéologie nazie (Essai sur l'inégalité des races humaines), Coubertin ne cacha pas de son vivant, ses idées ouvertement racistes et misogynes.

En 1894, Coubertin (1863-1937) rassemble autour de lui des représentants de 12 pays : l'objectif est de ressusciter les jeux olympiques antiques. Ils auront lieu deux ans plus tard à Athènes. Pour Coubertin, il s'agit de manifester aux yeux du monde la supériorité de l'occident, et surtout de prouver dans le cadre des jeux, la perfection de "l'homme blanc", autant sur le plan physique que spirituel.

Jesse Owens, JO 2012Pour Coubertin, la beauté des corps répondant à l'antique esthétique des athlètes grecs ne peut se retrouver que chez des compétiteurs Européens. Cette supposée perfection européenne doit donc se manifester clairement par une supériorité en terme de performances, cela au détriment des autres "races" considérées comme inférieures.

Resserrement du cadre idéologique proposé par le baron pour une "renaissance" des jeux Olympiques modernes :

Les femmes interdites d'accès, les "Nègres", Indiens et autres "métèques" tolérés dans le rôle de faire valoir. On retiendra d'ailleurs que pour la troisième olympiade de 1904 à St Louis au Etats-Unis, les compétitions furent organisées séparément, ceci en fonction de la "race" des compétiteurs. Les organisateurs Américains considéraient en effet les Pygmées, Turcs, Syriens et autres Sioux comme des trublions exotiques, indignes d'être comparés à la fine fleur de l'athlétisme.

Quant à Coubertin, malgré le succès grandissant des J.O. modernes, il ne cesse de tempêter contre le laxisme ethnique des jeux et surtout l'éventuelle participation des femmes aux Olympiades.
" Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les Jeux Olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs."

Pour lui, la revendication d'une participation féminine était ressentie comme un affront majeur à la grandeur et à la pureté originelle de cette compétition. Néanmoins, la pression grandissante des mouvements féministes au cours des années 1920 finira par abattre la réglementation misogyne du comité international olympique, si bien qu'en 1928, aux jeux d'Amsterdam, (contre l'avis de Coubertin bien sûr !) les femmes, au nombre de 290, font leur entrée remarquée aux épreuves d'athlétisme.

Écœuré, Coubertin s'éloigne du comité Olympique international dont il a démissionné de la présidence en 1925, pour se rapprocher de celui de l'Allemagne, qui selon lui, est plus proche de l'idéal Olympique.
Coubertin était donc loin d'être le philanthrope que l’on nous vend.

Mais alors, pourquoi vouloir faire croire le contraire ?...

Autres citations (quelques unes) et anecdote :

  • "À la race blanche, d'essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance".   
  • "Il y a deux races distinctes : celles au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l'air vaincu. Hé bien ! C'est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n'est appréciable qu'aux forts." (In "Education anglaise")
  • "La théorie de l'égalité des droits pour toutes les races humaines, conduit à une ligne politique contraire à tout progrès colonial. Sans naturellement (sic) s'abaisser, à l'esclavage ou même à une forme adoucie du servage, la race supérieure attribue ( ?) à la race inférieure certains privilèges de la vie civilisée." (In The review of the reviews avril 1901).
  • Anecdote : Coubertin n'est pas l'auteur de la formule «l'important n'est pas de vaincre mais de participer". Celle-ci a été prononcée par Ethelbert Talbot, évêque de Pennsylvanie à Londres avant le début des jeux de 1908.

Une grande partie du texte qui précède est issue de la version censurée par wikipédia en 2005 (sauvegardée en page de discussion et signée EC).

24/07/2012

Rafle du Vél d'Hiv

Pendant que l’on s’écharpe ici et là sur le bien fondé et les approximations formelles d’un discours présidentiel en commémoration de la rafle du Vel’d’Hiv (réf. et annexes), il est surprenant que nous ne soyons toujours pas en mesure d’utiliser ce qui constitue la substance et le sens de cette mémoire pour éviter de nous enfoncer dans la négation de l’Autre.

Vel d'Hiv, commémoration 2012

Si l’on ne retient de l’Histoire que sa chronologie circonstanciée comment pourra-t-on à en tirer une leçon de portée universelle ?

Car il s’agit bien de dépasser la chronologie des faits, aussi nécessaire et exacte puisse-t-elle être : ce à quoi, visiblement englués dans la polémique du jour, nous ne sommes pas parvenus.
Dans le cas contraire, nous n’aurions pas à plaider pour réhabiliter la philosophie, la conscience de l'Autre (j’insiste pour la majuscule) ou le simple fait de penser (de préférence sans les médias qui font profession de le faire à notre place).
Du devoir de mémoire, nous aurions alors fait œuvre utile envers et contre tout négationnisme et l’aurions même fait reculer. Ce qui malheureusement, pourrait-on en convenir, n’est pas vraiment le cas.

02/07/2012

Le manifeste censuré de Camus

Dans une note précédente, un communiqué de la section LDH d’Aix en Provence faisait état de « réticences » culturelles associées à des « complaisances » honteuses elles-mêmes liées à un devoir de mémoire non assumé de la part du maire de cette ville.
Résultat : un imbroglio sciemment orchestré qui a été à l’origine de difficultés éprouvées par les organisateurs d’une exposition consacrée à Albert Camus dans le cadre de Marseille-Provence capitale européenne de la culture 2013.

A la veille de commémorer l’anniversaire de l’indépendance de l’Algérie - 5 juillet 1962 -, les rancœurs des tenants de l’Algérie Française ressurgissent encore aujourd’hui et illustrent l'origine de la censure dont a été victime Camus autant que la cause anticoloniale et pacifiste dont il a voulu faire bénéficier ses semblables en Algérie comme en France.

On sait en effet qu’en 1939, l’auteur de La Chute a publié, dans divers journaux, des articles dénonçant la politique de répression contre les nationalistes algériens et l’étouffement de toutes les revendications du PPA (Parti du peuple algérien). Certains d'entre eux ont été censurés.

A propos de cette censure, un inédit de Camus a été exhumé des Archives Nationales d’Outre-Mer, lesquelles - coïncidence - se trouvent à Aix-en-Provence.

manifeste censuré d'Albert Camus

Ce texte traite de la liberté de la presse, du rôle du « journaliste libre », de la désinformation qui existait déjà, et qui est encore, très largement, mise en évidence sur la scène médiatique pour qui veut se donner la peine de s'y soustraire.

« 

Il est difficile aujourd’hui d’évoquer la liberté de la presse sans être taxé d’extravagance, accusé d’être Mata-Hari, de se voir convaincre d’être le neveu de Staline.

Pourtant cette liberté parmi d’autres n’est qu’un des visages de la liberté tout court et l’on comprendra notre obstination à la défendre si l’on veut bien admettre qu’il n’y a point d’autre façon de gagner réellement la guerre.

Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu’elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd’hui à la liberté de pensée, nous avons d’ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu’il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain, par exemple. Le fait qu’à cet égard un journal dépend de l’humeur ou de la compétence d’un homme démontre mieux qu’autre chose le degré d’inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d’une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d’un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n’est plus aujourd’hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n’intéresse plus la collectivité. Il concerne l’individu.

Et justement ce qu’il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée.

Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l’ironie et l’obstination.

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l’histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu’elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu’il croit vrai comme si son action pouvait
influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. Or, et pour peu qu’on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s’assurer de l’authenticité d’une nouvelle. C’est à cela qu’un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s’il ne peut dire tout ce qu’il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu’il ne pense pas ou qu’il croit faux. Et c’est ainsi qu’un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l’on sait la maintenir. Car elle prépare l’avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l’origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l’uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu’elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu’aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servile mensonge.

Nous en venons ainsi à l’ironie. On peut poser en principe qu’un esprit qui a le goût et les moyens d’imposer la contrainte est imperméable à l’ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, utiliser l’ironie socratique. Il reste donc que l’ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu’elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d’illusions sur l’intelligence de ceux qui l’oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l’homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l’est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l’intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l’on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu’elles ont peu d’amants.

Cette attitude d’esprit brièvement définie, il est évident qu’elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d’obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d’expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l’effet contraire à celui qu’on se propose. Mais il faut convenir qu’il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l’inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L’obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l’objectivité et de la tolérance.

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu’au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu’il croit vrai et juste, s’il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l’abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c’est souvent à son corps défendant qu’un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l’homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s’expriment que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c’est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l’homme indépendant. Il faut s’y tenir sans voir plus avant. L’histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits. 

»

27/06/2012

Mikis Théodorakis, antisémite ?!!!

Parmi les faits, très rares, dont les prédécesseurs du gouvernement Ayrault peuvent se vanter, il en est un qui ne devrait pas passer inaperçu : avoir élevé Mikis Théodorakis au rang de commandeur de la Légion d’Honneur.

Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet, n’ont cependant pas hésité à son sujet, à avancer quelques contrevérités qui les rendent clairement coupables de diffamation:

  1. Mikis Théodorakis est antisémite
  2. Jean Luc Mélenchon est l’ami de Mikis Théodorakis
  3. Donc Jean Luc Mélenchon est antisémite

Le sophisme pourrait évidemment très facilement se retourner contre ses auteurs en changeant la seconde proposition par Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet ont décoré Mikis Théodorakis de la Légion d’Honneur, … donc Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet sont (ou décorent des) antisémites.

Autre élément de réflexion : JLM n’a jamais rencontré Mikis Théodorakis, ne serait-ce que le jour où il a reçu cette décoration, ce que l’on regrette mais que l’on ne saurait reproché au leader du FdG.

Mais la question n'est pas là et quoiqu’il en soit de cette polémique construite sans aucun égard pour les victimes juives de la Shoah, le compositeur grec leur a répondu ce qui suit :

«Je suis Grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement n’a pas exercé de poursuites contre les Juifs mais, au contraire, les a aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions.

À l’époque, J’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de Libération et je me souviens que nous avions pris sous notre protection de nombreuses familles de Juifs Grecs, que nous nous sommes souvent battus contre les SS pour les sauver et beaucoup d’entre nous l’ont payé de leur vie.

Trilogie Mathausen, Théodorakis

Plus tard, j’ai composé le cycle “Mauthausen” que, notamment en Israël, l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 80, il m’a été accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète, Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May et en hébreu par la chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans interruption sur le site du camp.

En 1972, j’ai bravé le boycottage européen et j’ai donné des dizaines de concerts en Israël, des moments que je qualifierais d’historiques en raison des liens d’amour mutuel qui nous unissaient.

À cette même époque, Yigal Allon, alors Vice-Premier ministre du gouvernement israélien et Ministre de l’Éducation et de la Culture, m’a confié une première mission, celle de transmettre un message de paix à Arafat au nom de son gouvernement. C’est dans cette intention que je l’ai rencontré à Beyrouth et, à cette occasion, j’ai donné une conférence de presse dans une salle. Un groupe de fanatiques Palestiniens avait décidé de m’abattre, car il me considérait comme un complice des Juifs. C’est Arafat lui-même qui me l’a dit le lendemain avec, à ses côtés… le groupe de mes assassins en puissance. Qu’est-ce qui m’a sauvé ? Mon amour authentique pour les deux peuples martyrs : les Juifs et les Palestiniens.

«Quand on t’a entendu pendant la conférence de presse», m’ont-ils dit, « on a compris que nous nous trompions». Qu’est-ce que j’avais dit au cours de la conférence de presse ? «Le conflit qui vous oppose ne sera pas résolu par les armes, mais par la compréhension mutuelle. De l’autre côté, il y a des hommes ordinaires qui vous ressemblent, simples et travailleurs, capables d’aimer et qui, comme vous, aiment leur famille et leur pays. C’est eux que vous devez trouver, parce que c’est avec eux que vous pourrez vivre dans la paix».

Arafat m’a dit : «Tu as chanté les Juifs et tu as eu raison, car eux aussi c’est un peuple tourmenté. Comme nous. Alors, s’il te plaît, écris une chanson pour nous aussi…». C’est ainsi que j’ai écrit aussi un chant pour le peuple palestinien qui est devenu son Hymne national.

Bien plus tard, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la Paix à Rabin (Israël) et à Arafat (Palestine), l’orchestre symphonique d’Oslo avec, en soliste, l’interprète finlandaise Arja Saijonmaa a joué “Mauthausen” en hommage à Israël et le chant que j’avais composé, reconnu comme Hymne National, en l’honneur du peuple palestinien. Ce moment symbolique suffit à démontrer la place que j’occupe dans l’esprit et dans les cœurs des deux peuples.

Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban et c’était chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec, je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille. Et pourtant, pour certains fanatiques d’un côté comme de l’autre, je suis la cape rouge agitée devant le taureau.. Pourquoi ? Parce que j’ai la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine je m’exprime ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et, quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux.

Dans mon opéra «les Métamorphoses de Dionysos» (dont j’ai écrit aussi le livret), il y a une scène où des Juifs sont déportés par des SS dans des camps d’extermination. Il s’agit d’un moment crucial de l’œuvre, d’une condamnation du Nazisme qui dévoile d’une façon très humaine, l’affliction psychique et intellectuelle que je ressens devant les souffrances des Juifs.

D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie jalonnée de poursuites qui m’ont souvent poussé jusqu’au seuil de la mort.

Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans la mouvance du Néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la tête pour nous menacer et –incroyable, mais vrai– nous accuser, eux, d’….antisémitisme en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations insidieuses!

Il suffit de dire, par erreur manifeste, dans une interview de trois heures «antisémite» au lieu de «antiraciste», et on s’empare d’une seule et unique phrase dont on isole un mot, brandi comme un étendard, tout simplement pour servir l’intention de m’incriminer. Combien d’années était-on aux aguets pour une simple erreur ? Le mot «antisémite» correspond-il vraiment à ce qui suit ? «J’aime le peuple juif avec lequel nous avons vécu et souffert en Grèce pendant des années et je hais l’antisémitisme». Je suppose que mes différents ennemis se sont bien gardés de citer ces paroles. Et pourtant, c’est EXACTEMENT la phrase qui suit. Ce n’est pas quelque chose que je viens d’inventer, après-coup, en guise d’alibi. Il en EST ainsi et il est facile de le prouver de façon incontestable en écoutant TOUTE la phrase, exactement comme je l’ai prononcée et non pas en la tronquant comme l’ont voulu mes adversaires.

Peut-être va-t-on se demander pourquoi et comment certains persistent à vouloir discréditer un ami si fidèle d’Israël et des Juifs et tentent de me faire passer à tout prix pour un antisémite. (De qui parle-t-on ? De quelqu’un qui a connu les sous-sols de la Gestapo pour les sauver !)…

Toutefois, la réponse est finalement simple : beaucoup de mes amis juifs sont d’accord avec moi. Certains sont d’accord avec moi,-même s’ils vivent en Israël, donc dans la tourmente quotidienne des évènements. Alors, si les simples citoyens du peuple d’Israël entendent mes idées, telles qu’elles sont réellement exprimées, ils « risqueraient » (selon mes ennemis, bien sûr) d’être d’accord avec moi, en pensant que la solution du problème ne se trouve pas dans la violence et les armes, mais dans la coexistence et la paix. Ce qui ne plaît pas du tout à mes adversaires car, bien sûr, j’ai –à plusieurs reprises– totalement désapprouvé la politique de l’État d’Israël et j’ai exprimé ce désaccord avec force et de la façon la plus claire et la plus catégorique (comme je fais toujours). Pour ne pas courir le risque que ces citoyens se rangent à mes opinions, ils ne doivent pas les entendre. Et quelle est la meilleure et la plus sûre façon de procéder pour arriver à ses fins ? Et bien, leur tactique habituelle : me coller «l’étiquette» d’antisémite, de sorte qu’aucun Juif, où qu’il se trouve, ne veuille plus entendre non seulement mes idées, mais même mon nom.

Et maintenant, particulièrement en France où brusquement on «s’est souvenu» d’une interview donnée il environ un an et demi, il existe -de toute évidence- une autre raison: porter atteinte à la Gauche. Leur prétendu «argument» (qui est totalement mensonger) est que son leader, M. Mélenchon me connaît et que, par conséquent…il a des amis antisémites ! Toutefois, la vérité –malheureusement pour eux– est évidente et je pense que tout homme animé de bonnes intentions peut s’en rendre compte.

Donc, même si après la lecture de ce qui précède, certains persistent encore à me faire passer pour quelqu’un que je n’ai jamais été et que, bien sûr, je ne suis pas, le doute n’est plus permis. Tout est fait sciemment pour servir d’autres finalités, car ma foi inébranlable dans la paix et la coexistence de ces deux peuples martyrs dérange plus d’un.»

Athènes, le 15 juin 2012
Mikis Théodorakis
mikis@mikistheodorakis.gr

26/04/2012

Le jour d'après

La véritable souffrance, celle que l’on dit être une explication au vote d’extrême droite largement teinté de xénophobie, a été engendrée par la vulgarité des entreprises basées sur le profit que l’on peut tirer de l’inconscience et de l’ignorance, de ces notes insupportables interprétées chaque jour sur le piano déglingué des infos sous culturante.

La véritable souffrance déforme les visages au point de les rendre inaudibles.

http://1.bp.blogspot.com/_XtI1QtksMio/TUmEC_CvRkI/AAAAAAAADR4/m6JBS6OLi6U/s1600/Bacon+Study+for+the+Head+of+a+Screaming+Pope%252C+1952.jpg
Francis Bacon, 1909 - 1992

La priorité, l'urgence aujourd'hui : Battre le candidat des droites, le candidat sortant !


« La Ligue des droits de l’Homme se félicite du haut niveau de participation au premier tour de l’élection présidentielle.

Elle y voit la volonté du peuple français de restituer à la politique son rôle primordial, sans céder aux injonctions de se plier aux intérêts économiques.

La LDH constate l’ampleur du désaveu qui frappe le Président sortant. Ce qui a été sanctionné, c’est un quinquennat au service des puissants, caractérisé par des choix aggravant les injustices sociales, légitimant la xénophobie d’Etat, multipliant les atteintes aux droits et aux libertés, enfermant les citoyens dans une société de surveillance et dans une démocratie limitée. En s’en prenant à tout-va à diverses catégories de la population, parce qu’au chômage, selon leur origine, et même selon leur religion, en désignant des boucs émissaires et en attisant les peurs et les haines, Nicolas Sarkozy a légitimé les idées du Front national, qui s’en trouve plus fort que jamais.

Parce que notre pays ne peut continuer à se livrer, à lui-même, une guerre civile froide, parce que sa défaite est une étape nécessaire, il faut, le 6 mai 2012, barrer la route à Nicolas Sarkozy.

Mais, infliger une défaite au candidat sortant ne suffira pas à répondre aux angoisses et aux espoirs que traduit le premier tour des élections présidentielles. Ce sera au nouveau président de la République d’impulser une autre politique qui, dépassant l’alternance institutionnelle, ouvre la voie à une réelle alternative politique.

Rétablir un fonctionnement démocratique des institutions en supprimant le cumul des mandats, en assurant l’indépendance de la justice et en élisant les membres du Conseil constitutionnel, ainsi que les autres Autorités indépendantes, à une majorité des deux tiers du Parlement.

Bannir la xénophobie d’Etat en régularisant les sans-papiers qui étudient, vivent et travaillent ici, en ouvrant enfin un réel débat sur l’immigration, en accordant aux étrangers non européens le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, et faire reculer le racisme en cessant de stigmatiser des catégories entières de population en raison de leur origine ou de leur religion.

Restituer aux citoyens leurs libertés en réformant profondément la justice pénale, en abolissant les lois d’exception, en rétablissant la justice des mineurs dans toute son exceptionnalité, en limitant les fichiers et leur usage à des fins proportionnées, contrôlables et à la finalité établie.

Reconstruire des services publics qui soient à la disposition de tous et auxquels tous doivent avoir accès, lancer un plan d’action pour l’hébergement d’urgence et le logement social, construire une justice fiscale et sociale qui assure la progressivité de l’impôt et la redistribution des richesses.

Construire une autre Europe, aux institutions démocratiques, dégagée du dogme de la concurrence, et ouverte sur le monde.

La LDH, au cours des mois à venir, portera ces revendications comme autant de conditions nécessaires pour que notre société cesse de produire de l’injustice et de l’exclusion, pour que se construise l’espoir d’une société plus solidaire et plus libre.»

Communiqué de la LDH

Paris, le 24 avril 2012.

10/04/2012

Paranoïa critique

Gunter Grass scandalise ?...  


[ Un documentaire de l'émission Zone Libre Radio Canada.]

Ce que l’on conteste à l’auteur du Tambour, c’est plutôt son droit moral de dénoncer le silence fait autour du nucléaire israélien au prétexte de son passé. Mais la question que G. Grass soulève est des plus importantes puisqu’elle engage la responsabilité des actuels inconditionnels soutiens au gouvernement d’Israël, ce dernier étant dirigé par ce qu’il devrait être convenu d’appeler «des kamikazes d’Etat», prêts à réduire en cendres le Moyen-Orient pour défendre ses frontières et à jouer de ses relations économiques pour exiger le silence sur les violations du droit international qu’il commet sans discontinuer et sans vergogne.

gunter grass scandalise ?,nucléaire israélien

En fait, G. Grass ne fait que remettre sur le tapis la question tabou du programme nucléaire israélien, qui date de 1954, et qui a débuté, soit dit en passant, en étroite coopération avec la France, qui elle aussi cherchait à se doter de la bombe atomique.

Tout serait évidemment beaucoup plus clair et moins conflictuel si Israël consentait à reconnaître officiellement la réalité de son appartenance au club des nations disposant de l’arme nucléaire et faisait la démonstration de sa capacité à vivre en paix avec le peuple palestinien. C’est loin d’être une demande exorbitante !

En attendant Gunther Grass, qui se reconnaît «une origine, entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable», et voit concentrée sur sa personne quantité de ressentiments qui n’ont vraisemblablement rien à voir avec elle, fait aussi bien les frais d’une évidente hypocrisie que d'une paranoïa critique.

Il écrit :

« Pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps
Ce qui est manifeste, ce à quoi l'on s'est exercé
dans des jeux de stratégie au terme desquels
nous autres survivants sommes tout au plus
des notes de bas de pages

C'est le droit affirmé à la première frappe
susceptible d'effacer un peuple iranien
soumis au joug d'une grande gueule
qui le guide vers la liesse organisée,
sous prétexte qu'on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir,
de construire une bombe atomique.

Mais pourquoi est-ce que je m'interdis
De désigner par son nom cet autre pays
Dans lequel depuis des années, même si c'est en secret,
On dispose d'un potentiel nucléaire en expansion
Mais sans contrôle, parce qu'inaccessible
À toute vérification ?

Le silence général sur cet état de fait
silence auquel s'est soumis mon propre silence,
pèse sur moi comme un mensonge
une contrainte qui s'exerce sous peine de sanction
en cas de transgression ;
le verdict d'"antisémitisme" est courant.

Mais à présent, parce que de mon pays,
régulièrement rattrapé par des crimes
qui lui sont propres, sans pareils,
et pour lesquels on lui demande des comptes,
de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires,
quoiqu'en le présentant habilement comme une réparation,
de ce pays, disais-je, Israël
attend la livraison d'un autre sous-marin
dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives
capables de tout réduire à néant
 

en direction d'un lieu où l'on n'a pu prouver l'existence
ne fût-ce que d'une seule bombe atomique,
mais où la seule crainte veut avoir force de preuve,
je dis ce qui doit être dit.

Mais pourquoi me suis-je tu jusqu'ici ?
parce que je pensais que mon origine,
entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable,
m'interdit de suspecter de ce fait, comme d'une vérité avérée,
le pays d'Israël, auquel je suis lié
et veux rester lié.

Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire,
vieilli, et de ma dernière encre :
La puissance atomique d'Israël menace
une paix du monde déjà fragile ?
Parce qu'il faut dire,
ce qui, dit demain, pourrait déjà l'être trop tard :
et aussi parce que nous - Allemands,
qui en avons bien assez comme cela sur la conscience -
pourrions fournir l'arme d'un crime prévisible,
raison pour laquelle aucun
des subterfuges habituels n'effacerait notre complicité.

Et admettons-le : je ne me tais plus,
parce que je suis las de l'hypocrisie de l'Occident ; il faut en outre espérer
que beaucoup puissent se libérer du silence,
et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante
à renoncer à la violence
qu'ils réclament pareillement
un contrôle permanent et sans entraves
du potentiel nucléaire israélien
et des installations nucléaires iraniennes
exercé par une instance internationale
et accepté par les gouvernements des deux pays.

C'est la seule manière dont nous puissions les aider
tous, Israéliens, Palestiniens,
plus encore, tous ceux qui, dans cette
région occupée par le délire
vivent côte à côte en ennemis
Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes. »

Günter Grass Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni

08/04/2012

«Entendre les rossignols chanter des marseillaises»

«Entendre les rossignols chanter des marseillaises», c’est retrouver harmonie et noblesse dans le discours politique : un autre monde qui s’oppose à la vulgarité, à la violence ou à l’insignifiance des Le Pen et Sarkosy.

La fin de l’allocution prononcée à Limoges par le porte-parole du Front de Gauche et empruntée à un texte de Victor HUGO (William Shakespeare – 3ème partie : conclusion. Livre II – Le 19ème siècle), est un texte particulièrement riche puisqu’il se veut une déclinaison de l’Humain.

Une déclinaison précédée par une prise en compte des faiblesses individuelles :

« (…) Ah ! Il y a des heures où il semble qu’on voudrait entendre les pierres murmurer contre la lenteur de l’homme !
Quelquefois on s’en va dans les bois. A qui cela n’arrive-t-il pas d’être parfois accablé ? On voit tant de choses tristes. (…) une génération est en retard, la besogne du siècle languit. Comment ! Tant de souffrances encore ! On dirait qu’on a reculé. Il y a partout des augmentations de superstition, de lâcheté, de surdité, de cécité, d’imbécillité. La pénalité pèse sur l’abrutissement. Ce vilain problème a été posé : faire avancer le bien-être par le recul du droit (…) »

… mais qui renoue avec l’espoir d’une délivrance et la démonstration d’une force idéale et collective :

« (…) En avant ! On voudrait entendre les rossignols chanter des marseillaises. (…) Il y a des haltes, des repos, des reprises d’haleine dans la marche des peuples, comme il y a des hivers dans la marche des saisons. (…) Désespérer serait absurde ; mais stimuler est nécessaire.
Stimuler, presser, gronder, réveiller, suggérer, inspirer
, (…) De là cette parole : Délivrance, qui apparaît au-dessus de tout dans la lumière, comme si elle était écrite au front même de l’idéal. »

HUGO, JLM, LIMOGES

A Limoges, J-L. Mélenchon a repris un autre passage du texte d’Hugo. Rythmé, imagé, mobilisateur, intégré dans un ensemble sincère, cohérent et généreux :

« (…) Aujourd’hui pour toute la terre la France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie. Je le répète, ne cherchez pas ailleurs le point d’origine et le lieu de naissance de la littérature du dix-neuvième siècle.

Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours,

Oui, pour combattre les violences et les impostures,

Oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés,

Oui, pour conclure logiquement et marcher droit,

Oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner,

Oui, pour panser en attendant qu’on guérisse,

Oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes,

Oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne,

Oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné,

Oui, nous sommes tes fils, Révolution ! (…)»

14/03/2012

Sortir de la guerre d’Algérie : regards croisés, …

Cinquante après les accords et le cessez-le-feu qui ont mis un terme, le 19 mars 1962, à la guerre d’Algérie la LDH considère que le temps est venu de poser enfin un regard apaisé sur la fin tragique de la période coloniale de notre histoire.

La LDH condamne vivement les forces politiques qui, dans un but électoraliste, encouragent les nostalgiques de la colonisation. Tel le maire de Nice, Christian Estrosi, qui a tenté, les 10 et 11 février dernier, d’empêcher la tenue d’un colloque organisé par la section locale de la Ligue des droits de l’Homme sur le thème «Algérie 1962, pourquoi une fin de guerre si tragique ?», au motif qu’il ne s’inscrivait pas dans «l’esprit» de la commémoration que sa municipalité organise.
La Ligue des droits de l’Homme dénonce également avec force le fait que, le 10 mars, à Nîmes, des élus de l’UMP et du Nouveau centre, maires, députés, sénateurs et conseillers généraux, se soient joints au agitateurs du Front national et aux anciens de l’OAS pour tenter de s’opposer à la tenue d’un colloque d’historiens consacré par un collectif d’associations dans les locaux du conseil général du Gard à «la Fédération de France du FLN (1954-1962)».

la guerre d"algérie expliquée à tous
ISBN-13: 978-2020812436

Comme elle l’avait affirmé lors des commémorations de la sanglante répression de la manifestation désarmée des Algériens de la région parisienne du 17 octobre 1961, la LDH demande aux plus hautes autorités de la République de reconnaître que la colonisation de l’Algérie, tout comme la guerre qu’ont menée les autorités de l’époque pour tenter de s’opposer à l’indépendance algérienne, se sont accompagnées de pratiques qui n’ont cessé de tourner le dos aux principes des droits de l’Homme.

algérie 1962,évian, la déchirure, B Stora
http://youtu.be/6BiG5MqiSeQ

Le colloque qu’elle organise avec d’autres associations les 17 et 18 mars à Evian, à l’occasion du cinquantenaire des Accords d’Évian, «Sortir de la guerre d’Algérie : regards croisés, regards apaisés», sera pour elle l’occasion de réaffirmer sa demande aux autorités françaises qu’elles abandonnent le discours insidieux tenus depuis l’élection de Nicolas Sarkozy sur le «refus de la repentance» et l’éloge de «l’œuvre civilisatrice» de la colonisation, pour formuler une véritable reconnaissance des injustices fondamentales qui ont marqué cette époque.

Seule une telle reconnaissance permettra, enfin, de tourner cette page tragique de notre histoire et de construire avec les peuples du sud de la Méditerranée un avenir de paix et de progrès.

Communiqué LDH

14/02/2012

La loi de 1905 dans la Constitution ?

La proposition n°46 du programme du candidat François Hollande est présentée telle que :


«Je proposerai d’inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant, à l’article 1er, un deuxième alinéa ainsi rédigé : « La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle.»


Parenthèse : Pour l’instant, l’histoire ne dit pas ce que le même François Hollande fera de l’actuel alinéa n°2 : «La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.»

Si l’on arrive déjà à admettre qu’il est indispensable de sanctuariser la Laïcité en soulignant son caractère intangible par un alinéa spécifique dans la constitution, comment accepter l’oxymore juridique qui consiste à déroger dans le même article et alinéa constitutionnel à cette «intention», supposé louable, en protégeant les bénéficiaires du statut particulier d’Alsace - Moselle ?
C‘est tout simplement aberrant et antinomique au regard du principe d’indivisibilité du territoire qui devrait au contraire être rétabli pour les départements d’Alsace et de Moselle, allemands lorsque la loi de 1905 a été votée, et restés soumis au Concordat de 1801 signé par Napoléon Bonaparte. Concordat qui prévoit notamment le financement par l’État de quatre cultes, ce qui est parfaitement dérogatoire à la loi de 1905.
On est loin du «retour de la gauche laïque et républicaine» titre généreusement attribué à l’équipe de François Hollande par Caroline Fourest. Tout le monde peut se tromper, à condition de ne vouloir tromper personne !

A l’opposé de cette proposition saugrenue de F. Hollande, la position de Jean Luc Mélenchon sur ce point est parfaitement claire, cohérente. Elle est étendue à la fin de l'ordonnance de Charles X du 27 août 1828 qui fait bénéficier le seul culte catholique d'un financement public en Guyane, ainsi qu’à l’abrogation des décrets lois qui s'appliquent dans les Départements d'outre-mer.




08/02/2012

Février 62, Charonne

Cinquante ans et toujours ce goût acre, âpre, à vomir d’une extrême droite qui rode et regarde ses futures victimes avec un sourire malsain et concupiscent. Le dégout des Guéant est infini. Eternel.

Le 13 février, cinq jours après le drame du métro Charonne (9 morts lors des manifestations anti-OAS),
plusieurs centaines de milliers de personnes assistent aux obsèques des victimes.


Le 8 février 1962, le PC, le PSU, les Jeunesses socialistes et les principaux syndicats appellent à une manifestation de "défense républicaine" protestant contre la vague d'attentats OAS qui secoue la France (180 plasticages en janvier-février) et contre la guerre d'Algérie. Lors de la manifestation, les heurts avec les forces de l'ordre, nombreux et violents, débouchent sur un drame. Après l'ordre de dispersion, paniqués par les charges policières, des manifestants cherchent à se réfugier au métro Charonne, boulevard Voltaire. Mais leurs corps sont écrasés contre les grilles à demi fermées de la station tandis que "les policiers tapent dans le tas à coup de "bidule" [Benjamin Stora, La Gangrène et l'oubli. La Mémoire de la guerre d'Algérie, La Découverte, 1998, p.101].


On relève 9 morts (huit manifestants et un journaliste de L'Humanité ) et plusieurs dizaines de blessés. Le choc est considérable. Charonne entre "ce soir-là dans les lieux sacrés de la mémoire collective, comme jadis la rue Transnonain ou le mur des Fédérés" [Michel Winock, "Une paix sanglante", in Patrick Eveno, Jean Planchais (dir.), La Guerre d'Algérie, La Découverte-Le Monde, 1989]. Le 13 février, tandis qu'une grève générale de protestation et de solidarité avec les familles des victimes paralyse le pays, 500 000 personnes suivent les obsèques des victimes de Charonne.


Au sujet de "Charonne", bien des questions demeurent. Ce défilé anti-OAS allait, indirectement, dans le sens du pouvoir. Alors pourquoi a-t-on fait charger une foule désarmée peu après que l'ordre de dispersion a été donné ? A l'époque, les responsabilités de l'affrontement sont aussitôt controversées. Le ministre de l'Intérieur Roger Frey reproche dans un premier temps aux "séides" du PCF d'avoir joué le jeu de l'OAS avant d'accuser cette dernière, sur la foi d'un document saisi dans ses archives, d'avoir monté une "opération provocation".

Source : médiathèque INA

15/12/2011

Salah Hamouri. LIBRE.

La nouvelle de la libération de Salah Hamouri, détenu jusqu’au 18 décembre par l’Etat d’Israël, est au moins aussi réjouissante que celle de Gilad Shalit, détenu par le Hamas. La réciprocité s’arrête là. Pas l’instrumentalisation, tant les égos individuels et/ou partisans ont à gagner à ergoter sur la valeur de la Liberté selon son origine ou sa destination.

Hypocrisie supplémentaire : hier encore, il était convenu de dénombrer les otages français dans le monde à un moment ou à un autre des JT, en oubliant systématiquement voire sciemment Salah Hamouri. Aujourd’hui on s’arrache et se glorifie de sa double nationalité comme pour mieux faire oublier que la cause palestinienne n’est pas réglée pour autant.

Salah Hamouri libre

Le cynisme des déclarations faites ici ou là qui ont fait suite à l’entrée au forceps de la Palestine à l’UNESCO, (comme celle-ci : «Les Palestiniens ne sont pas un peuple parce qu’ils n’ont jamais eu d’État et qu’ils faisaient partie de l’empire ottoman avant la création d’Israël» dixit Newt Gingrich, candidat républicain à la Maison Blanche) ; la rage des gouvernements qui s’y opposaient (Allemagne, Canada, États-Unis ...), doivent être clairement entendues comme une incitation à la vigilance et au maintien d’une pression internationale pour que l’existence de la Palestine soit un jour reconnue et protégée.

09/12/2011

Martina Davis Correia (1967-2011)

Cette note fait écho à l’exécution de Troy Davis. La disparition de Martina Davis Correia est d’autant plus bouleversante qu’elle précède l’annonce de la non-exécution de Mumia-Abu-Jamal, lui aussi condamné à la peine de mort par une justice raciste.  

Martina Davis Correia, Troy Davis ,Mumia-Abu-Jamal ,Libertes-libertes-cheries

Sandrine Lerma, vendredi 2 décembre 2011 sur Facebook a écrit : 

«Martina Davis Correia, sœur de Troy Davis et infatigable activiste de la lutte contre la peine de mort aux USA, s'est éteinte le 1er décembre après avoir lutté 11 ans contre le cancer du sein sans jamais laissé la maladie entraver sa détermination à lutter contre la peine de mort, tout autant au nom de son frère qu'animée par un sincère désir de justice.

Elle a soutenu jusqu'au bout les causes qui lui étaient chères, l'abolition de la peine de mort et la prévention du cancer de sein avec un courage et une énergie suscitant l'admiration de tous ceux qui ont été, de près ou de loin, touchés par son travail.

Elle restera à n'en pas douter une source d'inspiration pour ceux qui ont été le témoin de son action, bien au-delà des frontières de l'état de Géorgie, et l'une des réponses à la question "L'engagement individuel peut-il vraiment faire une différence?"

Martina Correia s'était vu décerner en 2010 le Prix Seán MacBride Award décerné par Amnesty International Ireland pour sa contribution exceptionnelle à la cause des droits humains.

En 2009, son travail avait déjà été récompensé par le Georgia Civil Liberties Award décerné par l'American Civil Liberties Union et le Frederick Douglass Award, attribué par le Southern Center for Human Rights.»

Son fils De'Jaun, ainsi que Kimberly, Ebony et Lester, ses frère et sœurs, peuvent être fières d’elle. Il nous appartient de relayer sa lutte pour l’abolition de la peine de mort, et ce au moment où l’on s’apprête à commémorer la Déclaration universelle des droits de l’Homme le 10 décembre 2011

06/12/2011

L’héritage de la chouette

Documentaire réalisé en 1989 et mis en scène à partir de douze mots de racine grecque par Chris Marker, cinéaste et philosophe, auteur de "La Jetée", qui les décortique pour faire apparaître ce dont nous avons hérité de la Grèce antique.

Des États-Unis au Japon, il a baladé sa caméra là où tout mot prend sens, il a rencontré tout un aéropage d'hellénistes, logiciens, hommes politiques, artistes et a confronté leurs discours aux mémoires des cinémathèques.

Ce n’est pas un hasard si la chouette, symbole de la Grèce, avec ses immenses yeux incrédules, est omniprésente derrière les intervenants. Elle suggère la méfiance envers les opinions émises et invite à trier entre ce que nous savons et ne savons pas.

chris marker,l'héritage de la chouette,grèceCe documentaire rare et très peu distribué
est à consulter en 13 épisodes dans l’ordre
ou le désordre via le lien ...
http://gorgomancy.net/azertuyop/

 Découpage :

1. "Symposium" ou les idées reçues

A Paris, Tbilissi, Athènes et Berkeley, des historiens se prêtent au jeu de la reconstitution du « symposium », le banquet grec, autour de tables garnies de mets et de vin. Dans ce premier volet et parfois dans les suivants, leur discussion à bâtons rompus explorent divers thèmes et rejoint, au fil des digressions, des interventions isolées.

2. "Olympisme" ou la Grèce imaginaire

L’héritage de la Grèce, recomposé dans l’imaginaire contemporain, a parfois donné lieu à de terribles détournements au profit d’idéologies totalitaires comme le nazisme. Les jeux olympiques de 1936 à Berlin sont à cet égard symboliques, et la représentation du corps dans « Olympia » de Leni Riefensthal témoigne de la récupération d’un idéal au profit d’une toute autre esthétique.

3. "Démocratie" ou la cité des songes

Que recouvre précisément le mot « démocratie » lorsqu’il désigne la cité-état antique ou nos systèmes politiques contemporains ? Quelles sont les anologies ou, au contraire, les différences radicales entre des réalités séparées de plus de vingt siècles ? Certains fonctionnements ne sont-ils pas propres à toutes les civilisations ?

4. Nostalgie ou le retour impossible

Ithaque, emblème de la patrie lointaine que nul ne doit oublier : tel serait l’enseignement universel de l’« Odyssée » d’Homère. Quels liens peuvent se tisser entre une Grèce moderne dont l’histoire fut tourmentée par tant d’exils et la Grèce antique dont l’héritage est revendiqué par toute l’humanité ? Pour Vassilikos, Ionatos et Svoronos, le mot qui définit le mieux les Grecs est « nostalgie ».

5. "Amnésie" ou le sens de l’histoire

Fondée sur le témoignage ou « l’autopsie », qui signifie littéralement « se voir soi-même », notre conception de l’Histoire s’est beaucoup transformée depuis Hérodote. A des réflexions sur l’histoire, sur la relation entre politique et mémoire, succèdent les paroles de Vassilikos et de Kazan sur la génèse difficile de la Grèce contemporaine.

6. "Mathématique" ou l’empire des signes

L’héritage que nous ont imposé les Grecs avec l’espace géométrique et le langage mathématique émerveille Serres. Pourtant, à la base de l’intelligence artificielle se trouve l’algorithme arabe qui apparaît déjà dans l’écriture hiéroglyphique ou cunéiforme. Andler évoque la recherche d’une articulation entre la logique parfaite d’Aristote et l’incertitude qui règne dans les sciences cognitives.

7. "Logomachie" ou les mots de la tribu

Tous les sens de « logos » ont jailli d’un petit territoire entre Ephèse et Patmos. Selon Aristote, l’animal humain lutte avec une arme spécifique, la parole, et dans l’univers de la dialectique, ceux qui doivent s’entendre, explique Sissa, ne doivent pas se battre, mais utiliser tous les pièges de la persuasion. Le destin du logos serait-il la « logomachie », la bataille des mots ?

8. "Musique" ou l’espace de dedans

« L’art a souvent voulu imiter le réel alors qu’il devrait créer des univers sans précédents », dit Xenakis qui, comme Ionatos, tente d’expliquer ici sa vocation musicale. Loin de là, Patmos, lors de la Pâque orthodoxe… sublime lieu d’élection pour une méditation sur la musique antique puis chrétienne.

9. "Cosmogonie" ou l’usage du monde

Pour cette réflexion sur la création, Serres part de la statuaire grecque, puis Marker nous entraîne sur les pas d’une Koré de l’Acropole exposée à Tokyo. Le mystère de la cosmogonie divine est exploré par Castoriadis et Xenakis, qui s’interroge aussi sur la créativité de l’homme. Parmi les idoles que nous érigeons, Vernant présente la face monstrueuse de la Gorgone, miroir de la mort.

10. "Mythologie" ou la vérité du mensonge

Il existe un ensemble de mythes auxquels nous nous référons toujours. Steiner s’interroge sur leur genèse et leur place dans le psychisme. Ploritis évoque leur propagation ; Yoshida montre qu’ils ont été transmis au Japon dont la religion présente de fortes affinités avec ce polythéisme grec dont Nietzsche fit un modèle de tolérance car il n’engendra aucun massacre.

11. "Misogynie" ou les pièges du désir

La conception grecque de la sexualité était très différente de la nôtre. Que pensaient les Grecs du désir ? Murray et Sissa expliquent différents enjeux sociaux de l’homosexualité masculine. Objets de conquêtes ou mères, les femmes ont un statut d’éternelles mineures et semblent réduites au silence dans la cité. Pourtant, les dramaturges ont donné vie à des femmes hors du commun.

12. "Tragédie" ou l’illusion de la mort

La scène débute dans un petit bar de Tokyo, La Jetée, où l’on discute des Atrides et d’Angelopoulos. La parenté entre la Grèce et le Japon est justifiée par Xenakis et Vassilikos, puis viennent des explications sur la tragédie. Mais qui est responsable du devenir de cet héritage? Les Grecs modernes, proclame Minotis, aussitôt démenti par les images d’une « Médée » montée en Grèce par Yukio Ninagawa.

13. "Philosophie" ou le triomphe de la chouette

Honneur à la chouette, emblème de sagesse : à l’instar du philosophe elle sonde les ténèbres… Exprimés avec passion ou austérité, les avis divergent sur la définition de la philosophie. Serres, avec gravité, récuse l’idée d’une philosophie au service du pouvoir, tandis qu’au cours du banquet réuni à Tbilissi, un hommage serein est rendu à l’art du dialogue et à la belle mort du philosophe.

02/12/2011

La gangrène et l’oubli

Dans « La gangrène et l’oubli », Benjamin Stora écrivait en 1998 :
«La levée des sanctions à l’égard de responsables d’atrocités commises pendant la guerre d’Algérie interdit de vider l’abcès, puisqu’il y a effacement des repères qui distinguent entre ce qui est crime et ce qui ne l’est pas. (…)»

A partir de la fin de la guerre d’Algérie, les autorités françaises ont promulgué une succession d’amnisties et de grâces vis-à-vis des militaires qui avaient eu recours à la torture. Le général Bigeard en a bénéficié. D’après Gilles Manceron, membre de la LDH et rédacteur d’une de ses revue « Hommes et Libertés » :

« Ce furent d’abord les décrets promulgués lors des accords d’Évian, les 20 mars et 14 avril 1962, qui effaçaient à la fois les "infractions commises avant le 20 mars 1962 en vue de participer ou d’apporter une aide directe ou indirecte à l’insurrection algérienne", et celles "commises dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne". Puis vinrent quatre lois successives. La première, du 17 décembre 1964, concernait les "événements" d’Algérie et fut suivie, le 21 décembre, d’une grâce présidentielle pour 173 anciens membres de l’OAS. Celle du 17 juin 1966 amnistiait les "infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie". Vint ensuite, en pleine crise de Mai 68 et liée directement à elle, la grâce du 7 juin 1968 concernant, cette fois, tous les membres de l’OAS qui étaient encore détenus ; elle fut suivie de la loi du 24 juillet effaçant toutes les infractions liées aux "événements" y compris celles "commises par des militaires servant en Algérie pendant la période". Cette loi, malgré le dépôt d’un amendement socialiste allant dans ce sens, ne stipulait pas encore la réintégration des intéressés dans leurs fonctions civiles ou militaires ni dans leurs droits à porter leurs décorations. »

torture algérie, bigeard, invalides

« Ce fut chose faite après l’arrivée de la gauche au pouvoir. Déjà, en 1965, l’extrême droite proche de l’OAS avait été appelée à se rallier à la candidature de François Mitterrand ; l’année suivante, un projet de loi déposé par Guy Mollet, Gaston Deferre et le même François Mitterrand avait proposé le rétablissement des condamnés de l’OAS dans leurs grades et leurs fonctions ; et, en 1972, le programme commun de la gauche ne comportait aucune référence ou allusion aux suites de la guerre d’Algérie ni à la lutte pour la décolonisation. Avant les élections présidentielles de 1981, des négociations menées par des proches du candidat François Mitterrand aboutirent à l’appel du général Salan à voter Mitterrand et, entre les deux tours, à celui de l’organisation de rapatriés le RECOURS à "sanctionner" Valéry Giscard d’Estaing. C’est donc bien dans la ligne de cette politique que fut votée le 3 décembre 1982 la dernière des lois d’amnistie réintégrant dans l’armée les officiers généraux putschistes et permettant même les "révisions de carrière" nécessaires à la perception de l’intégralité de leurs retraites. Cela, au nom de l’argument formulé par François Mitterrand : "Il appartient à la nation de pardonner." »

Aujourd’hui, il n’est donc plus question de pardonner, mais d’honorer carrément le général Bigeard, commanditaire de la torture en Algérie (!!!) et ce, malgré des témoignages sans équivoque.

Une des chevilles ouvrières de cette histoire aussi grotesque qu’abjecte est l’actuel ministre de la Défense Gérard Longuet, créateur à l’époque du Mouvement Occident (extrême droite).
Ne pouvant pas faire disperser les cendres du général au dessus de Dien Biên Phù, les autorités vietnamiennes s’y opposant, notre ministre a adressé une lettre à la fille du général, pour lui proposer que les cendres de son père soient transférées aux Invalides. Celle-ci a finalement donné son accord à ce transfert, pour lequel aucune date n’a encore été fixée, a-t-on précisé au ministère de la Défense (AFP (17/11/2011 à 18:34).

Bien qu’aucune lettre ne nous soit parvenue pour que nous donnions notre avis (!), nous pouvons l’exprimer en signant une pétition qui s’oppose à cette provocation.