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26/01/2015

A propos des élections grecques

Un mois de janvier tonitruant, mais de belles analyses comme celle qui suit même si tout reste à faire...

grèce,syrisa,gauche

A PROPOS DES ÉLECTIONS GRECQUES par Danielle Bleitrach le 26 janvier 2015

Il est évident que l’on a toutes les raisons de se réjouir du vote du peuple grec en mesurant bien le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir pour que se dessine une issue pour les pays d’Europe et pour la France. Nous avons entendu des choses terribles sur le peuple grec de la part des conservateurs, les fanatiques du néo-libéralisme. Mais ce peuple a une histoire, celle de sa propre libération des nazis, celle de la lutte contre le fascisme des colonels et celle aujourd’hui du refus d’une autre dictature celle des financiers, du marché, du FMI et j’ajouterai des marchands d’armes, ça aussi c’est une vieille tradition grecque.

Nous devons féliciter le peuple grec et nous réjouir avec lui. D’abord se réjouir du fait que le peuple grec face à la situation terrible qui est la sienne ait repoussé le fascisme, la solution du capital pour dévoyer sa colère. Le score d’Aube doré demeure néanmoins non négligeable et le fascisme reste implanté dans l’appareil d’État, comme il trouve toujours une assise dans les couches en voie de marginalisation rapide et appui dans le grand patronat..

Le peuple grec a dit non à l’austérité, non à la troïka, à la logique de l’UE. C’est le sens du vote en faveur de Syriza mais aussi en faveur du KKE qui sont les seules forces à progresser (voir répartition des votes dans l’ancien parlement et celui d’aujourd’hui)..

Le fait que dans un tel contexte le KKE ne régresse pas mais au contraire progresse est un autre signe de maturité politique et une chance pour l’avenir parce que ce parti représente la volonté de conserver l’organisation dans la jeunesse et dans les couches populaires. Il donne un contenu de classe à une aspiration encore confuse mais forte.

Parce que Syriza, outre la figure de son leader charismatique, qui s’est présenté comme le renouvellement total d’une classe grecque enfermée dans une alternative sans espoir entre le Pasok (PS) et la droite, demeure une coalition non dénuée de contradictions et c’est là-dessus que tablent les vieilles forces et le capital pour  détourner le choix du peuple grec.

Nous avons connu en 1981, avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir une telle espérance ; rapidement  celle-ci a été trahie, pire encore cela a été l’installation du néo-libéralisme, le règne des cadeaux au patronat et la grande rupture entre les couches moyennes et le prolétariat privé de ses organisations.

Le parti socialiste en France a très vite d’ailleurs prétendu s’approprier la victoire en soulignant que le programme de Syriza est plus proche de la social démocratie que de tout aspect révolutionnaire. Quand on sait la manière dont le PS, en particulier son représentant en Europe Moscovici a tout fait pour torpiller le choix du peuple grec on ne peut qu’être stupéfait d’un tel culot. Mais considérons le positif une fois encore : il est temps de ne pas suivre la ligne de Macron. Désormais François Hollande quand il négocie à Bruxelles a deux alliés anti-austérité, l’Italie et la Grèce et le mouvement dans l’Europe du sud va dans le même sens sous des formes parfois différentes, alors on attend des résultats à la hauteur de la joie du PS. De même sur la question de la paix, en particulier de nouvelles relations avec la Russie, là encore le mouvement pousse avec l’élection grecque dans un sens favorable puisque Syriza et le KKE ont manifesté leur refus d’une confrontation au cœur de l’Europe, de la fascisation ukrainienne..

Maintenant est-ce que l’on peut considérer qu’un changement réel est intervenu par rapport à la crise que vit l’UE? Il s’agit d’une crise structurelle: un appareil coupé des peuples et soumis aux intérêts financiers avec comme seul facteur de régulation un monétarisme et une soumission de plus en plus marquée aux Etats-Unis, à son bellicisme, à sa destruction systématique de toute forme de coopération mutuellement avantageuse. Marquer le refus de l’austérité et se prononcer pour la paix est un grand pas dont on doit se réjouir, mais le mal est trop profond, il faudra d’autres mobilisations, d’autres interventions populaires.

Un pas a été fait, il ne faut pas le sous-estimer, il permet en tous les cas de porter le débat sur des solutions, il rompt avec la fatalité dans laquelle l’alternance PS et droite prétend depuis des années enfermer les nations européennes et qui conduisait immanquablement au fascisme par désespoir et abstention des couches populaires. Mais le risque est là, Syriza est une coalition comme Podemos en Espagne, marqué d’abord par le désaveu de l’alternance mais aussi à la recherche d’une solution qui ne change pas réellement le système, une sorte de volonté d’accommodement dans le changement espéré. Depuis des années, y compris dans les printemps arabes et dans d’autres mouvements encore plus détournés et manipulés comme l’euromaïdan, le capital sait renverser les aspirations d’une jeunesse qui proteste contre l’absence d’avenir. Une jeunesse que l’on a habituée à la suspicion de toute force organisée, élevée aussi dans l’anticommunisme, des couches moyennes diplômées qui voient se dégrader leur situation, mais qui croient encore à un certain spontanéisme et qui s’écroulent quand le capital envoie ses troupes fascistes reprendre en main leur mai 68 d’un jour. Une tentative est faite avec cette élection de donner corps à ces aspirations, c’est une bonne chose.
Voilà dit rapidement où je crois que nous en sommes, tout dépend alors de la capacité non pas à critiquer mais à chercher les moyens de favoriser l’intervention populaire pour imposer ce pourquoi elle a voté. En Grèce mais aussi en France et il faut bien constater que nous sommes démunis et qu’une des grandes questions qui se pose à nous est celle de la reconquête de couches populaires tentées par l’abstention et d’autres dérives.

Danielle Bleitrach

23/01/2015

Combattre le terrorisme, ce n’est pas restreindre les libertés

Le peuple de France est descendu dans la rue pour dire non au terrorisme et défendre les libertés. L’un et l’autre. Dans ce qui est devenu une sorte de réflexe pavlovien, la classe politique française souhaite ajouter encore à l’arsenal législatif de nouvelles mesures contre le terrorisme. Alors même que quinze lois ont été adoptées depuis 1986 et que les décrets d’application de la dernière ne sont pas publiés, notre sécurité serait, en effet, mieux assurée par de nouveaux pouvoirs confiés aux forces de l’ordre. Il n’en est rien. C’est un mensonge de prétendre que les dramatiques événements que nous venons de vivre seraient la conséquence d’une insuffisance législative. Il est exact en revanche que la déficience de moyens, les erreurs d’analyse, même si le travail des forces de sécurité française reste remarquable, méritent débat ; mais rien ne justifie les nouvelles dispositions envisagées.

La LDH regrette qu’après l’élan du 11 janvier, ces réponses sécuritaires restent la seule voie empruntée par les pouvoirs publics.

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C’est d’une autre ambition dont nous avons besoin : de réponses de fond qui permettent de comprendre comment notre société a pu faire que de tels actes soient commis ; pas pour excuser, encore moins pour absoudre, mais pour éviter réellement qu’ils ne se reproduisent. Nous avons besoin surtout de réponses préventives. Toutes doivent renforcer l’esprit et la lettre de notre démocratie.

La LDH appelle les citoyens à ne pas se laisser enfermer dans le cercle de la peur. Elle les invite à rappeler aux pouvoirs publics, à la représentation politique française qu’à chaque fois que nous avons concédé de nos libertés, il s’en est suivi moins de démocratie, sans pour autant nous assurer plus de sécurité.

La fraternité qui s’est exprimée le 11 janvier exige un autre horizon que celui que l’on nous propose.

Communiqué LDH

Paris, le 13 janvier 2015.

Second communiqué

Mesures contre le terrorisme : approbation partielle, rappel aux principes et vigilance totale

La Ligue des droits de l’Homme apprécie à sa juste valeur politique que le gouvernement n’ait pas cédé à la surenchère législative et réglementaire que réclamaient les partis de droite, le FN, et autres partisans d’une « guerre de civilisation ». La restriction des libertés n’a jamais favorisé une meilleure sécurité, comme l’atteste le bilan du Patriot Act américain.

La Ligue des droits de l’Homme considère que le plan de renforcement des mesures de protection par un recrutement substantiel de personnels dans la police, le renseignement et la justice, en particulier dans la protection judiciaire de la jeunesse pour agir immédiatement sur le terrain, ainsi que l’affectation de moyens nouveaux en matériel étaient nécessaires. La LDH s’en félicite et souhaite que toute la formation nécessaire à l’exercice de leur métier soit organisée tant en ce qui concerne les opérations de contrôle, qu’en ce qui tient à l’exercice de tous les droits.

En revanche, la LDH sera très vigilante sur la prochaine loi sur le renseignement. Elle est susceptible de comporter des mesures dangereuses pour les libertés sans contrôle et contre-pouvoir suffisants.

De la même manière, la LDH s’interroge sur l’efficacité du projet de regroupement carcéral des détenus qualifiés de « radicaux islamistes ». Une telle mesure peut engendrer des situations insupportables au regard des droits élémentaires de ces personnes mais aussi les amener à se radicaliser encore plus. Dans le contexte de surpeuplement des prisons françaises, ce regroupement ne peut être abordé qu’avec prudence et en préservant les droits fondamentaux des prévenus.

Après avoir transféré le délit d’apologie du terrorisme dans le Code pénal de manière à abolir les garanties qu’offre la loi de 1881 sur la presse, le gouvernement envisage de faire de même en ce qui concerne la loi de 1972 contre le racisme. Les invraisemblables décisions rendues en comparution immédiate, et qui ont entraîné parfois des peines lourdes pour une divagation alcoolique, auraient dû amener le gouvernement à être plus prudent. La LDH considère que ce projet constitue un véritable danger pour la liberté de la presse et à la liberté d’expression. On ne lutte pas contre le racisme en portant atteinte à une autre liberté. Imagine-t-on Charlie jugé en correctionnel au milieu de trafics en tout genre pour la publication d’une caricature ? La LDH appelle le gouvernement à retirer ce projet et à retirer le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal.

Enfin, la création d’un nouveau fichier dit antiterroriste conduit à s’interroger une nouvelle fois sur le nombre de fichiers qui existent, leur gestion et leur traitement, en fait, si ce n’est en droit, en dehors de tout contrôle.

La LDH rappelle une nouvelle fois que l’on ne peut efficacement lutter contre le terrorisme qu’en préservant la lettre et le principe de l’État de droit.

Paris, le 21 janvier 2015

 

11/01/2015

L’intelligence de la raison et le courage de la conviction

Par Pierre Tartakowsky, président de la LDH

Les attentats, bien sûr ! Comment ne pas revenir, encore et encore, sur cette plaie ouverte, sur cette explosion de haine meurtrière ? Et comment faire l’économie d’un retour sur ses enjeux ? La violence de l’épreuve, sa traînée de haine interdisent évidemment que quiconque pense pouvoir tourner la page et revenir à un statu quo ante. Tout nous engage, au contraire, à penser présent et avenir en tirant leçon de l’événement.

 

attentats, charlie

 

D’abord, en ne laissant pas instrumentaliser les grandes mobilisations de solidarité qui ont envahi l’espace public : elles étaient tout entières tournées vers la liberté et la fraternité. Elles appellent des actes, des politiques publiques qui affrontent le racisme, l’antisémitisme, les discriminations, qui travaillent l’Europe et notre pays ; ensuite en mettant en garde – mieux encore, en nous mobilisant – contre les réflexes sécuritaires, surtout lorsqu’ils aboutissent à des résultats absurdes. Oui, l’école a un rôle à jouer face à l’intolérance ; non, ce rôle ne peut se ramener à celui d’auxiliaire de police. Conduire des gamins et des pré-ados au poste, pour une déclaration à l’emporte-pièce, c’est substituer la procédure répressive au nécessaire débat éducatif ; poursuivre un parent pour avoir « pénétré » dans l’école pour exprimer sa colère, c’est enterrer de fait la notion même de communauté éducative.

Ces pratiques sont des impasses dangereuses ; non seulement elles tuent le débat là où il s’agit de le faire vivre mais elles accentuent chez ceux qui sont stigmatisés l’idée, déjà bien présente, que, décidément, la promesse républicaine n’est pas pour eux…

L’époque a moins besoin de bâton que de raison ; cela passe par l’acceptation de la confrontation, par le conflit raisonné, par la formulation de nouveaux compromis à vivre, justement possibles sur la base des valeurs de la République et d’une laïcité garante de la liberté de conscience.

Il est d’autant plus important de le rappeler que d’autres périls frappent à la porte. Les attaques ignobles dont Christiane Taubira, garde des Sceaux, est à nouveau la cible, le résultat de l’élection partielle du Doubs l’illustrent avec force. Avec ses 60 % d’abstention, un FN triomphant et une droite dont une partie s’avère plus que jamais disponible à des alliances non républicaines – elle fournit un résumé saisissant la multiplicité des défis lancés à la face de la République : pauvreté de l’offre politique, démocratie anémiée, légitimation des thèmes racistes, tentations autoritaires…

Face à nous se dresse ainsi une mécanique folle de régression et de peurs dont les pôles, d’apparence antagonique, se renforcent l’un l’autre en une haine commune pour l’égalité et la liberté. Face à quoi nos peurs seront insuffisantes ; sachons mobiliser l’intelligence de la raison et le courage de la conviction.

Trois mots pour les morts et pour les vivants

Pendant que l’on lustre le tapis rouge des chaussées ensanglantées par des monstres fabriqués de toutes pièces et qui sera foulé aux pieds par ceux-là même qui ont une part de responsabilités indéniable dans « guerre civile mondiale » qui se joue partout sur la planète, guerre civile qui bouleverse notre logique, notre sens critique et notre raison, Etienne Balibar tente une sortie de cet enfermement. Ça devrait pouvoir nous aider .

pas à mon nomCompassion, solidarité, fraternité mais aussi inquiétude

 

TRIBUNE par Etienne BALIBAR, philosophe, auteur de Violence et Civilité
«

Trois mots pour les morts et pour les vivants

Un vieil ami japonais, Haruhisa Kato, ancien professeur à l’université Todai, m’écrit ceci : «J’ai vu les images de la France tout entière en deuil. J’en suis profondément bouleversé. Dans le temps, j’ai beaucoup aimé les albums de Wolinski. Je suis abonné depuis toujours au Canard enchaîné. J’apprécie chaque semaine les dessins du Beauf de Cabu. J’ai toujours à côté de mon bureau son album Cabu et Paris, dont plusieurs dessins qu’il a peints de jeunes filles japonaises, touristes épanouies aux Champs-Élysées, sont admirables.» Mais, plus loin, cette réserve : «L’édito du 1er janvier du Monde commençait par ces mots : "Un monde meilleur ? Cela suppose, d’abord, l’intensification de la lutte contre l’État islamique et sa barbarie aveugle."J’ai été très frappé par l’affirmation, passablement contradictoire me semble-t-il, qu’il faut passer par la guerre pour avoir la paix !»

D’autres m’écrivent aussi de partout : Turquie, Argentine, États-Unis… Tous expriment de la compassion et de la solidarité, mais aussi de l’inquiétude : pour notre sécurité et pour notre démocratie, notre civilisation, j’allais dire notre âme. C’est à eux que je veux répondre, en même temps qu’à l’invitation de Libération. Il est juste que les intellectuels s’expriment, sans privilège, surtout pas celui d’une lucidité particulière, mais sans réticence et sans calcul. C’est un devoir de fonction, pour que la parole circule dans la cité à l’heure du péril. Aujourd’hui, dans l’urgence, je ne veux prononcer que trois ou quatre mots.

Communauté. Oui, nous avons besoin de communauté : pour le deuil, pour la solidarité, pour la protection, pour la réflexion. Cette communauté n’est pas exclusive, en particulier elle ne l’est pas de ceux, parmi les citoyens français ou immigrés, qu’une propagande de plus en plus virulente, réminiscente des épisodes les plus sinistres de notre histoire, assimile à l’invasion et au terrorisme pour en faire les boucs émissaires de nos peurs, de notre appauvrissement, ou de nos fantasmes. Mais elle ne l’est pas non plus de ceux qui croient aux thèses du Front national ou que séduit la prose de Houellebecq. Elle doit donc s’expliquer avec elle-même. Et elle ne s’arrête pas aux frontières, tant il est clair que le partage des sentiments, des responsabilités et des initiatives qu’appelle la «guerre civile mondiale» en cours doit se faire en commun, à l’échelle internationale, et si possible (Edgar Morin a parfaitement raison sur ce point) dans un cadre cosmopolitique.

C’est pourquoi la communauté ne se confond pas avec l’«union nationale». Ce concept n’a pratiquement jamais servi qu’à des buts inavouables : imposer le silence aux questions dérangeantes et faire croire à l’inévitabilité des mesures d’exception. La Résistance elle-même (et pour cause) n’a pas invoqué ce terme. Et l’on vient déjà de voir comment, appelant au deuil national, ce qui est sa prérogative, le président de la République en profitait pour glisser une justification de nos interventions militaires, dont il n’est pas certain qu’elles n’aient pas contribué à faire glisser le monde sur sa pente actuelle. Après quoi viennent tous les débats piégés sur les partis qui sont «nationaux» et ceux qui ne le sont pas, dussent-ils en porter le nom. Veut-on donc faire concurrence à Mme Le Pen ?

Imprudence. Les dessinateurs de Charlie Hebdo ont-ils été imprudents ? Oui, mais le mot a deux sens, plus ou moins aisément démêlables (et, bien sûr, il entre ici une part de subjectivité). Mépris du danger, goût du risque, héroïsme si l’on veut. Mais aussi indifférence envers les conséquences éventuellement désastreuses d’une saine provocation : en l’occurrence le sentiment d’humiliation de millions d’hommes déjà stigmatisés, qui les livre aux manipulations de fanatiques organisés. Je crois que Charb et ses camarades ont été imprudents dans les deux sens du terme. Aujourd’hui que cette imprudence leur a coûté la vie, révélant du même coup le danger mortel que court la liberté d’expression, je ne veux penser qu’au premier aspect. Mais pour demain et après-demain (car cette affaire ne sera pas d’un jour), je voudrais bien qu’on réfléchisse à la manière la plus intelligente de gérer le second et sa contradiction avec le premier. Ce ne sera pas nécessairement de la lâcheté.

Jihad. C’est à dessein que pour finir je prononce le mot qui fait peur, car il est temps d’en examiner toutes les implications. Je n’ai que le début d’une idée à ce sujet, mais j’y tiens : notre sort est entre les mains des musulmans, si imprécise que soit cette dénomination. Pourquoi ? Parce qu’il est juste, bien sûr, de mettre en garde contre les amalgames, et de contrer l’islamophobie qui prétend lire l’appel au meurtre dans le Coran ou la tradition orale. Mais cela ne suffira pas. A l’exploitation de l’islam par les réseaux jihadistes - dont, ne l’oublions pas, des musulmans partout dans le monde et en Europe même sont les principales victimes - ne peut répondre qu’une critique théologique, et finalement une réforme du «sens commun» de la religion, qui fasse du jihadisme une contrevérité aux yeux des croyants. Sinon, nous serons tous pris dans le mortel étau du terrorisme, susceptible d’attirer à lui tous les humiliés et offensés de notre société en crise, et des politiques sécuritaires, liberticides, mises en œuvre par des États de plus en plus militarisés. Il y a donc une responsabilité des musulmans, ou plutôt une tâche qui leur incombe. Mais c’est aussi la nôtre, non seulement parce que le «nous» dont je parle, ici et maintenant, inclut par définition beaucoup de musulmans, mais aussi parce que les chances d’une telle critique et d’une telle réforme, déjà ténues, deviendraient carrément nulles si nous nous accommodions encore longtemps des discours d’isolement dont, avec leur religion et leurs cultures, ils sont généralement la cible.
»

Etienne BALIBAR Philosophe, auteur de Violence et Civilité

08/01/2015

Ni rire, ni pleurer. Comprendre.

12 personnes assassinées dans les locaux de Charlie Hebdo.

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Rouge, demain il fera beau....  Georges Wolinski


Beaucoup de questions se posent...
Au hasard :

  • Comment éviterons-nous que la contagion de cette folie qui s'est attaquée aux libertés n'atteignent les moins politisés d'entre-nous ?
  • Comment nous abstiendrons-nous de demander à des présumés musulmans de se désolidariser des musulmans ? Comment éviterons-nous les amalgames et la complaisance vis à vis des "cerveaux malades" qui en font commerce ?
  • Comprendrons-nous que la fraternité ne doit en aucun cas être transcendée par la religion, les partis ou la race ?

Toutes ces questions et beaucoup d'autres ont été soulevées au moment de le "veillée" organisée par Mediapart au soir de la tuerie.

Enregistrement vidéo :

 

03/01/2015

Introspection

Introspection - des intellectuels explorent la crise en nous.

Dans le sillage de "Penser Critique" qui a donné lieu à Notre Monde, projeté fin 2013, «Introspection» est une série d'entretiens consacrée à nos subjectivités individuelles et collectives.

Du 22 décembre 2014 au 2 janvier 2015, Antoine Mercier a reçu dans le journal de 12h30 sur France Culture des intellectuels et chercheurs.
Des points de vue pour penser la crise et réamorcer une réflexion autonome pour commencer l'année.

penser la crise
"Astre et désastre" Alechinsky 1969


Ces entretiens sont ici...

Six ans après le début de la crise dite des « subprimes », le constat d’une désorganisation financière de l’économie mondiale a été parfaitement dressé, sans que ne soit apparue une réelle sortie de crise. Les déficits se creusent en même temps que les États réduisent leur puissance d’agir.
Tout semble reposer sur un hypothétique retour de la croissance dont on ne sait même plus, de surcroît, s’il est vraiment souhaitable.
De ce coup d’arrêt donné à l’idée du progrès est née une crise de la représentation symbolique de notre rapport au monde. Où faut-il ouvrir de nouveaux lendemains ?

Michèle Riot-Sarcey, historienne

Sur la perte de sens du mot liberté.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
« Les mots qui permettaient de penser et d'agir ont perdu un peu de leur substance. (.... )
Qui est libre, qui ne l'est pas ? »
 
 

Alain Borer, poète, essayiste et critique d'art, auteur de «De quel amour blessée»,
Évolutions de la langue que nous parlons disent des maux dont nous souffrons.

« Il faut penser la relation de la langue à l'imaginaire, à l'image de soi et au réel. »

 

José Morel Cinq-Mars, psychanalyste et psychologue, auteur de «Du côté de chez soi», sous-titré : "défendre l'intime, défier la transparence", l'intime est  « le noyau de la vérité de l'être et la condition même de la parole, de la pensée et de la création ». Il est aujourd'hui non seulement attaqué et fragilisé, mais aussi « en passe d'être socialement sacrifié ».

« Défendre l'intime, ce n'est pas refuser l'espace public, c'est  articuler les deux. »

 

Franck Lepage, éducateur, militant de l'éducation populaire et ses « conférences gesticulées »

Avec l'auteur de « Éducation populaire, une utopie d'avenir », l'idée que la crise que nous vivons n’en finit pas parce qu’elle a touché la langue que nous parlons.

« En quelques décennies a disparu toute possibilité de nommer négativement le capitalisme.
Et sans mots négatifs, vous ne pouvez plus penser la contradiction.»
 

Heinz Wismann, philologue et philosophe

Réflexion sur un mot central de notre époque : la "dette".
Comment comprendre d'un point de vue philosophique cet élément central de la crise systémique que nous connaissons aujourd'hui ?

« La dette, à laquelle tout le monde a d'abord recouru pour créer de la croissance, est connotée depuis très longtemps en Occident avec la faute. En Allemand, dette et culpabilité c'est le même mot : "Schuld". »

 

Lecture

Roland Gori, psychanalyste

Dans la période de crise que connaît notre société, il semble naitre une nouvelle langue.
"Langage de crise", ou crise du langage ? Pour le psychanalyste Roland Gori, c'est désormais la langue de la technique qui remplace la parole humaine.

« Notre civilisation est malade d'une nouvelle forme de bureaucratie : la bureaucratie de l'expertise, l'introduction de normes gestionnaires qui détruisent les métiers. »

 

Sophie Wahnich, historienne, spécialiste de la Révolution française

Elle revient sur la place de l’État dans nos sociétés modernes :
sa faiblesse semble aller de pair avec une surenchère autoritaire.

« On cherche, dans le contexte néolibéral, à affaiblir la présence de l’État.
Il y a un consentement très fort des élites politiques à ce choix.
»

 

André Orléan, économiste

Au lendemain des vœux de François Hollande, il évoque la finance et la parole présidentielle à son égard.

 

« Il y a un pêché originel qui pèse durablement sur la crédibilité de la parole présidentielle, c'est le fait qu'il a renié au départ son programme. Le fameux programme du Bourget : mon ennemi, c'est la finance. »

 

Patrick Vassort, sociologue

Il revient sur la crise actuelle du capitalisme, crise qu'il considère comme "celle qui risque d'être sa plus grande", car elle touche selon lui aux fondements de la vie humaine en société. Et il pousse en direct un coup de gueule contre cette démocratie française qui laisse mourir de froid des enfants dans ses rues.


 

 

Lecture
 

01/01/2015

Lucidité, colère, générosité

Pour sortir des conventions insignifiantes et de l'ennui, la LDH de Manosque et du bassin manosquin vous souhaite lucidité, colère, générosité pour 2015 et n’en avoir jamais fini.

Joceli Borgès, Sebastiao Salgado
Portrait de Joceli Borges par Sebastiao Salgado en 1996, au Brésil.

28/12/2014

Discours sur la misère

Victor Hugo « discours sur la misère » à l’Assemblée Nationale le 9 juillet 1849 

«Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli.

Misère au Borinage 1934 (Joris Ivens & Henri Storck)

La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits :

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. Voilà un fait. En voici d’autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté après sa mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon!

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société toute entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère!

Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’État ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé peuvent être sans asile ! tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux!»
Victor Hugo

discours sur la misère,hugo

 

 

11/12/2014

Fin de vie

Pour une fin de vie apaisée, une demande qui monte de toutes parts

fin de vieDéclaration commune des associations laïques

Toutes les enquêtes d’opinion le montrent : une très large majorité de nos concitoyens est favorable à l’instauration d’une aide médicalisée à mourir lorsque les patients sont atteints d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, leur infligeant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu’ils ne supportent pas. La multiplication des drames de la fin de vie, ceux qu’ont vécus notamment M. Vincent Humbert et sa mère ainsi que Mme Chantal Sébire, atteinte d’une grave maladie de la face provoquant des douleurs insupportables, ou que vit encore M. Vincent Lambert, victime des déchirements de sa famille, contribue à renforcer dans les profondeurs du pays l’appel en faveur d’une solution juridique permettant à chacun d’exercer sa liberté de conscience jusqu’au dernier souffle.

L’histoire parlementaire récente met également en évidence un fait nouveau : les clivages politiques peuvent s’estomper pour répondre favorablement à cette demande des citoyens et de nombreux personnels soignants. Ainsi, le 18 janvier 2011, la commission des lois de Sénat a adopté un texte résultant de la fusion de trois propositions de loi tendant à autoriser l’aide médicale à mourir. Seule la pression de forces rétrogrades sur le gouvernement d’alors en a empêché le vote.

Enfin, l’autorité judiciaire elle-même paraît de plus en plus mal à l’aise face aux drames de la fin de vie auxquels les personnels soignants sont confrontés dans une grande solitude : le 25 juin 2014, la cour d’assises de Bayonne a acquitté le docteur Bonnemaison, médecin de l’urgence poursuivi pour avoir abrégé illégalement, pour des motifs compassionnels, les souffrances de sept malades. Quelles que soient les suites susceptibles d’être données à l’appel formé par le Parquet, l’honneur du docteur Bonnemaison a été à tout jamais lavé par le jury populaire de Bayonne.

Un cadre juridique inadapté

Les partisans du statu quo peuvent désormais difficilement soutenir que les soins palliatifs constitueraient l’alternative à l’aide médicale à mourir et qu’une meilleure application de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie apporterait la réponse adéquate à la demande des patients, des personnels soignants et des citoyens en général, confrontés notamment dans leur vie de tous les jours aux conséquences de l’allongement de la durée de l’existence humaine.

En matière de soins d’accompagnement des mourants, la France accuse un retard considérable que ceux qui les brandissent comme un étendard n’ont rien fait pour les développer. Contrairement à la Catalogne, la Belgique ou la Norvège, notre pays ne répond que très imparfaitement à la résolution relative aux soins palliatifs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 28 janvier 2009 qui a estimé « nécessaire [d’étendre] de toute urgence la portée de ce mode novateur de traitement et de soins » et souligné que«  Les soins palliatifs devraient devenir accessibles non seulement aux malades en fin de vie, mais aussi aux patients atteints de maladies graves ou chroniques ainsi qu’à toutes les personnes qui nécessitent des soins individuels importants, qui pourraient bénéficier de cette démarche. » L’indigence de l’offre de soins palliatifs est, en effet, criante : un peu plus de cinq mille lits identifiés pour 320 000 patients par an, selon les données recueillies par l’Observatoire national de la fin de vie.

La loi du 22 avril 2005 comporte, quant à elle, de graves lacunes. L’interruption des traitements pour éviter une obstination de soins déraisonnable au regard de l’état du malade a parfois entraîné des agonies inacceptables. Notamment, la suspension de l’alimentation et de l’hydratation a constitué dans certains cas un délaissement coupable des patients pendant plusieurs jours, voire davantage. En outre, les directives anticipées n’ont pas de force juridiquement contraignante. Enfin et surtout, la mise en œuvre des dispositions de la loi s’avère impossible dans certaines situations comme l’a démontré le spectacle affligeant du déchirement de la famille de M. Vincent Lambert, en état de coma irréversible. En l’espèce, bien que le praticien eût respecté la procédure prévue par le texte, l’application de la loi a été suspendue pendant de longs mois au détriment même des droits qu’elle reconnaît aux malades.

Un engagement à tenir

L’inertie des pouvoirs publics n’a que trop duré. Le vingt-et-unième engagement du programme du candidat à la Présidence de la République François Hollande, aux termes de laquelle « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique insupportable, et qui ne peut être apaisée, [peut] demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », doit être suivie d’effet dans les plus brefs délais. Elle doit l’être dans le sens qu’attendent les citoyens et les soignants : non pas sous la forme d’une modification de la loi du 22 avril 2005 tendant à élargir le champ de la sédation terminale, mais sous celle de l’instauration d’un véritable droit à l’aide médicale à mourir sans lequel la liberté de conscience de chacun ne peut s’exercer complètement.

Les législations étrangères offrent à cet égard un large éventail d’expériences susceptibles d’éclairer un débat qui doit être mené sous les auspices de la seule raison, qu’il s’agisse du suicide médical assisté pratiqué dans les cantons du Valais et de Vaud en Suisse ou dans les Etats américains de l’Oregon, de Washington, du Vermont et, dans une moindre mesure, du Montana et du Nouveau-Mexique ou qu’il s’agisse de l’euthanasie dans les conditions prévues par la loi belge du 28 mai 2002 dont les dispositions s’inspirent de celles entrées en vigueur aux Pays-Bas en 2001 et ont été reprises au Luxembourg en 2009.

Les pouvoirs publics doivent méditer les conseils avisés d’Epicure que nos concitoyens souhaitent pouvoir suivre : « le sage ne tient pas à vivre la durée la plus longue, mais la durée la plus agréable ».

26/11/2014

L’art d’ignorer les pauvres

En complément à l'intéressante discussion qui a suivi la projection de «Se Battre» à L’Escale le 25 novembre, un texte, une préface de Serge Halimi à «L'Art d'ignorer les pauvres» de John Kenneth Galbraith (Les Liens qui Libèrent - Le Monde Diplomatique).

Pauvreté

«Jonathan Swift suggérait qu’à défaut d’être dévorés à temps, les enfants de pauvres importuneraient les passants et dès l’âge de six ans s’emploieraient à les détrousser. En revanche, insistait-il, un «nourrisson de boucherie engraissé à point fournira quatre plats d’une viande excellente». Devant une telle alternative, comment hésiter ? Le satiriste irlandais ne connaissait pas les textes de l’OCDE, mais déjà à son époque les libéraux proclamaient que la loi du marché celle qui, dans l’Irlande du XIXe siècle, occasionnerait une des plus meurtrières famines de l’histoire de l’humanité résoudrait tous les problèmes, y compris ceux de la surpopulation. Une seule condition : qu’on la laisse jouer à plein. Ceux qui proposaient autre chose ne pouvaient être que de doux rêveurs ou de dangereux agitateurs.»
Serge Halimi.


Ce qu’il manque peut-être au beau documentaire de J-P. Duret et A. Santana : une approche économique de la misère, sous forme de satire, pourquoi pas, pour tordre le cou aux préjugés qui en font spectacle ou sinécure.
«Se Battre» illustre une série de combats individuels qui ont pour enjeu une survie tout aussi individuelle. C’est aussi, en creux, l'illustration d'un combat entre une utopie et une réalité très noire faite de ressentiments et de peurs mal dissimulées, une peste brune nourrie d’indifférence.
Impossible, dans ces conditions, d'attendre d'associations telles que la LDH, que celles-ci jouent un rôle d'entremetteur pour l'ogre libéral ou qu'elles empêchent sa marmite d'exploser.

27/10/2014

Lettre testament de Reyhaneh Jabbari, pendue en Iran

Le 25 octobre au matin, Reyhaneh Jabbari a été pendue en Iran. Malgré les nombreuses protestations de la communauté internationale, la justice iranienne a suivi son cours et amené Reyhaneh à subir la loi du talion.

Reyhaneh n’avait que 19 ans quand un agent du régime a tenté de l'attirer chez lui en vue de décorer son intérieur pour ensuite essayer de la droguer et de la violer. Reyhaneh s’est défendue avec un couteau et s’est enfuie et l'agent est décédé plus tard d'une hémorragie à l'hôpital.

reyhaneh jabbari,iran,peine de mort

Lettre de Reyhaneh Jabbari à sa mère 

Chère Sholeh, 

Aujourd’hui j’ai appris que c’est à mon tour de faire face à Qisas (la loi du talion dans le système judiciaire iranien, ndlr). Je suis blessée d’apprendre que tu ne m’as pas laissé savoir que j’avais atteint la dernière page du livre de ma vie. Ne penses-tu pas que j’aurais dû savoir? Tu sais que ta tristesse me rend honteuse. Pourquoi ne m’as tu pas laissé la chance d’embrasser ta main et celle de papa?

Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans. Durant cette nuit inquiétante, j’aurais dû être tuée. Mon corps aurait été jeté dans un coin de la ville, et après quelques jours, la police t’aurait conduite dans le bureau du médecin légiste afin d’identifier mon corps et tu aurais appris que j’avais également été violée. Le meurtrier n’aurait jamais été retrouvé puisque nous n’avons ni leur richesse ni leur pouvoir. Tu aurais alors continué ta vie dans la douleur et dans la honte, et quelques années plus tard tu serais morte de cette douleur, voilà tout.

Néanmoins, avec ce maudit coup, l’histoire a changé. Mon corps n’a pas été jeté au loin, mais dans la tombe de la prison d’Evin et ses cellules d’isolement, et à présent la prison de Shahr-e Ray, qui ressemble aussi à une tombe. Mais tu dois céder au destin. Ne te plains pas. Tu sais mieux que moi que la mort n’est pas la fin de la vie.

Tu m’as appris que l’on vient au monde pour profiter d’une expérience et apprendre une leçon, et qu’avec chaque naissance, une responsabilité est placée sur notre épaule. J’ai appris que parfois l’on doit se battre. Je me souviens quand tu m’as raconté que l’homme s’est opposé à l’homme qui me flagellait, mais que ce dernier lui a fouetté la tête et le visage jusqu’à ce qu’il meure. Tu m’as dit que pour créer de la valeur, l’on devait persévérer même si un autre mourait.

Tu m’as appris que, puisque nous allons à l’école, nous devons nous comporter en dame face aux querelles et aux plaintes. Te souviens-tu à quel point tu insistais sur la façon dont on se comportait? Ton expérience était incorrecte. Quand cet incident s’est produit, mes enseignements ne m’ont pas aidé. Etre présentée à la barre m’a fait passer pour une meurtrière de sang-froid et une criminelle sans pitié. Je n’ai pas versé une larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps car je faisais confiance à la loi.

Mais j’été accusée d’être indifférente au crime. Tu vois, je ne tuais même pas les moustiques et je prenais les cafards par les antennes pour les jeter un peu plus loin. Désormais je suis devenue une meurtrière préméditée. Mon traitement des animaux a été interprété comme ayant un penchant masculin et le juge n’a même pas pris la peine de regarder les faits et de voir qu’au moment de l’incident j’avais de longs ongles vernis.

C’était si optimiste d’attendre de la justice de la part des juges ! Il ne s’est jamais interrogé sur le fait que mes mains ne sont pas épaisses comme celles d’une sportive, en particulier d’une boxeuse. Ce pays que tu m’as fait chérir n’a jamais voulu de moi et personne ne m’a soutenu quand, sous les coups des interrogateurs, je criais et j’entendais les mots les plus vulgaires. Quand j’ai perdu mon dernier signe de beauté en me rasant les cheveux, j’ai été récompensée : 11 jours en cellule d’isolement.

Chère Sholeh, ne pleure pas pour ce que tu entends. Le premier jour, au poste de police, quand un vieil agent non marié m’a brutalisé à cause de mes ongles, j’ai compris que l’on ne recherche pas la beauté dans cette ère. La beauté des apparences, la beauté des pensées et des souhaits, une belle écriture, la beauté des yeux et de la vision, et même la beauté d’une douce voix.

Ma chère mère, mon idéologie a changé et tu n’en es pas responsable. Ma lettre est interminable et je l’ai donné à quelqu’un pour que, lorsque je serai exécutée sans ta présence et sans ton savoir, elle te sera donnée. Je te laisse ce matériel écrit en héritage.
Cependant, avant ma mort, je veux quelque chose de toi, que tu dois me fournir avec toute ta force, quelle que soit la manière dont tu l’obtiens. En fait, c’est la seule chose que je veux de ce monde, de ce pays et de toi. Je sais que tu as besoin de temps pour cela.
Je vais donc te raconter une partie de mon vœu dès maintenant. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma requête. Je ne peux pas écrire une telle lettre qui serait approuvée par le chef de la prison ; alors une fois de plus, tu dois souffrir à cause de moi. Pour cette chose seulement, je t’autorise à supplier, bien que je t’ai dit à maintes reprises de ne pas supplier de me sauver de l’exécution.

Ma tendre mère, chère Sholeh, qui m’est plus chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière. Tu dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin. Je ne veux pas que le receveur connaisse mon nom, ni qu’il m’achète des fleurs ou même qu’il prie pour moi.

Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur : je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir. Je ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il m’emporte.

Le monde ne nous a pas aimé. Il n’a pas voulu mon destin. Et à présent, je lui cède et j’embrasse la mort. Car dans la cour de Dieu, j’accuserai les inspecteurs, j’accuserai l’inspecteur Shamlou, j’accuserai le juge, et les juges de la Cour Suprême du pays qui m’ont tabassé quand j’étais éveillée et n’ont eu cesse de me harceler.

Dans la cour du Créateur, j’accuserai le Docteur Farvandi, j’accuserai Qassem Shabani et tous ceux qui, par ignorance ou avec leurs mensonges, m’ont fait du mal et ont piétiné mes droits et n’ont pas tenu compte du fait que parfois, ce qui semble être la réalité ne l’est en fait pas du tout.

Ma chère et tendre Sholeh, dans l’autre monde c’est toi et moi qui sommes les accusatrices et les autres qui sont les accusés. Nous verrons ce que Dieu désire. Je voulais t’embrasser jusqu’à ce que je meurs. Je t’aime.

25/10/2014

Nouvelle bonté

Césaire, Lam, PicassoAimé Césaire, Lam, Picasso. "Nous nous sommes trouvés"

 

     il n’est pas question de livrer le monde aux assassins
    d’aube
    la vie-mort
    la mort-vie
    les souffleteurs de crépuscule
    les routes pendent à leur cou d’écorcheurs
    comme des chaussures trop neuves
    il ne peut s’agir de déroute
    seuls les panneaux ont été de nuit escamotés
    pour le reste
    des chevaux qui n’ont laissé sur le sol
    que leurs empreintes furieuses
    des mufles braqués de sang lapé
    le dégainement des couteaux de justice
    et des cornes inspirées
    des oiseaux vampires tout bec allumé
    se jouant des apparences
    mais aussi des seins qui allaitent des rivières
    et les calebasses douces au creux des mains d’offrande
    une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon

Aimé CÉSAIRE
Tiré du recueil : "Wilfredo Lam"

14/10/2014

Nobel, on se calme !

Un article paru en février 2005 dans les colonnes du Monde Diplomatique devrait relativiser tant soit peu l’allégresse de ceux qui se réjouissent de l'attribution du "Nobel de l'économie" à Jean Tirole qui vient de se le voir attribuer pour "Notre" gloire et son "analyse de la puissance du marché et de la régulation".
En premier lieu l'exorbitant - exorbité premier ministre.

nobel de l'économie
Lire aussi dans le n° d'octobre :
"Conséquences sanitaires des politiques économiques"
"Quand l'austérité tue"

 

L’imposture

par Hazel Henderson, février 2005

Une querelle inhabituelle a récemment secoué l’atmosphère feutrée de la remise des prix Nobel. La voix de M. Peter Nobel, un des héritiers du fondateur Alfred Nobel, s’est ajoutée au concert de protestations de scientifiques de plus en plus nombreux contre la confusion entourant le « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». Depuis son établissement par la Banque centrale suédoise, en 1969, ce prix de 1 million de dollars est confondu avec les vrais prix Nobel, au point qu’on le désigne souvent, à tort, comme le « prix Nobel d’économie » (et, en anglais, Nobel Memorial Prize).

Dans son numéro du 10 décembre 2004, le grand quotidien suédois Dagens Nyheter a publié une longue tribune signée du mathématicien suédois Peter Jager, membre de l’Académie royale des sciences, de l’ancien ministre de l’environnement Mans Lonnroth, désormais titulaire d’une chaire « Technologie et société », et de Johan Lonnroth, économiste et ancien membre du Parlement suédois. L’article montrait de manière détaillée comment certains économistes, au nombre desquels plusieurs récipiendaires du prix de la Banque de Suède, avaient fait un mauvais usage des mathématiques en créant des modèles de dynamiques sociales irréalistes.

« Jamais, dans la correspondance d’Alfred Nobel, on ne trouve la moindre mention concernant un prix en économie, nous a précisé M. Peter Nobel dans un entretien exclusif. La Banque royale de Suède a déposé son œuf dans le nid d’un autre oiseau, très respectable, et enfreint ainsi la “marque déposée” Nobel. Les deux tiers des prix de la Banque de Suède ont été remis aux économistes américains de l’école de Chicago, dont les modèles mathématiques servent à spéculer sur les marchés d’actions – à l’opposé des intentions d’Alfred Nobel, qui entendait améliorer la condition humaine. »

Le choix des lauréats de l’année 2004 a peut-être constitué la goutte d’eau de trop. Une nouvelle fois, le prix a couronné deux économistes américains, MM. Finn E. Kydland et Edward C. Prescott, qui, dans un article de 1977, avaient « démontré » à partir d’un modèle mathématique que les banques centrales doivent être indépendantes de toute pression des élus – y compris dans une démocratie. La présentation des lauréats du prix de la Banque de Suède glorifiait leur article de 1977 et son « grand impact sur les réformes entreprises en de nombreux lieux (dont la Nouvelle-Zélande, la Suède, le Royaume-Uni et la zone euro) pour confier les décisions de politique monétaire à des banquiers centraux indépendants ».

Or de telles « réformes » posent un problème dans les démocraties où l’on se soucie de la transparence des décisions publiques. La politique monétaire détermine la répartition des richesses entre créanciers et débiteurs, la politique des revenus et l’égalité des chances. Trop rigoureuse, elle pénalise les salariés en favorisant le chômage, elle renchérit le remboursement des prêts au profit des organismes de crédit et des détenteurs de capitaux.

Les préjugés idéologiques des économistes néoclassiques sont établis (1), de même que l’irréalisme de nombre de leurs postulats. Mais un nouveau groupe de scientifiques – dans des domaines aussi variés que la physique, les mathématiques, les neurosciences ou l’écologie – demandent à leur tour que le prix de la Banque de Suède en sciences économiques soit élargi, correctement attribué, dissocié des prix Nobel, ou simplement aboli.

Ces objections proviennent de chercheurs en sciences « dures », qui étudient le monde naturel et dont les découvertes sont soumises à vérification et à réfutation. Le prix d’économie dévalue à leurs yeux les vrais prix Nobel. En particulier depuis l’ouvrage classique de Nicholas Georgescu-Roegen (2), l’économie subit un feu roulant de critiques émanant d’écologistes, de biologistes, d’experts en ressources naturelles, d’ingénieurs, de spécialistes en thermodynamique. Une démarche multisectorielle – économie écologique, économie des ressources naturelles, etc. – ne remédie pas aux erreurs fondamentales de l’économie néoclassique, que certains comparent à une croyance religieuse, notamment dans sa foi en la « main invisible » des marchés.

La vieille question de savoir si l’économie est une science ou une profession refait surface. La plupart de ses « principes » n’étant pas soumis à l’épreuve, alors que le sont les lois de la physique grâce auxquelles on peut envoyer une fusée sur la Lune, il s’agit plutôt d’une profession. On peut par exemple démontrer que le « principe » dit « optimum de Pareto (3) » ignore la question de la distribution préalable des richesses, du pouvoir et de l’information, conduisant ainsi à des résultats sociaux injustes. La présentation mathématisée de ces concepts sert souvent à masquer leur idéologie sous-jacente. Et à mettre hors de portée intellectuelle du public, et même des élus, des problèmes présentés comme trop « techniques » pour eux. Ainsi, non seulement les économistes gagnent en influence au sein des puissantes institutions qui les emploient, mais on les soumet rarement aux critères d’évaluation des autres professions. Un médecin encourt un procès s’il commet une faute dans le traitement d’un malade ; des économistes peuvent, par leurs mauvais conseils, rendre un pays malade en toute impunité.

Les nouvelles découvertes des chercheurs en neurosciences, des biochimistes et des scientifiques du comportement portent le fer dans la plaie la plus constante des économistes néoclassiques : l’assimilation de la « nature humaine » à un « agent économique rationnel » obsédé par le souci de maximiser son propre intérêt. Fondé sur la peur et la rareté, ce modèle est celui du cerveau reptilien et du caractère étroitement territorial de notre passé primitif. Chercheur en neurosciences à l’université Claremont, Paul Zak a, au contraire, déterminé une relation entre la confiance, qui pousse les humains à se regrouper pour coopérer, et une hormone reproductive nommée oxytocin.

De son côté, David Loye a revisité les écrits de Charles Darwin et montré que, contrairement à ce que l’on dit habituellement, Darwin ne s’était pas concentré sur la « survie des plus aptes » et la compétition comme facteurs majeurs de l’évolution humaine (4). Davantage intéressé par la capacité des humains à construire des liens de confiance et à partager, il voyait dans l’altruisme un facteur de réussite collective. D’autres travaux, revenant sur la théorie des jeux, aboutissent à des conclusions similaires (5). Du reste, si ce n’était pas le cas, on se demande comment les humains seraient passés du stade des bandes nomades de chasseurs-cueilleurs à celui de bâtisseurs de villes, d’entreprises ou d’entités internationales comme l’Union européenne ou les Nations unies.

Contrairement à ce que postule la mathématisation de l’économie, les gens ne se comportent pas comme des atomes, des balles de golf ou des cochons d’Inde. A l’inverse de l’« homme économique rationnel » imaginé dans des livres théoriques, les humains ont une « rationalité » sans rapport avec le sens que les économistes donnent à ce mot. Complexes, leurs motivations incluent le soin des autres, le partage et la coopération, souvent dans un cadre bénévole. Les simulations informatiques fondées sur les groupes d’agents rendront peut-être l’économie plus « scientifique » à l’avenir. Actuellement, les hypothèses fondamentales de l’économie sont patriarcales – ce qui ouvre un intéressant champ de recherche à une « économie féministe ».

La controverse sur le prix de la Banque de Suède en sciences économiques – un prix dont l’objectif était de conférer à cette profession l’aura de la science – a fait ressurgir toutes ces questions importantes. Une imposture scientifique est mise en cause. Si cette controverse n’a guère de chances de figurer au menu des élites regroupées à Davos, dans la Suisse enneigée, elle mériterait d’être à l’ordre du jour du Forum social mondial de Porto Alegre.

Hazel Henderson

Auteure de plusieurs ouvrages, dont Building a Win-Win World, Hazel Henderson a créé avec le Groupe Calvert des fonds de pension socialement responsables, des indicateurs sur la qualité de la vie, ainsi qu’une série télévisée sur l’éthique du commerce. Site : www.hazelhenderson.com.

(1) Lire Politics of the Solar Age, Toes Books, New York, 1981, rééd. 1988.

(2) The Entropy Law and the Economic Process, Universe, Lincoln (Nebraska), 1971, rééd. 1999 ; pour une critique, voir « Ecologists Versus Economists », Harvard Business Review, Boston, vol. 51, n° 4, juillet-août 1973.

(3) Idée que l’allocation des ressources dans une économie est telle qu’à partir d’un certain moment on ne peut pas améliorer le bien-être de quelqu’un sans nuire à celui d’un autre (NDLR).

(4) David Loye, Darwin’s Lost Theory of Love, Universe, Lincoln (Nebraska), 2000.

(5) Cf. Robert Axelrod, The Evolution of Cooperation, Basic Books, New York, 1985, Robert Wright, Non Zero : The Logic of Human Destiny (2000), et Riane Eisler, The Power of Partnership, New World Library, Novato, Californie, 2003.

12/10/2014

Les prédateurs

Sécession des multinationales, des hauts revenus, corruption, solidarités instrumentalisées, où en est la devise républicaine ?

Chronique philo de Cynthia Fleury
3 oct. 2014

L’inventivité de la corruption est à la fois sans limites et généralement assez simple dans son principe. Éternelle pour d’autres. Inéluctable. Pourtant l’on se rend compte que les États, les organismes, les entreprises, les individus qui décident de lutter contre, parviennent à l’enrayer. Pas totalement, certes. Mais le laxisme n’est pas plus productif. Il est même résolument dangereux. Laissons un instant les affaires politico-financières françaises. Observons le racket sans esprit d’un des quotidiens économiques les plus suivis de la Chine. Ces dirigeants ont menacé plus d’une centaine d’entreprises de « révélations compromettantes si elles n’achetaient pas d’espaces publicitaires ». La chose, paraît-il, est commune, dans un pays où les entreprises ont pour habitude, aussi, d’acheter la presse.

Corruption (Le Seuil, 2014) est le titre simplissime du livre d’Antoine Peillon, grand reporter à la Croix et spécialiste de ces questions. Un livre qui tisse la dialectique terrible entre crise de régime et corruption. Peillon décrit la prolifération des conflits d’intérêts (et des collusions réelles) produisant mécaniquement l’effacement de la République. Délits d’élus, de Graziella Riou Harchaoui et Philippe Pascot (Max Milo Éditions) recense quelque quatre cents hommes et femmes aux prises avec la justice ou condamnés… et pour le moins réélus. Preuve que l’acceptabilité de la corruption est toute culturelle. Il existe en France un « usage constant des affaires » (Badiou), un fonctionnement en « bandes organisées » digne des mafias les plus traditionnelles, mêlant hauts fonctionnaires, hommes d’affaires, avocats, journalistes, etc., parfois d’autant plus protégés qu’ils le sont par le secret-défense. Thierry Colombié parle de « coterie trafiquante ». Autre lieu qui échappe à la justice, la commission des infractions fiscales, dite verrou de Bercy, seule habilitée à déclencher (ou non) des poursuites judiciaires à l’encontre des fraudeurs fiscaux, par autorisation donnée (ou non) à l’administration de porter plainte. En juin 2013, un nouvel arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelait, une fois de plus, que le parquet français ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 §3 de la convention, du fait du lien hiérarchique entre celui-ci et le pouvoir exécutif. La loi de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, votée en décembre 2013, ne change d’ailleurs rien à l’affaire dans la mesure où le procureur de la République financier dépend du ministère de la Justice. Pourquoi maintenir une opacité administrative totale en faveur de l’impunité des fraudeurs fiscaux, telle est la question posée par Peillon.

corruption

Corruption de « haute intensité » qui voisine avec une corruption de « basse intensité » qui ne peut être considérée de même nature. Néanmoins, délimiter la frontière n’est pas aisé. Les organisations criminelles ont largement infiltré l’économie légale, elles achètent la décision publique. La mondialisation a par ailleurs décuplé la puissance des entités non étatiques en leur donnant un sentiment d’impunité dans l’espace global. Le temps des pirates n’est pas révolu.

08/10/2014

Politique de la Ville

A 24 heures de la réunion prévue salle Jean Le Bleu à Manosque, comment résister à l'envie de faire partager l'interview croisé qui suit. C'était en juillet 2013.

Politique de la ville: «ne plus décider sans l’avis des habitants»

politique de la ville

Trente ans après la Marche des beurs pour l’égalité et contre le racisme, les habitants des quartiers populaires restent à l’écart des décisions politiques. Même s’ils participent à la vie de la cité, leur voix est peu prise en compte, y compris lorsqu’ils sont directement concernés, comme avec la rénovation urbaine. Sollicités par le ministre délégué à la ville, François Lamy, la sociologue et urbaniste Marie-Hélène Bacqué et le fondateur d’ACLEFEU Mohamed Mechmache viennent de rendre public un rapport sur la citoyenneté et le pouvoir d’agir dans les quartiers populaires qu’ils ont intitulé Pour une réforme radicale de la politique de la ville, Ça ne se fera pas sans nous.

À moins d’un an des élections municipales, avec le risque de l’abstention en perspective, le ministre a convenu, lors d’une conférence de presse le 8 juillet 2013, qu’il était « urgent » de trouver des « réponses fortes » à ce manque de considération. Saluant le travail de ce « couple improbable », il s’est engagé à reprendre quelques-unes de leurs propositions dans son prochain projet de loi, qui devrait être présenté « cet été » en conseil des ministres. « Empowerment » via la création de « tables de quartier », participation des habitants aux projets territoriaux ainsi qu’aux conseil d’administration des bailleurs, indépendance des associations à l’égard des élus locaux, obtention du droit de vote des étrangers : sur fond de montée de l’islamophobie, les auteurs du rapport expliquent quelles sont les priorités dans les banlieues.

Dans votre rapport, vous promouvez l’empowerment. Comment définissez-vous ce concept ? Qu’entendez-vous par empowerment à la française ?

Marie-Hélène Bacqué : L’empowerment est une notion anglo-saxonne intéressante car elle va au-delà de la simple participation. Elle est fondée sur la possibilité pour des groupes ou des individus d’accéder au pouvoir. Il ne s’agit pas seulement d’avoir du pouvoir sûr, mais d’acquérir le pouvoir de faire avec. Cette notion s’est développée aux États-Unis dans les années 1970 ainsi que dans les pays du Sud comme en Inde, où elle a été portée par des mouvements sociaux, notamment des mobilisations de femmes. Pourquoi à la française ? Parce que nous voulons nous distinguer des interprétations libérales de l’empowerment utilisées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où l’on dit aux gens : « Allez-y, prenez votre vie en main, responsabilisez-vous », pour déresponsabiliser la puissance publique. Nous sommes opposés à une disparition des pouvoirs publics, au contraire, nous souhaitons davantage de services publics, mais organisés autrement.

Le militant associatif et la sociologue, à Mediapart le 11 juillet.

Diriez-vous que plus qu’ailleurs dans les quartiers populaires les décisions sont prises sans prendre en compte l’avis des habitants ?

M.-H B. : Bien sûr. Les couches les plus précarisées sont moins valorisées. Les classes populaires, les pauvres comme on dit, y compris dans la littérature scientifique, sont considérées comme des personnes ayant des handicaps, autorisant les pouvoirs publics à décider à leur place. Le regard sur elles est particulièrement condescendant.

Dans votre rapport, vous dénoncez le clientélisme dans les quartiers.

Mohamed Mechmache : De nombreuses associations sont affiliées au monde politique. Le terme de clientélisme recouvre de multiples situations, qui correspondent à la propension des élus locaux à favoriser telle ou telle association ou tel ou tel individu en échange de la paix sociale. À Corbeil-Essonnes et à Marseille, ce système est particulièrement développé. Cela passe par l’attribution de faveurs, allant de subventions à l’attribution d’un logement ou l’obtention d’un emploi.

Quelles sont vos réponses à ce problème ?

M. M. : Les associations sont principalement financées au niveau local. Or les maires rechignent à allouer des fonds aux associations critiques à leur égard. Pour contourner cette difficulté, nous proposons la création d’une autorité administrative indépendante chargée de la gestion d’un fonds de dotation pour la démocratie d’interpellation citoyenne. Ce fonds pourrait financer toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun. Nous avons eu cette idée avec l’association Alliance citoyenne à Grenoble. Aujourd’hui, rien ou presque n’existe pour les structures qui ne proposent pas d’actions particulières comme de l’aide au devoir ou des cours de langue. L’objectif est de soutenir la prise de parole citoyenne. Les partis politiques seraient mis à contribution ainsi que les réserves parlementaires.

Par ailleurs, nous proposons la création d’une fondation régionalisée dédiée au financement des associations plus classiques. Sa spécificité serait d’être cogérée par des représentants associatifs.

M.-H. B. : Il ne s’agit pas de squizzer totalement les élus locaux mais de contrebalancer leurs pouvoirs. La décentralisation n’a finalement pas été suivie d’une démocratisation au niveau local.

M. M. : L’élu a tout à y gagner. Les habitants demandent à ce que le pouvoir soit partagé. Si un élu joue le jeu, retourne la confiance, les gens ne pourront qu’adhérer.

Le risque de l’empowerment n’est-il pas celui du conservatisme ? De crainte de tout perdre, certains habitants, dans le cadre de la rénovation urbaine, refusent par exemple qu’on détruise leur tour.

M.-H. B. : Les habitants ne sont pas par principe plus conservateurs que les élus ou les techniciens. Est-ce conservateur que de vouloir conserver ses droits à la retraite ? Si on n’a pas confiance dans la table des négociations qui s’ouvre, on veut d’abord conserver ce qu’on a. C’est ce qui s’est passé dans la rénovation urbaine.

M. M. : Il est inacceptable que les pouvoirs publics décident de détruire et de reconstruire sans l’avis des habitants. Le bilan de la rénovation urbaine est mauvais. L’État a pensé qu’il règlerait des problèmes humains et sociaux avec de l’urbain. C’est faux. Cela n’a fait que déplacer les difficultés. Les belles résidences, construites il y a trois ou quatre ans, sont déjà dégradées. Ça n’a pas pris parce que les habitants n’ont pas été associés. Parce que les chômeurs, maçons de profession, vivant là n’ont pas trouvé de travail sur les chantiers. Parce que les petites entreprises du quartier n’ont pas eu les contrats raflés par les grosses boîtes.

Dans les quartiers, quel regard est porté sur la rénovation urbaine ?

M.-.H B. : C’est contrasté. Il y a quelques endroits où les habitants ont pu accompagner le processus. Certains ont tiré leur épingle du jeu. D’autres, les plus précaires, et souvent les populations d’origine étrangère, ont été repoussés ailleurs.

M. M. : La rénovation urbaine a permis de reconfigurer de nouveaux électorats. Prenez le quartier de la Pierre Collinet à Meaux. Lors de la rénovation urbaine, Copé a décidé de détruire, de recréer des résidences et il a été demandé aux habitants sur un Power point s’ils voulaient vivre dans un petit bâtiment, avec un petit jardin. Qui va dire non ? Simplement, une fois que c’était terminé, les gens se sont aperçus que le loyer n’était plus le même, que la superficie était réduite. On leur a dit : « Ne vous inquiétez pas, il y a d’autres solutions : un peu plus loin, il y a d’autres logements sociaux qui vous sont accessibles. » Ces habitants sont partis et ont été remplacés par une autre population, qui avait plus de moyens, un électorat qui vote comme il faut. La rénovation a été faite à des fins politiques.

Autre face cachée de la rénovation : à Clichy Montfermeil, des personnes avaient acheté un appartement pour avoir un bien quand ils seraient à la retraite. Sous prétexte de la rénovation urbaine, un bon nombre ont été expropriés. On leur a racheté trois fois moins cher que ce que ça leur avait coûté à l’achat. On aurait fait ça dans un beau quartier, tout le monde aurait crié au scandale.

Et où est la mixité sociale qu’on nous avait vendue ? Comment voulez-vous en créer quand vous n’avez pas les infrastructures ? Quand il n’y a pas de transports, quand les professeurs sont inexpérimentés, qu’il n’y a plus de service public, plus de maison de santé… Vous pensez que les gens vont quitter ce qu’ils ont pour venir s’installer là ?

M.-H. B. : Tout le monde est d’accord pour faire de la mixité sociale, mais les pratiques sont exactement contraires à cet objectif. On a repoussé des gens de plus en plus loin. Étaler la pauvreté ne résout pas le problème.

L’un d’entre vous donne l’exemple d’une mixité qui ne fonctionne pas car la ville n’a pas les infrastructures pour attirer les classes moyennes. Et l’autre l’exemple de classes moyennes qui viennent dans les quartiers pour remplacer les anciens habitants. Que faut-il faire alors ?

Marie-Hélène Bacqué

M.-H. B. : Nous proposons que les prochains projets territoriaux soient précédés de diagnostics établis avec les habitants. Que les habitants représentent 50 % du groupe de pilotage qui élaborera les propositions, et qu’ensuite les habitants soient représentés dans toutes les instances.

M. M. : Notamment dans les conseils d’administration des bailleurs HLM. Mais également parmi les amicales de locataires, qui se comportent trop souvent dans une logique de syndicat. Il faut que les locataires soient plus impliqués, présents là où les choses se décident.

Participer, c’est bien. Mais quand devient-on décisionnaire ?

M. M. : Si on arrive à 50 % d’habitants qui forment le groupe de pilotage, on équilibre. Si les tables de quartiers gèrent les financements d’associations du quartier, les habitants décideront.

Compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles ils vivent, ces habitants ne sont-ils pas davantage préoccupés par leur survie au quotidien, la débrouille, leurs revenus, que par des considérations collectives ?

M. M. : Au contraire, dans les quartiers, les gens sont obligés de trouver des solutions à leurs problèmes pour survivre. Les habitants deviennent des experts du quotidien.

M.- H. B. : Les expériences d’ATD-Quart-Monde avec les plus précaires montrent la capacité de ces personnes à se mobiliser sur des questions d’intérêt général et à être inventives. Quand on s’adresse aux parents pour travailler sur la réussite scolaire, on arrive très facilement à les intéresser. C’est sûr que si on les prend de haut, en leur expliquant qu’ils sont de mauvais parents qui ne savent pas s’occuper de leurs enfants, là, on n’obtient rien.

M. M. : Personne dans les quartiers ne parle ne démission des parents. C’est la classe politique qui utilise ce langage dépréciateur. C’est elle qui parle des habitants comme des irresponsables. Lors des auditions, nous avons entendu des propos paternalistes : « Heureusement que nous, Blancs, sommes là pour vous guider, etc. » Mais cette vision est dépassée. Les habitants veulent être écoutés.

Est-ce que vos mesures ne risquent pas d’apparaître comme des gadgets à des habitants dont la priorité est souvent l’emploi ?

Mohamed Mechmache

M. M. : Si les habitants apportent leur expertise dans des instances, cela favorisera la lutte contre le chômage. La rénovation urbaine aurait pu apporter des milliers d’emplois dans les quartiers mais comme on n’a pas associé les habitants, ça n’a pas marché.

Prenez les emplois d’avenir, qui ont été pensés par des technocrates. Si on avait associé les habitants à la base, ils auraient identifié les freins. Il n’y pas que les grandes écoles et les technocrates. L’expérience des habitants est complémentaire. Notre rapport en est l’illustration. Notre regard croisé a permis de créer cet outil. Il y a plein de gens qui nous ressemblent et qui sont en capacité de le faire.

L’abstention est très forte dans les quartiers populaires : les habitants n’utilisent même pas les outils qu’on leur donne. Pourquoi en créer de nouveaux ? Pourquoi s’en saisiraient-ils ?

M.-H. B. : Ils n’utilisent pas ces outils car ils ne répondent pas à un fonctionnement démocratique. Des sociologues expliquent que l’abstention est un refus, un droit de réserve. C’est justement parce qu’il y a un taux d’abstention très important qu’il faut trouver d’autres voies pour aller discuter avec les citoyens.

M. M. : Cette abstention ne survient pas par hasard. Les gens disent : « Ça va changer quoi pour moi d’aller voter ? »

Vous écrivez qu’il y a un préalable à toutes vos préconisations : la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales. Pourquoi en faites-vous un préalable ?

M.-H. B. : Il faut reconstruire la confiance avec les institutions et les pouvoirs politiques et cette confiance est très érodée, car depuis 1982, les promesses n’ont pas été tenues. C’est revenu sans cesse dans les échanges : comment voulez-vous qu’on participe si ce droit de vote n’est pas reconnu ? 

M. M. : Les enfants français ont du mal à se considérer parce qu’on ne reconnaît pas leurs parents qui paient pourtant des impôts, participent à la vie locale…

François Hollande a annoncé son intention d’inscrire le droit de vote des étrangers au calendrier législatif après les municipales…

M. M. : Je ne suis pas dupe. Le sénat risque de basculer à droite après les municipales. Hollande a dit qu’il ne voulait pas être suspecté d’“instrumentaliser” le scrutin, mais du coup, on dit aux enfants d’étrangers : « Votez pour nous, comme ça on fera passer le droit de vote pour vos parents. » C’est encore pire, niveau instrumentalisation ! On en a marre : ça fait trente ans qu’à chaque élection, on nous la brandit, la carotte ! Pourquoi ne pas avoir le courage de poser ce débat ? Si ça échoue, tant pis, on saura à quoi s’en tenir.

Hollande oublie que, sans le vote des quartiers en sa faveur, Sarkozy serait encore là. Les gens sont déçus. Ça n’a pas été simple pour nous d’aller à la rencontre d’associations qui n’attendent plus rien. On nous a dit : « C’est un rapport de plus. On sait comment ça va se terminer. »

Aujourd’hui, quels sont les freins à la participation ?

M.-H. B. : À Grenoble et à Lyon, nous avons rencontré des jeunes femmes voilées qui nous ont raconté qu’elles ne pouvaient plus participer aux sorties scolaires à cause de leur voile.

M. M. : On a aussi entendu le cas des nounous qui se sont vues interdire le port du voile alors qu’elles travaillent chez elles. Ces mères de familles sont bénévoles, elles ne cherchent pas à endoctriner qui que ce soit, elles veulent juste participer à la vie et au lien social. Les conséquences peuvent être dramatiques. On risque d’aboutir à une crise d’exclusion. On voit naître une forme de violence chez les jeunes dont les parents ne sont pas reconnus. Ils n’attendent plus rien. Sachant que leurs parents sont exclus, qu’ils n’existent plus, les enfants se disent qu’ils n’existent plus non plus. Légiférer là-dessus comme l’envisage le pouvoir est le meilleur moyen de renforcer les extrêmes.

Lors de vos auditions, la question de l’islamophobie a-t-elle été abordée ?

M.-H. B. : Pas forcément avec ce terme exprimé tel quel, mais le sujet est revenu à de très nombreuses reprises.

M. M. : Depuis les événements d’Argenteuil (lire notre enquête), l’inquiétude a grandi. On est passé des discours aux actes, avec la mort d’un bébé. L’absence de réactions politiques choque beaucoup. Il a fallu que ce soit nous, les associations, qui alertions les pouvoirs publics pour susciter un discours politique sur ce qui s’était passé.

Quand des Chinois se sont fait agresser à Bordeaux, Valls est monté tout de suite au créneau pour parler d’actes racistes. Mais quand des mères de famille se font frapper et que l’une d’entre elles perd un enfant, personne n’en parle.

Cette absence de réactions ne fait-elle pas le lit de la montée des communautarismes ?

M. M. : Bien sûr. Les gens veulent croire à la République, mais que faire quand celle-ci ne vous considère pas ? On nous parle sans cesse de l’extrémisme religieux, mais ce ne sont pas les intégristes islamistes qu’on a vus dans la rue contre le mariage pour tous ! Civitas, on ne les traite jamais de communautaristes. À l’assemblée nationale, tous ces élus bien blancs de plus de 60 ans, ce n’est pas du communautarisme ?

Aujourd’hui, le FN fait des maraudes dans les quartiers et s’adresse aux démunis. Un mec comme Alain Soral commence à avoir un discours qui porte, y compris chez des religieux.

Quel sens donner à la promotion du tirage au sort parmi les habitants des quartiers populaires que vous faites dans votre rapport, notamment pour composer les tables de concertation ou les instances de discussions locales ? Est-ce aussi une façon d’admettre les limites de la représentation des seules associations ?

M. M. : Oui, il existe des barons dans le secteur associatif. Mais nous nous savons faire notre autocritique…

M.-H. B. : Le tirage au sort permet d’aller chercher des gens qui ne se mobiliseraient pas forcément d’emblée.

Mais comment faire ? Vous abordez dans le rapport la question de la rémunération d’un statut de bénévole…

M. M. : Il y en a marre de considérer que quand on fait venir un habitant des quartiers à une réunion, on lui fait une fleur. S’il vient, c’est parce qu’il a une expertise à faire partager, pas parce qu’on veut lui faire plaisir. Les autres personnes autour de la table sont là sur leur temps de travail. Le seul à qui ça pose problème d’être là ou à qui ça coûte parce qu’il a fallu prendre une RTT ou faire garder son enfant, c’est l’habitant. S’il a une expertise, il faut la rémunérer. Ou alors, il faut s’adapter aux habitants et les réunions doivent être organisées le samedi, le dimanche ou le soir.

07/10/2014

Des Kurdes face à l'indignité d'un fonctionnaire

Dans un enregistrement que s’est procuré « la Marseillaise », le directeur de cabinet du préfet de police invective une délégation kurde en des termes qui n’honorent pas la République.

Les Kurdes manifestent à Marseille

COMMUNIQUE de la Fédération LDH des Bouches du Rhône auquel s'associe la section LDH de Manosque.
Marseille le 5 octobre 2014


Résister : combattre pour la démocratie, la liberté, contre la barbarie et le fascisme.
Depuis plus d’une semaine c’est la grande leçon que nous donnent les Kurdes de Marseille en campant sur le Vieux Port et en allant manifester au Conseil de l’Europe, la Préfecture, sur la Canebière et dans d’autres lieux pour appeler à la conscience humaine sur le drame de Kobané en Syrie.
Ils y dénoncent les crimes de Daesh, notamment celui d’Hervé Gourdel, le double jeu de la Turquie et appellent les instances internationales dont la France pour éviter le génocide de Kobané qui se prépare malgré une coalition internationale contradictoire dont les «frappes» n’empêchent en rien le drame annoncé.
Le journal la Marseillaise, dans un article du 4 octobre, relate comment a été «reçue» une délégation par un haut fonctionnaire de la préfecture de police. Confirmé par des membres de cette délégation, ce haut fonctionnaire leur a tenu des propos indignes de la République leur contestant, entre autre, le droit de manifester pourtant reconnu par la constitution française.
Ce haut fonctionnaire leur a aussi reproché leur solidarité avec les Syriens : Kurdes, Yezidis et Chrétiens qui résistent ou sont réfugiés en Turquie avec beaucoup de difficultés alors que l’aide internationale, tant humanitaire que militaire, se fait attendre et qu’ils craignent un nouveau génocide.
Ce haut fonctionnaire, de la République laïque, qui se dit protestant a, sans doute oublié le maitre mot de Marie Durand, protestante emprisonnée au 18e siècle, repris par le Conseil National de la Résistance et maintenant par les Kurdes : Résister ! Résister à la barbarie, Résister pour la Démocratie, Résister pour la Liberté.


La Ligue des Droits de l’Homme condamne les propos et l’attitude de ce haut fonctionnaire et appelle tous les citoyennes et les citoyens, quelques soient leurs convictions religieuses, leurs nationalités, leurs couleurs de peau ou leurs convictions politiques, à manifester leur solidarité avec tous ceux qui dénoncent et combattent la barbarie. Il en va de notre Humanité.

Convergence Palestine

La LDH se joint à la campagne Convergence Palestine dont les objectifs sont précisés ci-dessous et dans l’appel ci-joint. Il est prévu d’organiser des rassemblements les 9-10 ou 11 octobre pour demander la fin de l’impunité d’Israël, pour cela une pétition (ci-dessous et ci-jointe) est à faire signer largement. Les pétitions seront déposées le 18 octobre à l’Élisée et un grand rassemblement sera organisé Place de la République.

Participent à cette campagne : Plateforme des ONG pour la Palestine, LDH, CJPP5, La Courneuve Palestine, UJFP, CGT, PCF, AFPS, SNES-FSU, MJCF, EELV, PG, MRAP, Mouvement de la paix, Solidaires, Ensemble, GU, AFD i, UAVJ, CICUP, Droit Solidarité, Femmes Égalité, Collectif judéo-arabe.

CONVER­GENCE PALESTINE Les 9−10−11 octobre dans nos régions… Le 18 octobre à Paris

Convergence Palestine
Programme pour le 10 octobre à Digne (04)

ENSEMBLE NOUS DIRONS : ÇA SUFFIT ! BASTA !

Une fois de plus l’État d’Israël bafoue les règles du droit international et humanitaire et des droits humains les plus élémentaires. Avec l’agression contre la population palestinienne de Gaza, il a dépassé les limites.

L’IMPUNITÉ GARANTIE… C’EST UN FEU VERT AUX CRIMINELS DE GUERRE

Ces vio­la­tions sans limites du droit inter­na­tional ne seraient pas pos­sibles sans l’impunité dont béné­ficie Israël depuis des décennies. Les bonnes paroles de nos gou­ver­nants ne suf­fisent pas. Les larges sec­teurs de l’opinion qui se sont mobi­lisés cet été attendent des actes poli­tiques concrets : Il faut obtenir sans délai la levée du blocus de Gaza et, au-​​delà, la fin de la colo­ni­sation et de l’occupation.

Pour cela, la France doit

SANCTIONNER L’ÉTAT D’ISRAËL

- Mettre l’embargo sur les armes et cesser toute coopé­ration mili­taire avec Israël

- Interdire l’entrée des pro­duits des colonies et toute relation d’affaires pro­fitant à la colonisation

- Faire suspendre l’accord d’association UE-​​Israël

RECONNAITRE L’ÉTAT DE PALESTINE

Elle doit aussi engager des pour­suites contre les Français auteurs ou com­plices de crimes de guerre lors des opé­ra­tions contre la popu­lation palestinienne.

C’est pour porter ces exi­gences que dans la suite de nos mobi­li­sa­tions locales, nous conver­gerons sur Paris le 18 octobre.

Cette ini­tiative est portée et sou­tenue aux côtés de l’AFPS par diverses orga­ni­sa­tions de défense des droits de l’Homme, des syn­dicats et des partis politiques.

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Vous trouverez ci-joint la liste des villes où sont implantés les groupes locaux de l’AFPS (103 groupes) pour faciliter l’organisation de délégations conjointes (organisation de voyages en car pour venir à Paris le 18, afin d’apporter les pétitions signées à l’Elysée). Les coordonnées précises de contact figurent sur le site AFPS http://www.france-palestine.org/groupes

 

Vous trouverez également en pièce jointe la pétition « Gaza, colo­ni­sation, crimes de guerre : des sanc­tions pour en finir avec l’impunité d’Israël »   http://www.france-palestine.org/Gaza-colonisation-crimes-de-guerre 

Gaza, colo­ni­sation, crimes de guerre : des sanc­tions pour en finir avec l’impunité d’Israël

Pétition adressée à M. François Hol­lande, Pré­sident de la Répu­blique, et au gou­ver­nement français

L’attaque israé­lienne lancée mas­si­vement en juillet 2014contre la popu­lation pales­ti­nienne de Gaza exprime une fois de plus le déni par l’État d’Israël de toutes les règles du droit inter­na­tional et huma­ni­taire et des droits humains les plus élé­men­taires. Ceux qui en sont res­pon­sables devront répondre devant la justice des crimes de guerre commis, voire de crimes contre l’humanité.

Cette attaque est inter­venue dans la logique du rejet par Israël du pro­cessus pales­tinien de récon­ci­liation nationale, qui avait été salué entre autres par l’Union Euro­péenne et les États-​​Unis, et qui consti­tuait une immense chance pour la paix.

Une fois de plus, c’est l’intolérable impunité dont béné­ficie l’État d’Israël qui pousse celui-​​ci à des vio­la­tions sans limites du droit international.

Devant cette agression mili­taire dirigée contre la popu­lation de Gaza et ses infra­struc­tures les plus vitales, les pays membres de l’UE, dont la France, ne peuvent laisser se pour­suivre de tels mas­sacres et exac­tions à grande échelle sans prendre des sanc­tions adaptées pour contraindre Israël à renoncer à toute opé­ration mili­taire dirigée contre la popu­lation pales­ti­nienne, et à cesser l’agression per­ma­nente que consti­tuent le blocus et le siège de Gaza, la colo­ni­sation en Cis­jor­danie et l’expulsion d’habitants pales­ti­niens de Jéru­salem Est.

Les soussigné(e)s demandent au Pré­sident de la Répu­blique et au gou­ver­nement français :

  •  de cesser immé­dia­tement toute coopé­ration mili­taire avec Israël et de mettre un embargo total sur les armes à des­ti­nation d’Israël,
  •  d’agir de manière éner­gique et publique pour que soit décidée, dès le pro­chain Conseil Européen, la sus­pension sans délai de l’accord d’association entre l’Union Euro­péenne et Israël, en s’appuyant sur l’article 2 de cet accord, et ceci tant qu’Israël ne se conformera pas au droit international.

Cliquer ici pour signer la pétition

02/10/2014

GMT, TAFTA ..., Les trois actes de la résistance

Élus nationaux, députés européens et gouvernements disposent de diverses options pour s’opposer au projet d’accord transatlantique. Encore faut-il qu’ils en manifestent la volonté, ou que les populations les y invitent...

MANIFESTATIONS INTERNATIONALES
DU 11 OCTOBRE 2014
à Manosque, Place de la Mairie à 10h

Jusqu’à la signature du traité, plusieurs étapes doivent être franchies qui offrent autant de fenêtres de tir.

grand marché transatlantique,tafta

Mandat de négociation. La Commission jouit du monopole de l’initiative : elle propose seule les recommandations destinées à encadrer la négociation de tout accord de commerce ou de libre-échange (1). Réunis en Conseil, les États membres en délibèrent avant d’autoriser la négociation. Les recommandations initiales de la Commission — rarement modifiées par le Conseil (2) — délimitent alors un mandat de négociation. Pour le grand marché transatlantique (GMT), celui-ci fut conféré le 14 juin 2013.

Négociation. Elle est conduite par la Commission, assistée d’un comité spécial où les vingt-huit gouvernements sont représentés : ceux-ci ne sauraient donc prétendre qu’ils ignorent tout des pourparlers en cours. Le commissaire au commerce Karel De Gucht pilote les discussions pour la partie européenne. Le traité de Lisbonne prévoit que la Commission fasse « régulièrement rapport au Parlement européen sur l’état d’avancement de la négociation (3) », une obligation nouvelle dont elle s’acquitte avec certaines réticences. Les conditions dans lesquelles la commission du commerce international du Parlement européen reçoit des informations traduisent une conception très étriquée de la transparence (lire « Silence, on négocie pour vous »). Pour le GMT, cette phase suit son cours.

Acte I : validation par les États membres. Une fois les tractations achevées, la Commission en présente les résultats au Conseil, qui statue à la majorité qualifiée (au moins 55 % des États représentant 65 % de la population (4)). Restriction importante : si le texte qui lui est soumis comporte des dispositions sur le commerce des services, sur les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et sur les investissements directs étrangers, l’unanimité est requise. Celle-ci s’impose également pour la conclusion d’accords qui « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union et dans le domaine du commerce des services sociaux, d’éducation et de santé lorsque ces accords risquent de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services ». Les gouvernements disposent donc d’une large liberté d’appréciation du résultat final des discussions et peuvent s’emparer de l’obligation de statuer à l’unanimité pour bloquer le projet.

Avant de se prononcer, le Conseil doit soumettre le texte au Parlement européen, afin d’éviter d’être désavoué (5).

Acte II : validation par le Parlement européen. Depuis 2007, le Parlement dispose d’un pouvoir accru en matière de ratification. Il peut approuver ou rejeter un traité négocié par la Commission au terme d’une procédure baptisée « avis conforme ». C’est ce qu’il a fait le 4 juillet 2012 en rejetant l’accord commercial anti-contrefaçon (en anglais Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ACTA), négocié de 2006 à 2010 dans le plus grand secret par plus de quarante pays. Il peut aussi, comme n’importe quel État, recueillir l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de l’accord négocié avec les traités (6). Cette phase doit débuter lorsque le Conseil des ministres transmet au Parlement le résultat de la négociation.

Acte III : ratification par les Parlements nationaux. Si le partenariat transatlantique est validé par le Parlement et le Conseil, une question demeure en débat : un traité qui comporterait toutes les dispositions inscrites dans les quarante-six articles du mandat de négociation échapperait-il à l’examen des Parlements nationaux ? « Oui ! », répond le commissaire De Gucht, qui évoque la ratification future de l’accord de libre-échange Union européenne - Canada en ces termes : « Il faudra ensuite que le collège des vingt-huit commissaires européens donne son feu vert au texte définitif que je lui présenterai avant de passer à la ratification par le Conseil des ministres et le Parlement européen (7). » Ce faisant, il évacue la possibilité d’une ratification par les Parlements nationaux. Il entend sans doute que cette procédure s’applique également au partenariat transatlantique puisque, en vertu du traité de Lisbonne, les accords de libre-échange relèvent de la compétence exclusive de l’Union, contrairement aux accords mixtes (c’est-à-dire soumis à la fois au Parlement européen et aux Parlements nationaux), qui contiennent des dispositions relevant à la fois de la compétence de l’Union et de celle des États. Au sein du Conseil des ministres européen, plusieurs gouvernements, dont ceux de l’Allemagne et de la Belgique, ne partagent pas le point de vue de M. De Gucht. Ce dernier a annoncé qu’il saisirait la Cour de justice de l’Union pour trancher leur différend (8).

Déjà, par le passé, la question de la mixité des accords de libre-échange a alimenté des débats : en 2011, des parlementaires allemands, irlandais et britanniques ont demandé que des accords de libre-échange avec la Colombie et le Pérou soient déclarés mixtes et donc soumis à la ratification des Parlements nationaux. Le 14 décembre 2013, le Parlement français a de même ratifié l’accord de libre-échange Union européenne - Corée du Sud négocié par la Commission ; il doit étudier prochainement la ratification des accords entre l’Union, la Colombie et le Pérou.

L’accord envisagé avec les États-Unis dépasse le simple libre-échange et empiète sur les prérogatives des États. C’est le cas lorsqu’il s’agit de bouleverser les normes sociales, sanitaires, environnementales et techniques, ou de transférer à des structures d’arbitrage privées le règlement des conflits entre entreprises privées et pouvoirs publics. La compétence exclusive de l’Union ne s’étend pas à des domaines qui relèvent encore — au moins en partie — de la souveraineté des États.

Le cas de la France. Dans son célèbre arrêt de 1964, la Cour de justice des Communautés européennes établit la primauté absolue des traités sur le droit national des États membres (9). En France, toutefois, un traité dispose d’un rang inférieur à la Constitution : il doit donc s’y conformer. La pratique des gouvernements consiste, lors de l’adoption de chaque traité, à modifier la Constitution de façon à éviter toute incompatibilité.

L’adoption du traité de Lisbonne en 2008 en donna l’occasion (10). Cependant, lors de cette dernière révision, il ne fut pas proposé aux congressistes réunis à Versailles de modifier l’article 53 de la Constitution, qui dispose : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés. (...) »

Traité de commerce, le partenariat transatlantique devrait donc être soumis à la ratification du Parlement français. Il revient au ministre des affaires étrangères d’examiner si le texte relève ou non de l’article 53 de la Constitution. On ne s’étonne pas, dès lors, que le gouvernement de M. Manuel Valls ait décidé de transférer de Bercy au Quai d’Orsay la tutelle en matière de commerce extérieur. M. Laurent Fabius, dont l’atlantisme ne s’est jamais démenti, offre davantage de garanties que M. Arnaud Montebourg. Et le choix de Mme Fleur Pellerin comme secrétaire d’État au commerce extérieur s’est avéré tout à fait rassurant pour le Mouvement des entreprises de France (Medef) (11).

Si la nécessité d’une ratification par le Parlement français se confirmait, le gouvernement pourrait tenter de recourir à la procédure d’examen simplifié, qui soumet le traité au vote, sans débat (12). Mais la décision appartient à la conférence des présidents et à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Sans compter que soixante députés ou soixante sénateurs peuvent également demander au Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité du contenu du partenariat transatlantique vis-à-vis de la Constitution.

La logique voudrait que la population n’attende pas trop de gouvernements qui ont accepté les recommandations faites par la Commission européenne, le 14 juin 2013. Toutefois, leurs hésitations au cours du printemps 2014 suggèrent que le succès grandissant des mouvements d’opposition au GMT pèse.

Un encouragement précieux à poursuivre le combat.

Raoul Marc Jennar

Auteur de l’ouvrage Le Grand Marché transatlantique. La menace sur les peuples d’Europe, Cap Bear Editions, Perpignan, 2014, 5 euros.

(1) L’article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) décrit la procédure de négociation et d’adoption d’un traité relevant de la politique commerciale commune pour ce qui concerne la Commission et le Conseil.

(2) La comparaison entre les recommandations de la Commission et le mandat adopté permet d’affirmer que les États modifient rarement et faiblement les propositions de celle-ci.

(3) Article 207, paragraphe 3, du TFUE.

(4) Selon la nouvelle définition de la majorité qualifiée qui entrera en vigueur le 1er novembre 2014.

(5) Article 218, paragraphe 6a, du TFUE.

(6) Article 218, paragraphe 11, du TFUE. Cette possibilité existe également pour chaque Etat.

(7) Libération, Paris, 28 octobre 2013.

(8) Déclaration du commissaire De Gucht lors de la réunion de la commission du commerce international du Parlement européen, le 1er avril 2014.

(9) Cour de justice des Communautés européennes, arrêt Costa contre Enel, affaire 6/64, 15 juillet 1964.

(10) Loi constitutionnelle no 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution. On se souviendra que c’est grâce au vote favorable ou à l’abstention de cent soixante-quatorze parlementaires socialistes et de trois Verts que cette révision a pu être adoptée et que le traité de Lisbonne, largement identique au traité constitutionnel européen rejeté par référendum en 2005, est entré dans le droit français.

(11) Voir la réponse de Mme Pellerin lors des « Questions au gouvernement », le 16 avril 2014, http://videos.assemblee-nationale.fr

(12) L’accord de libre-échange UE - Corée du Sud, qui totalise quelque mille huit cents pages, fut ratifié selon cette procédure, sans débat, en quelques minutes, le 14 décembre 2013. En dépit de ses conséquences pour l’industrie automobile française.

23/09/2014

Pour un titre de séjour unique

Manifeste pour un titre de séjour unique, valable 10 ans, délivré de plein droit

À force de réformes du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), de plus en plus d’étrangers et d’étrangères sont placés dans une situation insupportable : précarité des titres de séjour délivrés, délais interminables pour en obtenir le renouvellement même dans les cas où il est de plein droit, arbitraire d’une administration qui interprète les textes le plus restrictivement possible, conditions d’accueil déplorables dans les préfectures…

titre de séjour

La situation s’est dégradée à un point tel que les soutiens habituels ou les personnes qui sont en relation avec des immigré-e-s ne sont plus les seules à s’en émouvoir : en haut lieu aussi on commence à se préoccuper des retombées néfastes de la réglementation actuelle et de ses conditions d’application, comme en témoigne le rapport Fekl remis au gouvernement en mai 2013 [1].

Pour sortir de cette situation, ce rapport préconise, comme s’il s’agissait d’une grande avancée, la création d’une carte « pluriannuelle », intermédiaire entre la carte temporaire d’un an et la carte de résident de dix ans. Mais pourquoi se contenter de cette demi-mesure ? Il y a trente ans, l’Assemblée nationale votait, à l’unanimité, la création de la carte de résident, valable dix ans et renouvelable de plein droit. Ce « titre unique de séjour et de travail » avait vocation à devenir le titre de séjour de droit commun pour l’ensemble de ceux et celles qui étaient installés durablement en France ou qui avaient vocation à s’y établir en raison de leurs attaches familiales ou personnelles. Les réformes successives ont détricoté ce dispositif, alors considéré, à droite comme à gauche, comme le meilleur garant de l’insertion – selon la terminologie de l’époque – des personnes concernées : c’est la carte de séjour temporaire qui fait aujourd’hui figure de titre de droit commun, tandis que l’accès à la carte de résident n’est plus qu’une perspective lointaine et aléatoire, soumise au bon vouloir de l’administration qui vérifie préalablement l’« intégration républicaine » des postulant-e-s.

N’ayons pas la mémoire courte : la loi du 17 juillet 1984 a été adoptée dans un contexte qui avait beaucoup de points communs avec celui d’aujourd’hui : le chômage de masse sévissait déjà, le Front national était une force politique montante et l’inquiétude quant à l’avenir n’était pas moindre. Pour des raisons essentiellement électoralistes, les gouvernements successifs ont mené des politiques systématiques de précarisation dont nous constatons chaque jour les effets dévastateurs.

Revenir à la carte de résident telle qu’elle avait été initialement instituée est une revendication nécessaire et réaliste. Les raisons mises en avant en 1984 pour réclamer et obtenir l’instauration de la carte de résident demeurent toujours valables aujourd’hui : simplification des démarches administratives, amélioration des conditions d’accueil dans les préfectures – et accessoirement des conditions de travail des fonctionnaires, mais surtout garantie de sécurité juridique indispensable pour pouvoir construire sa vie dans la société française.

Nous, organisations signataires, refusons qu’en 2014 les personnes étrangères qui ont construit leur vie en France soient maintenues dans l’insécurité d’un droit au séjour précaire.

Nous voulons qu’il soit mis fin aux effets désastreux de cette précarité dans les domaines de l’activité professionnelle, de la vie familiale, de l’accès aux droits sociaux, à un logement, à un prêt bancaire...

Nous demandons que leur soit remis un titre de séjour pérenne, le même pour tous.

Ce titre de séjour, créé il y a trente ans, existe encore dans la réglementation, même si les conditions de sa délivrance ont été progressivement dénaturées : nous réclamons le retour à la philosophie qui avait inspiré sa création et la rupture avec une politique aux conséquences injustes et inhumaines. La carte de résident, valable dix ans, doit à nouveau être délivrée et renouvelée de plein droit aux personnes établies en France, garantissant leur droit à y demeurer sans crainte de l’avenir.

[1Sécurisation des parcours des ressortissants étrangers en France, rapport au premier ministre par Matthias Fekl, parlementaire en mission auprès du ministre de l’intérieur.

Réfugiés syriens vs ministère de l'intérieur

En Syrie, entre mars 2011 et fin avril 2014, plus de 190.000 personnes ont été tuées directement en raison du conflit (chiffre annoncé le vendredi 22 août par le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme).
Comme si ce n'était pas suffisant, fin 2013, alors que plus de 2,3 millions de réfugiés avaient fui la Syrie, la France a très généreusement décidé d’en accueillir 500 !

syrie,asile

"On a frappé à toutes les portes. En vain"

 

Comme si ce n'était pas suffisant, en refusant des visas à une famille syrienne, le ministère de l’intérieur vient de violer le droit constitutionnel à l’asile.

Le tribunal administratif de Nantes a donné raison, le 16 septembre 2014 à une famille syrienne à laquelle la France avait refusé de délivrer des visas de court séjour. Le Gisti (Groupe d'Information et de Soutien des immigr-é-s) était intervenant volontaire à ses côtés.

Mme K, mère de trois enfants, dont deux mineurs, vit à Alep, deuxième ville de Syrie, martyrisée depuis des mois par des combats meurtriers et destructeurs entre toutes les forces en conflit (armée du régime, armée libre, islamistes). L’aviation d’Assad bombarde régulièrement la cité à coups de barils incendiaires.

Outre cette situation générale, connue de tous, a fortiori du ministère de l’intérieur, cette famille faisait état des raisons particulières qu’elle avait de rechercher à tout prix une protection.

Le Gisti a aidé cette famille à déposer une demande de visas de court séjour, à l’appui de laquelle la démonstration était faite des risques encourus par ses membres pour leur vie et leur sécurité.

Les visas sollicités ont été néanmoins refusés sans explication avec pour conséquence d’empêcher cette famille de déposer une demande d’asile, puisqu’il n’est possible de le faire que depuis le territoire français.

Devant le tribunal administratif de Nantes, le ministère de l’intérieur a soutenu que son refus était juridiquement fondé. Il a même avancé que la famille aurait pu se mettre à l’abri au Liban, alors qu’il sait parfaitement qu’un million d’exilés syriens ont trouvé refuge dans ce petit pays de 4 millions d’habitants, dont le territoire est 55 fois plus petit que l’Hexagone. Qu’à cela ne tienne : c’est un pays... ami de la France. Le ministère sait parfaitement aussi, car c’est de notoriété publique, que nombre de Syriennes n’ont d’autre solution que la prostitution pour y survivre, tandis qu’une sévère malnutrition frappe la plupart des enfants réfugiés.

C’est la raison pour laquelle le tribunal a considéré que le ministère de l’intérieur avait violé le droit constitutionnel d’asile. Il a ordonné la délivrance des visas dans un délai de cinq jours.

Le ministère osera-t-il se dérober à cette injonction en faisant appel ?

20/09/2014

Khalida Jarrar

Khalida Jarrar, est une députée du FPLP, avocate et militante pour les droits de l’homme et des prisonniers politiques palestiniens.
Mercredi 20 août 2014, une cinquantaine de soldats de l’armée israélienne a fait irruption à son domicile situé à Ramallah, à quelques centaines de mètres seulement du Palais présidentiel, la Mouquata’a. Un haut gradé lui a alors remis un ordre militaire rédigé en hébreu, lui demandant de quitter expressément son domicile, pour aller vivre durant un période initiale de 6 mois, accessoirement renouvelable, à Jéricho, ville où elle n’a pas d’attache particulière, et ce, dans un délais éclair de 24h. Les faits qui lui sont reprochés ne lui ont pas été précisés, l’armée se cachant, comme bien souvent derrière l’appellation « dossier secret », ce qui ne veut bien entendu rien dire mais qui permet régulièrement à Israël d’inculper et d’incarcérer des Palestinien-ne-s.

Khalida Jarrar, palestine

Une carte du district de Jéricho lui a été remise et il lui a été précisé qu’elle ne pourrait pas sortir de la ville sans avoir l’autorisation du tribunal militaire israélien. Khalida Jarrar a refusé de signer cet ordre. Le haut gradé a pris note de ce refus et lui a demandé si elle souhaitait rajouter quelque chose. Khalida Jarrar répondit : « Vous, l’occupant, tuez notre peuple palestinien. Vous pratiquez des arrestations massives, démolissez des maisons, kidnappez des personnes à leur domicile et les déportez. C’est à vous de quitter notre maison ».


La détermination et la résistance, la campagne menée par des milliers de gens en Palestine et dans le monde aux côtés de Khalida Jarrar, membre du Conseil Législatif Palestinien ont remporté aujourd’hui une victoire et annulé l’arrêté d’expulsion à Jéricho pris à son encontre par les autorités israéliennes d’occupation.

Le 16 septembre, le tribunal militaire d’occupation a déclaré que la décision d’expulsion était revue à un mois (au lieu des six mois initialement prévus) et que, le mois étant écoulé la veille, le 15 septembre, elle ne pesait plus sur Khalida Jarrar, une dirigeante politique en vue, féministe de gauche, représentante du Front Populaire pour la Libération de la Palestine.

L’ordonnance avait été signifiée à Jarrar le 20 août par une invasion de son domicile par 50 soldats de la force d’occupation à son domicile. Jarrar refusa l’ordonnance et monta une tente de protestation permanente et de solidarité devant le Conseil Législatif Palestinien à Ramallah. C’est devenu un lieu d’organisation, d’activités pour la jeunesse, de délégations de militants internationaux et de parlementaires. En Palestine, Kalida et ses camarades ont travaillé sans relâche non seulement pour faire annuler l’ordonnance d’expulsion mais pour combattre l’oppression exercée par l’occupant sur les dirigeants politiques palestiniens, les membres du Parlement et les milliers de prisonniers politiques.

Ils furent des milliers de gens et d’organisations de par le monde à signer la lettre ouverte de soutien à Khalida Jarrar et à envoyer des messages aux représentants officiels de l’occupation israélienne, exigeant l’annulation de l’ordonnance d’expulsion. Parmi eux des partis politiques, des syndicats, des groupes d’avocats, des organisations pour les droits humains, des groupes de solidarité, des membres de parlements dans le monde, des écrivains et des militants.

La campagne de solidarité avec Khalida Jarrar dit que c’est « un triomphe pour la position nationale de la Palestine, pour la détermination et la volonté des gens de tous secteurs et de partout… Cela montre que le rejet et la résistance peuvent mettre à bas l’occupation et déjouer ses plans. »

Merci à tous ceux qui ont manifesté leur soutien, aux organisations et aux individus, palestiniens et internationaux, qui ont été aux côtés de Khalida Jarrar. En avant pour continuer à résister à l’occupation, pour la libération des prisonniers politiques et pour libérer la Palestine et la totalité du peuple palestinien !

Source et Traduction SF pour lAgence Media Palestine

18/09/2014

Madame la misère

Pourra-t-on jamais déshumaniser la pauvreté ? Les gens de pouvoir s'y emploient. Pourquoi leur faciliter la tâche ?

Quant aux "illettrés", faudra-t-il les privés de la collection "Folio" ?

misère,sans-dents,illetrés ...

Dans un rapport publié en 2013 et intitulé « Penser l’assistance », l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) notait déjà que les Français sont des « solidaristes soupçonneux ». Solidaristes, ils le sont en comparaison de beaucoup d’Européens, par l’importance qu’ils accordent au devoir des pouvoirs publics de venir en aide aux personnes en difficulté. Mais en même temps, ils soupçonnent les bénéficiaires de l’aide publique d’abuser de leurs droits. C’est ici qu’apparaissent des stéréotypes. Le plus tenace est celui du tire-au-flanc, image typée d’un bénéficiaire de prestations volontairement oisif, cumulant les avantages divers au point de vivre aussi bien qu’une personne gagnant durement sa vie. Il faudrait que des émissions de grande écoute rétablissent des vérités sur la réalité du sous-emploi, de l’errance, du découragement. (Source)

 

Madame la misère écoutez le vacarme
Que font vos gens le dos voûté la langue au pas
Quand ils sont assoiffés il se soûlent de larmes
Quand ils ne pleurent plus il crèvent sous le charme
De la nature et des gravats


Ce sont des suppliciés au ventre translucide
Qui vont sans foi ni loi comme on le dit parfois
Régler son compte à Monseigneur Éphéméride
Qui a pris leur jeunesse et l'a mise en ses rides
Quand il ne leur restait que ça

Madame la misère écoutez le tumulte
Qui monte des bas-fonds comme un dernier convoi
Traînant des mots d'amour avalant les insultes
Et prenant par la main leurs colères adultes
Afin de ne les perdre pas

Ce sont des enragés qui dérangent l'histoire
Et qui mettent du sang sur les chiffres parfois
Comme si l'on devait toucher du doigt pour croire
Qu'un peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire
Vaut bien une tête de roi

Madame la misère écoutez le silence
Qui entoure le lit défait des magistrats
Le code de la peur se rime avec potence
Il suffit de trouver quelques pendus d'avance
Et mon Dieu ça ne manque pas

17/09/2014

Gaza : le silence tue, la désinformation rend complice

Gaza : le silence tue, la désinformation rend complice
(Suite à une note précédente intitulée "Du non isolement d'Israël")

ACRIMED, le 16 septembre 2014

Nous publions, sous forme de tribune [1], un texte signé par plusieurs chercheurs, intellectuels, et par le Secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes. Ce texte a été rédigé en Belgique et adressé en priorité aux médias belges, mais aucun des titres de presse sollicités n’a souhaité le publier. Il dénonce des mécanismes également identifiables dans les médias français (Acrimed).

Gaza, désinformation

Quel bilan tirer de l’opération israélienne « Bordure Protectrice », 3 semaines après l’accord d’un cessez-le feu ? C’est avec amertume, indignation, mais aussi avec inquiétude que nous nous interrogeons sur le traitement médiatique de la tragédie qui a frappé la Bande de Gaza. En faisant - consciemment ou non - usage d’expressions communément acquises, la presse s’est rendue coupable de désinformation.Nous, citoyens belges et européens, accusons la majorité des médias d’appliquer – délibérément ou non – la politique des « deux poids, deux mesures » lorsqu’il s’agit d’aborder ces événements atroces. Ainsi, parler de « guerre » est-il correct alors que le conflit oppose David à Goliath ? L’histoire atteste que nous sommes face à une répression de type colonial contre une population en résistance face aux occupants. Nous sommes consternés par la représentation d’un « conflit » où oppresseurs et opprimés se valent. Le principe d’« équidistance » a-t-il quelque sens dans un affrontement qui oppose l’armée israélienne - considérée comme la cinquième armée la plus puissante au monde - à des roquettes palestiniennes, pour la plupart artisanales ?Il ne s’agit pas ici de reprocher aux médias de parler « des deux camps », mais bien leur représentation systématique, toujours au nom de l’« équidistance », des opérations des uns et des autres. Cette approche crée chez le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur le sentiment d’une égalité entre protagonistes. Ainsi, les roquettes palestiniennes, qui pour près de 87% sont interceptées, en arrivent à être présentées comme l’équivalent des chars, drones, F16, hélicoptères et missiles dernier-cri israéliens. Les 1,7 million de Gazaouis, eux, n’ont pas de Dôme de fer… Ils connaissent par contre une densité démographique supérieure à celle du Bangladesh sur 365 km2 (la moitié de la superficie du littoral belge). Une telle densité permet d’apprécier à sa juste valeur le leitmotiv propagandiste des « boucliers humains » du Hamas et la prétention d’Israël à s’en tenir à des « frappes chirurgicales ».
Nous dénonçons cette prétendue égalité entre protagonistes, renforcée par un traitement le plus souvent purement événementiel de l’actualité. Il faut rappeler que la Bande de Gaza est occupée depuis 1967 et assiégée depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas, il y a 7 ans. Depuis, la population entière en fait les frais : encerclée par mer, terre et air pour avoir « mal choisi », dit-on, ses dirigeants. On l’a souvent dit : « Gaza est une prison à ciel ouvert ». Ce qui explique que l’ONU considère toujours le territoire comme étant sous occupation. Ni sortie de secours, ni lieu sûr. Pas même au sein des hôpitaux ou des écoles. Dans cette atmosphère oppressante, toute tentative de révolte des Palestiniens est présentée comme « activité terroriste » par des journalistes qui se font ainsi les porte-voix de la propagande israélienne.
Faut-il rappeler que les résolutions de l’ONU et principalement la résolution 37/43 légitiment la lutte armée contre la domination coloniale ? Trop souvent, nos médias présentent exclusivement le Hamas comme un mouvement « islamiste radical », jamais comme un mouvement de libération nationale, déclenchant ainsi de façon pavlovienne des réflexes de peur et de rejet.
C’est l’enlèvement de trois jeunes Israéliens retrouvés morts en Cisjordanie occupée qui est systématiquement présenté comme l’élément déclencheur des hostilités entre Israël et Gaza. Le Hamas, accusé sans preuves de ce rapt a vu des centaines de ses militants et cadres locaux arrêtés. Malgré l’humiliation et les privations quotidiennes que subissent les Gazaouis, ce n’est que suite à ces arrestations d’envergure que les premières roquettes ont été tirées depuis la Bande de Gaza. Les premières du Hamas depuis… 2012. C’est aussi l’élimination, le 7 juillet, de sept combattants du Hamas qui a mené celui-ci à considérer que le cessez-le-feu avec Israël, négocié en novembre 2012 et qui engageait chaque partie à ne pas mener d’opérations militaires contre l’autre, était rompu.Les finalités de l’opération israélienne « Bordure Protectrice » se voient tout à fait discréditées : mener des attaques de « représailles légitimes » afin d’éradiquer les tirs de roquettes. Or l’on sait que ce sont les opérations militaires israéliennes qui engendrent davantage de tirs de roquettes et font donc des victimes israéliennes. La boucle est bouclée, le cercle vicieux installé. Israël dit vouloir arrêter la violence contre ses citoyens, mais, contribue paradoxalement à la provoquer.Nous accusons la plupart des médias de manipuler l’opinion en présentant le Hamas comme « l’organisation qui n’a pas accepté la trêve » ou « qui la viole constamment ». Et qui par conséquent, ne protège pas ses civils. Rappelons que la première proposition de cessez-le-feu a été discutée entre le gouvernement israélien et le gouvernement égyptien dirigé par le maréchal Al-Sissi, fervent opposant au Hamas. Peut-on imaginer la négociation d’une trêve si toutes les parties concernées ne sont pas présentes aux discussions ou si aucune des conditions demandées, par les représentants du peuple palestinien, n’a été évoquée ?Des médias comparent les statistiques des morts civils palestiniens à celles des soldats israéliens tombés. Comparaison honteuse.
 
D’autres médias cultivent la peur des « djihadistes » belges ou français partis combattre en Syrie, mais épargnent l’image de ces autres Belges ou français enrôlés dans l’armée d’occupation israélienne.
 
Cette approche médiatique, ce constat flagrant de sympathie première envers Israël se révèlent consternants et nous poussent à nous interroger sur les fondements d’une « osmose culturelle » avec cet État, alors que ce dernier piétine de manière constante les principes démocratiques et le droit international.
« Bordure protectrice » a fait plus de 2.100 victimes palestiniennes dont 500 enfants.
Nous, lecteurs, auditeurs, et téléspectateurs belges et européens, accusons une partie de la presse, de désinformation lorsqu’il s’agit de traiter des crimes de guerre commis par Israël à Gaza et en Palestine occupée.Des gouvernements en passant par la population, toute la société dépend du Quatrième pouvoir, celui des médias, pour se forger son opinion. Jusqu’à présent, le travail indispensable d’investigation journalistique a souvent fait défaut.
 
Sous couvert de neutralité, beaucoup de médias désinforment. Ils se rendent et nous rendent complices de la tragédie de Gaza. Comme l’affirmait Desmond Tutu, « rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur ».

- Anissa Amjahad - Docteure en sciences politiques et sociales (ULB)
- Frank Barat - Militant et auteur
- Sébastien Boussois - Docteur en sciences politiques
- François Burgat - Politologue, Aix-en-Provence
- Paul Delmotte - Professeur retraité de politique internationale à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales
- Ricardo Gutiérrez - Secrétaire général de la Fédération européenne des Journalistes
- Imane Nachat - Étudiante en dernière année de Master en Sciences de la communication - VUB
- Julien Salingue - Chercheur en science politique Pour l’analyse d’Acrimed sur le traitement médiatique de la dernière offensive israélienne contre Gaza, voir notre article : « Offensive israélienne contre Gaza : les partis pris du traitement médiatique ».

16/09/2014

Tou⋅te⋅s supect⋅e⋅s ?

La LDH est associée à la campagne citoyenne proposée par la QUADRATURE DU NET contre ce projet de loi «renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme».... Pour en savoir plus

En tant que citoyen·ne·s dans un pays démocratique, nous avons le droit de penser différemment et participer à des manifestations exprimant notre désaccord face à certaines décisions prises par le gouvernement.

terrorismeCette loi, avant de viser le terrorisme, vise toute personne ayant des idées différentes et/ou radicales ou tout simplement voulant se renseigner sur des mouvements radicaux.
Ce projet de loi s'attaque aux intentions plutôt qu'aux actes. En tant que citoyen, ma liberté d'information (aller regarder les contenus que je souhaite sur internet pour m'informer, comme un individu responsable), ma liberté de circulation (quitter mon pays sans que les autorités ne préjugent de mes intentions), ma liberté d'expression sont menacées.

04/09/2014

Du non isolement d'Israël

En matière de sanctions à infliger à Israël pour ses « manquements » au droit, l’attentisme de la communauté internationale à quelques exceptions près, et singulièrement l'attentisme de l’Europe, relève d’une stratégie.
L’impérialisme américain et de ses sbires, sans lesquels le gouvernement fascisant de Nétanyaou ne pourrait exister, ayant plusieurs fers au feu – Ukraine, Irak, Grand Marché Transatlantique notamment – a tout intérêt à « laisser filer » le droit pourvu qu’un cessez-le-feu très provisoire et illusoire le lui permette.
Mais le peuple palestinien « pacifié » par Tsahal, écarté de tout processus politique réel, risque à tout moment d’être replongé dans l’horreur à la moindre velléité qu’il aurait de faire valoir ses droits.

israël, stratégie

La stratégie d’Israël consiste à faire de la question palestinienne un non-problème, que les palestiniens soient cloîtrés, livrés à la folie meurtrière des extrémismes, contrôlés dans leur prison très provisoirement "paisible" pourvu qu’ils y soient ignorés, mais que, surtout, Israël puisse librement commercer, renforcer son lobbying et maintenir son impunité intacte.
Par son attentisme, la communauté internationale participe honteusement à cette stratégie.

Communiqué de l’AEDH
(Association Européenne pour la Défense des droits de l'Homme)

Gaza : après le cessez-le-feux, l’UE paiera pour ne pas avoir à prendre de décision

L’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH) regrette vivement que l’Union européenne se soit contentée lors de la réunion du Conseil du 30 août 2014 d’une déclaration attentiste sans effet alors que l’on compte plus de 2 000 morts et 10 000 blessés palestiniens et qu’une issue durable et négociée directement reste toujours aussi incertaine. Il convient que les organisations internationales qui pensent représenter la « communauté internationale » – dont l’UE se targue de faire partie – prennent enfin la mesure du danger que fait planer la poursuite de la politique israélienne. Si la sécurité de l’État d’Israël est au prix d’offensives aussi meurtrières, dont témoigne le déséquilibre des morts, c’est parce que les droits de tous les peuples de la région ne sont pas considérés comme de même valeur. Si une tentative de résolution peut un jour déboucher sur une paix réelle, ce ne peut être que dans le respect du droit international, des résolutions de l’ONU, un accord mutuel de reconnaissance entre deux États souverains, la fin du blocus de Gaza, l’arrêt de de la colonisation et le retrait de toutes les colonies israéliennes qui rendent illusoire la viabilité d’un état palestinien.

Le 22 juillet 2014, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne s’était contenté de choisir une position d’évitement avec comme axe central : « Tous les groupes terroristes dans la bande de Gaza doivent désarmer » tout en accordant que « l’opération de l’armée israélienne doit être proportionnée et conforme au droit international humanitaire ». Le Conseil du 30 août évolue mais avec beaucoup de prudence et appelle « les deux parties » à « aboutir à une amélioration fondamentale des conditions de vie des Palestiniens dans la bande de Gaza par la levée du bouclage et demande qu’il soit mis un terme à la menace que le Hamas et les autres groupes radicaux actifs à Gaza constituent pour Israël ». Il demande au « gouvernement palestinien de consensus » d’exercer « l’ensemble de ses responsabilités à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza », il demande un « accès humanitaire immédiat et sans entrave ». Il est aussi rappelé que l’UE est prête à contribuer à une solution globale et durable renforçant la sécurité, le bien-être et la prospérité des Palestiniens comme des Israéliens » et le conseil se prononce pour « un accord définitif reposant sur une solution fondée sur la coexistence de deux États pour instaurer « une paix et une stabilité durables ». Le Conseil rappelle que « la bande de Gaza fera partie d’un futur État de Palestine ».

L’AEDH considère que cette analyse même si elle manifeste une certaine évolution positive, ne représente pas la réalité, mais justifie une prudence de l’Union européenne. S’il est justifié de condamner la violence du Hamas, cela n’a de sens que si dans le même temps le recours à une invasion militaire destructrice est dénoncé comme tel. Sinon, il s’agit d’un texte qui a pour fonction de ne pas risquer de mettre en contradiction les principes de démocratie, de primauté du droit, d’universalité et d’indivisibilité des droits qui ont présidé à la construction de l’UE, et la poursuite de l’accord d’association signé en 1995 avec l’État d’Israël et dont l’article 2 précise que les relations entre les deux parties doivent être fondées sur le respect des droits de l’Homme et sur les principes démocratiques qui régissent leurs politiques intérieures et internationales. L’AEDH considère que l’accord d’association qui lie l’UE et l’État d’Israël aurait dû être immédiatement suspendu, comme le permet son article 2 dès le début de l’offensive militaire sur Gaza.

En 2002, le Parlement européen avait adopté une résolution demandant avec raison la suspension de cet accord et prévoyait même l’envoi d’une « force internationale d’interposition et d’observation » au Proche-Orient sous l’égide des Nations-Unies. Douze ans plus tard, les droits de l’Homme sont encore moins respectés par le gouvernement israélien. Douze ans plus tard, le respect des droits pour tous reste à imposer.

L’AEDH considère que le Conseil européen du 30 août aurait dû être le moment pour l’UE de sortir de son équilibrisme qui revient à privilégier un compromis provisoire au détriment de la recherche de la justice. L’AEDH attend de l’UE qu’elle fasse usage de tous les moyens de pression dont elle dispose pour obliger le gouvernement israélien à adopter une politique de respect du droit international qui sorte de l’oppression, de la colonisation, de l’occupation militaire et de la guerre et du blocus de Gaza qui interdit à la population palestinienne tout moyen de vivre.

Bruxelles, le 3 Septembre 2014

30/08/2014

De Baudot à Bauer

Entre Baudot et Bauer, la harangue de Baudot à des magistrats qui débutent,... Deux mondes les opposent ! Christiane Taubira aura du mal à les concilier.

Nouvelle saillie anti-magistrat d'un représentant du lobby sécuritaire :
Ah ces juges rouges laxistes ! On ne s’en lasse pas. Interviewé dans le Figaro suite à une série d’homicides à Marseille, Toulouse et Montpellier, Alain Bauer, consultant en sécurité, conclut en pointant la responsabilité des magistrats. Grosso modo : les policiers font le job contre la criminalité organisée, mais les juges « refusent de punir ceux qui sont issus des banlieues ». (29/08/2014)

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Impasse totale sur la délinquance en col blanc qui ne mérite aucun commentaire de la part de cet ex Grand Maître du Grand Orient de France (de 2000 à 2003) et soutien non accessoire de l’actuel premier ministre.
Passés à la trappe les Sarkozy, Woerth, Balladur, Chirac, Cahuzac, Strauss Kahn, Guéant, Tapie, Lagarde...., pour lesquels la justice, l’âme grise de la République, traîne des pieds ou accepte un rôle de carpette, encore insuffisant pour Bauer.


La citation exacte de Bauer :

« Le maillon faible reste la réponse judiciaire: trop de magistrats, imprégnés de la harangue d'Oswald Baudot (*), théoricien du Syndicat de la magistrature, jugent encore en fonction de leur idéologie et refusent de punir ceux qui sont issus des banlieues. Au prétexte qu'ils ont connu la discrimination, le racisme ou l'exclusion, ils bénéficieraient d'un soi-disant droit à la compensation. C'est la porte ouverte à une dangereuse impunité». Louise Fessard... (La suite est ici)

Reste à rappeler la harangue de Baudot - substitut du procureur de la République de Marseille, en 1974 - qui dans le contexte actuel paraît soit surréaliste soit surannée.


Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, soyez partiaux ! ...

Vous voilà installés et chapitrés. Permettez-moi de vous haranguer à mon tour, afin de corriger quelques-unes des choses qui vous ont été dites et de vous en faire entendre d’inédites.

En entrant dans la magistrature, vous êtes devenus des fonctionnaires d’un rang modeste. Gardez-vous de vous griser de l’honneur, feint ou réel, qu’on vous témoigne. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de " troisième pouvoir "de " peuple français ", de " gardien des libertés publiques ", etc. On vous a dotés d’un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison. On ne vous le donne que parce qu’il est généralement inoffensif. Quand vous infligerez cinq ans de prison au voleur de bicyclette, vous ne dérangerez personne. Evitez d’abuser de ce pouvoir.

Ne croyez pas que vous serez d’autant plus considérables que vous serez plus terribles. Ne croyez pas que vous allez, nouveaux saints Georges, vaincre l’hydre de la délinquance par une répression impitoyable. Si la répression était efficace, il y a longtemps qu’elle aurait réussi. Si elle est inutile, comme je crois, n’entreprenez pas de faire carrière en vous payant la tête des autres. Ne comptez pas la prison par années ni par mois, mais par minutes et par secondes, tout comme si vous deviez la subir vous-mêmes.

Il est vrai que vous entrez dans une profession où l’on vous demandera souvent d’avoir du caractère mais où l’on entend seulement par là que vous soyez impitoyables aux misérables. Lâches envers leurs supérieurs, intransigeants envers leurs inférieurs, telle est l’ordinaire conduite des hommes. Tâchez d’éviter cet écueil. On rend la justice impunément : n’en abusez pas.

Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appartient d’être plus sages que la Cour de cassation, si l’occasion s’en présente. La justice n’est pas une vérité arrêtée en 1810. C’est une création perpétuelle. Elle sera ce que vous la ferez. N’attendez pas le feu vert du ministre ou du législateur ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-mêmes. Consultez le bon sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition.

La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un iota, on peut, avec les plus solides " attendus " du monde, donner raison à l’un ou à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que la loi ne vous serve pas d’alibi.

D’ailleurs vous constaterez qu’au rebours des principes qu’elle affiche, la justice applique extensivement les lois répressives et restrictivement les lois libérales. Agissez tout au contraire. Respectez la règle du jeu lorsqu’elle vous bride. Soyez beaux joueurs, soyez généreux : ce sera une nouveauté !

Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que pour être un peu utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous êtes des assistantes sociales. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez dans le vif. Ne fermez pas vos coeurs à la souffrance ni vos oreilles aux cris.

Ne soyez pas de ces juges soliveaux qui attendent que viennent à eux les petits procès. Ne soyez pas des arbitres indifférents au-dessus de la mêlée. Que votre porte soit ouverte à tous. Il y a des tâches plus utiles que de chasser ce papillon, la vérité, ou que de cultiver cette orchidée, la science juridique.

Ne soyez pas victime de vos préjugés de classe, religieux, politiques ou moraux. Ne croyez pas que la société soit intangible, l’inégalité et l’injustice inévitable, la raison et la volonté humaine incapables d’y rien changer.

Ne croyez pas qu’un homme soit coupable d’être ce qu’il est ni qu’il ne dépende que de lui d’être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. Ne condamnez pas l’alcoolique. L’alcoolisme, que la médecine ne sait pas guérir, n’est pas une excuse légale mais c’est une circonstance atténuante. Parce que vous êtes instruits, ne méprisez pas l’illettré. Ne jetez pas la pierre à la paresse, vous qui ne travaillez pas de vos mains. Soyez indulgents au reste des hommes. N’ajoutez pas à leurs souffrances. Ne soyez pas de ceux qui augmentent la somme des souffrances.

Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.

Ayez un dernier mérite : pardonnez ce sermon sur la montagne à votre collègue dévoué.
Oswald Baudot


(*) Oswald Baudot (1926 - 1994) a été une des figures du Syndicat de la magistrature.

Cet éternel révolté qui aimait bousculer l’institution judiciaire est resté dans l’histoire de la magistrature pour cette " harangue " rédigée en 1974, alors qu’il était substitut du procureur de la République de Marseille. Le garde des sceaux de l’époque, Jean Lecanuet, n’avait guère apprécié cette vision de la magistrature : accusé de manquement à l’obligation de réserve, Oswald Baudot avait comparu, le 28 janvier 1975, devant la commission de discipline du parquet, qui avait recommandé au ministre une réprimande avec inscription au dossier. Face à la mobilisation du Syndicat de la magistrature et au soutien de l’Union syndicale des magistrats, le garde des sceaux avait finalement renoncé à sanctionner l’impertinent.

27/08/2014

Contre la fascination du désastre

Contre la fascination du désastre

par Mona Chollet, août 2014

« Je vais m’allonger sur le sol et pleurer un instant », s’excusait une utilisatrice de Twitter, un après-midi du printemps dernier. Beaucoup l’auraient volontiers imitée. Quelques jours plus tôt, le 25 mai, le Front national était arrivé en tête aux élections européennes en France. Certains citoyens de gauche présumaient qu’un tel coup de semonce dessillerait enfin les yeux des membres du gouvernement socialiste ; la réaction du premier ministre Manuel Valls, qui envisageait des « baisses d’impôts » (RTL, 26 mai), leur fit très vite mesurer leur naïveté. Dans la semaine qui suivit, une rafale de nouvelles annonces devait achever de les mettre au tapis : il était question de suspendre les « seuils sociaux » garantissant les droits des salariés dans les entreprises — dans l’intention, bien sûr, de « faciliter les embauches » ; le droit de vote des étrangers était enterré ; le ministre de l’éducation Benoît Hamon laissait transparaître l’embarras dans lequel le plongeaient les « ABCD de l’égalité » destinés à sensibiliser les élèves aux stéréotypes de genre… On pense à Nanni Moretti dans son film Aprile (1998), regardant le représentant du Parti démocrate de la gauche Massimo D’Alema à la télévision durant une campagne électorale en Italie et l’adjurant à pleins poumons : « D’Alema, di qualcosa di sinistra ! » D’Alema, dis quelque chose de gauche ! »).

manière de voir

Alors que l’on observe les dernières bulles produites à la surface de l’eau par le naufrage idéologique du Parti socialiste français, sur le reste du continent la situation n’est guère plus reluisante. Certes, les élections européennes ont aussi vu la victoire en Grèce de Syriza, laissant espérer que la gauche soit encore capable de damer le pion à l’extrême droite dans le contexte désastreux créé par les politiques d’austérité ; mais il a fallu, pour en arriver là, que le pays connaisse une descente aux enfers. Aux États-Unis, le slogan qui a porté au pouvoir M. Barack Obama en 2008, « Yes, we can » (« Oui, nous pouvons »), propre à susciter des attentes sans doute déraisonnables, s’est teinté rétrospectivement d’une ironie amère.

A la débâcle des forces politiques progressistes, ajoutez la crise écologique, l’omniprésence des discours réactionnaires, la montée des haines en tout genre… On pourrait facilement se laisser hypnotiser par l’accumulation des mauvaises nouvelles, et ne plus rien faire d’autre que de les colporter en clamant son indignation. La logique de flux introduite par Internet et les réseaux sociaux dans notre consommation d’informations, bien qu’elle permette aussi de se sentir moins seul dans son désarroi, augmente encore les risques d’un tel enchaînement à une actualité décourageante.

Il faut pourtant s’y arracher. Si on y parvient, on aura une chance de se rappeler que les catastrophes, si spectaculaires soient-elles, ne résument pas l’état du monde. C’est ce dont veut témoigner ce numéro de Manière de voir. L’énergie mise par des millions d’individus à résister aux fléaux divers qui menacent l’humanité, leur obstination à imaginer des solutions, à ébaucher les contours d’une société plus juste et plus désirable, leur ardeur à nouer des solidarités pour expérimenter d’autres modes de vie interdisent de désespérer. Elles invitent à cesser d’évaluer les forces en présence et leurs chances respectives de l’emporter, à abandonner les prédictions sinistres pour se jeter résolument dans les combats que l’on aura choisis.

Égalité sociale, écologie, utopie, émancipation : en vogue dans les années 1970, ces thèmes nécessitent aujourd’hui, pour ceux qui s’entêtent à les porter après des décennies de glaciation libérale, la foi du charbonnier. On pourra en tirer des conclusions désabusées sur les temps que nous vivons et sur l’évolution de la société depuis quarante ans. On pourra aussi y voir une chance de donner à ces idéaux un contenu plus solide que jamais. Il était facile de s’en revendiquer à une époque de prospérité économique où, de surcroît, des franges non négligeables de la population aimaient à se proclamer révolutionnaires ; sous des vents contraires, ces engagements subissent une épreuve de vérité.

On peut bien juger les militants d’aujourd’hui maladroits ou trop frileux : ils méritent le respect du simple fait qu’ils osent aller à rebours de l’air du temps. Ils réussissent à surmonter un climat de neurasthénie auquel personne n’échappe, à secouer l’engourdissement qu’il provoque. Et peut-être leurs approximations et leurs insuffisances ne représentent-elles pas un handicap plus grave, après tout, que les dogmes inamovibles dont s’armaient leurs prédécesseurs. De tentatives en tâtonnements, ce n’est qu’en avançant, en essayant, que l’on pourra espérer vaincre la dispersion et l’impuissance.

Mona Chollet

22/08/2014

Combats en Ukraine

Les EU ont ouvert plusieurs fronts sur la planète. Mais pour le Nobel de la Paix 2009, rien ne fonctionne vraiment comme prévu. Du coup il se pourrait qu'il se soit tirer une balle dans le pied, d'autant que l'Europe défaille et finit de sombrer dans le grotesque.

ukraine
« (…) l’Ukraine va se trouver pratiquement privée d’électricité
car une bonne partie du charbon utilisé à cette fin provient de Donetsk et de sa région.(…) »

  • La Russie de Poutine attend patiemment son heure pour un mat qui ne saurait tarder.
  • La Chine en fait autant avec l'ambition de devenir la première économie mondiale.
  • Le Chili, le Salvador, le Pérou, le Brésil, l’Équateur, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay rappellent leur ambassadeurs en Israël avec en tête l'idée de se débarrasser du FMI.
  • 95 pays membres de l’Onu votent pour ouvrir une enquête «sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés»...

Pendant ce temps les combats en Ukraine sont de plus en plus incertains, meurtriers, révoltants. L'opinion publique internationale, sous les enceintes acoustiques de la propagande, est-elle enfin en train d'en prendre conscience ?...

 

Combats en Ukraine

21 août 2014

Par

Les combats qui se déroulent dans l’Est de l’Ukraine depuis plus de trois mois sont restés largement ignorés de la presse française, à l’exception – évidente – de la destruction toujours pas élucidée du vol MH17. Ces combats sont décrits par le gouvernement ukrainien comme une opération « anti-terroriste », ce qui est une absurdité. Les combattants de l’Est ukrainien sont des indépendantistes que l’on peut, si on le veut, qualifier de séparatistes, mais ils ne sont certainement pas des « terroristes », et l’usage de ce vocabulaire en dit long sur l’état d’esprit qui règne à Kiev. Les sources d’information sont rares. Les sources officielles ukrainiennes (Ministère de la Défense), à part des communiqués ronflants de propagande ne contiennent pas beaucoup d’informations vérifiables (ou pas…). Les sources des insurgés de l’Est de l’Ukraine sont elles aussi remplies de propagande. Mais, elles contiennent des informations qui, elles, sont (parfois) vérifiables. On citera deux sites internet :

cassad-eng.livejournal.com ; slavyangrad.org

Par ailleurs, on a pu rassembler d’autres sources, essentiellement provenant de journalistes, soit Italiens, soit Russes, qui travaillent actuellement dans l’Est de l’Ukraine.

État des forces.

Les forces restées loyales au gouvernement de Kiev, et déployées dans l’Est de l’Ukraine se composent de 3 groupes :

  • (a) On a des unités de l’armée régulière, dont la qualité, et la détermination, sont extrêmement variables. Certaines de ces unités se sont débandées, d’autres ont combattu avec ténacité.

  • (b) On a les unités de la Garde Nationale, créée en mars 2014, et qui sont constituées de bataillons formés sur des bases politiques, par des mouvements extrémistes (Pravyy Sektor, Svoboda). Ces unités semblent être déterminées, mais n’ont qu’une faible valeur militaire.

  • (c)  Les oligarques ukrainiens entretiennent des unités constituées à partir des sociétés de sécurité américaines. Ces unités ont été employées en mai et juin, mais depuis ne semblent pas avoir une grande valeur militaire.

Les forces des insurgés se composent de :

  • (a) La milice et les unités d’auto-défense de Lougansk et Donetsk.

  • (b) Des bataillons de volontaires, essentiellement composés de Russes, dont certains ont une excellente pratique du combat.

  • (c)  On a beaucoup parlé ces derniers jours d’unités de l’armée régulière russe. Les « preuves » de leur présence sont, pour l’instant, inexistantes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de troupes, ou de « conseillers ». Mais, il est curieux que les forces loyalistes ukrainiennes aient été dans l’incapacité de fournir des preuves. Seuls, des journalistes britanniques ont pour l’instant corroboré ces assertions, et dans le cas d’une seule colonne. Or, des journalistes occidentaux travaillent régulièrement, et relativement librement, dans la zone des combats.

Ces forces sont équipées par du matériel saisi sur les bases de l’armée à Donetsk ou Lougansk, mais aussi de matériels capturés (lance-fusées « Grad », mortiers lourds, chars…) abandonnés en grande quantité par l’armée ukrainienne lors de défaites en juillet et en août 2014. Les forces insurgées font ainsi état, photographies à l’appui, de près de 170 chars qui auraient été récupérés dans ces combats.

Situation militaire

La situation actuelle semble marquée, depuis le 18 août, par un épuisement de l’offensive des forces loyales au gouvernement de Kiev, et par une succession de victoires tactiques de la part des insurgés. Les forces de Kiev ont – semble-t-il – échoué à couper le territoire tenu par les insurgés en deux et à reprendre le contrôle de la frontière russo-ukrainienne. Les pertes qu’elles ont subies semblent très lourdes, avec la destruction complète de plusieurs unités.

ukraine

On peut voir, sur cette carte, les combats de ces derniers jours. Les pertes subies, et la démoralisation des autres unités, tendent à égaliser le rapport des forces, au profit des insurgés. Il est frappant que les manœuvres des forces loyalistes semblent avoir été dictées par

  • (a) Une volonté politique de reprendre au plus vite Lougansk et Donetsk. Cette volonté a conduit à des « poussées », dans des situations où les flancs des unités engagées n’étaient pas sécurisés, ce qui a permis aux insurgés de les couper de leurs bases arrières et de les encercler, puis de les détruire. Par ailleurs, des groupes d’insurgés opèrent dans la région de Kharkov, attaquant la logistique des forces loyalistes.

  • (b) La volonté de « punir » la population en procédant à des bombardements aveugles sur les agglomérations. Ces bombardements, réguliers depuis le mois de juin, expliquent l’ampleur du mouvement de fuite des populations civiles vers la Russie voisine.

Il est ainsi probable que les forces de Kiev vont se cantonner dans des bombardements par l’artillerie. Une source fait état d’un projet de retrait de ces forces sur une ligne Slavyansk-Mariupol.

Situation politique

Si la situation militaire se stabilise, voire si elle tourne à l’avantage des insurgés, le gouvernement de Kiev sera face à un dilemme qu’il ne peut résoudre. Soit, il prend acte de cette situation, mais l’on va s’acheminer vers une partition de fait de l’Ukraine, car, désormais, les populations n’accepteront plus une solution « ukrainienne », soit il maintient le conflit, mais l’Ukraine va se trouver pratiquement privée d’électricité car une bonne partie du charbon utilisé à cette fin provient de Donetsk et de sa région. La poursuite de la guerre durant l’hiver 2014-2015 va la rendre de plus en plus impopulaire dans la population ukrainienne. La première solution est, pour l’heure, inacceptable pour le gouvernement ukrainien. Mais la seconde va provoquer, à terme, la désintégration de l’Ukraine.

Le gouvernement ukrainien va probablement chercher à «internationaliser » la guerre civile, en tentant, par diverses provocations, d’y impliquer les États-Unis et des pays de l’Union Européenne. Il est cependant peu probable qu’il y réussisse. Il est donc urgent que les combats cessent au plus vite et qu’un accord soit trouvé entre le gouvernement de Kiev et les insurgés, entérinant l’autonomie de fait des régions de Lougansk et Donetsk, mais les maintenant formellement en Ukraine. Seule la paix peut permettre une réconciliation, mais cette dernière désormais prendra du temps.

 


21/08/2014

Des pressions sur Israël. Tout de suite !

La campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions s'impose d'autant plus que les États, singulièrement la France, l'Europe et les EU préfèrent une neutralité criminelle, réapprovisionnent Israël en armement, et évacuent sans l'avouer toute possibilité de sanction à l'égard d'un gouvernement qui s'enfonce délibérément dans le fascisme et le génocide.

Trop, c’est trop ! Il faut des pressions sur Israël

« Trop, c’est trop ! », c’était le cri lancé en décembre 2001 par Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, Stéphane Hessel et d’autres lorsque des coups dramatiques étaient portés contre Yasser Arafat et l’Autorité palestinienne à Ramallah. C’est ce cri que nous répétons aujourd’hui face à cette nouvelle offensive militaire qui ne mène à rien. Pas plus que les précédentes opérations de l’armée israélienne à Gaza, ou que l’invasion du Liban à laquelle avait réagi un texte de ce même collectif intitulé « Assez ! », paru le 27 juillet 2006, le dernier que Pierre Vidal-Naquet a signé quelques jours avant sa mort. Il disait l’essentiel : « À l’opposé de la logique guerrière, nous pensons que des victoires militaires ne garantissent pas l’avenir d’Israël. Seuls un dialogue ouvert et la recherche patiente d’une cohabitation avec un véritable État palestinien permettraient aux Israéliens d’obtenir la paix avec leurs voisins arabes. »

Israel, BDS, Gaza, Caterpillar

L’utilisation d’un bulldozer Caterpillar D9 en tant qu’arme souligne le fait que Caterpillar
doit demeurer la cible de la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Un mois après l’entrée de l’armée israélienne à Gaza, le bilan humain est très lourd – plus de 2 000 morts palestiniens, dont 85% de civils, sans compter les milliers de blessés et les centaines de milliers de sans-abris, ainsi que 67 morts israéliens dont trois civils – et, surtout, il n’y a pas de vainqueur et il ne peut y avoir de vainqueur.

Les autorités israéliennes pensaient pouvoir contrôler l’ensemble de la bande de Gaza et obliger les groupes armés à y cesser le combat, elles ont constaté, au vu de la résistance qu’elles y ont rencontrée, que ce serait au prix de pertes décuplées dans leurs rangs et de la transformation de tout ce territoire en un champ de ruines, avec plusieurs milliers de victimes civiles. L’opinion israélienne, elle-même, qui soutenait cette guerre à plus de 90% estime très majoritairement qu’au bout d’un mois, elle n’a pas conduit à une victoire. De fait, quand une guérilla s’enfouit sous terre pour combattre, elle montre à la fois qu’elle dispose du soutien d’une grande majorité de la population et que ses soldats sont prêts à creuser leur propre tombe plutôt que se soumettre. Chacun sait qu’il n’existe pas de solutions militaires et que seule une solution politique est possible.

Mais la société israélienne ne veut pas, aujourd’hui, rechercher une solution fondée sur deux États et le retrait des territoires palestiniens occupés en 1967, qui puisse assurer à long terme à Israël un avenir pacifique. L’hystérie guerrière aux accents parfois franchement racistes qui a déferlé pendant ce mois d’opérations militaires à Gaza s’est accompagnée d’une répression encore jamais vue contre les pacifistes israéliens et de violences contre les Palestiniens, y compris ceux de nationalité israélienne, elle a aggravé l’aveuglement nationaliste dominant. Un aveuglement qui a conduit le gouvernement israélien à suspendre sa participation à des négociations laissant entrevoir une trêve durable et à reprendre les bombardements sur Gaza.

Une solution ne peut venir que d’une démarche résolue de la communauté internationale et des sanctions contre l’Etat d’Israël et ses institutions pour l’amener à respecter enfin le droit international et les légitimes aspirations des Palestiniens à vivre eux aussi en paix au sein de frontières sûres et reconnues.

Or, cinquante-sept ans après la guerre des Six jours, la colonisation de la Cisjordanie se poursuit et les habitants de Gaza sont toujours enfermés dans un ghetto qui vaut occupation. L’émotion légitime que cette situation provoque dans notre pays comme partout dans le monde ne doit certes pas être détournée par une extrême minorité qui dévoie le soutien aux droits du peuple palestinien en un antisémitisme toujours aussi insupportable et qui doit être réprimé. Mais rien ne justifie que certaines organisations communautaires juives marquent du sceau infamant de l’antisémitisme ceux et celles qui revendiquent haut et fort un Etat pour la Palestine. Il n’est pas plus acceptable que ces mêmes organisations se fassent les porte-paroles des intérêts israéliens en tentant de criminaliser toute tentative citoyenne, notamment au travers d’un boycott des produits israéliens, de s’opposer à une politique meurtrière pour les Palestiniens et suicidaire pour les Israéliens.

Comme le gouvernement, nous n’acceptons pas que le conflit israélo-palestinien soit importé en France. Mais nous refusons que le droit de s’exprimer soit rendu tributaire de telle ou telle solidarité. C’est alors la capacité de débattre démocratiquement qui est mise en cause, ouvrant la voie aux assignations à résidence et aux affrontements communautaires. Nul n’est légitimé à se faire le porte-parole de l’une des parties au conflit.

Face à cette nouvelle guerre meurtrière, face aux atteintes à la liberté d’expression nous ne pouvons nous taire. Nous demandons :

  • que les Nations unies imposent, sous peine de sanctions, le retrait durable des troupes israéliennes de Gaza, l’envoi d’une force d’interposition et de protection du peuple palestinien et la fin du blocus aérien, maritime et terrestre de ce territoire ;
  • que l’Union européenne suspende son accord d’association avec Israël, comme le prévoit son article 2 ;
  • que la France cesse immédiatement toute coopération militaire avec Israël et mette un embargo total sur les armes et transferts de technologie pouvant déboucher sur un usage militaire à destination d’Israël ;
  • que la Palestine soit, enfin, reconnue comme un membre à part entière de l’ONU ;
  • que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale pour que les responsables de tous les crimes de guerre aient à rendre compte devant la justice ;
  • que l’on impose aux produits israéliens issus des colonies un traçage particulier pour les distinguer des autres et que l’on cesse de poursuivre ceux et celles qui tentent de faire respecter la législation ou manifestent leur solidarité avec le peuple palestinien.

Nous appelons à un engagement plus déterminé encore de l’opinion démocratique française pour imposer le droit international, soutenir les aspirations trop longtemps écrasées du peuple palestinien, imposer l’arrêt de la colonisation et le renoncement au projet de « Grand Israël », faire comprendre enfin à la société israélienne qu’elle se dirige dans une impasse suicidaire et qu’elle doit regarder la réalité en face.

Etienne Balibar, philosophe ; Anne Brunswic, journaliste et écrivain ; Alice Cherki, psychanalyste ; Jocelyne Dakhlia, historienne et anthropologue ; Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue et philosophe ; Jean-Pierre Dubois, juriste ; Catherine Lévy, sociologue ; Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien et essayiste ; Gilles Manceron, historien ; Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue ; Pierre Nicodème, mathématicien-informaticien ; Abraham Ségal, documentariste ; Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme ; Jacques Testart, biologiste ; Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme.

10/08/2014

Velléités et mensonges

Le 15 décembre 2011 était enregistrée une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d’enquête sur la coopération militaire et sécuritaire entre la France et Israël, échanges de matériels de guerre et de matériels assimilés avec ce pays. Cette proposition était notamment portée par Jean-Jacques CANDELIER. Ce même député qui a demandé la dissolution de la LDJ, laquelle continue, par hacker interposé, d’étaler son agressivité à l’égard de toute remarque désobligeante vis à vis de Tsahal ou du boucher Netanyaou, et bénéficiant de la même bienveillante impunité.

Concernant la coopération militaire, les déclarations d’intention fusent d’un peu partout sans franchir cet autre dôme de fer déployé au dessus des crimes commis par Israël à l’encontre de la population palestinienne sans qu’elle n’y puisse rien.
Le dilemme posé par la question «Comment peut-on rester neutre ? ! ! !» n'a pas tardé à trouver une réponse.

israël,sanctions,ldj
L'occident est-il en déclin ? Matthias Lehmann

Elle réside dans une attente irrésolue et indécise, qui se veut stratégique, étant bien entendu que les sanctions prises contre la Russie, l’Irak ou la Syrie ne sauraient souffrir de retard puisqu'elles ont reçu l’agrément des EU.

«Les sanctions financières internationales sont un instrument de la politique étrangère de la France. À l’encontre de personnes physiques ou morales ou d’entités, les sanctions visent notamment à imposer un gel des fonds, des avoirs et des ressources économiques, ainsi que leurs transactions financières ou commerciales. À l’encontre d’un pays, les sanctions visent à interdire le commerce de biens et de services ciblés et peuvent inclure des mesures de gel à l’égard de personnes.»

Mais on comprend mal que ce type de décision puisse nécessiter un feu vert délivré par Washington. C’est en tout cas à ce feu vert, accordé ou pas, que l’on mesure l’indépendance et le courage d’un chef d’État qui essaye en vain de ne pas passer pour un sinistre imbécile ou pour le larbin inconséquent d'un empire en déclin.