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24/12/2015

DECHOIR OU CONGEDIER ?

L'indignité présidentielle est-elle donc congénitale ?
L'indignité maintenant, la francisque pour demain.
Qui la décernera ?

IndignitéDÉCHUS SOUS VICHY
Ces 15 154 Français que le régime de Vichy a dénaturalisés

Les 22, 23 juillet et 7 octobre 1940, trois lois sont votées, autorisant la dénaturalisation des « indignes d’être français », la déchéance de la nationalité pour ceux qui rejoignent de Gaulle à Londres et l’abrogation du décret Crémieux : 15 154 hommes, femmes, enfants et vieillards sont ainsi dénaturalisés, 446 personnes sont déchues et 110 000 juifs d’Algérie perdent leur citoyenneté. Extraits de Indignes d’être Français - Dénaturalisés et déchus sous Vichy, d’Alix Landau-Brijatoff (BUCHET CHASTEL)

À travers le parcours de quelques figures marquantes qui ont eu à subir l’infamie de la perte de nationalité - Marc Chagall, Serge Gainsbourg, René Cassin, Ève Curie, Jean Daniel, Jacques Derrida… -, c’est l’histoire de toutes les victimes qui est racontée dans Indignes d’être Français - Dénaturalisés et déchus sous Vichy, d’Alix Landau-Brijatoff. Mais c’est aussi l’histoire de ces trois lois et de ceux qui les ont édictées et consciencieusement mises en application, sans être inquiétés à la Libération. Les 15 154 dénaturalisés nous renseignent donc sur l’État français d’hier, d’aujourd’hui et peut-être de demain. Car la nationalité française et son acquisition restent l’objet de polémiques permanentes, mais aussi d’une certitude : "elle ne se mérite pas".

Comme l’énonce Denis Olivennes dans sa préface, "l’un des mérites du présent livre est de nous rappeler combien la conception ouverte de la patrie est au cœur de l’identité française. Il est bon que cela soit souligné en un temps de crise économique et de doute national si propice à l’oubli de nos valeurs fondatrices".

Extraits de Indignes d’être Français, d’Alix Landau-Brijatoff (BUCHET CHASTEL)

Les 15 154 dénaturalisés entre 1940 et 1944 sont le sujet principal de ce livre : ils sont "retrayés" – mot issu du Moyen Âge, adjectif de droit relatif au retrait de "droits litigieux" selon le Code civil, et plus précisément à la loi du 22 juillet 1940[1] instaurant une "commission de révision des naturalisations". Ce sont les naturalisations intervenues depuis la loi du 10 août 1927 : environ 900 000 personnes sont concernées.

Les 468 déchus de leur nationalité seront également évoqués : les Français de souche "ayant quitté le territoire national entre le 10 mai et le 30 juin 1940" – loi du 23 juillet 1940, ainsi que les lois du 10 septembre 1940 et du 28 février 1941.

Enfin la loi du 8 mars 1941, permettant la déchéance de ceux "qui trahissent les devoirs incombant aux membres de la communauté nationale, ou encore se rendant à l’étranger sans autorisation gouvernementale".

Il en va de même des 110 000 juifs algériens collectivement déchus de leurs droits à la citoyenneté française, c’est- à-dire ramenés de l’état de citoyen à celui de sujets, d’indigènes, par l’abolition (loi du 7 octobre 1940) du "vieux" décret Crémieux, décret no 136 du 24 octobre 1870, qui accorde d’office la citoyenneté française aux juifs d’Algérie. Ils subiront alors de nombreuses vexations : 18 000 enfants seront exclus des écoles publiques et 2 000 personnes seront enfermées dans des camps de travaux forcés.

Ces trois lois constituent le premier volet de la refonte de la nationalité française.

Il s’agit de :

– revenir rapidement sur les naturalisations, rectifiant les "errements" responsables de la décadence et de la défaite françaises ;

– réduire le nombre de naturalisations par des conditions drastiques (durée de séjour, critères et qualités des admis) ;

– bâtir surtout un nouveau code de la nationalité.

La nouvelle législation est mise en chantier dès l’installation du gouvernement en juillet 1940. Elle est non aboutie en 1944, après des travaux incessants du ministère du Sceau, interventions innombrables des théoriciens (Mauco, Benoît, etc.), des autres ministères (Affaires étrangères, Intérieur), des cabinets de Laval et Pétain, du CGQJ (Commissariat général aux questions juives), et bien sûr des autorités allemandes en France et à Berlin.

L’auteur principal de ces trois lois est le premier ministre de la Justice et du Sceau de Vichy, Raphaël Alibert, maurrassien et antisémite violent, considéré comme "fou" par certains de ses collègues du gouvernement de Vichy[2]. Il présente les lois, les met en place, tout comme les textes qui suivent sur le statut des juifs et autres textes raciaux. Condamné par contumace, puis amnistié par de Gaulle, il meurt tranquillement dans son lit en juin 1963. Ces lois sont consanguines dans l’esprit des auteurs, mais répondent à des objectifs différents.

Les dénaturalisations : la loi du 22 juillet 1940 vise certes à revenir sur "le laxisme" de la IIIe République, mais surtout à mettre en œuvre les tendances de fond (politiques, sociales, culturelles) réactionnaires, xénophobes et antisé- mites portant sur la nationalité, telles que développées tout au long des années 1930. D’inspiration fortement maurrassienne, ce texte inaugure et concrétise ce que la droite dite "nationaliste" dénonce depuis la loi de 1927 et ses consé- quences : l’afflux de "Français de papier". Les coupables de la décadence française et de la défaite sont les étrangers, les juifs, les communistes, les francs-maçons. Ils sont indé- sirables, indignes d’être français. La débâcle, l’arrivée du maréchal Pétain, l’armistice, la capitulation, l’occupation nazie et la Collaboration ont pu les autoriser, les faciliter.

L’objectif prioritaire et urgent de Vichy – mais non atteint – est la refonte complète du code de la nationalité. Son caractère racial ou raciste est indiscutable, tant dans les textes de Georges Mauco qui les inspire, que dans les nombreuses lois raciales inspirées des lois nazies promulguées dès 1933. Certaines d’entre elles seront même autochtones et devancières. Elles sont mises en œuvre dès 1940.

 

Alix Landau-Brijatoff est née le 20 avril 1942 à Perpignan. Elle est la troisième fille d’Adolphe-Abraham Landau et de Bluma Katz-Jankelovitch, deux communistes émigrés de leurs pays d’origine (Pologne et Lettonie) dans les années 1920, naturalisés dans les années 1930, dénaturalisés en 1943. Docteur en psychologie sociale, elle est également romancière.

[1] Elle est précédée d’une première loi le 16 juillet 1940.

[2] Témoignage de Paul Baudouin, ancien ministre des Affaires étrangères devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, en 1948. AN.C//18433.

En savoir plus sur http://www.jolpress.com/alix-landau-brijatoff-juif-ces-15-154-francais-que-le-regime-de-vichy-denaturalises-article-819736.html#VteP6temeoXremzs.99

17/12/2015

Attentats et pédagogie "Star Wars"

Pour justifier l’état d'urgence et faire en sorte que les forces de l'ordre chargées de "l’interpréter", soient perçues de façon positive dès la petite enfance... rien de plus efficace que la pédagogie "Star Wars" appliquée dès le CP :

 

Les policiers d'élite du Raid et de la BRI sont devenus des héros aux yeux des enfants (...). Au dernier étage du 36 quai des Orfèvres, les hommes de la BRI ont affiché sur leurs murs les plus belles lettres de remerciements et les plus beaux dessins reçus après les attentats du 13 novembre. Et c'est une lettre écrite par une classe de CP en Seine-Saint-Denis qui a le plus touché les policiers de la BRI. L'un d'eux a accepté de rencontrer les enfants.

attentats,novembre 2015,medias

Surprise. La surprise a été organisée avec la complicité de la maîtresse. Le policier a répondu aux questions des petits élèves. Au surlendemain des attentats, les enfants ont posé 1 000 questions et c'est par la parole que l'institutrice a pu apaiser leurs angoisses. "Suite aux événements, il était naturel d'en parler avec les enfants en classe. Et c'est en en parlant que l'idée est venue", explique cette dernière.
Francetv info

 

Les attentats du 13 novembre 2015 expliqués par la presse jeunesse : des choix éditoriaux au garde-à-vous

par Chloé Jiro,

Comment parler des attentats avec les enfants ? Une question difficile à laquelle ont dû se confronter parents, proches et personnels éducatifs dans les jours qui ont suivi. Les professionnels de la presse jeunesse ont alors proposé des supports au contenu parfois…. très discutable.

Nous avons étudié la première édition post-attentats de six médias s’adressant aux enfants, sur une tranche d’âge de 6 à 14 ans :

Le Journal des Enfants (pour les 9-14 ans) : « Plusieurs attentats frappent Paris », mis en ligne le 15 novembre ;
Astrapi (pour les 7-11 ans) : édition spéciale mise en ligne le 15 novembre ;
Le Petit Quotidien (pour les 6-9 ans) : édition du 17 novembre, mise en ligne le 15 novembre ;
Mon Quotidien (pour les 10-14 ans) : édition du 17 novembre, mise en ligne le 15 novembre ;
Le P’tit Libé (pureplayer pour les 7-12 ans) : n°3 « Les attentats de Paris », mis en ligne le 16 novembre ;
1 jour 1 actu (dès 8 ans) : n° 92, édition du 20 au 26 novembre 2015, mise en ligne le 18 novembre.

Ces médias ont donc publié assez rapidement des éditions spéciales, articles en ligne ou brochures téléchargeables, sur les attentats, les parents et les personnels éducatifs étant invités à s’appuyer sur ces ressources.

À l’exception du P’tit Libé, tous ces titres (presse papier) sont présents dans de nombreux établissements scolaires (Bibliothèque Centre Documentaire, et Centre de Documentation et d’Information) validés par les prescripteurs que sont les enseignant-e-s. Ils touchent une large audience : à titre d’exemple le JDE est tiré à 45 000 exemplaires, Astrapi à environ 60 000, Le Petit Quotidien et Mon Quotidien à environ 50 000 chacun. Il faut aussi tenir compte du fait que leur présence dans les établissements scolaires démultiplie le nombre de lecteurs et lectrices par exemplaire (l’audience étant donc très largement supérieure à la diffusion). Ces productions sont donc loin d’être anecdotiques.

Or à la lecture des éditions « spéciales attentats », émises par quatre entreprises de presse différentes (Bayard, Playbac, Libération et la Société alsacienne de publication), on peut identifier quatre éléments de discours récurrents, loin de l’« objectivité journalistique » pourtant particulièrement requise lorsqu’on s’adresse à des enfants.

1. Les musulmans tranquilles

Où l’on apprend qu’en France les « bons musulmans » ne font pas de vagues - c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît :

Le P’tit Libé



Astrapi



Si la préoccupation de lutter contre les amalgames et la stigmatisation des musulman-e-s est louable, on peut regretter cet éloge de la discrétion : il laisse en effet entendre que les musulman-e-s qui seraient un tant soit peu trop visibles ou bruyant-e-s sont potentiellement suspect-e-s.

2. « Notre » mode de vie et le prosélytisme terroriste

Les terroristes auraient attaqué un concert, un stade et des terrasses de bar pour « nous » convertir à leurs règles religieuses, alors que la France est un pays de libertés, ce qui leur est insupportable :

Mon Quotidien et Le Petit Quotidien

 

1 Jour 1 actu

 

Le P’tit Libé

 

Astrapi

 

Cette idée que nous vivons dans une démocratie parfaite et enviable dans le monde entier et, parallèlement, la présentation caricaturale des motivations des terroristes, mériteraient davantage de circonspection, en particulier dans des médias qui s’adressent à des enfants et contribuent à façonner leur compréhension du monde. Car derrière ces clichés et cette valorisation de « notre » mode de vie, c’est encore le mythe du « choc des civilisations » qui transparaît et qui peut s’insinuer dans l’esprit des lecteurs et lectrices.

3. L’état d’urgence c’est bien, la police et l’armée nous protègent

Comment la France se protège ?
Le président de la République François Hollande a été très clair : la France va combattre ces terroristes. Il a décrété [ordonné] l’état d’urgence dans tout le pays. C’est une mesure qui permet à la police, l’armée, de mener de nombreuses actions pour protéger le pays. De très nombreux militaires sont arrivés en renfort.

Le JDE

 

1 jour 1 actu

 

Le Petit Quotidien

 

Le P’tit Libé

 

Il y a bien là une description factuelle : l’augmentation des forces policières et militaires suite à la mise en place de l’état d’urgence. Cependant le fait de présenter ces mesures - et le renforcement des services de renseignements - comme positives et nécessaires « pour protéger les Français » sans évoquer les critiques qu’elles ont suscitées repose sur le principe que la limitation des libertés et la restriction des droits est logique et légitime. Il s’agit donc, sous couvert d’information, d’un positionnement idéologique.

4. Il y a bien une guerre ailleurs mais c’est contre le terrorisme islamiste et il faut donc la poursuivre

 

Mon Quotidien

 

Astrapi

 

Le P’tit Libé

 

1 Jour 1 Actu

 

Mon Quotidien

 

Il est plutôt positif que les médias prennent la peine de lier les attentats du 13 novembre à la politique internationale militariste de la France. Il est d’autant plus dommage que les enjeux économiques soient esquivés, au profit d’un discours manichéen qui propose comme seul modèle explicatif le motif de la vengeance face à la « guerre juste » menée par la France.

5 [BONUS] Au fait : C’est la Troisième Guerre mondiale !

La palme revient sans conteste à Playbac Presse qui explique tranquillement dans ses deux publications (Le Petit Quotidien et Mon Quotidien, à partir de 6 ans donc…) que c’est la Troisième Guerre mondiale :

Mon Quotidien

 

Le Petit Quotidien

 

De quoi rassurer les enfants en gardant le sens de la mesure…

***


Quatre grandes thématiques donc, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont traitées en ayant recours à une simplification certaine. Malgré la préoccupation d’intégrer des aspects délicats, ce traitement des attentats vire en effet parfois à l’auto-caricature, et correspond somme toute au discours dominant. Habituer les enfants à l’idée d’une guerre qui dure, à distinguer les « bons » et les « mauvais » musulmans, accréditer l’idée d’un « choc de civilisation », les accoutumer à ne se sentir en sécurité qu’entouré-e-s de policiers et de militaires… Voilà, en définitive, quasiment la seule perspective offerte par la presse jeunesse au lendemain des attentats.


Chloé Jiro pour Acrimed

07/12/2015

Et après le premier tour des élections (régionales) ?

Notre responsabilité, leur culpabilité, le piège.

régionales,fn
E. Münch, 1902 Vampire II

Communiqué LDH

La LDH prend acte des résultats du premier tour des élections régionales. Constater le niveau historique atteint par le Front national n’enlève rien à la nature de ce parti. Ses dirigeants ont appris à faire révérence à la démocratie. Ils ne sont pas devenus, pour autant, des démocrates. Le Front national continue d’être l’héritier de tout ce que notre pays a pu connaître de détestable dans son histoire, et nul ne doit s’y tromper : sa victoire, fût-ce dans une seule région, aura une résonance symbolique désastreuse et des conséquences dramatiques pour la vie démocratique, économique, sociale, associative ou artistique de ce territoire. Mais combattre l’imaginaire mortifère de ce parti suppose que l’on entende d’abord ces milliers d’espoirs déçus ou trahis. C’est d’abord notre impuissance collective à proposer un autre avenir qui est en cause. Cela implique que les choix offerts aux électeurs et aux électrices expriment clairement que d’autres chemins sont possibles. Peut-être encore pire que le Front national lui-même sont ses idées, reprises par les uns et les autres et qui deviennent ainsi une maladie chronique de notre pays. En reprenant certains des projets du Front national, de manière plus ou moins édulcorée, on accrédite l’hypothèse d’une société repliée sur elle-même, aux libertés surveillées et où chacun sera l’ennemi de l’autre. User de la peur, celle que provoque la violence du monde, l’injustice de notre société ou l’image de l’autre pour gouverner entraîne autant d’illusions à court terme que de désastres pour l’avenir. Nous avons besoin d’une autre ambition que celle qui consiste à cultiver l’exercice du pouvoir.

Les enseignements à tirer de ces résultats électoraux ne peuvent être de renoncer à nos principes. Mais ceux-ci ne peuvent reprendre le dessus que s’ils sont affirmés sans détours. Nous devons tout mettre en œuvre pour construire un autre projet qui se développe dans une démocratie ouverte et solidaire, inscrite dans le monde et l’Europe et ancrée dans notre pays. C’est notre responsabilité collective.

Résultats

 

04/12/2015

Respecter, réaffirmer, protéger la liberté de création

L’Observatoire de la liberté de création appelle chacun à la responsabilité pour le respect de la liberté de création sur tout le territoire.

liberté de créationPieta - Oskar Kokoschka

Communiqué :

L’Observatoire de la liberté de création, composé de personnalités et de partenaires représentant, dans leur diversité, les secteurs artistique et culturel, met chacun en garde à l’encontre des dérives populistes des discours portant sur la culture. Aucun parti politique ne peut prétendre exercer un contrôle sur les artistes, les arts et la culture.

L’Observatoire tient à rappeler que les atteintes à la liberté de création et de diffusion des œuvres sont souvent le fait de l’extrême droite qui voudrait plier l’art à respecter sa morale, sa conception de la religion, de la famille…

Les œuvres doivent être créées et montrées librement, et ce principe, qui doit être clairement réaffirmé par la loi sur la création en cours de discussion, doit être effectif sur l’ensemble du territoire, sans restriction ni exception.

Le rôle de l’État, comme celui des collectivités territoriales, régions comprises, est de conduire une politique qui mette en œuvre le double principe de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : le droit pour chacun de prendre librement part à la vie culturelle, d’accéder librement aux œuvres et de jouir des arts ; ainsi que la protection des intérêts matériels et moraux des auteurs.

Les œuvres font vivre l’espace public par la faculté de débattre qu’elles suscitent, laquelle est la marque de la démocratie. Dans une société démocratique, l’art est vital, non parce qu’il divertit ou console, mais parce qu’il permet de déplacer le regard et de questionner le rapport que chacun entretient avec le monde qui l’entoure.

Les artistes ne sont pas au service du pouvoir. C’est le pouvoir qui doit protéger les artistes et leurs œuvres, les lieux de culture et les publics potentiels.

L’Observatoire de la liberté de création affirme avec force que toute politique contraire à la liberté de création et de diffusion des œuvres doit être combattue, que ce soit par les citoyennes et les citoyens par le droit de vote, ou par l’État, qui doit s’assurer qu’aucune dérogation aux principes démocratiques ne soit admise dans les territoires.

Paris, le 3 décembre 2015

Membres de l’Observatoire de la liberté de création :

  • Ligue des droits de l’Homme
  • Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion)
  • Addoc (Association des cinéastes documentaristes)
  • Aica France (Section française de l’association internationale des critiques d’art)
  • ARP (Association d’auteur-réalisateurs-producteurs)
  • Cipac (Fédération des professionnels de l’art contemporain)
  • CPGA (Comité professionnel des galeries d’art)
  • Fédération des salons fêtes du livre de jeunesse
  • Fédération nationale des arts de la rue
  • La Ligue de l’enseignement
  • SFA-CGT (Syndicat français des artistes interprètes)
  • SGDL (Société des gens de lettre)
  • Snap-CGT (Syndicat des artistes plasticiens
  • SNSP (Syndicat national des scènes publiques)
  • SRF (Société des réalisateurs de film)
  • Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles)
  • Syndicat français de la critique de cinéma

30/11/2015

État d'urgence, bilan intermédiaire

État d'urgence, fiche « S », assignations à résidence et arrêtés d’expulsions prononcés aux lendemains des attentats du 13 novembre 2015, arrêtés d’expulsion à l’encontre de personnes étrangères, annonces concernant la déchéance de nationalité, l’interdiction de revenir en France et l’accélération des expulsions...

Il sera bien difficile de sortir de cet "état" de liberté comateuse, même si, d'ores et déjà, nous sommes quelques-un(es) à nous prononcer contre la criminalisation des mouvements sociaux et en solidarité avec les manifestant(e)s poursuivi(e)s.

 

Etat d'urgence, 13 novembre

Suite aux attentats ayant frappé Paris le 13 novembre 2015, une série de mesures sont mises en œuvre ou annoncées. La Cimade met à disposition quelques éléments d’explication ou d’interrogation sur les points suivants :

25/11/2015

La guerre ne nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables

Pour Dominique de Villepin, accepter la guerre, en France comme au Moyen-Orient, c’est accepter la fuite en avant. Alors que Daech cherche méthodiquement à créer les conditions d’un conflit généralisé, répondre par les armes équivaut à éteindre un incendie au lance-flammes.

Je refuse de vivre dans le monde que veulent nous imposer les terroristes. C’est pourquoi je veux que nous nous donnions les moyens de décider nous-mêmes de notre avenir, forts du courage et de l’exemple de tant de nos compatriotes à l’occasion des attentats de Paris et Saint-Denis.

La guerre ne nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables. Quelle est, en effet, la stratégie de Daech? Elle est double et il faut savoir la prendre au sérieux pour la combattre.

Premièrement, les hommes de Daech cherchent à susciter la guerre civile en France et en Europe, à monter les populations contre les musulmans, français, immigrés ou réfugiés. C’est ce qu’ils visaient en attaquant Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. C’est ce qu’ils confirment par la violence aveugle et sauvage du 13 novembre. En nous lançant à corps perdu dans la restriction des libertés individuelles ou dans la suspicion généralisée envers l’islam à travers une laïcité de combat traquant barbes et voiles, nous leur donnerions le choix des armes.

Notre force, c’est notre État de droit et c’est la fidélité à nos principes, c’est l’équilibre et la mesure, en utilisant avec fermeté tous les moyens d’enquête et de poursuite de notre Etat, en mobilisant ses forces de sécurité et de défense. Qu’il faille des mesures exceptionnelles pour faire face à l’urgence, je le crois. Mais méfions-nous de l’état d’urgence permanent et de la surenchère sécuritaire qui, je le crains, va dominer notre vie politique pour plusieurs années. On voudra toujours plus de fermeté vis-à-vis des étrangers et on n’obtiendra que le ressentiment. On voudra, de façon préventive, une lutte de plus en plus dure contre la délinquance, notamment dans les banlieues, et on obtiendra la criminalisation d’une frange de la société et l’incitation à la radicalisation. On voudra le contrôle accru de l’expression des religions et on n’obtiendra que la radicalisation de l’islam des caves. Bref, nous serons un pas plus proche de la guerre civile. Et nous aurons renié les libertés mêmes que les terroristes ont voulu attaquer.

Deuxièmement, Daech cherche méthodiquement à créer les conditions de la guerre généralisée au Moyen Orient. Regardons les mois écoulés. L’organisation cessait de progresser en Irak et en Syrie. En quête d’un appel d’air, elle a multiplié les attentats hors de sa zone de contrôle. En Tunisie, pour fragiliser la transition démocratique, entraîner la répression et la récession, marginaliser un islam politique qui n’est pas son allié ; en Égypte, pour durcir la persécution de tous les opposants au régime et les pousser davantage vers le jihadisme et pour entraîner la Russie plus avant dans l’engagement au sol avec les forces de Bachar al-Assad ; au Liban, pour déstabiliser un pays fragilisé par plus d’un million de réfugiés syriens ; en France, enfin, pour susciter une alliance militaire tout-sauf-Daech qui unirait les forces du régime syrien, de l’Iran, des Occidentaux dans une lutte qui nourrirait le sentiment victimaire des populations sunnites. Dans quel but ? La chute des régimes politiquement fragilisés, comme l’Arabie Saoudite, avec en ligne de mire la conquête symbolique des lieux saints. Daech place ses pions méthodiquement et les meilleurs ne sont pas dans le territoire qu’il s’est taillé, ils se trouvent dans l’expansion du conflit vers l’Afrique sahélienne où l’organisation noue des liens avec les islamistes locaux, vers le Caucase et l’Asie centrale et vers l’Asie du Sud-Est, notamment au Bangladesh. Regardons aussi la stratégie de Daech au Proche-Orient, où il se prépare peu à peu à agir à Gaza et en Cisjordanie, pour usurper la cause palestinienne, l’un des plus puissants vecteurs de ressentiment parmi les populations musulmanes.

Dans ce contexte, répondre à l’attaque par la guerre, c’est éteindre un incendie au lance-flammes. Après vingt ans d’échec des opérations de paix des Nations unies, après dix ans d’interventions militaires occidentales désastreuses, la clé, c’est d’inventer une nouvelle forme d’intervention de paix, articulant d’une façon inédite outils militaires et instruments diplomatiques, au service d’objectifs précis avec des moyens de coordination efficaces. Rien de tout cela n’existe aujourd’hui.

Soyons lucides aussi sur la solitude de la France en dépit des protestations de solidarité. Les Européens ne s’engagent que du bout des lèvres de peur d’être ciblés à leur tour, les Américains ne rêvent que de désengagement ; la Russie a ses propres objectifs, parmi lesquels Daech n’est pas forcément la priorité ; la Turquie joue sur plusieurs tableaux, comme les États du Golfe et l’Iran. Sabre au clair et seuls sur le champ de bataille, quelles seront nos marges de manœuvre ?

Dire que la solution est politique, cela ne signifie pas que la lutte ne doive pas être sans merci. Cela veut dire qu’elle doit être efficace. Les militaires sont les premiers à le dire : une guerre sans stratégie politique, c’est au mieux un coup d’épée dans l’eau. Il faut au contraire une lutte chirurgicale, appuyée par des frappes aériennes ciblées et avant toute éventualité d’un engagement de troupes régionales au sol, pour couper les canaux alimentant les trois flux qui maintiennent en vie l’État islamique : l’argent, les idées et les hommes.

L’argent en s’attaquant en priorité aux transferts financiers par la coopération bancaire et fiscale, aux ressources propres en frappant les puits de pétrole à leurs mains et les intermédiaires qui vivent, dans la région, du trafic d’armes, d’antiquités, d’êtres humains. Pour tout cela, les frappes militaires peuvent être utiles, mais ne seront pas suffisantes.

Couper les canaux diffusant l’idéologie jihadiste, c’est agir sur la propagande en mettant tous les moyens nécessaires pour agir contre le cyberjihad, contre la circulation de vidéos qui donnent à certains jeunes en mal d’autorité, d’idéal et d’aventure l’image d’un héros certes négatif, mais total, à la fois bourreau et martyr, victime absolue et terreur de ceux qui l’avaient méprisé.

Couper l’alimentation en hommes, en sécurisant la frontière syrienne, pour étouffer les territoires de Daech notamment aux abords de la Turquie, où s’est créé un grand no man’s land, et y créer une zone humanitaire internationale permettrait à la fois de réguler les flux de réfugiés, d’y améliorer les conditions de vie et de surveiller entrées et sorties sérieusement. S’attaquer au recrutement, cela signifie, dans notre propre pays, prévenir la contagion en identifiant les parcours menant à la dérive islamiste, en luttant contre les prêcheurs de haine, mais aussi en assainissant le terreau de rejet, de discrimination et de pauvreté que constituent certaines de nos banlieues. Et cela passe par un grand travail de justice et d’unité nationale, recoudre ensemble les territoires et rapprocher les hommes, d’abord par l’école. Dans les prisons également, le travail de prévention, d’identification et de dé-radicalisation est immense.

Cela signifie également empêcher la contagion dans les opinions sunnites en ne donnant pas le spectacle d’une alliance anti-sunnite et en appuyant les États du Golfe quelles que soient nos réserves légitimes. Le vide du pouvoir y serait aujourd’hui pire que tout. Imaginons, avec les fortunes qui y sont accumulées, ce que serait une Arabie transformée en nouvelle Libye au nom du changement de régime.

Tout cela suppose une coordination des politiques de renseignement et judiciaires. Cela nécessite une diplomatie qui n’a pas pour but de négocier avec l’État islamique - qui le souhaiterait ? - mais de créer une légitimité internationale et une action collective. Aujourd’hui, les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies sont des victimes directes du terrorisme islamiste. Souvenons-nous du 11 Septembre et de Londres, mais aussi de Beslan et de Kunming. Aujourd’hui, plus des deux tiers de l’humanité sont des cibles avérées du terrorisme islamiste, en Inde, en Amérique du Nord, en Asie, en Asie du Sud-Est. Pourtant, où est la stratégie mondiale ? Où est la communauté internationale ? Une résolution aux Nations unies ne suffira pas. Il faut parler à Moscou, mais aussi à Pékin. L’Occident seul n’aura pas les moyens de dire non au terrorisme.

Il faut forcer la main aux États de la région pour qu’ils dépassent rancœurs et arrière-pensées et qu’ils organisent un équilibre régional et une architecture de sécurité permanente, comme l’a fait la conférence d’Helsinki en 1975 dans l’Europe de la guerre froide. C’est vrai avant tout pour l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui s’affrontent par satellites interposés dans toutes les guerres de la région, en Syrie comme au Yémen. C’est vrai aussi pour la Turquie, rétive à se ranger dans le même camp que les combattants kurdes.

Accepter la guerre, c’est accepter la fuite en avant. Il faut bien tirer les leçons de l’expérience. Le 11 septembre 2001, nous étions tous derrière une Amérique frappée au cœur. L’administration Bush a alors choisi dans les premières heures le mot d’ordre de la guerre au terrorisme parce qu’elle donnait l’illusion de la riposte. Ils se sont ainsi enlisés en Afghanistan puis jetés dans l’aventure de l’Irak en 2003. Ils ont largement affaibli Al-Qaeda, mais au prix de la naissance de Daech, qui unit d’anciens combattants d’Al-Qaeda à d’anciens officiers baasistes, sur fond d’humiliation des populations sunnites d’Irak. Ce n’est pas seulement une page d’histoire, mais aussi un avertissement pour la France. Ayons la force de ne pas commettre les erreurs qui élargiront encore davantage le cercle de l’horreur.

Dominique de Villepin Ancien ministre des Affaires étrangères et ex-Premier ministre dans Libération

22/10/2015

Netanyhaou falsifie la Shoah

Mercredi 21 octobre 2015. Une nouvelle fois, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui s’exprimait le 20 octobre devant le 37e Congrès sioniste mondial, a affirmé que le génocide des Juifs aurait été soufflé à Adolf Hitler par le grand mufti de Jérusalem Amin Al-Husseini, figure de proue du nationalisme palestinien dans les années 20 et 30, rallié aux nazis en 1941. En mai 2010, Gilbert Achcar revenait sur cette falsification entretenue depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

 

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Via le mur FB de Julien Salingue

 

Dans la guerre de propagande d’Israël tous les moyens sont bons !

Inusable grand mufti de Jérusalem

Régulièrement, des ouvrages « découvrent » les sympathies nazies du leader palestinien Amin Al-Husseini ; régulièrement, les dirigeants israéliens en tirent parti pour dénoncer l’antisémitisme congénital des Arabes. Car c’est bien l’objectif de ces pseudo-recherches historiques que de justifier l’occupation des Territoires et l’oppression des Palestiniens.

Ces dernières années ont vu une recrudescence spectaculaire de la guerre des mots opposant Israël aux Palestiniens et aux Arabes, avec le concours actif des partisans des deux camps en Europe et aux États-Unis. Cette dimension particulière du conflit israélo-arabe a toujours été cruciale pour l’État d’Israël : constitué dès l’origine en forteresse enclavée dans un environnement régional hostile, il doit impérativement cultiver le soutien des pays occidentaux à sa cause.

C’est lors de l’invasion du Liban, en 1982, que l’image d’Israël en Occident se détériora sensiblement pour la première fois. Le long siège de Beyrouth, marqué par les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés sous supervision israélienne, choquèrent l’opinion publique mondiale. En Israël même, ce traumatisme, comparable à celui produit aux États-Unis par la guerre du Vietnam, demeure présent (1).

Entre ce moment et celui de la première Intifada, en 1987-1988, l’État hébreu fut ainsi le théâtre d’un remarquable réexamen critique des mythes centraux de l’idéologie sioniste par ceux qu’on appela les « nouveaux historiens » (2). Cette réécriture de l’histoire des origines d’Israël donna naissance à un courant, certes minoritaire mais qualitativement important : le « post sionisme ». Il n’empêcha cependant pas le glissement à droite, par étapes, de la société israélienne, de l’enlisement précoce des accords d’Oslo jusqu’à l’affirmation d’un « néo sionisme » agressif.

Aussi stigmatisé que... Adolf Hitler

Selon la définition du sociologue israélien Uri Ram, « le post sionisme est d’orientation citoyenne (il soutient l’égalité des droits et a en ce sens une préférence pour un État de tous ses citoyens dans les frontières de la “ligne verte” [ligne d’armistice avant la guerre de 1967]), universelle et mondiale. Le néo sionisme est particulariste, tribal, juif, ethnonationaliste, intégriste et même fasciste sur la marge (3) ».

Le sabotage par Israël des négociations de paix, sa colonisation accélérée des territoires palestiniens occupés et ses offensives meurtrières au Liban (2006) et à Gaza (2008-2009) accentuent inexorablement la dégradation de son image. Pour tenter de l’enrayer, les instances israéliennes officielles et leurs partisans inconditionnels en Occident invoquent, comme toujours, la mémoire de la Shoah, dont ils espèrent une légitimation de leur action (4).

Mieux : ils ont toujours tenté d’impliquer les Palestiniens et les Arabes dans le génocide nazi. C’est dans ce but que, dès la fin de la seconde guerre mondiale, les instances sionistes ont mis en exergue le tristement célèbre mufti de Jérusalem. Figure de proue du nationalisme palestinien dans les années 1920 et 1930, Amin Al-Husseini, exilé de Palestine par les autorités britanniques en 1937, avait rejoint le camp des puissances de l’Axe en 1941, après un séjour en Irak. Il contribua activement, depuis Berlin et Rome, à la propagande des régimes nazi et fasciste ainsi qu’à la mise sur pied d’unités bosniaques musulmanes de la SS — qui ne commirent cependant pas d’exactions anti juives.

Largement discrédité dans le monde arabe, sinon en Palestine, avant même son exil européen, Al-Husseini rencontra si peu d’écho que, malgré toutes ses exhortations à rejoindre les troupes de l’Axe, seuls 6 300 soldats originaires de pays arabes, selon les calculs d’un historien militaire américain, « passèrent par les différentes organisations militaires allemandes », dont 1 300 originaires de Palestine, de Syrie et d’Irak, le reste en provenance d’Afrique du Nord. Ces chiffres doivent être comparés aux 9 000 soldats arabes de la seule Palestine engagés dans l’armée britannique et aux 250 000 Maghrébins qui combattirent dans les rangs de l’armée française de la libération et fournirent la majeure partie de ses morts et blessés (5).

Le mufti fut néanmoins érigé en représentant attitré des Palestiniens et des Arabes par la désinformation du mouvement sioniste qui, en 1945, exigea — sans succès — qu’il soit déféré devant le tribunal international de Nuremberg, comme s’il avait représenté un rouage essentiel de la machine génocidaire nazie. Un nombre considérable d’articles, de brochures et de livres fut produit afin de désigner Al-Husseini à la vindicte publique. Il est vrai que la figure du mufti permettait de présenter les Palestiniens comme coresponsables du génocide hitlérien et, à ce titre, de justifier qu’un « État juif » soit érigé sur le territoire de leur patrie.

Cette motivation devint une constante du discours de l’Etat d’Israël après sa création. Elle explique l’importance extraordinaire accordée au mufti par Yad Vashem, le mémorial de la Shoah, à Jérusalem. Tom Segev a noté que le mur qui lui est consacré cherche à donner l’impression d’une convergence entre le projet génocidaire antisémite du nazisme et l’hostilité arabe à Israël (6). Peter Novick a relevé, de son côté, que l’article sur le mufti dans l’Encyclopedia of the Holocaust, publiée en association avec Yad Vashem, est beaucoup plus long que les textes sur Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich, Joseph Goebbels ou Adolf Eichmann, et n’est dépassé — de peu — que par l’article sur Adolf Hitler (7).

Avec la flambée de racisme anti-arabe et d’islamophobie depuis les attentats du 11 septembre 2001, on a assisté à une prolifération de publications visant à établir que les Juifs étaient confrontés en Palestine, en 1948, à une menace de génocide. Les Arabes n’étaient-ils pas — et ne restent-ils pas aujourd’hui — mus par la même haine des Juifs que les nazis, à l’instar du mufti ? L’expulsion des Palestiniens au moment de la fondation de l’Etat d’Israël et leur assujettissement continu par celui-ci ne procèdent-ils pas, dans ces conditions, de la légitime défense ?

Dans cette masse d’ouvrages, deux se distinguent par leur apparence de sérieux, du fait d’un travail sur les archives nazies, américaines ou britanniques : celui de Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallman (8), et celui de Jeffrey Herf (9). Dans les deux cas, les auteurs connaissent très peu le monde arabe et en ignorent la langue. On trouvera un excellent dossier critique sur l’ouvrage de Cüppers et Mallman dans la revue de la Fondation Auschwitz, Témoigner entre histoire et mémoire (10). Dans sa contribution, Dominique Trimbur relève que le livre semble s’insérer « dans un courant historique marqué par un certain air du temps, celui du début des années 2000 (…). L’intégralité de la démonstration fait difficilement preuve de nuance, notamment lorsqu’il est question “des” Arabes et “du” monde musulman ; une assimilation qui trouve son illustration dans la reprise, sinon l’intégration assumée, de l’expression “choc des civilisations” ».

En réaction à l’exploitation par Tel-Aviv de la mémoire de la Shoah et pour légitimer les aspirations palestiniennes, deux tendances contradictoires se sont développées du côté arabe : d’une part, la comparaison des agissements d’Israël au nazisme, réciproque arabe de la tradition israélienne fort ancienne consistant à comparer divers Palestiniens et Arabes aux nazis ; d’autre part, la négation de la Shoah.

Le fait que nombre de personnes dans le monde arabe puissent combiner ces deux discours contradictoires — l’un tenant le nazisme pour l’étalon suprême du mal, l’autre impliquant qu’il est moins criminel qu’on ne le prétend — l’indique clairement : il s’agit là d’une tentative de compenser par un recours à la violence symbolique l’impuissance à riposter efficacement à la violence réelle. C’est la montée de ce négationnisme réactif et émotionnel que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad tente d’exploiter dans sa concurrence avec le royaume saoudien pour gagner la sympathie de l’islam sunnite arabe.

En réalité, ceux qui, dans le monde arabe, adhèrent sérieusement, et en connaissance de cause, au discours pathologique du négationnisme occidental — le négationnisme devenant, dans leur cas, un « antisionisme des imbéciles » (pour paraphraser l’expression célèbre qui fait de l’antisémitisme le « socialisme des imbéciles ») — constituent une infime minorité.

La grande majorité des attitudes négationnistes relève plutôt de l’exaspération. C’est ce que suggèrent des enquêtes d’opinion conduites parmi les Palestiniens d’Israël, qui forment certainement la population arabe la mieux informée sur le génocide juif, thème bien présent dans les programmes scolaires élaborés par les autorités israéliennes (11).

Réalisé par l’université de Haïfa en 2006, un premier sondage montra, à la surprise générale, que 28 % des Arabes israéliens en étaient venus à nier la Shoah, la proportion grandissant avec le niveau d’instruction des sondés (12). Deux ans plus tard, sur fond d’exacerbation de la violence, le même sondage obtenait 40 % de réponses négationnistes (13) !

Le caractère paroxystique de la situation actuelle semble rendre l’incommunicabilité entre les adversaires plus insurmontable que jamais. Néanmoins, quiconque connaît l’opposition apparemment irréductible qui séparait Israéliens et Arabes entre la création de l’Etat d’Israël en 1948 et les années 1970 sait qu’aujourd’hui, en dépit de tout, beaucoup plus d’Arabes et de Palestiniens envisagent une coexistence pacifique avec les Israéliens, et bien plus d’Israéliens reconnaissent que leur Etat est coupable de persécuter les Palestiniens. Il faut espérer que les uns et les autres sauront éviter à la région une nouvelle « catastrophe » — sens commun des deux termes Shoah et Nakba.

 

Gilbert Achcar

Professeur à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’université de Londres. Auteur de Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits, Sindbad - Actes Sud, Arles, 2009.

 

(1) C’est ce qu’a attesté à sa manière, encore récemment, le film d’animation d’Ari Folman, Valse avec Bachir, sorti en 2008.

(2) Sur les « nouveaux historiens » israéliens, cf. Benny Morris (sous la dir. de), Making Israel, University of Michigan Press, Ann Arbor, 2007, et Dominique Vidal, avec Sébastien Boussois, Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949), L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.

(3) Cité par Dalia Shehori dans « Post-zionism didn’t die, it’s badly injured », Haaretz, Tel-Aviv, 28 avril 2004.

(4) Sur l’« instrumentalisation » de la Shoah en Israël, cf. Tom Segev, Le Septième Million.Les Israéliens et le génocide, Liana Levi, Paris, 2002, et Idith Zertal, La Nation et la Mort. La Shoah dans le discours et la politique d’Israël, La Découverte, Paris, 2008.

(5) Antonio J. Muñoz, Lions of the Desert : Arab Volunteers in the German Army, 1941-1945, Axis Europa, New York, 1997 ; Lukasz Hirszowicz, The Third Reich and the Arab East, Routledge & Kegan Paul, Londres, 1966 ; Belkacem Recham, « Les militaires nord-africains pendant la seconde guerre mondiale », sur Internet : http://colloque-algerie.ens-lsh.fr

(6) Le Septième Million, op. cit.

(7) Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, Gallimard, Paris, 2001.

(8) Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallman, Croissant fertile et croix gammée, Verdier, Paris, 2009.

(9) Jeffrey Herf, Nazi Propaganda for the Arab World, Yale University Press, New Haven, 2009.

(10) No 105, octobre-décembre 2009, p. 233-252.

(11) De surcroît, 80 % de ces Palestiniens comprennent l’hébreu et ne sauraient donc ignorer l’évocation constante du souvenir de la Shoah en Israël.

(12) Fadi Eyadat, « Poll : Over 25 % of Israeli Arabs say Holocaust never happened », Haaretz, 18 mars 2007.

(13) Fadi Eyadat, « Poll : 40 % of Israeli Arabs believe Holocaust never happened », Haaretz, 17 mai 2009.

16/10/2015

Air - France, retour sur désinvestisement

Que se passe-t-il lorsque les philosophes professionnels veulent rejoindre les professionnels de la politique tout en faisant preuve de dilettantisme et d'arrogance ? A moins que l'arrogance et le dilettantisme soit une clef pour entrer en philosophie comme on entre en politique, Raphaël Enthoven vient de démontrer brillamment comment faire usage de quelques "moisissures argumentatives pour concours de mauvaise foi". Ce qui n'est pas pour contredire la société du spectacledécrite par Guy Debord et offre la possibilité d'organiser la diversion.

Air-France, le retour de la lutte des classes

« L’affaire de la chemise » remet la lutte des classes en pleine lumière.

On l’oublie souvent, même à gauche, il y a une lutte des classes. Elle se définit tout autant par son degré de conflictualité que par les divergences idéologiques qu’elle révèle.

Premièrement, il y a la violence symbolique, celle des managers qui, au nom de la rentabilité, peuvent rayer d’un trait de plume, la destinée des simples salariés. L’annonce des plans sociaux masque sous le vocable même la violence. La vidéo de la salariée qui se heurte à un mur d’indifférence des cadres supérieurs nous donne à voir cette violence là. La morgue et le déni des classes dirigeantes, sures de leur bon droit. On doit y ajouter les paroles mêmes du patron d’Air France, De Juniac, qui manifeste le même détachement lorsqu’il entend disserter joyeusement du fait que l’on pourrait faire travailler les enfants, ou qu’ailleurs on met en prison ceux qui réclament les droits sociaux.

Cette violence symbolique se traduit par l’inégalité de traitement entre les salariés et les puissants. Aussi bien Jean de Lafontaine, dans ses fables, que Trotski ; dans leur morale et la nôtre, nous avaient prévenus : riche ou misérable, la justice n’est pas la même.

« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
LaFontaine

L’arrestation au petit matin des salariés d’Air France est sans commune mesure avec le traitement des dirigeants, entendus en « témoins assistés ».

Cette violence symbolique doit être présentée pour ce qu’elle est : une violence réelle. Celle qui licencie, celle qui, dans le cas des Conti, arrache « compromis » après « compromis » pour finir par licencier quand-même.

C’est pour mieux masquer ces violences là que les défenseurs de l’ordre libéral accentuent la dénonciation des violences ouvrières. La chemise devient affaire d’État. Les salariés sont des voyous, des criminels. Jamais on ne parle ainsi des délinquants en cols blancs. Pour une bousculade, pour une chemise, on assimile les révoltés à de grands délinquants. Le couteau entre les dents n’est pas loin… À cette
caricature des ouvriers, souvent montrés comme sales, brutaux, Chaplin, dans les temps modernes avait eu l’intelligence d’opposer celui d’une jeune femme souriante, se battant pour survivre, et n’hésitant pas pour cela à aller au-delà des convenances morales.

Cet événement a donc un double mérite : celui de nous rappeler la violence de la classe supérieure, et celui de nous montrer que les rapports de force ne se résorbent pas dans une « culture du dialogue », « un compromis acceptable ». C’est dans la lutte que se nouent les rapports entre classes. Cette lutte n’est pas désincarnée. Elle est ici réalisée dans la figure d’une chemise. Elle n’est pas nouvelle. C’est d’elle dont parlait Jaurès en 1895 :

« Il se peut que les ouvriers exaspérés par l’injustice et la misère se laissent aller à la violence par la violence. Au jour du danger je serai avec eux, devant eux, et si le gouvernement et les patrons ont le triste courage de faire tirer sur ces braves gens, coupables avant tout d’être républicains, que le sang versé retombe sur le triste régime qui, sous le nom usurpé de République aura préparé et toléré un tel crime. »

La Bataille d’Einaudi

La Bataille d’Einaudi
ou
Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République
de Fabrice Riceputi, préface de Gilles Manceron, éd Le passager clandestin, octobre 2015, 240 p., 15 €
Ci-dessous, un extrait de l’introduction (pages 23 à 26) de La bataille d’Einaudi.

einaudi, 1961, papon

Pour reprendre l’expression d’un auteur britannique, la République gaullienne, en commettant ce crime, puis en le niant, avait fabriqué une « french memory’s bombe à retardement » [1]. Longtemps restée enfouie dans les tréfonds de la société française, cette bombe mémorielle explosa véritablement devant la cour d’assises de Bordeaux, trente-six ans plus tard. Ce 16 octobre 1997, une brèche s’est alors ouverte dans le mur de silence derrière lequel un consensus national avait si longtemps relégué le drame.Cette brèche ne s’est plus refermée. Au point, selon Henry Rousso, que le 17 octobre 1961, date du massacre d’Algériens pacifiques occulté durant trente ans, est devenu depuis les années 2000 une sorte de « métaphore métonymique » de la guerre d’Algérie, « sale guerre » coloniale dont on dissimula les nombreux crimes. Son abondante commémoration dans les media à chaque anniversaire, une production très importante de livres et de films d’histoire ou de fiction le prenant pour objet depuis les années 2000, font qu’après une longue « amnésie », on pourrait désormais parler, selon lui, d’une « hypermnésie » [2] : l’événement longtemps occulté aurait désormais une place pour ainsi dire disproportionnée dans la mémoire collective.Quoi qu’il en soit, ce retour fracassant doit sans conteste beaucoup à un homme, Jean-Luc Einaudi. C’est ce combat pour la connaissance historique et pour la reconnaissance politique d’un crime raciste colonial d’État que ce livre entend retracer. Un combat qui s’étendit sur trois décennies.La fameuse déposition d’Einaudi à Bordeaux n’en fut que l’épisode le plus connu. Commencé dès le milieu des années 1980, ce combat fut d’abord celui que Jean-Luc Einaudi mena en solitaire pour parvenir à dresser le procès-verbal du massacre dans La bataille de Paris. Il s’agissait en somme de redonner « un nom et une adresse » à un crime d’État nié officiellement et devenu depuis une sorte de rumeur mémorielle, un événement sans historien ni histoire.Puis survint la double confrontation judiciaire avec Maurice Papon. Cette confrontation, Einaudi l’avait en quelque sorte lui-même engagée dès la première page de son livre. Il avait en effet conjointement dédié ce dernier à deux enfants victimes de ce serviteur de l’État, l’une juive, Jeannette Griff, 9 ans, déportée en 1942 de Bordeaux à Drancy avant de l’être à Auschwitz [3], l’autre « française musulmane d’Algérie », Fatima Bedar, 15 ans, noyée dans le canal Saint-Denis en octobre 1961  [4] Bien que seul le premier de ces deux crimes ait pu être jugé par la Cour d’asises de Bordeaux en 1997, le second fut finalement examiné lors d’un autre procès retentissant en 1999. Étrangement, c’est au cours de ce procès intenté par Maurice Papon lui-même à Jean-Luc Einaudi que la justice reconnut « un massacre ».Mais, si c’est par lui que la France redécouvrit véritablement le 17 octobre 1961, la bataille ne se réduisit pas, comme nous le verrons, à ce mano a mano finalement victorieux avec l’ancien préfet de police de Paris, qui fit les délices de la presse et personnifia à l’excès le débat historique. Einaudi ne fut pas seulement celui qui « défia Maurice Papon ». En effet, une fois défaite et ruinée la version officielle de 1961, restait encore à faire plier la raison d’État qui refusait la vérité. Il fallait notamment affronter la résistance acharnée de l’appareil d’État lui-même à livrer ses archives. Le combat pour obtenir leur ouverture sur le 17 octobre contribua à une libération de la recherche sur la guerre d’Algérie. Mais la même raison d’État fit deux victimes trop souvent oubliées : deux archivistes, Philippe Grand et Brigitte Lainé. Ces deux là payèrent chèrement un héroïsme bien ordinaire : le simple fait d’avoir, en défense d’Einaudi face à Papon, témoigné de ce qu’ils savaient, en tant qu’archivistes, devant la justice. Leur ahurissante « affaire » est également racontée ici.Enfin, la bataille d’Einaudi porta en elle une exigence politique dont l’enjeu fut et est encore considérable. Elle touche à l’identité même de la France d’hier, mais aussi d’aujourd’hui : celle d’une reconnaissance officielle, d’une intégration à « l’histoire de France » d’un massacre colonial et raciste hautement emblématique de ce que fut la République coloniale. La France, selon une formule tant de fois employée depuis les années 1990, allait-elle enfin « regarder en face son passé colonial » et en tirer les leçons en s’attaquant à un impensé colonial toujours à l’œuvre ?Cette exigence heurtait de front un consensus français majeur, formé dès la guerre d’Algérie entre les principales forces politiques de la Ve République pour maintenir l’omerta, sur ce crime colonial-là comme sur tous les autres. Ce pacte du silence ne fut rompu qu’en 2012, le plus haut sommet de l’État admettant enfin, mais du bout des lèvres, qu’« une tragédie » avait eu lieu le 17 octobre. Einaudi considéra alors que son combat était largement victorieux. L’« amnésie » proprement dite était bel et bien vaincue. Mais il savait que si la République consentait désormais, contrainte et forcée, à compatir à la « douleur des victimes » de certains crimes coloniaux, elle s’arrêtait toujours, comme frappée d’aphasie, au seuil de la vérité la plus difficile à admettre, celle des responsabilités politiques.

Notes

[1] Cette formule, titre d’un article de Richard J. Golsan (« Memory’s bombes à retardement. Maurice Papon, crimes against humanity and 17 october 1961 », Journal of European Studies, voL. 28, n° 109-110, 1998, p. 153-172) est citée dans Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire (Paris, Tallandier, 2008), remarquable somme sur la répression de l’automne 1961 et son histoire mémorielle, abondamment utilisée pour écrire ce livre.

[2] Henry Rousso, « Les raisins verts de la guerre d’Algérie », in Yves Michaud (dir.), La Guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 127-151.

[3] Arrêtés en gare de Mont-de-Marsan le 18 août 1942, Jeannette Griff, ses trois jeunes frères et sa mère sont morts à Auschwitz le 9 septembre 1942 (voir site internet du MRAP des Landes : www.mrap-landes.org/spip.php ?article561).

[4] Sur Fatima Bedar, voir Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961. Un massacre à Paris, Arthème Fayard/Pluriel, 2011 (réed.), p. 471-474, ainsi que Didier Daenninckx, « Fatima pour mémoire », Mediapart, 22 septembre 2011 (www.mediapart.fr/journal/fra...).

18/09/2015

Ce sont nos enfants

Entre autres ironies du sort ou cynisme orchestré à l'encontre de la liberté d'expression,  l'interdiction faite en 2013 à Aminata Traoré d'obtenir un visa pour honorer une invitation qui lui avait été faite par des responsables de Die Linke, le parti de gauche allemand, et des militants de mouvements associatifs français de Paris et de Lille.
Qui s'en souvient ? 

Symbole des rapports de force Nord-Sud et porte-flambleau du « Non à l’intervention militaire étrangère au Mali », Aminata Traoré n'a jamais renoncé à exprimer le grand désarroi dans lequel l'Afrique est plongé, à mettre une fois encore en évidence quelques questions essentielles qui concernent l'humanité toute entière et les grandes contorsions européennes pour ne pas y répondre.

 

 Ce sont nos enfants

par Aminata D. Traoré, septembre 2015

 

Lettre à Yayi Bayam Diouf, ma sœur

Deux cents de tes concitoyens et presque autant des miens figurent parmi les huit cents morts du naufrage du 18 avril 2015 au large de la Sicile. Nombreux sont ceux dont on ne parle déjà plus, ceux dont on ne parlera jamais, enfouis dans ces fosses communes que sont devenus le désert du Sahara et la Méditerranée.

Ton fils unique (1) est un jour parti pour l’Europe avec quatre-vingt-neuf autres jeunes de Thiaroye (Sénégal) à bord d’une embarcation que la mer a engloutie. Nous nous sommes rencontrées parce que, dans mon pays, d’autres mères de migrants disparus qui ne veulent ni oublier ni baisser les bras m’ont interpellée : « Nous n’avons pas revu nos enfants ni vivants ni morts. La mer les a tués. Pourquoi ? » Elles ne savaient rien non plus de cette mer tueuse, notre pays le Mali étant enclavé.

Je me souviendrai toujours, courageuse Yayi, de ce profond moment de recueillement, de communion et de partage qu’aura été le « cercle de silence » que nous avons organisé ensemble lors du Forum social mondial (FSM) de Dakar en février 2011.

Nous espérions que nos prises de parole, nos mobilisations ainsi que nos initiatives de femmes à la base, dans nos villages et nos quartiers, auraient contribué de manière significative à conjurer ce sort que la mondialisation néolibérale inflige à tant et tant d’humains de par le monde. Des milliers de kilomètres de murs sont en train d’être érigés pour séparer les peuples en les dressant les uns contre les autres, alors qu’ils seraient capables d’empathie, de fraternité et de solidarité véritables s’ils se savaient broyés par le même rouleau compresseur. Mais aux blessés européens du capitalisme mondialisé et financiarisé, ceux qui jouent sur les peurs laissent entendre que l’Afrique a été aidée en vain. Le paysage politique européen en est aujourd’hui transformé. Les extrêmes droites qui s’enracinent dans ce terreau progressent et défient les autres formations. Les droites et, comble de l’horreur, une partie de la gauche qui ne veut pas se laisser distancer dans la surenchère sur la « protection » des Européens contre les « barbares » occultent le pillage des richesses du continent, les ingérences et les guerres de convoitise.

Ce sera de l’« humanité » pour les migrants éligibles à la loi sur l’asile, et de la « fermeté » pour les migrants dits économiques. Ils sont majoritairement subsahariens et noirs. « L’Europe est-elle capable d’écoute ? », demandons-nous, l’écrivaine Nathalie M’Dela-Mounier et moi, dans « Le monologue européen (2) ». Pour l’heure, nous en doutons.

Nous vivons, chère Yayi, un grand moment de dévoilement de la nature et des dessous de ce puissant voisin à travers sa gestion de la question migratoire et de la crise de la dette grecque. Ce tournant offre une occasion historique de comprendre l’Europe telle qu’elle est devenue, et non pas telle qu’elle voulait se donner à voir, en cette année 2015 qu’elle a proclamée Année européenne du développement — ce qui aurait pu être une opération de communication de plus visant à soigner son image de plus grand contributeur à l’aide au développement. De nombreux citoyens européens ne reconnaissent pas le projet des pères fondateurs dans le bras de fer qui l’a opposée au peuple et au gouvernement démocratiquement élu de la Grèce jusqu’à ce que ceux-ci cèdent. Elle persiste ainsi dans l’« horreur économique ». Comme dans ce pays, au Mali, au Sénégal et ailleurs en Afrique, le « courage des réformes douloureuses » consiste, pour les dirigeants démocratiquement élus, à imposer à leurs peuples des mesures assassines, au nom d’une dette extérieure contractée à leur insu pour des dépenses non conformes, la plupart du temps, à leurs besoins prioritaires.

Je te suis reconnaissante, ainsi qu’à Demba Moussa Dembélé (3), d’être venue en débattre avec nous à Bamako lors de la journée de réflexion du 11 juillet 2015, que le Forum pour un autre Mali (Foram) a consacrée à la question suivante : « La justice, la paix et la sécurité humaine font-elles bon ménage avec la dictature des créanciers ? » « Assurément pas ! », avons-nous conclu après avoir rapidement passé en revue les conséquences de l’arrimage du franc CFA à l’euro, des accords commerciaux (Union européenne - pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique [ACP]), des accords de partenariat économique, des accords migratoires et des accords militaires imposés à nos pays.

L’opacité étant la principale caractéristique des accords signés par nos pays, le recours du premier ministre grec Alexis Tsipras à l’arbitrage de son peuple face à l’intransigeance des créanciers ne pouvait pas passer inaperçu sous nos cieux.

« Fermeté » est le maître mot de l’Union européenne tant dans sa gestion de la crise grecque que dans celle des flux migratoires en Méditerranée. Combien de Grecs ont-ils pris le large ces six derniers mois, et combien seront-ils à émigrer dans les mois à venir ? A quelles formes de violence faut-il s’attendre dans ce pays dont la jeunesse, contrairement à une partie de celle de la France, de la Belgique et du Royaume-Uni, n’est pas attirée par le djihadisme ? Pourquoi ceux qui prétendent lutter contre ce dernier phénomène ne se disent-ils pas que des projets migratoires avortés peuvent pousser les jeunes à se radicaliser ? Je me pose cette question, Yayi, à propos du nord de mon pays, où ceux qui n’ont plus la possibilité d’aller travailler en Libye sont parfois devenus passeurs, djihadistes ou narcotrafiquants.

Du sommet extraordinaire du 23 avril 2015 à Bruxelles, nous n’attendions pas de miracle. Mais nous avons davantage de raisons de nous inquiéter maintenant, en raison de l’option militaire qui a été privilégiée. Inefficace et, surtout, dangereuse pour les migrants sera l’opération « Navfor Med » lancée par l’Union européenne. Il s’agit d’une opération de surveillance des côtes européennes par les patrouilles et le renseignement — faute d’accord du Conseil de sécurité des Nations unies pour la destruction des embarcations des passeurs. Selon la chef de la diplomatie européenne, Mme Federica Mogherini, « les cibles ne sont pas les migrants, mais ceux qui gagnent de l’argent sur leur vie et, trop souvent, sur leur mort » (22 juin 2015).

Comme pour lui répondre, Diawori Coulibaly de Didiéni, qui a elle aussi perdu un fils dans un naufrage, dit ceci : « Faites en sorte que nos enfants puissent travailler et vivre dignement ici. » Que dis-tu d’autre toi-même, Yayi, lorsque tu rends compte du bouleversement, de fond en comble, de la vie des communautés de pêcheurs du fait du pillage des eaux poissonneuses du Sénégal ? Par le passé, il suffisait, fais-tu remarquer, d’aller à cent mètres des côtes pour accéder au poisson qui vous garantissait l’alimentation et le revenu dans la dignité. A présent, des « accords de pêche » déséquilibrés et injustes permettent à des bateaux-usines de séjourner des mois durant au nez et à la barbe des pêcheurs pour se servir et mettre le poisson en boîtes avant de lever l’ancre (4).

Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que des pêcheurs appauvris et désemparés, comme des paysans sans terre et des commerçants ruinés par les produits subventionnés qui inondent nos marchés, ou des migrants humiliés, deviennent des passeurs ? L’offre de ces derniers répond par ailleurs à une demande incompressible, demande pour un départ qui a tout d’une fuite, dans l’espoir de revenir plus tard et de vivre mieux parmi et avec les siens. Mais tout est verrouillé, Yayi, comme tu le rappelles : des navires, des hélicoptères et des avions survolent les côtes pour que ceux qui n’ont plus les moyens de gagner leur vie chez eux ne puissent pas non plus émigrer. Aux injustices et aux frustrations engendrées par ces accords de pêche s’ajoutent l’assignation à résidence et l’humiliation liées à des accords migratoires injustes et déshumanisants.

A l’issue de notre journée de réflexion, l’un des jeunes participants s’est adressé à toi en ces termes : « Chère maman Yayi, je suis moi aussi fils unique. Sèche tes larmes. La mer t’a enlevé un fils ; dis-toi que nous sommes tous tes enfants. » J’en ai l’intime conviction, chère sœur. C’est pour cette raison que, avec le Centre Amadou Hampâté Bâ de Bamako et le Foram, nous avons décidé de promouvoir la notion de « mère sociale ». Aux valeurs guerrières du capitalisme mondialisé et financiarisé, opposons des valeurs pacifistes et humanistes. Les figures féminines — mère, tante, sœur aînée — qui les incarnent jouent souvent un rôle central dans la préservation de la cohésion sociale et de la solidarité. Le Mali a cruellement besoin de ce socle culturel qui constitue une force intérieure de changement et de progrès.

L’Université citoyenne que nous sommes convenus de créer au dernier FSM de Tunis, en mars 2015, nous offrira le cadre de cette éducation citoyenne. Selon Susan George, « la connaissance est toujours un antidote à la manipulation et au sentiment d’impuissance. Sans elle, on ne peut rien faire. Elle n’est pas une fin en soi, mais bien un préliminaire à l’action (5) ». C’est aussi ce que nous pensons, ce que nous disons et ce qui donne sens à notre engagement et à notre combat.

Aminata D. Traoré

Ancienne ministre de la culture du Mali. Auteure notamment de L’Afrique humiliée, Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2011 (1re éd. : 2008).

(1) Yayi Bayam Diouf est la mère d’Alioune Mar, 26 ans, qui s’est noyé en 2006 alors qu’il tentait de rejoindre l’Espagne avec d’autres jeunes Sénégalais.

(3) Directeur du Forum africain des alternatives.

(4) NDLR. Lire Jean-Sébastien Mora, « Ravages de la pêche industrielle en Afrique », Le Monde diplomatique, novembre 2012.

(5) Susan George, Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Seuil, Paris, 2014.

16/09/2015

Drôles de philosophes

Difficile de rire par les temps qui courent. Les catastrophes humanitaires, les entêtements politiciens, les débats sémantiques prêtant à polémiques par delà les évidences, les démarcations-partisanes-donc-factices et autres cataclysmes divers s'avérent difficiles à éviter. Du coup on pourrait croire impossible de continuer longtemps à se prendre au sérieux. Il n'en est rien. Les égos affectés ignorent le ridicule et s'en remettent avec componction au sortilège de l'hypocrisie et des situations intenables.
Les philosophes ne sont surement pas seuls à tomber dans ce travers ...

 
Grand Budapest Hotel …


Comment se présente habituellement l’homme raisonnable qui a pour voisine de palier la vérité ? Il se tient droit et évite de marcher sur les déjections d’un dogue allemand tout en se mouchant le plus discrètement possible. C’est bien connu : quand vous avez raison, vous prenez garde à ne pas faire tomber de la mayonnaise sur votre cravate et vous tenez vos lobes d’oreilles propres.

Des tas de gens estiment qu’ils ont raison : le coiffeur lorsqu’il coiffe, le forgeron lorsqu’il forge, le jardinier lorsqu’il jardine, l’assassin lorsqu’il assassine. Fort heureusement, la science nous fournit quelques précisions supplémentaires : l’homme qui a raison chauffe généralement à 40 °C, bout à 45 et explose aux environs de 50. Il construit aussi des listes et établit des classifications saugrenues : de la margarine allégée à la taille du petit orteil en passant par l’arbalète, la vitesse de la lumière, les attractions amoureuses et les utopies sociales.

Un homme qui prétend avoir raison est drôle par nature ; il agite les bras, émet des signes incongrus, fait rebondir son sourcil, prend à témoin le moindre nain de jardin et agrémente son discours d’exemples où se mêlent confusément des truands portugais bègues, des analystes financiers véreux et des implants mammaires instables. Très vite, il devient rouge de colère. On a alors l’impression qu’il revient du fin fond de l’Amazonie avec un chapeau trop grand, un short kaki et une gibecière pleine de cuisses de grenouilles et de serpents colorés.

A contrario, certains se contentent d’hésiter : ils doutent. On les voit se tenir le menton et se gratter vigoureusement le cuir chevelu : ils réfléchissent. Ce sont des philosophes. Leurs fronts sont luisants et produisent autant de vapeur qu’un jacuzzi dans les alentours d’un fjord norvégien.

Le philosophe croit qu’il peut découvrir la vérité tout en chassant la bêtise de ce monde, comme un sorcier vaudou. Pourquoi pas? Lui aussi est donc très drôle puisqu’il a généralement tort, comme tout le monde.

Bien sûr, il existe différentes façons de se tromper. On peut se tromper au sujet de la taille de la lune ou d’une bougie érotique. On peut aussi confondre deux sortes de poivre, un jugement apodictique et un jugement assertorique, et mélanger les noms des rois mages. Dans le fond, on se demande même si ce n’est pas agréable de faire erreur, de confondre, dans la joie et l’allégresse, David Hasselhoff et Mac Gyver.

Toutefois, pour d’étranges raisons, le philosophe est rarement considéré comme un joyeux drille mais plutôt comme la figure parfaite du raseur. D’ailleurs, comme le rappelle Philippe Arnaud, Diderot – qui ne manquait pas d’humour – est tellement drôle qu’on se demande s’il est vraiment philosophe… Il est vrai que les « 100 meilleures blagues » de Platon reste un ouvrage introuvable en librairie. De même a-t-on oublié les sketchs pleins de rebondissements que Kant déclamait devant un auditoire bondé, ainsi que la façon avec laquelle Aristote se tapait les cuisses en faisant rebondir le gras de son ventre lorsqu’il pouffait. Et bien que Spinoza écrivit sur le chatouillement, il reste très sévère envers l’humour.

C’est pourquoi on se souvient de Coluche et de Pierre Desproges, d’Alphonse Allais et d’Alexandre Vialatte, de Jules Renard, de Michel Audiard et de Frédéric Dard, tandis que les calembours du premier épicurien et les contre pétries d’un hégélien facétieux demeurent inconnues.

Néanmoins, les choses sont désormais appelées à changer. Philippe Arnaud nous présente les philosophes sous leur jour le plus « humoristique ». Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit là du Philosophy Comedy Club. Il faut rester prudent. D’ailleurs, l’ouvrage est –  faut-il le préciser ? –  très court. Cependant, il a le mérite d’exister et de mettre à mal un préjugé tenace : oui, le philosophe possède ses traits d’humour discrets, encore faut-il savoir les repérer à travers des œuvres qui représentent bien souvent des milliers de pages compliquées. Philippe Arnaud nous épargne ce travail et dresse un portrait du philosophe en histrion merveilleux, chevalier blanc prêt à faire pouffer la veuve, couiner l’orphelin et glousser l’adolescente. Certes, les philosophes ont parfois écrit sur l’humour et le rire. Henri Bergson et Soren Kierkegaard consacrent quelques pages à ce sujet. Mais malgré certains traits d’esprit bien sentis, le philosophe reste généralement drôle à ses dépens.

Le plus souvent, les penseurs qui font rire recherchent exactement l’effet inverse. Rien de plus jouissif en effet que les saillies des philosophes contre certains « ennemis » et cette façon comique et exubérante de venir à bout de quelques sottises en usant de comparaisons farfelues qui provoquent un rire instantané chez le lecteur.
Un exemple parmi d’autres : plus il est méchant, grinçant et railleur, plus Schopenhauer se montre en réalité désopilant au travers de sa mauvaise foi.

Il fallait écrire ce livre pour rendre justice à l’humour des philosophes et au passage à la philosophie des humoristes. Pourquoi encore s’étonner en effet que Woody Allen et Groucho Marx semblent débiter des vérités philosophiques ?

Dès que vous usez du rire, vous vous tenez à proximité de la philosophie, dans son sillage, étant donné que vous remettez en cause des choses trop vraies pour être totalement justes, considérées comme telles par quelques imbéciles qui font semblant d’être très intelligents modestement. Pourtant, il est difficile de n’être que drôle, on se demande même si c’est bien sérieux.

L’humour – y compris celui des philosophes – existe donc pour nous rappeler que les gens sérieux sont extrêmement dangereux, qu’ils sont très nombreux, très bavards et se baladent librement dans les rues avec d’immenses chaussures en plomb qui appartiennent à l’ennui.

Simon Brunfaut

Le rire des philosophes, Philippe Arnaud,  131 pages, ed. Arlea, 16 €

09/09/2015

Mais où vont les êtres humains que l'on reconsuit aux frontières ?

« Combattre les discriminations disent-ils » ?…
Réfugiés, migrants, demandeurs d’asile d'hier et d'aujourd'hui, en provenance d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Moyen Orient, de plus loin encore, riches ou pauvres, diplômés ou pas, catholiques ou pas, musulmans ou pas, croyants ou pas, transgenres ou pas, femmes, vieillards, enfants, ...


Illustration : Un monde sans frontières

... les quotas ont de fortes chances d’être discriminatoires. En tout état de cause, ils ne répondent pas à la question :
OU VONT LES ÊTRES HUMAINS QUE L’ON RECONDUIT AUX FRONTIÈRES OU QUE L’ON SE REFUSE A AIDER, ACCUEILLIR ET PROTÉGER ?
Quant à la loi préparée par Christiane Taubira et qui doit être « débattue » à l’automne tiendra-t-elle compte des discriminations administratives ou discriminations d’État ?
Le site mis en ligne par la garde des sceaux ouvre-t-il réellement la possibilité d’incriminer cet État en cas d’infraction ou faudra-t-il faire appel à d’autres recours ? Toutes ces annonces ne sont-elles que des faux-semblants ?

03/09/2015

Adieu

"L'automne, déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.

L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.

Adieu, réfugiés, rimbaud

Trace - Flora Praxo 

Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du confort !

Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !

Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !

Suis-je trompé ? la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ?

Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.

Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

Oui l'heure nouvelle est au moins très-sévère.

Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais !

Il faut être absolument moderne.

Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps."

Arthur Rimbaud - août, 1873.

25/08/2015

La « dés'Europe » est en marche

« Tout espoir d’humaniser l’Europe s’effondre » EDGAR MORIN

Économie austéritaire contre économie sociale et solidaire,démocratie et irruption de l'humanité,mouvements pacifistes,loi renseignement,irak,migrants,vague islamophobe,daesh,un regard en amont pour "pensées complexes pensées globales"

Économie austéritaire contre économie sociale et solidaire, démocratie et irruption de l'humanité, mouvements pacifistes, loi renseignement, Irak, migrants, vague islamophobe, Daesh, un regard en amont pour "Pensées complexes pensées globales", vision ...
« d'un jeune homme de 94 ans qui tweete ses humeurs sur l’actualité. Loin de s’endormir sur ses lauriers de directeur de recherche au CNRS et de « docteur honoris causa » de plusieurs universités, Edgar Morin développe une pensée non orthodoxe… En témoigne son soutien aux expériences de gauche radicale Syriza et Podemos, vilipendées par certains de ses confrères, mais aussi son regard sur l’Europe, les conflits au Moyen-Orient ou le multiculturalisme.

Entretien.

 

Quelle a été votre réaction au référendum grec du 5 juillet ?

Dans l’incertitude du résultat, j’ai tweeté : « Est-ce que ce sera la défense héroïque des Thermopyles ou la soumission au grand roi ? » J’ai senti une pression économique, donc déshumanisée, sur la Grèce. Sous prétexte des carences et des corruptions accumulées par les précédentes législatures, on accable de mépris un peuple qui veut « vivre au dessus de ces moyens ». Malgré les énormes pressions, les difficultés, les menaces, les chantages exercés sur ce référendum, les Grecs ont répondu avec une dignité offensée. De magnifiques printemps se sont révélés tristes le lendemain, comme le Printemps arabe. Je ne sais pas quel lendemain il y aura en Grèce. C’était le premier moment démocratique européen. Bien sûr, il y a eu des référendums auparavant, comme sur le traité de Lisbonne… dont finalement on n’a pas tenu compte et qui n’avaient pas cette force. En Grèce, il y a d’un côté, une pression inhumaine. De l’autre, la vie concrète. L’opposition entre un pouvoir techno-bureaucratique anonyme et des êtres humains. L’irruption de cette humanité, c’est en même temps celle d’une démocratie. Il y avait quelque chose de beau, de réconfortant dans ce vote. Surtout qu’il a été pleinement majoritaire.

Un résultat beaucoup moins apprécié du côté des créanciers…

J’ai été frappé par la réaction du vice-chancelier allemand – pourtant social-démocrate – Sigmar Gabriel. Il a dit que tous les ponts étaient coupés avec la Grèce à cause du référendum. Comme si ce n’était pas supportable que le peuple refuse ce qui est appelé « réforme ». En réalité, ça revient à couper encore plus dans la retraite des vieux Grecs. J’ai tweeté : « Avec la Grèce et le traitement des migrants tout espoir d’humaniser l’Europe s’effondre. » La « désEurope » est en marche. Pas seulement par la résistance à ses diktats, mais parce que ces diktats eux-mêmes ont complètement détruit l’idée d’une communauté européenne.

Vous avez appartenu au Parti Communiste Français, avant d’en être exclu en 1950. Votre livre Ma gauche (2010) revenait sur votre sensibilité de gauche. Que pensez-vous de Syriza et de Podemos ?

Depuis 1950, je suis resté indépendant de tout parti. Dans ce livre, j’explique qu’on peut être de gauche sans faire partie du PCF ou du PS. Syriza et Podemos sont des éléments d’émergence d’une nouvelle gauche. Il y a eu souvent cette idée de fonder une nouvelle gauche, qui n’a pas réussi à éclore, en France, avec le PSU1. À la différence du PS et du PCF, entièrement contrôlés par des états-majors, Syriza et Podemos ont recours au peuple, à sa vie concrète. Ce n’est pas du populisme, comme on le dit bêtement. C’est un retour aux sources d’une démocratie possible. Ces mouvements sont profondément pacifiques. Ils ont cessé de miser sur l’idée d’une révolution violente, tout comme c’est le cas de la révolution citoyenne en Équateur, dont on parle très peu en France. C’est quelque chose de nouveau par rapport au castrisme et au chavisme. Syriza est neuf, et Podemos encore plus : il n’est pas seulement dans le refus de l’austérité et de cette écrasante inégalité, il a aussi une réflexion sur la société contemporaine. Avec l’idée, portée par Pablo Iglesias [chef de file de Podemos, ndlr], que la souffrance humaine doit être au niveau de la réflexion politique. Cette ré-humanisation de la politique a complètement disparu des partis officiels européens.

Cela pourrait-il émerger en France ?

Pas à partir d’un parti politique, mais d’un mouvement citoyen rassemblant différents courants : l’écologie, l’économie sociale et solidaire, le mouvement convivialiste. Des mouvements de rénovation humaine qui oeuvrent pour l’émergence d’une civilisation, empêchée par de très puissantes forces politico-économiques. On est dans une civilisation où dominent le calcul, le profit, la compétitivité – tout ce qui est quantitatif. Dans ce schéma, la qualité humaine est absolument ignorée. Ces mouvements de gauche renouent avec la pensée originaire des premiers socialistes, anarchistes, marxistes. Avec quelque chose qui n’était pas figé aux concepts dogmatiques émanant d’un noyau dirigeant.

À cette époque de mondialisation, que peut-on faire contre ceux qui ont d’énormes fortunes si l’on ne peut pas contrôler les migrations de capitaux ? On est absolument paralysés. Le vrai problème, c’est de refouler leur pouvoir en créant de nouvelles sources de pouvoir humanisées et solidaires. Je m’intéresse beaucoup à ces mouvements émergents. Mais ils peuvent dérailler, se dogmatiser. Par exemple, ce que représente Jean-Luc Mélenchon – aussi talentueux soit-il – se situe encore dans le schéma des partis traditionnels, et même dans la politique traditionnelle.

En 2012, vous avez fait partie, avec Stéphane Hessel et Susan George (Attac), des initiateurs du collectif Roosevelt, qui a débouché sur le parti « Nouvelle donne » de Pierre Larrouturou.

J’ai refusé de faire partie de « Nouvelle donne ». Le collectif Roosevelt était une chose très positive, qui incitait à s’inspirer de l’exemple rooseveltien durant la première crise mondiale de 1929. De façon à prôner, non pas l’austérité, mais une relance économique par des grands travaux. Je ne suis pas obsédé par le mot croissance. Dans la conjoncture actuelle, il ne faut pas opposer croissance et décroissance. Il faut voir ce qui doit croître ou décroître. À décroître : l’économie de la frivolité, la production d’objets imaginaires ou symboliques, la production intensive du sucre qui intoxique toute une population dès l’enfance et génère de l’obésité. À décroître également, les produits à obsolescence programmée, qui sont condamnés à se dégrader au bout de dix ans. Et l’énergie nucléaire. Des études montrent d’autres énergies pourraient être généralisées en France dans les années à venir sans susciter des dépenses exagérées, et élimineraient une partie des dangers du nucléaire. Il faut aussi développer l’élevage fermier et l’agro-écologie, au détriment de l’agriculture industrielle. Que croisse une économie de service, écologique, sociale et solidaire.

Vous avez connu l’émergence de l’idée européenne. Est-ce de cette Europe de l’Eurogroupe dont vous rêviez?

Sans faire d’amalgame historique, il est quand même paradoxal que la Grèce, qui a tellement souffert de l’Allemagne nazie, souffre aujourd’hui de l’Allemagne économico-technique du CDU, actuellement au pouvoir. C’est d’autant plus étonnant qu’à l’époque, il a été bien compris qu’on ne pouvait réduire l’Allemagne aux crimes hitlériens, que ce grand pays devait exister. On a annulé sa dette, en 1953. Il y a quelque chose de monstrueux, d’inconscient et d’égoïste dans ce qui se passe aujourd’hui.

L’espoir européen, l’unité économique qui s’est nouée en 1955 s’est faite parce que l’unité politique a été bloquée par les nationalismes, notamment français. Je me disais que c’était un détour, qu’on allait y revenir. Mais l’Europe économique a tout bouffé, elle a empêché l’émergence de l’Europe politique. On n’a pas pu « approfondir », comme on disait alors. L’extension de cette Europe a aussi créé une très grande hétérogénéité. J’étais partisan d’introduire tous ces pays, sortant de l’oppression stalinienne, qui se sentaient européens : la Pologne, la Bulgarie… On a constaté qu’ils voyaient autrement le monde. Dans ces pays par exemple, on voyait plutôt la guerre du deuxième Bush en Irak comme une libération, alors qu’en France ou ailleurs, on y voyait une guerre avec un faux prétexte et des motivations pas très nobles.

Qu’en est-il du manque d’unité entre pays riches et plus pauvres ?

L’Europe est devenue hétérogène, incapable de s’unifier. On a vu ce manque d’unité politique et militaire dès la guerre en ex-Yougoslavie en 1991. La France soutenait en sous-mains les Serbes, et les allemands les Croates. La crise économique n’a fait qu’aggraver les choses. Il y a cette crainte d’une « invasion », comme l’a écrit le Figaro, parce que des milliers de malheureux réfugiés veulent arriver sur notre continent de 350 millions d’habitants. C’est vu comme une « invasion barbare ». S’ajoute l’offense faite à la Grèce, le mépris total pour ce que vivent les habitants de ce pays. Tout ceci m’écœure ! Je ne pensais pas que l’Europe en arriverait à cette immoralité. Il y a deux ans, avec mon ami Mauro Cerutti, on a écrit le livre Notre Europe, dans lequel on détaillait des propositions. Ça n’a pas été fait. Au contraire ! Il y a eu une régression. Après avoir été un européen convaincu, je suis devenu un eurosceptique. Je ne demande qu’à changer si les événements deviennent positifs !

Vous parlez de ces réfugiés qui meurent sur les côtes européennes à Lampedusa. Il y a aussi ceux qui se sont fait évacuer brutalement par la police française à la Chapelle…

Ces questions doivent être vues d’un point de vue humain et concret. Qu’est-ce qui nous menace ? D’autant plus que, jusqu’à présent, l’Europe a bénéficié de ces migrants sous-payés qui ont contribué à son développement économique et social. Il y a quelque chose d’affreux qui forme une tâche sanglante, d’un égoïsme monstrueux, sur cette idée d’Europe. Il n’y a que l’Italie qui reçoit. Cette querelle des quotas est d’une mesquinerie incroyable. Tout cela par peur de l’opinion croissante de la peur de l’étranger, la peur de l’arabe, du Rom, du juif… La peur de cette régression détermine elle-même des politiques qui favorisent cette régression. La formule de Manuel Valls sur la guerre des civilisations est une idée dont l’exagération est fausse. Il y a autant de symbioses de civilisation que de phénomènes d’hostilité.

En 2012, vous appeliez de vos vœux à reconnaître une « France une et multiculturelle » dans un essai co-écrit avec Patrick Singainy (et Marc Cheb Sun, Eva Joly, Rokhaya Diallo, Pascal Blanchard…).

J’ai toujours dit, sans être écouté, que si l’on regarde l’Histoire, la France est un pays multiculturel qui réussit à intégrer cette diversité au cours des siècles. L’arrivée d’immigrés ne fait que continuer cette histoire avec un sceau qualitatif différent. Au départ, les Alsaciens, les Bretons, les Basques étaient des peuples totalement différents les uns des autres. La France multiculturelle n’est pas une invention. Ça a pris un nouvel essor. On ne doit pas réécrire l’Histoire de France mais introduire cette vraie histoire, sans en camoufler les autres aspects. À ce moment, les descendants d’immigrés comprendront qu’ils en font partie.

Dans La voie, vous militez aussi pour la création de maisons de solidarité…

Elles visent les solitudes. Pour les maladies, il y a déjà des services médicaux. Mais il y a des douleurs morales et des solitudes atroces. Notamment chez les vieilles personnes seules. Il faut relancer la solidarité chez les jeunes en créant un service civique de solidarité. Le mouvement convivialiste part d’une idée juste : retrouver des convivialités qui existaient localement, qui ont disparu et qu’il faut recréer.

Vous qui venez de publier un essai Avant pendant et après le 7 janvier, comment avez-vous réagi lors des attentats du 7 janvier?

Par étapes. Le 7 a évidemment été terrifiant. Le 11 manifestait une grande sensibilité contre cette tuerie et pour le droit à l’irrespect de la presse. Cette manifestation de juste émotion n’était pas fondée sur une idée structurante. De même, les Printemps arabes étaient des moments merveilleux qui se sont dissous, faute d’idées pour les guider. Je savais que ça retomberait. À la différence de mon ami philosophe Patrick Viveret, qui croyait que ça conduirait à une fête de la fraternité tous les onze de chaque mois ! Cette Une de Charlie qui recommençait à caricaturer le prophète Mahomet m’a frappé. Le « Je suis Charlie » a pris un sens nouveau. À l’époque des caricatures de Mahomet, j’ai écrit un article dans « Le Monde » dans lequel j’assumais ma position contradictoire. Je suis pour la liberté d’expression. Et en même temps pour la responsabilité dans l’offense faite à ce qui est sacré pour autrui. C’est aux journalistes de prendre leurs responsabilités. Il y a eu un effet négatif de cette Une de Charlie dans le monde qui a, en quelques sortes, transformé le « Je suis Charlie » en quelque chose d’agressif.

Cette vague d’islamophobie a été alimentée par des coïncidences : le moment Zemmour avec Le suicide français, le livre Soumission, dont l’auteur Michel Houellebecq est islamophobe. Des articles de plus en plus violents dénonçant le caractère musulman des terroristes. L’accroissement de la vague islamophobe favorise un climat d’antijudaïsme qui, à son tour nourrit l’islamophobie. J’ai fait un tweet, critiqué par les inconditionnels d’Israël, parce que j’y dis que le jihadisme, la rétraction nationaliste…et Netanyahu essayent de disloquer l’unité française. Je voulais dire que Netanyahu appelait les juifs français à émigrer en Israël. On m’a traité d’antisémite bien que je sois moi-même d’origine juive. Je suis du peuple maudit mais j’ai toujours refusé de faire partie du peuple élu.

Dans ce contexte, que pensez-vous du projet de loi sur le renseignement voté le 24 juin dernier ?

Tout cela est très régressif. Le contexte post-11 janvier a motivé cette loi sur le renseignement, ce « patriot act » à la française qui n’est peut-être pas particulièrement dangereux aujourd’hui, mais contient en lui tous les éléments d’un système de surveillance très strict qui fonctionne déjà aux États-Unis. On a déjà vu que leur manie de surveillance avec la NSA dépasse tout ce qu’on peut imaginer, parce que même Chirac, Sarkozy et Hollande en ont été dégoûtés !

Votre ami Stéphane Hessel disait « Indignez-vous », mais il a aussi écrit Engagez-vous. S’indigner ne suffit plus?

L’indignation est un moment qui a besoin d’être dépassé par une prise de conscience et une lucidité. Tout dépend de quoi on s’indigne. Les fanatiques du FN s’indignent de la venue des immigrés en France. Ils trouvent que la France se corrompt. C’est une indignation fausse. Je crois à la nécessité d’une nouvelle conscience politique, d’une nouvelle pensée. Ça dépasse la politique, au sens banal du terme. C’est une remise en cause de notre civilisation. Si on prend le problème écologique au sérieux, comme le pape l’a fait dans un très bel encyclique, nos comportements et notre vie quotidienne doivent changer. On doit prendre conscience de ça aujourd’hui. Le refus de Syriza et d’autres de ce diktat de l’argent exprime l’aspiration à une autre civilisation.

Avec Tariq Ramadan, intellectuel classé « infréquentable » par certains, à qui l’on prête un double discours, vous avez écrit Au péril des idées. L’idée que l’islam et la république sont compatibles, par exemple?

Le Tariq Ramadan que j’ai rencontré est d’accord pour respecter les règles démocratiques et défendre l’idée d’un islam européen. La seule chose sur laquelle on n’a pas débattu, c’est qu’il est un croyant et pas moi. Du moins pas en une religion révélée. C’est la grande différence. La religion est une question inaccessible si l’on n’a pas une culture historique. L’incompatibilité de l’islam dans la démocratie française doit être mesurée à l’aune de l’incompatibilité de l’Église du 13ème siècle. Celle des Croisades en Terre Sainte, contre les Albigeois, de l’Inquisition. Cette Église de l’intolérance condamnait encore à mort sous la Restauration. On ignore que le christianisme s’est montré d’un sectarisme et d’un fanatisme sans bornes. L’islam historique a toujours – avec un statut subalterne – toléré les chrétiens et les juifs. Il n’a jamais voulu les éliminer. Alors que l’Occident chrétien éliminait les Juifs en 1492, et les Morisques (les musulmans d’Espagne) en 1604. C’est une longue histoire dans laquelle les idées laïques, la démocratie, ont fait régresser le pouvoir de la religion sur la vie privée-et non publique. Ça a permis une évolution dans laquelle l’Église, dans sa majorité s’est ralliée à cette situation.

D’où vient, selon vous, la montée de courants intégristes religieux dans certains pays arabes ?

Les pays arabes, qui ont été colonisés par l’Empire ottoman et par les Occidentaux, ont connu des expériences décevantes à la décolonisation. Elles ont souvent conduit à des dictatures de parti unique comme le parti Baas en Irak, ou le parti de Nasser en Égypte, en dépit de certains aspects relativement positifs de sa dictature. Le socialisme, la démocratie ont échoué. S’est greffé le côté individualiste et capitaliste de l’Occident dans une société où les solidarités sont détruites, où règnent déjà des pouvoirs quasi féodaux. Ces pays sont dans une situation historique dramatique. Dans ces conditions, une minorité s’est fourvoyée dans le jihadisme. En Europe aussi il y a eu des factions violentes : les Brigades rouges et noires en Italie, la Bande à Baader en Allemagne. Avec cette idée messianique et absolutiste que, par la violence, on réveillera un monde nouveau.

Ça explique le chaos actuel ?

Sur Daesh comme sur l’Irak et l’Afghanistan, l’Occident n’a fait que des erreurs. Pour faire une coalition efficace contre Daesh, il ne faut pas la présenter comme animée par l’Occident, comme une caricature des Croisades. Si on veut lutter efficacement, on ne dit pas qu’il n’y aura pas de troupes terrestres, en se bornant à des frappes aériennes qui touchent surtout les civils. Il faut unir les forces semi-barbares, la Russie l’Iran, peut-être la Chine, contre les forces barbares. Il faut une vraie coalition sous l’égide de l’ONU. Pas cette coalition d’une armée irakienne en décomposition qui, dans sa fuite, livre toutes ses armes à Daesh. On a prétendu reconstruire l’unité de l’Irak qui est complètement désintégrée. Les Kurdes ont fait sécession. On ne voit pas comment chiites et sunnites vont s’entendre. La Syrie est complètement décomposée. La seule réponse au Califat est une grande confédération du Moyen-Orient. Quelque chose qui reviendrait à Lawrence d’Arabie, à la Préhistoire des accords Sykes-Picot de 1916. Cela permettrait aux différentes religions de cohabiter: les chrétiens, les variantes de l’islam comme l’ismaélisme2. Et pourquoi pas les Juifs… Même si ce n’est pas possible aujourd’hui.

On n’a pas de moyen de paix et on provoque toujours le contraire de ce qu’on voulait. En Afghanistan, on a talibanisé le pays en voulant le détalibaniser ; en Irak, on l’a daeshisé… Pourquoi un tel aveuglement ? Pendant mon adolescence j’ai connu l’aveuglement collectif des élites qui allaient vers la Seconde guerre mondiale sans le savoir. Le principal crime des accords de Munich en 1938 n’est pas d’avoir abandonné les Sudètes à l’Allemagne nazie. C’est d’avoir montré à Staline que les Occidentaux voulaient jeter Hitler contre la Russie, le poussant à signer le pacte germano-soviétique qui a provoqué la catastrophe. Sans parler de l’aveuglement des militaires pendant la guerre de 40. Au Moyen-Orient l’Europe a fait une politique stupide à la remorque des Américains. Ce n’est qu’aujourd’hui que des commentateurs des médias américains commencent à dire : « On a fait des erreurs. On n’a pas envoyé de troupes à terre. On a causé des dommages collatéraux. On a abouti à l’échec. » Les alertes ne servent à rien. On est dans une période d’aveuglement qui continue.

Les décideurs manquent-ils de courage politique ?

Pas seulement de courage ! On manque d’intelligence, de la conscience politique des événements et du cours malheureux qu’ils prennent. Hubert Védrine a écrit des articles frappés au coin du bon sens. Mais il n’est pas ministre des affaires étrangères. Laurent Fabius s’obstine à vouloir frapper au maximum l’Iran en évitant l’accord sur le nucléaire. Je ne comprends pas ça ! Par ailleurs, il semble vouloir arranger les choses entre Palestiniens et Israéliens. Ce qui, dans les conditions actuelles, n’est pas possible. Tout ce qui est commandé par les impératifs de Netanyahu contre l’Iran est une façon de détourner l’attention du problème palestinien. Même si l’Iran faisait une bombe atomique – Chirac l’a dit -, elle n’aurait pas fait deux-cent mètres qu’Israël anéantirait l’Iran ! Il y a une fantasmagorie politique et des évidences dont on ne parle pas, parce qu’on en est terrifiés ou qu’on ne veut pas les voir!

On connaît votre attachement pour le Maghreb. Le 26 juin, l’attentat de Sousse a été un autre choc pour vous…

J’étais en Tunisie en mai pour recevoir le prix Ibn Khaldoun de sciences humaines à Tunis. Tout devrait militer à réunir ces trois pays du Maghreb. Tout contribue à les séparer. L’isolement de la Tunisie est tragique. Elle a réussi à se doter d’une constitution démocratique. Le président Beji Caid El Sebsi a été assez habile pour atténuer la gravité du conflit entre laïcs et extrêmes religieux. Dans une telle situation de navigation à vue, la Tunisie est seule. Pour les autres pays arabes, c’est le contre-exemple démocratique à démolir. Ce n’est pas par hasard que la Tunisie est frappée dans son tourisme. Ce qui est une de ses principales ressources a commencé à se tarir après l’attentat du musée du Bardo. Peut-être que, suite à l’attentat de Sousse, la France a fait un geste économique. Mais on sent que l’Europe se fout de la Tunisie, ne la soutient pas ! J’ai très peur pour ce pays. La sagacité du président ne suffit pas dans ces grandes tempêtes. Récemment, l’état d’urgence été décrété. Non seulement la Tunisie a un problème terrible avec cette hémorragie touristique, mais c’est la voisine de la Libye, un pays en plein chaos livré au terrorisme.

Quant à vous, quels sont vos projets ?

J’ai sorti un livre récemment, L’aventure de la méthode, qui est un peu l’aventure de ma vie. J’y résume l’essentiel de mon message. Il y a aussi l’ouvrage Pensées complexes pensées globales, qui doit sortir cet automne et synthétise mes conférences à la Maison des sciences de l’Homme. J’espère aussi confédérer les mouvements de rénovation, de civilisation, qui existent en France pour créer une force, différente de Podemos et Syriza, qui apporte du sang nouveau et de la pensée nouvelle à la politique. C’est ça mon dernier espoir !

 

Lire aussi sur The Dissident : Vangelis Goulas (Syriza France) : « Les actes de nos partenaires de la zone euro relèvent de la guerre économique »

Le chemin de l’espérance3 est donc toujours ouvert ?

Il n’a jamais été fermé, mais il est improbable !

 

Notes :

1 Parti socialiste unifié fondé en 1960 et dont Michel Rocard a fait partie

2 Courant minoritaire de l’Islam chiite dont font partie les Druzes au Proche-Orient

3 Le chemin de l’espérance est un livre co-écrit par Edgard Morin et Stéphane Hessel (Éd. Fayard, 2011)

19/08/2015

L'Occident, bras armé des dictatures

L’OCCIDENT, BRAS ARME DES DICTATURES

En défendant certains régimes alors qu’ils condamnent leurs voisins, en mettant leurs intérêts commerciaux et militaires devant la défense des droits humains, la France et l’Europe participent à la répression violente de milliers de civils dans le monde arabe.

hollande,dictatures

Triste été pour les droits de l’Homme. Le roi Salmane a occupé la plage de Vallauris et François Hollande la place d’honneur, le 6 août, à la cérémonie d’inauguration du nouveau canal de Suez, véritable sacre à la gloire du général Al-Sissi et de la coopération militaire franco-égyptienne. Le président français s’est rendu sur place en compagnie des patrons de l’industrie aéronautique et militaire. Un ballet estival qui résume à lui seul les ambitions du gouvernement français pour le monde arabe. Car, outre les 24 Rafale, la frégate Fremm et les missiles vendus à l’Égypte au nom de la lutte contre le terrorisme (dans laquelle des milliers de civils égyptiens ont déjà été assassinés), la France exporte, en toute connaissance de cause, pour des millions d’euros, des armes et des munitions similaires à celles déjà utilisées par l’armée égyptienne pour massacrer des milliers de manifestants. Au nom de la soi-disant « lutte contre le terrorisme », les démocraties occidentales qui rivalisent pour armer l’Égypte et d’autres régimes autoritaires, participent en réalité à la plus importante offensive contre les sociétés civiles jamais lancée dans le monde arabe. Civils, opposants pacifiques, laïcs, défenseurs des droits humains, activistes, journalistes, juristes, intellectuels : en Égypte, en Arabie Saoudite, au Bahreïn et ailleurs, comme en Syrie, ce sont aussi ces acteurs clé et incontournables d’une possible transition démocratique qui sont visés par les régimes en place.

Mais alors que l’on constate l’avènement, à l’Élisée, d’un « néoréalisme » en phase avec les nouveaux enjeux sécuritaires, ne revenons pas sur les dizaines de milliers de prisonniers politiques, les centaines de condamnations à mort et de disparitions forcées dans une Égypte aujourd’hui livrée sans garde-fous au contrôle des forces de sécurité, à la presse muselée, la justice aux ordres et aux élections parlementaires repoussées sine die à plusieurs reprises.

Tenons-nous en à des considérations purement stratégiques sur « l’intérêt national », invoqué à l’envi pour justifier un partenariat privilégié avec le régime égyptien. Cet « intérêt » qui justifie de condamner la dictature de Bachar al-Assad tout en soutenant celle d’Abdel Fattah al-Sissi, de prétendre lutter contre l’islamisme tout en soutenant le régime saoudien.

Voir un gage de stabilité dans un régime soutenu à bout de bras par les gérontocraties pétrolières du Golfe, un régime dont le président renchérit sur la répression exercée par son prédécesseur, lui-même déposé quatre ans plus tôt par un gigantesque mouvement populaire inattendu, relève de la haute voltige intellectuelle. Comme l’a rappelé justement le célèbre défenseur des droits de l’Homme égyptien Bahey el-Din Hassan dans les colonnes du New York Times, l’idée d’une Égypte autoritaire mais stable et forte, qui assurerait le contrôle de son territoire et serait la clé de voûte de la sécurité régionale, est un mythe. C’est en Syrie et en Irak, rappelle-t-il, dans les pays qui ont été soumis aux pires décennies de répression politique et où des régimes autoritaires ont démantelé méthodiquement les institutions d’État, que l’avènement de Daech a été rendu possible.

Quinze ans de « guerre contre le terrorisme » se sont soldés par un échec cinglant au terme duquel les jihadistes ont mis la main sur des pans entiers de la Syrie, de l’Irak et du Yémen. Aujourd’hui présents en Libye et au Nigeria, ils menacent ouvertement les villes européennes et américaines. Quatre millions de réfugiés syriens ont fui leur pays, soumis à une boucherie menée par Bachar al-Assad, véritable défi à la stabilité régionale. La Méditerranée est devenue un vaste cimetière où près de 2 000 demandeurs d’asile fuyant la guerre, la répression et la misère, ont trouvé la mort en moins de sept mois (trente fois plus que l’année dernière à la même période).

Soutenir des dictatures sous prétexte de sécurité et de stabilité n’est pas seulement une preuve de mépris pour les peuples de la région, c’est surtout un déni criant des réalités régionales. N’en déplaise aux thuriféraires d’un « néoréalisme » sécuritaire : la défense des droits de l’Homme a été, en 2011, la pierre angulaire du plus important mouvement de masse de l’histoire du monde arabe moderne.

Le gouvernement français semble désormais soutenir une équation nauséabonde et trompeuse qui opposerait une diplomatie des intérêts à une diplomatie des valeurs, la sécurité –y compris celle de l’emploi d’un fonctionnaire de la Défense ou d’un ouvrier de Saint-Nazaire–, au droit à la vie d’un opposant égyptien.

L’intérêt national des Français comme des Européens, est aussi défini par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, il a la particularité d’être universel : la liberté et l’égalité de tous les êtres humains.

Il est impossible de gagner le long combat contre le terrorisme dans la région sans s’assurer que le droit à la dignité, à la sécurité et à l’intégrité physique des citoyens arabes a la même valeur que celui de n’importe quel citoyen européen : qu’il est inaliénable et fondamental.

Il est impossible à la France comme à l’Europe de prétendre consolider durablement leur influence sans comprendre dans la défense de leurs intérêts celle, obstinée, quotidienne, des valeurs universelles et des millions de citoyens qui s’en prévalent au prix fort.

Françoise Dumont, présidente de la LDH,
Karim Lahidji, président de la FIDH

02/08/2015

Surveillance de tous les citoyens : le gouvernement a désormais carte blanche

Lorsqu'un État s'attribue les pleins pouvoirs, les libertés publiques sont-elles protégées ? Comment appelle-t-on le type de régime qui met en pratique cette façon de "gouverner" ?...

A Manosque, la LDH avait mobilisé autour de la loi "Renseignement" et avait envoyé un courrier aux parlementaires pour qu'ils s'abstiennent d'aller à l’encontre des recommandations tous azimuts qui leur parvenaient. Le 30 avril, une réunion publique se tenaient dans la petite salle du théâtre Jean Le Bleu pour en exposer le détail suite à une série de notes diffusées ici : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 ....

loi renseignement

Réponse du sénateur et ...

Réponse de la LDH de Manosque à Jean-Yves ROUX, Sénateur des AHP :

Monsieur le Sénateur,

Nous vous remercions pour votre courrier en retour qui fait suite au vote de la Loi Renseignement (24/06) laquelle a motivé nos interrogations et alarmes sans que cela puisse, hélas,  influer sur votre détermination à soutenir une loi liberticide digne d'un État totalitaire type « 1984 », ni vous amener à imaginer les répercussions désastreuses qu’elle peut entraîner.

Si, au terme de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est admis que ce dernier puisse concourir par lui-même à l’élaboration de la loi, encore faudrait-il pour cela qu’il soit entendu et que ses arguments soient projetés dans le débat.
Or de « débat » il n’y eut pas et nous regrettons sincèrement que vous n’ayez pu prendre part à celui que nous avions organisé localement avec Maryse Artiguelong (30/04), co-animatrice de l’Observatoire des Libertés et du Numérique. Vous auriez pu y confronter votre point de vue en toute indépendance et cela nous aurait éclairé sur l’idée que vous vous faites des libertés individuelles.

L’avis du Conseil Constitutionnel (23/07), saisi par le président de la République, et qui n’a censuré le texte qu’à la marge ne devrait pour autant pas vous conforter dans votre aveuglement.
En refusant d'instaurer un contrôle effectif des services de renseignement, le Conseil Constitutionnel consacre en fait et de fait un recul historique de la vie privée et de la liberté de communication. Il contribue ainsi à saper encore un peu plus les fondements même de la démocratie.

C’est aussi ce que constate le Comité des droits de l’homme de l’ONU dans son rapport  du 21 juillet dernier lorsqu’il préconise que l’État devrait « veiller (…) à garantir l’efficacité et l’indépendance du système de contrôle des activités de surveillance, notamment en prévoyant que le pouvoir judiciaire participe à l’autorisation et au contrôle (…) ».
D’où cette question : … Pourquoi donc le pouvoir judiciaire est-il absent du dispositif ? …

Quant à la menace terroriste dont vous tirez argument, vous comprendrez bien qu’à trop vouloir l’agiter, on finisse par la banaliser ou par l’attiser sans pour autant s’offrir de moyens de la conjurer.
Mais là n’est sans doute pas le problème de l’actuel pouvoir exécutif dont vous semblez être étonnamment tributaire !…

Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Sénateur, etc, etc.

Surveillance de tous les citoyens : le gouvernement a désormais carte blanche
(Communiqué national de la LDH)

Le Conseil constitutionnel a rendu, jeudi 23 juillet, une décision historique par son mépris des libertés individuelles, du respect de la vie privée et de la  liberté d’expression. Les « sages » ont choisi de faire l’économie d’une analyse réelle de la proportionnalité des lois de surveillance et démontré ainsi leur volonté de ne pas enrayer le jeu politique, pour finalement endosser le rôle de chambre d’enregistrement.

Pourtant, le Conseil constitutionnel avait reçu de nombreuses contributions des organisations citoyennes, via la procédure de la porte étroite, appelant à une analyse en profondeur de la loi et une censure de nombreuses dispositions, à commencer par les trop nombreuses et trop larges finalités.  Bien sûr, le Conseil constitutionnel donne les limites de chacune des finalités, en renvoyant aux différents articles des différents codes (pénal et de procédure pénale, de la défense et de la sécurité intérieure). Toutefois ces finalités restent si larges que toute « atteinte à l’ordre public », comme la participation à une manifestation, peut faire l’objet d’une technique de renseignement. Ainsi, il reviendra aux services de renseignement puis à la CNCTR de définir dans l’urgence ce qui entre dans le champ des finalités, sans aucun contrôle judiciaire.

Par ailleurs, la validation de la mise à l’écart du juge affaiblit profondément le principe de séparation des pouvoirs, qui constitue pourtant une garantie démocratique fondamentale. Le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, est totalement écarté. Quant au Conseil d’État, il pourra en principe être saisi de plaintes par les citoyens, concernant des procédures qui leur sont inconnues, puisque secrètes par nature. C’est dire si l’on est loin d’un droit de recours effectif!

Sur les techniques de renseignement, le Conseil constitutionnel choisit la démonstration par la tautologie : pur écho au gouvernement, il affirme que « ces dispositions ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée ». Quant aux risques liés au fonctionnement des algorithmes et aux faux-positifs, il se garde bien d’en mesurer les effets.

Le Conseil constitutionnel ne s’inquiète pas davantage du secret professionnel des avocats et parlementaires ou du secret des sources des journalistes. Il ne craint pas d’écrire que la collecte des métadonnées, dès lors qu’il ne s’agit pas du contenu des correspondances, ne porte pas atteinte au droit au secret des correspondances et à la liberté d’expression. Ainsi, il fait fi de la quasi-impossibilité de déterminer, par avance, si les données interceptées relèvent d’échanges professionnels ou personnels.

Ce n’est pourtant pas faute d’arguments juridiques étayés, ni de décryptages techniques mis à sa disposition par de nombreux mémoires - http://www.fdn.fr/pjlr/amicus1.pdf ou http://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2015/07/Obse....
Pour n’avoir pas voulu voir la réalité concrète d’une terminologie nébuleuse – ce que sont, et ce que produisent un IMSI catcher ou une « boîte noire » – et pour n’avoir pas voulu la confronter, dans une analyse systématique, avec les articles de la Constitution qui consacrent pourtant la séparation des pouvoirs, le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel signe ici une double démission.


Ce ne sont finalement que les quelques dispositions qui crient à l’inconstitutionnalité – dont la surveillance internationale sans aucun contrôle de la CNCTR – ou qui heurtent des principes purement formels – une disposition budgétaire que l’on devra ranger dans la loi de finance plutôt que dans une loi ordinaire – qui ont retenu l’attention de la plus haute juridiction française. Le message est clair : le Conseil constitutionnel n’est pas un frein au « progrès décisif » (selon l’expression de Manuel Valls) que constitue la surveillance généralisée de la population.

L’Observatoire des libertés et du numérique condamne fortement cette dérive vers une société panoptique où tous les citoyens seront susceptibles d’être surveillés, et qui témoigne du naufrage d’un pouvoir aux abois prêt à bafouer les valeurs fondamentales de la République et œuvrant contre l’intérêt de tous en manipulant les peurs. Cette défaite doit résonner comme un appel pour tous les citoyens : mobilisons-nous toujours plus pour défendre nos libertés !

Signataires : Observatoire des libertés et du numérique (OLN) (Cecil, Creis-Terminal, LDH, La Quadrature du Net, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France)

Paris, le 29 juillet 2015

01/08/2015

Exil

Exil par Angélique Ionatos, août 2015

Les poètes sont en exil. Dans notre monde soumis à une nouvelle barbarie, celle de la ploutocratie, il faut les interroger pour retrouver la mémoire et l’utopie tout à la fois. Ce sont eux qui veillent sur notre humanité.

Ma « belle et étrange patrie (1) », qui a déposé une terre si fertile sur mes racines, m’a enseigné que la poésie depuis toujours nourrit le chant. Et ce chant peut devenir un cri.

Exil, Angelique Ionatos
Abdallah Benanteur, Odysseus Elytis, Poèmes, 2004. Livre en feuilles, poèmes en français

 

C’est le hasard qui nous fait naître dans un pays plutôt que dans un autre. Et c’est l’exil qui nous fait prendre conscience de notre identité culturelle.

Je n’ai pas choisi l’exil ; je l’ai subi et j’en ai souffert.
Pour m’intégrer —donc pour survivre— sur la terre « d’accueil », il m’a fallu pour quelque temps renoncer à mon identité. Et, pour commencer, il fallait apprendre la langue étrangère, sinon on n’existe pas.

 
Notre monde occidental est, à tort ou à raison, logocentrique. Il s’installe donc une distance (physique et mentale) entre nous, expatriés, et notre pays d’origine. C’est précisément cette distance qui nous dispensera au fil du temps des richesses insoupçonnées. Entre autres, celle de la redécouverte de notre patrie.

Ce qui m’a aidée à supporter l’exil lorsqu’il devenait trop lourd, ce fut la poésie. « Grecque me fut donnée ma langue, humble ma maison sur les sables d’Homère. Unique souci ma langue sur les sables d’Homère (2). »

Lorsque j’ai enfin commencé à bien comprendre et parler le français, j’ai pu me tourner vers le grec et le redécouvrir dans toute sa beauté, sa singularité, sa richesse et sa liberté.

En 1992, je recevais d’Odysseus Elytis un petit livre à la couverture bleue cartonnée, dont le titre était gravé en rouge. Sous le titre, il y avait le dessin d’une sirène tenant dans une main un bateau et dans l’autre un poisson. Le poème s’intitulait « Parole de juillet » (3). Ce titre a tout de suite sonné dans ma tête comme « Parole d’honneur ! ».

Et j’ai commencé à le mettre en musique. C’est devenu une élégie ; mais une élégie solaire. La couleur du deuil serait blanche. Le thrène (4) se déroulerait en plein midi avec la déloyale et stridente concurrence des cigales. « Une cigale qui a su convaincre des milliers d’autres, la conscience éblouissante comme un été (5). »

Voici les premiers vers de « Parole de juillet » : « Mesuré est le lieu des hommes, et les oiseaux ont reçu le même, mais immense ! » Et plus loin : « Le Soleil sait. Il descend en toi pour regarder. Car l’extérieur n’étant que reflet, c’est dans ton corps que la nature demeure et de là qu’elle se venge. Comme dans une sauvagerie sacrée pareille à celle du lion ou de l’Anachorète Ta propre fleur pousse que l’on nomme Pensée. »

Depuis quelques mois, mon pays se trouve au cœur de l’actualité. J’entends et je lis des commentaires qui souvent me blessent. Or je connais la situation tragique dans laquelle se trouvent mes compatriotes, pour l’avoir vue de près. Dans ma ville, Athènes, où les murs crient leur misère, mais aussi dans ma propre famille. L’humiliation est terrible ! C’est pour cela que j’ai eu le désir de parler des poètes, ces autres exilés. J’ai eu le désir de remettre leur parole au cœur de cette tourmente. Et de vous en faire cadeau.

Le premier devoir d’un artiste est de témoigner de son temps. Et de résister ! « Chacun selon ses armes », dit le poète Elytis. Pour redonner espoir et dignité.

Souvent je me sens découragée parce qu’impuissante face à tant de malheur. Parfois même je suis tentée de me taire.

Alors, je lis mes poètes. Leurs mots jamais ne s’oxydent à l’haleine du désespoir. Leur parole est politique et souvent prophétique. Et voilà que l’espoir revient comme « un chant de maquisard dans la forêt des aromates (6) ».

Angélique Ionatos

Chanteuse, guitariste et compositrice. Elle a quitté la Grèce des colonels en 1969.

(1) Titre d’un poème d’Odysseus Elytis (1911-1996), poète grec, Prix Nobel de littérature 1979.

(2) Odysseus Elytis, Axion Esti, Gallimard, Paris, 1996 (1re éd. 1987).

(3) Du recueil Les Elégies de la pierre tout-au-bout, 1991.

(4) Lamentation chantée lors des funérailles.

(5) Odysseus Elytis, poème Glorificat.

(6) Níkos Gátsos (1911-1992), Amorgos, Desmos, Paris, 2001.

14/07/2015

Mémorandum, autant prendre les devants !

On en aurait presque oublié que le gouvernement Hollande, comme pour la Grèce, est prêt à jouer les intermédiaires entre son premier ministre, le Conseil constitutionnel et le peuple. Alors autant prendre les devants !

renseignement

Loi renseignement : des organisations déposent un mémoire au Conseil constitutionnel

Communiqué commun

Les organisations de défense des droits de l’Homme et des libertés, Amnesty International France, le Centre d’étude sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés (Cecil), le Centre de coordination pour la recherche et l’enseignement en informatique et société-Terminal (Creis-Terminal), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (Saf) et le Syndicat de la magistrature (SM) ont soumis au Conseil constitutionnel un mémoire suite aux saisines du Conseil sur la loi sur le renseignement.

Elles entendent attirer l’attention du Conseil sur les vices d’inconstitutionnalité de cette loi et lui demandent de la déclarer contraire à la Constitution.

Le mémorandum en Pdf

Paris, le 10 juillet 2015

13/07/2015

Imbécile heureux

Depuis B. Brecht, la fabrique de l’extrême droite tourne à nouveau à plein régime avec un gout prononcé pour une autodestruction obsessionnelle sur le modèle de l’ignoble Wolfgang Schäuble, avec un regain d’hypocrisie, une honte dissimulée prélude au négationnisme, associée à des controverses sans issue et à des délires de toutes sortes.
Il est trop tôt pour reprocher quoique-ce soit à Alexis Tsipras. Qu’aurions-nous fait à sa place sachant que la Grèce toute entière exceptée ses propres naufrageurs n’espérait rien tant que le pain et l’eau. La survie.


« Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricots et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »

Grèce, Tsipras
La Résistible ascension d'Arturo Ui
L' Attroupement 2 – 1985 Châteauvallon

Et puis, ce faisant, « le politicien malhonnête, menteur et corrompu (…) », resté dans l’ignorance de ce qu’un peuple peu à peu plongé dans une misère tiédasse peut ou ne peut même plus ressentir, mais qui a bien vu tout le parti qu’il pouvait encore en tirer, n’hésite pas à introniser un fascisme nouveau, un nouvel iceberg, mésestimé dans sa capacité destructrice mais bien réel. Pour la Grèce, la partie visible de cet iceberg porte un nom : « Aube Dorée ». Et ici ?…
Nous pouvons toujours pleurer pour nos ancêtres grecs.
Aujourd’hui rien n’y fera, mais nous aurons toujours à charge de leur succéder.

06/07/2015

Ré-oxygéner le débat sur la dette

Après la victoire de l'OXI, la Grèce n'est pas sortie des négociations donc des difficultés à faire comprendre un certain nombre d'évidences parfaitement ignorées voire sciemment contredites comme par exemple "les autres peuples européens ne paieront pas pour les Grecs" ! Ce type d'argument, pour le coup "populiste" et qui s'adresse aux opinions publiques pour les contraindre, révèle un fort taux de mauvaise foi.
Le guide p
ublié
par devrait pouvoir ré-oxygéner le débat sur la dette et contribuer à réduire son inquiétante obésité.

Dette, collectif pour un audit citoyen, grèce

Grèce : petit guide contre les bobards médiatiques

Malgré l’ingérence et la pression des dirigeants de l’Union Européenne, le peuple grec a décidé de prendre courageusement son destin en main et d’en finir avec les politiques d’austérité qui ont plongé le pays dans la misère et la récession. Dans les pays victimes de la Troïka, mais aussi dans de nombreux autres pays européens, cette victoire est perçue comme un formidable encouragement à lutter pour mettre un terme à des politiques profitables aux marchés financiers et désastreuses pour les populations.

Mais déjà les grands médias relaient l’idée absurde selon laquelle l’annulation de la dette grecque « coûterait 600 euros à chaque contribuable français ». À mesure que les négociations vont se durcir entre la Grèce et la Troïka, la propagande va s’intensifier et notre travail d’éducation populaire sur la question de la dette publique va devenir de plus en plus décisif. Ces réponses aux idées reçues sur la dette grecque ont vocation à y contribuer. (Version PDF)

Idée reçue n°1 : Annuler la dette grecque: 636 € par Français ?

Le discours officiel sur la Grèce

« Il n’est pas question de transférer le poids de la dette grecque du contribuable grec au contribuable français » (Michel Sapin, ministre de l’Économie, Europe N°1, 2/02), « une ardoise de 735 € par Français » (Le Figaro, 8 janvier), 636 € selon TF1 (2 février).

Pourquoi c’est faux ?

La France est engagée à la hauteur de 40 milliards € par rapport à la Grèce : une petite partie a été prêtée à ce pays dans le cadre de prêts bilatéraux, le reste (environ 30 milliards d’euros) étant apporté en garantie au Fonds européen de solidarité financière1 (FESF), lequel a emprunté sur les marchés financiers pour prêter à la Grèce.

Dans les deux cas ces prêts sont déjà comptabilisés dans la dette publique française (environ 2000 milliards €). Leur annulation n’augmenterait donc pas la dette.

La France devra-t-elle débourser ces sommes en cas d’annulation de la dette grecque ? Non, car en fait, la France, comme la plupart des pays, ne rembourse jamais vraiment sa dette. Lorsqu’un emprunt vient à échéance, la France le rembourse en empruntant de nouveau. On dit que l’État fait « rouler sa dette ».

La seule chose que perdraient les contribuables français, ce sont les intérêts versés par la Grèce, soit 15 € par Français et par an2.

La BCE pourrait résoudre facilement le problème de la dette grecque. Elle pourrait rayer d’un trait de plume les 28 milliards qu’elle détient. Elle pourrait racheter aux institutions publiques (États, FESF) les titres grecs qu’ils détiennent, et les annuler également. Ou bien les transformer – comme le demande la Grèce – en obligations perpétuelles, avec un taux d’intérêt fixe et faible, et pas de remboursement du capital. De toute façon une banque centrale ne court aucun risque financier puisqu’elle peut se refinancer elle-même par création monétaire.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

En France aussi la dette publique est insoutenable et ne pourra pas être remboursée. Les taux d’intérêt sont très faibles aujourd’hui ? Oui, mais c’est parce que la France mène une politique d’austérité qui plaît aux marchés financiers. C’est aussi parce que les investisseurs financiers ne veulent plus courir le risque d’investissements dans le secteur productif. Pour en finir avec cette politique en France et en Europe, il faudra aussi alléger le poids des dettes, d’une façon ou d’une autre : restructuration, remboursement partiel par un prélèvement exceptionnel sur les grandes fortunes, annulation partielle… toutes les hypothèses doivent être étudiées et faire l’objet de choix démocratiques.

Idée reçue n°2 : Quand on doit, on rembourse ?

Le discours officiel sur la Grèce

« La Grèce devra rembourser sa dette » (Michel Sapin, 2 février) « Une dette est une dette. Rembourser est un devoir éthique pour un État de droit » (Marine Le Pen, 4 février)

Pourquoi c’est faux ?

Sauf rares exceptions, un État ne rembourse pas sa dette : il ré-emprunte pour faire face aux échéances. Au budget de l’État figurent les intérêts de la dette, jamais le remboursement de la somme empruntée (le principal). Contrairement à un particulier, l’État n’est pas mortel, il peut s’endetter sans fin pour payer ses dettes. C’est la différence avec l’emprunt d’une mère de famille qui, elle, est obligée de rembourser sa dette.

Mais quand les marchés financiers ne veulent plus prêter à un État, ou exigent des taux d’intérêt exorbitants, et que l’Etat n’a plus accès à la création monétaire de la Banque Centrale de son pays, les choses se gâtent. C’est pourquoi en 2011, quand les banques ont pris peur devant les difficultés de la Grèce, la BCE et les États européens ont du lui prêter.

C’est ce qui leur permet aujourd’hui d’exercer un brutal chantage en menaçant de couper les crédits à la Grèce si son gouvernement maintient les mesures anti-austérité promises aux électeurs: hausse du SMIC et des retraites, ré-embauche des fonctionnaires licenciés, arrêt des privatisations.

De nombreuses expériences historiques de pays surendettés (Allemagne 1953, Pologne 1991, Irak 2003, Équateur 2008, Islande 2011, Irlande 2013…) ont pourtant abouti à la même conclusion : quand la dette est trop lourde (190% du PIB pour la Grèce !), il faut l’annuler et/ou la restructurer pour permettre un nouveau départ.

Chacun sait – même le FMI et la BCE – que l’actuel fardeau de la dette est trop lourd pour la Grèce. Une renégociation est nécessaire, portant sur une annulation partielle, sur les taux d’intérêt et l’échéancier. Il faut pour cela une conférence européenne sur la dette comme ce fut le cas en 1953 pour la République Fédérale Allemande.

Pour être efficace cette conférence doit pouvoir prendre appui sur les travaux d’une commission internationale et citoyenne d’audit de la dette grecque. Cet audit déterminera quelles est la part légitime de la dette, dont il convient de s’acquitter, même avec taux d’intérêt et des délais renégociés, et la part illégitime, qui peut être contestée.

Est légitime la dette contractée légalement pour financer des investissements ou des politiques profitables à la population. Est illégitime la dette qui n’a pas servi les intérêts de la population, mais a bénéficié à des minorités privilégiées. Selon la jurisprudence internationale, une dette peut même avoir un caractère odieux ou être illégale, selon la façon dont elle a été contractée.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

En France aussi, une démarche large d’audit citoyen est nécessaire pour sensibiliser l’opinion et montrer qui sont les véritables bénéficiaires du système de la dette. Le premier rapport d’audit citoyen publié en mai 2014 a montré que 59% de la dette française pouvait être considérée comme illégitime, de par son origine (taux d’intérêt excessifs, cadeaux fiscaux). Restructurer la dette française dégagerait des ressources pour les services publics, la transition écologique… Nous allons organiser une conférence européenne des mouvements sociaux sur la dette, afin de généraliser la démarche.

Idée reçue n°3 : Les Grecs se sont goinfrés, ils doivent payer ?

Le discours officiel sur la Grèce

La Grèce, c’est une « administration pléthorique, 7% du PIB contre 3% en Europe », une « difficulté à lever l’impôt et à maîtriser les dépenses » (Claudia Senik, économiste)

Pourquoi c’est faux ?

Selon l’OCDE, les fonctionnaires représentaient en Grèce 7% de l’emploi total en 2001, et 8% en 2011, contre 11% en Allemagne et 23% en France (incluant la sécurité sociale). Les dépenses publiques de la Grèce représentaient en 2011 42% du PIB contre 45% (Allemagne) et 52% (France).

Pourquoi donc, avant même la crise financière et la récession, la dette publique grecque était-elle déjà de 103 % du PIB en 2007 ? Une étude récente montre que la flambée de la dette grecque ne résulte pas du tout d’une gabegie de fonctionnaires et de prestations sociales. Les dépenses sont restées globalement constantes en % du PIB, de 1990 jusqu’à 2007. Comme en France, ce sont les taux d’intérêt excessifs et les cadeaux fiscaux qui ont gonflé la dette. Mais en plus, les diktats de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) ont fait plonger le PIB grec de 25 % depuis 2010, ce qui a provoqué mécaniquement une hausse de 33 % du rapport entre la dette et le PIB !

Les taux d’intérêt exigés par les prêteurs entre 1990 et 2000 ont été extravagants : en moyenne 7,5 % (taux réel corrigé de l’inflation), pour une croissance du PIB de 2,5 %. D’où un effet « boule de neige » : l’État grec s’est endetté pour parvenir à payer ces intérêts exorbitants. Si le taux d’intérêt réel était resté limité à 3 %, la dette publique grecque aurait représenté 64 % du PIB en 2007 au lieu de 103 %.

Concernant les recettes publiques, pour remplir le critère de Maastricht sur le déficit maximum de 3%, la Grèce a très fortement augmenté les impôts dans les années 1990 : de 28% à 42% du PIB. Mais dès l’entrée dans la zone euro en 2001, les riches grecs ont fait la fête. Ainsi entre 2004 et 2008 la Grèce a réduit les droits de succession, diminué par deux fois les taux d’imposition sur le revenu et décrété trois lois d’amnistie fiscale pour les fraudeurs (Études économiques de l’OCDE, Grèce 2009). Les recettes fiscales sont retombées à 38% du PIB. Si elles avaient gardé leur niveau de 2000, la dette publique grecque aurait représenté, en 2007, 86 % du PIB au lieu de 103 %.

Au total, avec des taux d’intérêt «raisonnables» et un simple maintien des recettes publiques, la dette grecque aurait été deux fois plus faible en 2007. Autrement dit on peut considérer que la moitié de la dette grecque était illégitime à cette date : elle a découlé d’une ponction opérée par les créanciers, nationaux ou étrangers, et d’une baisse des impôts au bénéfice principal des plus riches. L’explosion de la dette depuis 2007, quant à elle, est entièrement due à la récession infligée par la Troïka. Elle est donc encore plus illégitime.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique a déjà montré que les mêmes mécanismes (taux d’intérêt excessifs et cadeaux fiscaux) expliquent 59% de la dette publique française. En France aussi on pourrait en finir avec les politiques d’austérité si l’on remettait en cause le fardeau de cette dette, par une annulation partielle et / ou des mesures de restructuration.

Idée reçue n°4 : On a aidé les Grecs, ils doivent nous remercier?

Le discours officiel sur la Grèce

« La Grèce doit cesser d’être un puits sans fond » (Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, 12/02/2012)

Pourquoi c’est faux ?

De 2010 à 2013 la Grèce a reçu 207 Milliards d’euros en prêts des États européens et des institutions européennes assortis de plans de réformes. Il s’agirait « d’aides à la Grèce ».

Une étude d’ATTAC Autriche3 décortique les destinations des 23 tranches de financement imposées à la Grèce de 2010 à 2013. 77 % de ces prêts ont servi à recapitaliser les banques privées grecques (58 Mds €) ou ont été versés directement aux créanciers de l’État grec (101 Mds €), pour l’essentiel des banques européennes et américaines.

Pour 5 euros empruntés, 1 seul est allé dans les caisses de l’État grec !

Le mensuel Alternatives économiques (février 2015) complète l’analyse : de 2010 à fin 2014, 52,8 Mds € de ces prêts ont servi à payer les intérêts des créanciers. Seuls 14,7 Mds € ont servi à financer des dépenses publiques en Grèce.

Ces 207 Mds € ont donc beaucoup « aidé » les banques et les créanciers mais très peu la population grecque. Celle-ci, en revanche, doit subir l’austérité imposée par la Troïka (BCE, Commission FMI) lors de la négociation de ces prêts. De plus, l’État grec doit payer les intérêts sur l’intégralité de ces plans d’aide. Il est endetté encore pour 40 ans, jusqu’en 2054 ; 30 Mds € sont à verser en 2015.

Qui sont les véritables créanciers de la dette grecque et qui décide de son utilisation ? Pour une dette totale de 314 Mds €, les créanciers sont : le Fonds européen de stabilité financière (FESF, maintenant remplacé par le MES, 142 Mds) , les autres États européens (53 Mds), le FMI (23 Mds), le secteur privé (39 Mds), la BCE (27 Mds) et d’autres créanciers privés (31 Mds).

Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), entré en vigueur en 2012, gère désormais les prêts aux États de l’UE. Il contracte des prêts sur les marchés financiers et décide de leur affectation (principalement le sauvetage des banques privées). Les acteurs des marchés financiers se financent auprès des banques centrales, dont la BCE, à des taux très inférieurs à l’inflation. Le siège du MES est au Luxembourg, paradis fiscal bien connu.

À aucun moment, l’État grec n’a la main sur les fonds souscrits par le MES. En plus des réformes imposées par la Troïka, les Grecs payent pour des prêts qui ne leur ont pas été versés et qui pour l’essentiel profitent au secteur de la finance !

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Les « aides » bénéficient en fait aux banques et sont payées au prix fort par les populations. Entre satisfaire les besoins fondamentaux (nourriture, logement, protection sociale, santé et éducation) ou engraisser les principaux créanciers, le choix va de soi : la priorité n’est pas le remboursement, mais l’audit des dettes publiques et la clarté sur l’usage des fonds des soi-disant « sauvetages ».

Idée reçue n°5 : La Grèce doit poursuivre les réformes engagées ?

Le discours officiel sur la Grèce

Selon Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, « la Grèce est tenue de continuer sur la voie des réformes déjà engagées, sans aucune alternative, quel que soit le résultat du futur scrutin » (Le Monde 4/01/2014). Ce que François Hollande a confirmé après la victoire de Syriza : « des engagements ont été pris et doivent être tenus » (27/01).

Pourquoi c’est faux ?

L’austérité imposée n’a pas d’autre objectif que de dégager des capacités de remboursement pour les créanciers. Or, l’échec est criant ! Oui, la Grèce a besoin de réformes économiques, sociales et politiques. Mais pas celles de la Troïka – toujours moins d’État, toujours plus de marchés et d’inégalités – qui ont lamentablement échoué. Contre les logiques financières de court terme, trois pistes complémentaires doivent permettre la réappropriation par le peuple grec de son avenir :

(i) Un plan ambitieux de reconquête de l’emploi et de développement économique qui redessine le système productif vers la transition écologique. Ce plan serait bénéfique, contrairement aux affirmations de la Troïka, car 1 euro d’investissement public aura des effets multiplicateurs sur l’investissement privé et l’activité économique aujourd’hui totalement déprimés. Les pouvoirs publics doivent maîtriser le financement de l’activité : par exemple avec la création d’une banque publique de développement, un investissement massif dans l’économie sociale et solidaire, le développement de monnaies complémentaires, la promotion des banques coopératives.

(ii) La priorité à la cohésion sociale et économique contre la compétitivité et la flexibilité. La Troïka a imposé une baisse généralisée des revenus ainsi que la suppression de droits sociaux élémentaires qui ont contracté l’activité sans pour autant réduire la dette. L’État doit donc retrouver son rôle de régulateur et d’accompagnement pour maintenir la cohésion et prendre en compte les besoins socio-économiques du pays. Le partage du travail permettrait la création d’emplois et soutiendrait la demande. Le chômage pourrait baisser rapidement. Ces réformes passeraient par une autre répartition des richesses.

(iii) La refonte de la démocratie et la réforme de l’État au service des citoyens et de la justice sociale. La souveraineté de l’État passe par une fiscalité progressive, la lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscales. Ces réformes permettront de redonner des marges de manœuvre budgétaire pour financer le plan de relance, et pour lutter contre les inégalités4 et la pauvreté. Les privilèges détenus par l’oligarchie grecque, comme les armateurs, doivent donc être abolis.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

L’austérité a échoué, mais des réformes ambitieuses, radicalement différentes, sont possibles et nécessaires. Un audit des dettes publiques des pays européens pourra identifier des pistes pour leur allègement décisif. Il faut une politique économique volontariste pour renouer avec une dynamique d’investissements d’avenir vers la transition écologique. Ceci suppose la redistribution des richesses et la reconquête de la souveraineté démocratique sur l’économie, en particulier en stoppant les privatisations. Ces réformes doivent être coopératives et non soumises à la logique de la guerre économique.

Idée reçue n°6 : L’austérité, c’est dur mais ça finit par marcher ?

Le discours officiel sur la Grèce

« L’austérité, ça paye ! La Grèce repart en trombe. Selon les dernières prévisions de Bruxelles, la croissance sera cette année de 2,5 % en Grèce et 3,6 % l’année prochaine, ce qui fera d’Athènes le champion de la croissance de la zone euro! Le chômage commence à refluer de 28 à 26 %. Bref, au risque de choquer: la détestée troïka a fait du bon boulot!» (Alexis de Tarlé, JDD, 8 février)

Pourquoi c’est faux ?

Les Grecs seraient-ils stupides d’avoir mis fin à une politique qui marchait si bien ? En 2014, le PIB de la Grèce est inférieur de 25,8 % à son niveau de 2007. L’investissement a chuté de 67%. Quel bon boulot ! Le taux de chômage est de 26% alors même que nombre de jeunes et de moins jeunes ont dû quitter leur pays pour trouver un emploi. 46% des Grecs sont au-dessous du seuil de pauvreté, la mortalité infantile a augmenté de 43%. Quant aux prévisions de Bruxelles, à l’automne 2011 elles annonçaient déjà la reprise en Grèce pour 2013. Finalement, le PIB grec a chuté de 4,7% cette année-là.

Tous les économistes honnêtes le reconnaissent maintenant. Les politiques d’austérité imposées par les institutions européennes ont été catastrophiques pour la Grèce et l’ensemble de la zone Euro.

Les classes dirigeantes et la technocratie européenne ont voulu utiliser la crise pour réaliser leur vieux rêve : réduire les dépenses publiques et sociales. Sous les ordres de la Troïka et la menace des marchés financiers, les pays du Sud de l’Europe ont dû mettre en œuvre des plans drastiques de réduction des déficits publics qui les ont menés à la dépression. De 2009 à 2014, la réduction des dépenses a été de 11% du PIB pour l’Irlande, 12,5 % du PIB pour l’Espagne et le Portugal ; 28 % pour la Grèce. Les déficits ont certes été réduits, mais avec un coût social et économique monstrueux.

Et la dette a continué d’augmenter ! Pour la zone euro, elle est passée de 65% à 94% du PIB entre 2008 et 2014. L’austérité n’a pas payé, elle a au contraire enfoncé le continent dans la crise. En réduisant les impôts des hauts revenus et des sociétés, les États ont creusé les déficits, puis ont emprunté aux riches pour financer ces fameux déficits. Moins d’impôts payés d’un côté, plus d’intérêts perçus de l’autre, c’est le bingo pour les plus riches !

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

On demande aux Grecs de payer chaque année 4,5 points de la richesse nationale pour rembourser leur dette; aux citoyens européens, on ne demande « que » 2 points. L’effet est partout le même : toujours plus de chômage, et toujours moins de ces investissements publics qui pourraient préparer l’avenir.

C’est la leçon du calvaire grec. Y mettre fin concerne tous les pays d’Europe car il faut stopper la récession que l’austérité crée partout, et tirer les leçons de la crise pour s’engager dans un autre modèle de développement. Si austérité il doit y avoir, elle doit frapper les plus riches, ces « 1% » qui accaparent la richesse sociale et ont bénéficié du système de la dette. Il faut réduire les déficits et la dette, grâce à une fiscalité plus progressive et une restructuration des dettes publiques.

Idée reçue n°7 : Une cure d’austérité, c’est pas la mort ?

Le discours officiel sur la Grèce

Christine Lagarde, directrice du FMI : « Non, je pense plutôt aux petits enfants d’une école dans un petit village au Niger (…), ils ont plus besoin d’aide que les gens d’Athènes » (en réponse à la question d’un journaliste : « quand vous demandez des mesures dont vous savez qu’elle vont empêcher des femmes d’accéder à une sage-femme au moment de leur accouchement, ou des patients d’obtenir les médicaments qui pourraient sauver leur vie, est-ce que vous hésitez ? » (The Guardian, 25/05/2012). « Nous devrons tous perdre de notre confort« , (George Papandreou, Reuters, 15/12/2009)

Pourquoi c’est faux ?

En fait de réduire les dépenses de « confort », la Troïka a imposé une réduction de 40% du budget de la santé en Grèce. Résultat, « plus d’un quart de la population ne bénéficie plus de couverture sociale, les hôpitaux publics sont débordés et exsangues. La rigueur budgétaire a désorganisé le système de santé publique et entraîné une crise humanitaire » (4 janvier 2015 JDD international).

La tuberculose, la syphilis ont réapparu. Les cas de sida se sont multipliés par manque de moyens pour la prévention. Une étude parue dans le journal médical britannique The Lancet5 tire un bilan terrible : la mortalité infantile a augmenté de 43% entre 2008 et 2010, la malnutrition des enfants de 19%. Avec les coupes budgétaires dans la prévention des maladies mentales, les suicides ont grimpé de 45% entre 2007 et 2011. De nombreux centres pour le planning familial publics sont fermés, ceux qui restent fonctionnent avec un personnel réduit.

Selon Nathalie Simonnot, de Médecins du Monde, « un forfait de cinq euros à la charge des patients a ainsi été instauré pour chaque consultation à l’hôpital public…Pour un retraité qui touche 350 euros par mois, c’est un coût énorme, surtout que la plupart du temps il faut faire plusieurs consultations (…) Les médecins demandent aux patients d’acheter eux-mêmes pansements, seringues et gazes parce que certains hôpitaux sont en rupture de stock ».

Des témoignages de ce genre concernaient naguère l’Afrique. La politique de la troïka, des gouvernements grecs, ont créé un désastre sanitaire qui rend vital un changement de politique, notamment pour la santé. Si les choses ne sont pas encore pire, c’est grâce aux centaines de bénévoles des dizaines de dispensaires grecs, à Médecins du monde, à la solidarité internationale, qui ont limité les dégâts pour ceux qui n’avaient plus accès aux soins. Le nouveau gouvernement grec a raison de vouloir par exemple réembaucher dans les centres de santé les 3000 médecins qui ont été licenciés par la Troïka.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

On sait maintenant que « l’austérité tue »6. Les responsables des politiques d’austérité se rendent coupables de véritables crimes quand ils imposent des coupes massives dans les dépenses de santé, comme cela a été le cas en Grèce, en Espagne, au Portugal. Il faut partout défendre les systèmes publics de santé contre les privatisations et les restructurations qui ne visent qu’à réduire les coûts au mépris de la santé.

Idée reçue n°8 : De toutes façons la Grèce a déjà capitulé ?

Le discours officiel

« En signant un accord à l’Eurogroupe le 20 février, contrairement aux rodomontades, le gouvernement grec a fini par accepter les conditions de la troïka. Une dure leçon pour les populistes d’extrême gauche comme d’extrême droite ». (Eric Le Boucher, Slate.fr, 21/02)

Pourquoi c’est faux

Le nouveau gouvernement grec refuse les nouvelles réformes proposées par la Troïka fin 2014 : 160.000 licenciements supplémentaires dans l’administration (santé, éducation), une nouvelle baisse de 10% des retraites, de nouvelles taxes, une nouvelle hausse de la TVA.

Ces recettes ont déjà été appliquées et ont mené la Grèce au désastre. En moins de 5 ans, 30% d’entreprises ont fermé, 150.000 postes supprimés dans le secteur public, 42% d’augmentation du chômage, 45% de baisse des retraites, 40% d’augmentation de la mortalité infantile, une hausse de près de 100% du nombre des personnes sous le seuil de pauvreté.

Le programme de Syriza proposait au contraire 1. Une renégociation des contrats de prêts et de la dette. 2. Un plan national de reconstruction immédiate : mesures pour les plus pauvres (électricité et soins médicaux gratuits, tickets-repas…), le rétablissement du salaire minimum de 751 euros, la réinstauration des conventions collectives 3. La reconstruction démocratique de l’État : lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, contre la corruption, ré-embauche des fonctionnaires licenciés 4. Un plan de reconstruction productive : arrêt des privatisations, industrialisation et transformation de l’économie par des critères sociaux et écologiques.

Après un bras de fer avec les institutions européennes, le gouvernement grec a obtenu l’abandon des objectifs d’excédents budgétaires délirants prévus dans le mémorandum signé par le gouvernement précédent. De nouvelles aides seront créées : pour financer le chauffage et l’alimentation des ménages les plus démunis. Les conventions collectives seront rétablies. La fraude et l’évasion fiscales seront fortement combattus. Les petits propriétaires endettés ne seront pas expulsés de leur résidence principale.

Mais la Grèce n’est pas libérée de l’austérité. Les nouvelles mesures devront être financées sans accroître le déficit. Les privatisations seront maintenues. La Grèce s’engage à payer l’intégralité de la dette, et à ne pas revenir en arrière sur les privatisations. La hausse du salaire minimum et la restauration des négociations salariales sont repoussées. De nouvelles épreuves de force sont à prévoir dans les mois qui viennent.

Quelles leçons pour la France et l’Europe

Les institutions européennes veulent empêcher la mise en œuvre de l’essentiel du programme de Syriza. Aujourd’hui, il s’agit donc de développer dans toute l’Europe des mouvements coordonnés contre l’austérité, pour la justice sociale, pour empêcher la Troïka et nos gouvernements d’étouffer la Grèce et les alternatives sociales et politiques qui émergent en Europe. Nous proposons notamment l’organisation par les mouvements européens d’une conférence internationale sur la dette et contre l’austérité.

L’audit citoyen des dettes publiques en Europe : un outil pour vaincre l’austérité

Le collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC) salue le choix du peuple grec de rejeter massivement les politiques d’austérité lors des élections du 25 janvier. Cette victoire ouvre une brèche contre l’Europe de la finance, le diktat des dettes publiques et des plans d’austérité. Engouffrons nous dans cette brèche : une autre Europe devient possible !

Le collectif pour un audit citoyen a déjà publié un premier rapport d’audit citoyen[1], montrant qu’une large part de la dette publique française peut être considérée comme illégitime. Dans la période qui s’ouvre, notre collectif va continuer à proposer aux citoyens et à l’ensemble du mouvement social européen des lignes d’analyse juridiques, économiques, sociales, des arguments et des instruments de mobilisation contre les créanciers qui mettent en coupe réglée les populations.

Avec nos partenaires des autres pays européens, à commencer par la Grèce, notre collectif va intensifier son action pour mettre en débat le caractère illégitime, insoutenable, illégal, voire odieux d’une grande partie des dettes publiques en Europe.

Nous soutenons la proposition d’une conférence européenne sur les dettes publiques. En 1953 l’accord de Londres, annulant plus de 60% de la dette de l’Allemagne de l’Ouest, a permis sa relance, tout comme les annulations de dette de l’Équateur en 2008 ou de l’Islande en 2011.

Nous soutenons la proposition de réaliser un audit des dettes publiques afin d’identifier les responsables et les bénéficiaires réels de ces dettes, et de dégager les solutions qui permettront de libérer le pays de ce boulet.

Nous soutenons également le droit de la Grèce à désobéir à ses créanciers au cas où ils refuseraient la mise en œuvre de ces solutions. Rappelons que les memoranda imposés par la Troïka sont illégaux au regard du droit européen et international.

Tous ensemble, levons le voile sur la responsabilité des créanciers qui profitent des saignées effectuées sur le dos des peuples. Tous ensemble, renforçons une démarche citoyenne de contestation et de remise en cause de cette Europe des 1 %, des spéculateurs et des banquiers. C’est aux populations, trop longtemps victimes des plans d’austérité, de compétitivité et autres « memorandums », qu’il revient de décider de leur avenir : nous voulons mettre à leur disposition tous les outils nécessaires pour comprendre et décider comment sortir de l’étau de la dette en faisant payer non pas les contribuables ordinaires mais les véritables bénéficiaires du système de la dette.

(voir aussi la vidéo : Trois idées reçues sur la crise grecque)

Guide réalisé par : Jean-Claude Chailley, Thomas Coutrot, Alexis Cukier, Pascal Franchet, Michel Husson, Pierre Khalfa, Guillaume Pastureau, Henri Sterdyniak, Sofia Tzitzikou.

Notes :

1 Le FESF, Fonds européen de solidarité financière, créé en 2010, vise à préserver la stabilité financière en Europe en fournissant une assistance financière aux États de la zone euro. Cette aide est conditionnée à l’acceptation de plans d’ajustement structurel. Il a été remplacé par le Mécanisme européen de solidarité (MES) en 2012.

2 Ivan Best, La Tribune, 5 février
3 Plans de sauvetage de la Grèce : 77 % des fonds sont allés à la finance : https://france.attac.org/nos-idees/mettre-au-pas-la-finance-les/articles/plans-de-sauvetage-de-la-grece-77-des-fonds-sont-alles-la-finance
4 Une plus grande justice sociale est source d’efficacité, ce que même l’OCDE démontre : http://tinyurl.com/kqgmq35
5 A. Kentikelenis, M.Karanikolos, A. Reeves, M.McKee, DSc, D. Stuckler, « Greece’s health crisis: from austerity to denialism », The Lancet, 20/02/2014,
6 D. Stuckler & S. Basu (2014), Quand l’austérité tue, Préface des Économistes atterrés, Ed. Autrement

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05/07/2015

Rêve de singe

Le temps passe, exit l'incroyable duperie, l'espoir change de camp !
Le ce à quoi les Grecs devaient adhérer relève d'une incroyable illusion !!!
Aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, le préposé Macron commence à annoncer le résultat d'un référendum historique et à en rabattre sur les prétentions des "créanciers" dont il est l'un des porte-parole.

Reve de singe, grèce, référendum

 SOURCE

La Commission européenne a rendue publique la proposition des institutions, dans l’optique du référendum du dimanche 5 juillet.

En effet, son président Jean-Claude Juncker, renvoie, via Twitter, au communiqué de la Commission, afin que le peuple grec soit informé avec « une plus grande transparence ».

Détail du communiqué de la Commission européenne au sujet de la Grèce :

« Information de la Commission européenne relative aux dernières propositions dans le cadre des négociations avec la Grèce

Bruxelles, le 28 Juin 2015
Pour l’information du peuple grec et dans un esprit de transparence, la Commission européenne publie ses dernières propositions en accord avec les institutions (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), lesquelles prennent en compte les propositions des autorités grecques des 8, 14, 22 et 25 Juin 2015 ,mais aussi les négociations au niveau politique et technique tout au long de la semaine.

Les discussions sur ces propositions ont continué avec les autorités grecques dans la soirée de vendredi soir en vue de l’Eurogroupe du 27 Juin 2015. Il y a eu une compréhension commune, de la part de toutes les parties concernées, que cette réunion de l’Eurogroupe pouvait permettre d’atteindre un accord global pour la Grèce, qui aurait contenu non seulement des mesures en vue d’un commun accord, mais aurait couvert les besoins futurs de financement ainsi que la viabilité de la dette grecque. Elle comprenait également le soutien d’un paquet pour un nouveau départ pour la croissance et l’emploi à l’initiative de la Commission soutenant la reconstruction et l’investissement dans l’économie réelle, comme cela a été discuté et adopté lors de la réunion du Collège des commissaires le mercredi 24 Juin 2015.
Malgré cela, il n’a pas été possible de finaliser formellement et de présenter à l’Eurogroupe la version finale de ce document, ni le résumé d’un accord global, en raison de la décision unilatérale des autorités grecques d’abandonner la procédure le soir du 26 Juin, 2015″.

La proposition publiée par la Commission européenne (PDF)

De la part du bureau du Premier ministre grec: La proposition de la Commission européenne met fin aux arguments des partisans du « oui à tout »

Le texte rendu public par la Commission européenne met fin à la para-littérature, comme il met fin aussi aux arguments des partisans du « oui à tout », lesquels affirmaient jusqu’ici qu’il n’y avait pas de texte des institutions, selon des sources gouvernementales.

Comme il est mentionné, dans le texte d’aujourd’hui et celui du 25 juin, posé comme un ultimatum, les institutions exigent, entre autres:

  • l’imposition d’une TVA à 23% sur la restauration collective
  • l’abolition de la baisse de la TVA dans les îles
  • l’application d’une avance d’impôt de 100% sur les sociétés et les travailleurs indépendants
  • l’abolition des réductions pour les agriculteurs (pétrole, impôt sur le revenu)
  • que soient baissées de 900 millions € (0,5% du PIB) les dépenses de l’aide sociale (subventions, etc.).
  • la limitation immédiate des pré-retraites
  • l’abolition progressive de la retraite complémentaire.
  • l’application complète de la loi de mémorandum 3863/2010 sur la sécurité sociale
  • l’application de la clause de déficit zéro et que le financement des caisses complémentaires soit réalisé uniquement par des fonds particuliers
  • l’abolition de toutes les participations en faveur de tiers qui financent les caisses de sécurité sociale, qui a pour conséquence une baisse de leurs recettes de plus de 700 millions €
  • l’augmentation des prélèvements pour soins de santé sur les pensions de 4% à 6%
  • le gel des retraites jusqu’en 2021
  • une législation sur les licenciements collectifs et la non-réintroduction des conventions collectives, si les institutions ne le permettent pas
  • la diminution à 1500€ du montant des dépôts non saisissable
  • l’augmentation du taux en vigueur pour le règlement des dettes
  • la réduction des salaires dans le secteur public
  • la mise en oeuvre complète des boîtes à outils de l’OCDE (lait, pain, pâtisseries, dimanches, …)
  • un coup important contre les médicaments grecs
  • la poursuite de la privatisation du secteur de l’éléctricité.
  • la vente des actions de l’OTE(Compagnie du téléphone) détenues par l’État
  • la non-application d’une taxe spéciale de 12% sur les bénéfices supérieurs à 500.000 pour l’exercice 2014
  • le non-retour des cotisations sociales patronales au niveau de l’année 2014

Tout ceci constitue un ensemble de propositions qui s’inscrivent dans la conception du Fonds monétaire international, qui ont été posées comme ultimatum à la Grèce, ce qui ressort aussi de l’Eurogroupe, rapporte le bureau du Premier ministre grec qui ajoute: la seule différence concerne la TVA sur les hôtels dont le taux, dans le texte actuel posté sur le site Web de la Commission européenne, est passé de 13% à 23% pour le 25 Juin.

29/06/2015

Annonce de référendum d'Alexis Tsipras

Refuser toutes les dictatures et leurs fausses excuses.
Se méfier des larmes, mais en accepter le sens.
Ne rien renier de ses origines et les préserver.

C'est la leçon de démocratie, synonyme de courage, infligée par la Grèce d'Alexis TSIPRAS à l'Eurogroupe dont on sait de qui il se compose et de quelles lâchetés il est capable au nom des banques et des comptables.

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Image extraite de la Tribune

 

Le texte qui suit, «court, empli de gravité et de détermination, entrera vraisemblablement dans l’Histoire. Ce texte est prononcé par un homme jeune, qui a été confronté à la mauvaise fois, aux manipulations, à ce qu’il faut bien appeler toutes les bassesses de la politique, depuis cinq mois. Il dit aussi sa colère, froide et déterminée. Et c’est peut-être là l’échec principal de l’Eurogroupe et des institutions européennes : avoir transformé un partisan de l’Europe en un adversaire résolu des institutions européennes. Tsipras n’était pas il y a cinq mois de cela un opposant à l’idée européenne. Mais la multiplication des humiliations, des tentatives de coup de force, l’ont obligé à réviser nombre de ses positions, qui pour certaines d’entre-elles relevaient de l’illusion. Tsipras et Varoufakis sont aujourd’hui sur une trajectoire de collision avec l’Eurogroupe et l’UE non pas de leur fait, mais de celui des « institutions européennes ». J. Sapir

 

Allocution d'Alexis Tsipras pour annoncer le référendum au peuple grec :

"Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité.

L’objectif aujourd’hui est de mettre fin à la crise grecque de la dette publique.

Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité.

La question qui sera posée au référendum dimanche prochain sera de savoir si nous acceptons ou rejetons la proposition des institutions européennes. Je demanderai une prolongation du programme de quelques jours afin que le peuple grec prenne sa décision.

Je vous invite à prendre cette décision souverainement et avec la fierté que nous enseigne l’histoire de la Grèce.

La Grèce, qui a vu naître la démocratie, doit envoyer un message de démocratie retentissant.

Je m’engage à en respecter le résultat quel qu’il soit.

La Grèce est et restera une partie indissoluble de l’Europe. Mais une Europe sans démocratie est une Europe qui a perdu sa boussole.

L’Europe est la maison commune de nos peuples, une maison qui n’a ni propriétaires ni locataires.

La Grèce est une partie indissoluble de l’Europe, et je vous invite toutes et tous à prendre, dans un même élan national, les décisions qui concernent notre peuple."

28/06/2015

Draghi, sursis et confettis

POUR LA BCE QUI VIENT TROP APPAREMMENT DE S'ADOUCIR, entraînant le FMI dans son sillage, il ne s'agit que d'un "sursis". Mais on voit mal les Draghi, Lagarde et autre Juncker, banquier du Luxembourg,  passer dans le camp des repentis et Alexis Tsipras renoncé à un référendum qui donne enfin toute sa place au peuple grec le 5 juillet prochain

Draghi, sursis et confettis
Draghi, un repenti ?

 

Appel en solidarité
"Le gouvernement grec a livré un rude combat dans des conditions d'asphyxie financière inouïes pour aboutir à un accord viable et mutuellement bénéfique avec ses partenaires.
Après cinq mois de négociations, les institutions en sont venues à poser un ultimatum qui contrevient aux principes de l'UE et sape la relance de la société et de l'économie grecques.
Les créanciers exigent que le gouvernement grec applique les politiques mémorandaires comme l'avaient fait ses prédécesseurs.
Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l'humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l'obsession du FMI et des institutions européennes pour une politique d'extrême austérité."

Grèce, le coup d’État silencieux

Semaine après semaine, le nœud coulant des négociations étrangle progressivement le gouvernement grec. De hauts dirigeants européens ont d’ailleurs expliqué au « Financial Times » qu’aucun accord ne serait possible avec le premier ministre Alexis Tsipras avant qu’il ne « se débarrasse de l’aile gauche de son gouvernement ». L’Europe, qui prêche la solidarité, ne la consentirait-elle qu’aux conservateurs ?

par Stelios Kouloglou, juin 2015

A Athènes, « tout change et tout reste pareil », comme le dit une chanson traditionnelle grecque. Quatre mois après la victoire électorale de Syriza, les deux partis qui ont gouverné le pays depuis la chute de la dictature, le Mouvement socialiste panhellénique (Pasok) et la Nouvelle Démocratie (droite), sont totalement discrédités. Le premier gouvernement de gauche radical dans l’histoire du pays depuis le « gouvernement des montagnes (1) », au temps de l’occupation allemande, jouit d’une grande popularité (2).

Mais si personne ne mentionne plus le nom de la « troïka » détestée, car responsable du désastre économique actuel, les trois institutions — Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international (FMI) — poursuivent leur politique. Menaces, chantages, ultimatums : une autre « troïka » impose au gouvernement du nouveau premier ministre Alexis Tsipras l’austérité qu’appliquaient docilement ses prédécesseurs.

Avec une production de richesse amputée d’un quart depuis 2010 et un taux de chômage de 27 % (plus de 50 % pour les moins de 25 ans), la Grèce connaît une crise sociale et humanitaire sans précédent. Mais en dépit du résultat des élections de janvier 2015, qui ont donné à M. Tsipras un mandat clair pour en finir avec l’austérité, l’Union européenne continue à faire endosser au pays le rôle du mauvais élève puni par les sévères maîtres d’école de Bruxelles. L’objectif ? Décourager les électeurs « rêveurs » d’Espagne ou d’ailleurs qui croient encore à la possibilité de gouvernements opposés au dogme germanique.

La situation rappelle le Chili du début des années 1970, lorsque le président américain Richard Nixon s’employa à renverser Salvador Allende pour empêcher des débordements similaires ailleurs dans l’arrière-cour américaine. « Faites hurler l’économie ! », avait ordonné le président américain. Lorsque ce fut fait, les tanks du général Augusto Pinochet prirent la relève...

Le coup d’État silencieux qui se déroule en Grèce puise dans une boîte à outils plus moderne — des agences de notation aux médias en passant par la BCE. Une fois l’étau en place, il ne reste plus que deux options au gouvernement Tsipras : se laisser étrangler financièrement s’il persiste à vouloir appliquer son programme ou renier ses promesses et tomber, abandonné par ses électeurs.

C’est justement pour éviter la transmission du virus Syriza — la maladie de l’espoir — au reste du corps européen que le président de la BCE Mario Draghi a annoncé le 22 janvier 2015, soit trois jours avant les élections grecques, que le programme d’intervention de son institution (la BCE achète chaque mois pour 60 milliards d’euros de titres de la dette aux Etats de la zone euro) ne serait accordé à la Grèce que sous conditions. Le maillon faible de la zone euro, celui qui a le plus besoin d’aide, ne recevrait de soutien que s’il se soumettait à la tutelle bruxelloise.

Menaces et sombres prédictions

Les Grecs ont la tête dure. Ils ont voté Syriza, contraignant le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem à les rappeler à l’ordre : « Les Grecs doivent comprendre que les problèmes majeurs de leur économie n’ont pas disparu du seul fait qu’une élection a eu lieu » (Reuters, 27 janvier 2015). « Nous ne pouvons faire d’exception pour tel ou tel pays », a confirmé Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI (The New York Times, 27 janvier 2015), cependant que M. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, renchérissait : « La Grèce doit payer, ce sont les règles du jeu européen » (The New York Times, 31 janvier et 1er février 2015).

Une semaine plus tard, M. Draghi démontrait que l’on savait également « faire hurler l’économie » au sein de la zone euro : sans la moindre justification, il fermait la principale source de financement des banques grecques, remplacée par l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), un dispositif plus coûteux devant être renouvelé chaque semaine. Bref, il plaçait une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants grecs. Dans la foulée, l’agence de notation Moody’s annonçait que la victoire de Syriza « influait négativement sur les perspectives de croissance » de l’économie (Reuters, 27 janvier 2015).

Le scénario du Grexit (la sortie de la Grèce de la zone euro) et du défaut de paiement revenait à l’ordre du jour. Quarante-huit heures à peine après les élections de janvier, le président de l’Institut allemand pour la recherche économique, M. Marcel Fratzscher, ancien économiste à la BCE, expliquait que M. Tsipras jouait « un jeu très dangereux » : « Si les gens commencent à croire qu’il est vraiment sérieux, on pourrait assister à une fuite massive des capitaux et à une ruée vers les banques. Nous en sommes au point où une sortie de l’euro devient possible » (Reuters, 28 janvier 2015). Exemple parfait de prophétie autoréalisatrice qui conduisit à aggraver la situation économique d’Athènes.

Syriza disposait d’une marge de manœuvre limitée. M. Tsipras avait été élu pour renégocier les conditions attachées à l’« aide » dont son pays avait bénéficié, mais dans le cadre de la zone euro, l’idée d’une sortie ne bénéficiant pas d’un soutien majoritaire au sein de la population. Celle-ci a été convaincue par les médias grecs et internationaux qu’un Grexit constituerait une catastrophe d’ampleur biblique. Mais la participation à la monnaie unique touche d’autres cordes, ultrasensibles ici.

Dès son indépendance, en 1822, la Grèce a balancé entre son passé au sein de l’Empire ottoman et l’« européanisation », un objectif qui, aux yeux des élites comme de la population, a toujours signifié la modernisation du pays et sa sortie du sous-développement. La participation au « noyau dur » de l’Europe était censée matérialiser cet idéal national. Pendant la campagne électorale, les candidats de Syriza se sont donc sentis obligés de soutenir que la sortie de l’euro constituait un tabou.

Au centre de la négociation entre le gouvernement Tsipras et les institutions, la question des conditions fixées par les prêteurs : les fameux mémorandums, qui, depuis 2010, obligent Athènes à appliquer des politiques d’austérité et de surimposition dévastatrices. Plus de 90 % des versements des créanciers leur reviennent pourtant directement — parfois dès le lendemain ! —, puisqu’ils sont affectés au remboursement de la dette. Comme l’a résumé le ministre des finances Yanis Varoufakis, qui réclame un nouvel accord avec les créanciers, « la Grèce a passé ces cinq dernières années à vivre pour le prêt suivant comme le drogué qui attend sa prochaine dose » (1er février 2015).

Mais comme le non-remboursement de la dette équivaut à un « événement de crédit », c’est-à-dire à une sorte de banqueroute, le déblocage de la dose est une arme de chantage très puissante aux mains des créanciers. En théorie, puisque les créanciers ont besoin d’être remboursés, on aurait pu imaginer qu’Athènes disposait aussi d’un levier de négociation important. Sauf que l’activation de ce levier aurait conduit la BCE à interrompre le financement des banques grecques, entraînant le retour à la drachme.

Rien d’étonnant donc si, trois semaines à peine après les élections, les dix-huit ministres des finances de la zone euro ont envoyé un ultimatum au dix-neuvième membre de la famille européenne : le gouvernement grec devait appliquer le programme transmis par ses prédécesseurs ou s’acquitter de ses obligations en trouvant l’argent ailleurs. Dans ce cas, concluait le New York Times, « beaucoup d’acteurs du marché financier pensent que la Grèce n’a guère d’autre choix que de quitter l’euro » (16 février 2015).

Pour échapper aux ultimatums étouffants, le gouvernement grec a sollicité une trêve de quatre mois. Il n’a pas réclamé le versement de 7,2 milliards d’euros, mais espérait que, pendant la durée du cessez-le-feu, les deux parties parviendraient à un accord incluant des mesures pour développer l’économie puis résoudre le problème de la dette. Il eût été maladroit de faire tomber tout de suite le gouvernement grec ; les créanciers ont donc accepté.

Athènes pensait pouvoir compter — provisoirement, du moins — sur les sommes qui allaient rentrer dans ses caisses. Le gouvernement espérait disposer, dans les réserves du Fonds européen de stabilité financière, de 1,2 milliard d’euros non utilisé dans le processus de recapitalisation des banques grecques, ainsi que de 1,9 milliard que la BCE avait gagné sur les obligations grecques et promis de restituer à Athènes. Mais, à la mi-mars, la BCE annonçait qu’elle ne restituerait pas ces gains, tandis que les ministres de l’Eurogroupe décidaient non seulement de ne pas verser la somme, mais de la transférer au Luxembourg, comme si l’on craignait que les Grecs ne se changent en détrousseurs de banques ! Inexpérimentée, ne s’attendant pas à de pareilles manœuvres, l’équipe de M. Tsipras avait donné son accord sans exiger de garanties. « En ne demandant pas d’accord écrit, nous avons commis une erreur », a reconnu le premier ministre dans une interview à la chaîne de télévision Star, le 27 avril 2015.

Le gouvernement continuait à jouir d’une grande popularité, en dépit des concessions auxquelles il a consenti : ne pas revenir sur les privatisations décidées par le gouvernement précédent, ajourner l’augmentation du salaire minimum, augmenter encore la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Berlin a donc lancé une opération visant à le discréditer. Fin février, le Spiegel publiait un article sur les « relations torturées entre Varoufakis et Schäuble » (27 février 2015). L’un des trois auteurs en était Nikolaus Blome, récemment transféré de Bild au Spiegel, et héros de la campagne menée en 2010 par le quotidien contre les « Grecs paresseux » (3). Le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, qui, fait rare dans l’histoire de l’Union européenne, mais aussi de la diplomatie internationale, ironisait publiquement sur son homologue grec, qu’il qualifiait de « stupidement naïf » (10 mars 2015), était présenté par le magazine allemand comme un Sisyphe bienveillant, désolé de ce que la Grèce soit condamnée à échouer et à quitter la zone euro. Sauf si, insinuait l’article, M. Varoufakis était démis de ses fonctions.

Tandis que fuites, sombres prédictions et menaces se multipliaient, M. Dijsselbloem avançait un nouveau pion, déclarant dans le New York Times que l’Eurogroupe examinait l’éventualité d’appliquer à la Grèce le modèle chypriote, soit une limitation des mouvements de capitaux et une réduction des dépôts (19 mars 2015)... Une annonce qu’on peine à interpréter autrement que comme une tentative — infructueuse — de provoquer une panique bancaire. Tandis que la BCE et M. Draghi resserraient encore le nœud coulant, limitant davantage les possibilités pour les banques grecques de se financer, Bild publiait un pseudo-reportage sur une scène de panique à Athènes, n’hésitant pas à détourner une photographie banale de retraités faisant la queue devant une banque pour toucher leur retraite (31 mars 2015).

Fin avril, l’opération de Berlin a porté ses premiers fruits. M. Varoufakis a été remplacé par son adjoint Euclide Tsakalotos pour les négociations avec les créanciers. « Le gouvernement doit faire face à un coup d’Etat d’un nouveau genre, a alors déclaré M. Varoufakis. Nos assaillants ne sont plus, comme en 1967, les tanks, mais les banques » (21 avril 2015).

Pour l’instant, le coup d’Etat silencieux n’a touché qu’un ministre. Mais le temps travaille pour les créanciers. Ceux-ci exigent l’application de la recette néolibérale. Chacun avec son obsession. Les idéologues du FMI demandent la dérégulation du marché du travail ainsi que la légalisation des licenciements de masse, qu’ils ont promises aux oligarques grecs, propriétaires des banques. La Commission européenne, autrement dit Berlin, réclame la poursuite des privatisations susceptibles d’intéresser les entreprises allemandes, et ce au moindre coût. Dans la liste interminable des ventes scandaleuses se détache celle, effectuée par l’Etat grec en 2013, de vingt-huit bâtiments qu’il continue d’utiliser. Pendant les vingt années qui viennent, Athènes devra payer 600 millions d’euros de loyer aux nouveaux propriétaires, soit presque le triple de la somme qu’il a touchée grâce à la vente — et qui est directement revenue aux créanciers...

En position de faiblesse, abandonné de ceux dont il espérait le soutien (comme la France), le gouvernement grec ne peut résoudre le problème majeur auquel le pays est confronté : une dette insoutenable. La proposition d’organiser une conférence internationale similaire à celle de 1953, qui dispensa l’Allemagne de la plus grande partie des réparations de guerre, ouvrant la route au miracle économique (4), s’est noyée dans une mer de menaces et d’ultimatums. M. Tsipras s’efforce d’obtenir un meilleur accord que les précédents, mais celui-ci sera sûrement éloigné de ses annonces et du programme voté par les citoyens grecs. M. Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne, a été très clair à ce sujet dès le lendemain des législatives : « Nous ne changeons pas de politique en fonction d’élections » (28 janvier 2015).

Les élections ont-elles donc un sens, si un pays respectant l’essentiel de ses engagements n’a pas le droit de modifier en quoi que ce soit sa politique ? Les néonazis d’Aube dorée disposent d’une réponse toute prête. Peut-on exclure qu’ils bénéficient davantage d’un échec du gouvernement Tsipras que les partisans de M. Schäuble à Athènes ?

Stelios Kouloglou
Journaliste et documentariste.
Député européen membre de Syriza.

(1) Lire Joëlle Fontaine, « “Il nous faut tenir et dominer Athènes” », Le Monde diplomatique, juillet 2012.

(2) Selon un sondage du 9 mai publié par le quotidien Efimerida ton Syntakton, 53,2 % de la population jugerait « positive » ou « plutôt positive » la politique du gouvernement.

(3) Lire Olivier Cyran, « “Bild” contre les cyclonudistes », Le Monde diplomatique, mai 2015.

(4) Lire Renaud Lambert, « Dette publique, un siècle de bras de fer », Le Monde diplomatique, mars 2015.

22/06/2015

Pour un socialisme vraiment populaire

S'ils en parlent (!!!), de quel droit les macrons & C° ou autres faiseurs se réfugient-ils encore derrière les mots de "Socialisme", "Démocratie", "République", "Droits de l'Homme", "Laïcité", partage.... ?!
LE DÉBAT SUR LE SUJET EST DÉFINITIVEMENT CLOS.
A en lire l’article qui suit, lumineux, ce débat aurait pu l’être bien plus tôt !
Le « déracinement » est décidément notre affaire si l’on admet que « (…) C’est parce que le capitalisme déracine les classes populaires, comme le colonialisme déracine les indigènes, qu’il faut lutter contre ce système. (…) » et la politique telle que manipulée risque d'apparaître comme « une sinistre rigolade.»

pour un socialisme populaire

Nils Udo (All. 1937...), sculpture de racines, Mexique 1995



Avec Simone Weil et George Orwell, pour un socialisme vraiment populaire


L’écrivain britannique George Orwell et la philosophe française Simone Weil connaissent tous deux depuis quelques années un regain d’intérêt. Alors que la gauche, notamment la gauche radicale — c’est-à-dire celle qui se donne pour objectif de trouver une alternative au capitalisme —, est en crise idéologique et perd peu à peu les classes populaires, on pense qu’elle aurait tout intérêt à se pencher sur ces deux penseurs révolutionnaires.

Comme le note la philosophe Alice Holt dans un article publié en France dans la revue Esprit[i], « les convergences qui rapprochent Orwell et Weil sont frappantes, pas seulement en ce qui concerne leurs biographies hors du commun, mais aussi en ce qui concerne leurs conceptions politiques dissidentes, fondées sur une expérience directe et caractérisées par la reprise et le remodelage de thèmes traditionnellement de droite, ou encore en ce qui concerne leur critique originale des régimes totalitaires ». Les similitudes en effet sont nombreuses entre les deux contemporains, qui ne se sont jamais croisés et probablement jamais lus, mais qui sont aujourd’hui enterrés à quelques kilomètres l’un de l’autre, dans le sud de l’Angleterre.
Espagne

Militants de la CNT et du POUM durant la guerre d’Espagne

Sur le plan biographique d’abord, tous deux ont fréquenté des écoles très prestigieuses — Henri IV, puis l’École normale supérieure pour Weil, le Collège d’Eton pour Orwell — et d’en avoir gardé de mauvais souvenirs ; d’être issus de la classe moyenne éduquée — Orwell parle de « basse classe moyenne supérieure »— ; d’avoir eu à cœur de partager les conditions de vie des prolétaires ; d’avoir participé à la guerre d’Espagne — chez les anarcho-syndicalistes de la CNT pour la Française, chez les marxistes non-staliniens du POUM pour l’Anglais[ii] — ; d’avoir contracté la tuberculose — bien que la privation intentionnelle de nourriture semble être la véritable cause de la mort de la philosophe. Mais la proximité est encore plus forte sur le terrain idéologique entre Orwell, socialiste difficilement classable — et parfois qualifié d’« anarchiste conservateur« , qui n’hésite jamais à citer des écrivains libéraux ou conservateurs sans pour autant partager leurs conceptions politiques[iii] —, et Simone Weil, anarchiste chrétienne et mystique, capable d’exprimer sa « vive admiration » à l’écrivain monarchiste Georges Bernanos. Pour les libertaires des éditions de l’Échappée, les deux révolutionnaires préfigurent « à la fois la dénonciation de l’idéologie du progrès, l’attachement romantique à l’épaisseur historique, la critique totalisante du capitalisme sous tous ses aspects, la méfiance envers la technoscience »[iv]. Sans oublier que ces deux sont en premier lieu les défenseurs d’un socialisme original, qui accorde une importance particulière aux classes populaires et à leurs traditions.

    « J’ai le plus grand respect pour les ouvriers qui arrivent à se donner une culture. » Simone Weil

Aimer, connaître, devenir l’oppressé

Selon le philosophe Bruce Bégout, « chaque ligne écrite par Orwell peut donc être lue comme une apologie des gens ordinaires ».[v] L’attachement politique d’Orwell aux « gens ordinaires » fait écho à leur définition en tant qu’ensemble majoritaire de personnes menant leur vie sans se préoccuper de leur position sociale ou du pouvoir — contrairement aux « gens totalitaires ». Le socialisme est la version ultime de l’abolition de « toute forme de domination de l’homme par l’homme ». Il doit donc être radicalement démocratique et se présenter comme « une ligue des opprimés contre les oppresseurs » qui rassemble « tous ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer à payer » (Le Quai de Wigan, The Road to Wigan Pier). Une coalition des classes populaires qui irait des prolétaires aux classes moyennes — des petits boutiquiers aux fonctionnaires — en passant par les paysans. Pour aboutir, le socialisme doit s’appuyer sur des mots d’ordre simples et rassembleurs, conformes au bon sens des gens ordinaires — comme la nationalisation des terres, des mines, des chemins de fer, des banques et des grandes industries, de la limitation des revenus sur une échelle de un à dix, ou encore de la démocratisation de l’éducation.

Parallèlement, Simone Weil considère, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale — seul ouvrage publié de son vivant, en 1934 — que l’objectif du socialisme doit être la réalisation de la « démocratie ouvrière » et « l’abolition de l’oppression sociale ». Celle qui était surnommée « la Vierge rouge » — comme Louise Michel avant elle — étend son analyse de l’aliénation des travailleurs par la société industrielle à la classe paysanne. Ces travailleurs ont aussi été réduits à la « même condition misérable » que celle des prolétaires : ils sont tout autant soumis à l’échange marchand, en tant qu’ »ils ne peuvent atteindre la plupart des choses qu’ils consomment que par l’intermédiaire de la société et contre de l’argent ». Ne pas saisir dans sa propre chair le poids de cette aliénation est, pour la philosophe, la raison de l’échec des marxistes et de leur « socialisme scientifique », qui a mené à l’appropriation du mouvement ouvrier par une caste d’intellectuels.

    « Tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne peut pas se rendre compte. » Simone Weil

Pour Simone Weil, les disciples de Karl Marx — qui « rend admirablement compte des mécanismes de l’oppression capitaliste » —, et notamment les léninistes, n’ont pas compris l’oppression que supportent les ouvriers en usine car « tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne peut pas se rendre compte ». Et la philosophe de regretter : « Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux — Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus — n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. »

C’est pourquoi elle choisit d’abandonner provisoirement sa carrière d’enseignante en 1934 et 1935, pour devenir ouvrière chez Alsthom (actuel Alstom), avant de travailler à la chaîne aux établissements JJ Carnaud et Forges de Basse-Indre, puis chez Renault à Boulogne-Billancourt. Elle note ses impressions dans son Journal d’usine — publié aujourd’hui sous le titre La condition ouvrière — et conclut de ses expériences, à rebours de l’orthodoxie socialiste, que « la complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de la propriété » (Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale).

Similairement, George Orwell déplore, dans Le Quai de Wigan, que « le petit-bourgeois inscrit au Parti travailliste indépendant et le barbu buveur de jus de fruits [soient] tous deux pour une société sans classe, tant qu’il leur est loisible d’observer le prolétariat par le petit bout de la lorgnette ». Il poursuit : « Offrez-leur l’occasion d’un contact réel avec le prolétariat […] et vous les verrez se retrancher dans le snobisme de classe moyenne le plus conventionnel. » Comme Weil, le Britannique se rapproche des opprimés, notamment en partageant plusieurs fois les conditions de vie des vagabonds. Dans Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and Out in London and Paris), roman publié en 1933 qui s’inspire de ces expériences, il explique qu’il voulait « [s]’ immerger, descendre complètement parmi les opprimés, être l’un des leurs, dans leur camp contre les tyrans. » Par la suite, il se plonge dans l’univers des mineurs des régions industrielles, ce qui lui inspirera la première partie du Quai de Wigan et surtout le convertira définitivement au socialisme.

Ces expériences ont très fortement influencé les deux auteurs. Alice Holt note d’ailleurs à ce propos que « c’est parce qu’Orwell et Weil ont tous deux fait l’expérience de la souffrance psychologique et physique qu’occasionne la pauvreté, qu’ils mirent autant l’accent sur le potentiel destructeur de l’humiliation, et la nécessité de préserver la dignité des plus pauvres ».

Weil et Orwell : des socialistes conservateurs ?

Le contact de Weil et d’Orwell avec le monde ouvrier leur a permis de comprendre la souffrance des travailleurs et l’impératif subséquent à préserver « ce qu’il leur reste ». C’est ainsi qu’ils ont tous les deux évolué politiquement vers une forme de conservatisme (ou à du moins à ce qui lui est apparenté aujourd’hui), par respect pour la culture populaire et pour la défense de la dignité des opprimés. Tout en étant profondément révolutionnaires, ils considèrent que la défense des traditions et de la mémoire populaire est un devoir formel. Ainsi, Simone Weil explique, notamment dans L’Enracinement, que : « l’amour du passé n’a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire. Comme toutes les activités humaines, la révolution puise toute sa sève dans une tradition. » La common decency (traduit par « décence commune » ou « décence ordinaire ») d’Orwell et l’enracinement de Weil forment le pivot de leur philosophie.

Bruce Bégout, qui a consacré un ouvrage au sujet (De la décence ordinaire), définit la common decency comme « la faculté instinctive de percevoir le bien et le mal ». « Plus qu’une simple perception, car elle est réellement affectée par le bien et le mal », elle correspond « à un sentiment spontané de bonté qui est, à la fois, la capacité affective de ressentir dans sa chair le juste et l’injuste et une inclination naturelle à faire le bien ». D’après Orwell, ces vertus, qu’il certifie avoir rencontrées au contact des « gens ordinaires », proviennent de la pratique quotidienne de l’entraide, de la confiance mutuelle et des liens sociaux minimaux mais fondamentaux. À l’inverse, elles seraient moins présentes chez les élites, notamment chez les intellectuels, à cause de la pratique du pouvoir et de la domination.

Pour Simone Weil, l’enracinement — titre de son ouvrage testament, sorte de réponse aux "Déracinés" du nationaliste d’extrême droite Maurice Barrès – est « le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ». Il est le processus grâce auquel les hommes s’intègrent à une communauté par le biais « [du] lieu, la naissance, la profession, l’entourage ». Pour la Française, « un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. » Cet enracinement est la base d’obligations mutuelles entre les hommes – L’Enracinement a d’ailleurs pour sous-titre « prélude d’une déclaration des devoirs envers l’être humain ».

Ainsi, Weil estime que « le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même ». Ce mécanisme passe notamment par la destruction du passé, déplorant que « la destruction du passé [soit] peut-être le plus grand crime. Aujourd’hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe ». C’est parce que le capitalisme déracine les classes populaires, comme le colonialisme déracine les indigènes, qu’il faut lutter contre ce système. Si le mot « enracinement » est absent de l’œuvre de George Orwell, il est probable qu’il y aurait largement adhéré. Le philosophe Jean-Claude Michéa relève ainsi que chez l’Anglais, « le désir d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ou du ressentiment, mais d’abord de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre. »[vi]

    « Après tout et malgré tout, les gens ordinaires étaient patriotes. » George Orwell

L’enracinement, la common decency et l’attachement aux lieux, traditions et à la communauté qui en émane, conduisent Weil et Orwell vers un patriotisme socialiste, qui s’exprimera dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. La philosophe explique alors dans L’Enracinement qu’« il serait désastreux de [s]e déclarer contraire au patriotisme. Dans la détresse, le désarroi, la solitude, le déracinement où se trouvent les Français, toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver comme des trésors trop rares et infiniment précieux, à arroser comme des plantes malades. » Quant au Britannique, il lie patriotisme et socialisme Simon Leysdans Le Lion et la licorne : socialisme et génie anglais publié en 1940 – que l’un de ses principaux biographes, Simon Leys, considère comme « son manifeste politique le plus complet et le plus explicite »[vii] – afin de théoriser un « patriotisme révolutionnaire« [viii]. Orwell explique : « La théorie selon laquelle « les prolétaires n’ont pas de patrie » […] finit toujours par être absurde dans la pratique. » Dans l’article De droite ou de gauche, c’est mon pays, il ajoute : « Aucun révolutionnaire authentique n’a jamais été internationaliste. »

Pourtant, Orwell et Weil resteront tous deux fidèles à la tradition socialiste et à la solidarité internationale sans jamais tomber dans un nationalisme maurrassien. Orwell, que son service pour l’Empire britannique en Birmanie a converti à l’anti-colonialisme, considère dans ses Notes sur le nationalisme que le patriotisme est un « attachement à un mode de vie particulier que l’on n’a […] pas envie d’imposer à d’autres peuples », tandis que le nationalisme est « indissociable de la soif de pouvoir ». De son côté, Simone Weil écrit à Bernanos à propos du Traité de Versailles : « Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir. » Mais c’est surtout leur engagement en Espagne, motivé par l’envie de combattre le fascisme et de défendre le socialisme, qui prouve que la solidarité internationale n’est pas un simple concept pour eux, mais bien une réalité. À l’image de leur patriotisme, leur conservatisme populaire ne s’oppose jamais à leur socialisme, il en est au contraire un fondement.

    « Le révolutionnaire s’active pour rien s’il perd contact avec la décence ordinaire humaine. » George Orwell

Un socialisme populaire et anti bureaucratique

Pour Orwell et Weil, le socialisme ne doit pas être l’émancipation forcée des prolétaires, mais leur affirmation, à travers leur enracinement.En ce sens, ils peuvent être tous deux rattachés à la famille du socialisme libertaire, qui s’oppose au socialisme autoritaire depuis l’exclusion de Bakounine et ses partisans de la Ire Internationale, en 1872. À rebours des révolutionnaires, notamment marxistes-léninistes, qui veulent créer un « homme nouveau », les deux auteurs prônent un socialisme qui prend racine dans les valeurs défendues par les classes populaires. Ainsi, Simone Weil exprime dans L’Enracinement son souhait d’une révolution qui « consiste à transformer la société de manière que les ouvriers puissent y avoir des racines » , et s’oppose à ceux qui entendent avec le même mot « étendre à toute la société la maladie du déracinement qui a été infligée aux ouvriers ».

À l’identique, le romancier anglais estime que « l’ouvrier ordinaire […] est plus purement socialiste qu’un marxiste orthodoxe, parce qu’il sait ce dont l’autre ne parvient pas à se souvenir, à savoir que socialisme est justice et simple bonté » (Le Quai de Wigan). Il déplore : « Les petites gens ont eu à subir depuis si longtemps les injustices qu’elles éprouvent une aversion quasi instinctive pour toute domination de l’homme sur l’homme. » À ce titre, le socialisme doit reposer sur la common decency, qui constitue chez lui d’après Bruce Bégout « une base anthropologique sur laquelle s’édifie la vie sociale ». Pour ce dernier, la « décence ordinaire est politiquement anarchiste : elle inclut en elle la critique de tout pouvoir constitué ». La confiance d’Orwell dans les gens ordinaires s’accompagne d’une défiance à l’égard des intellectuels qui souhaiteraient prendre la direction du mouvement socialiste. Car selon lui, « les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires ». Une critique du pouvoir constitué également très présente chez Simone Weil. Fidèle à la tradition anarchiste, l’ex-combattante de la CNT invite dans La pesanteur et la grâce à « considérer toujours les hommes au pouvoir comme des choses dangereuses ».

Cette méfiance à l’égard du pouvoir les conduit à critiquer la bureaucratie et la centralisation, incarnées par l’URSS. Pour George Orwell, « rien n’a plus contribué à corrompre l’idéal originel du socialisme que cette croyance que la Russie serait un pays socialiste ». L’écrivain arrive même à la conclusion que « la destruction du mythe soviétique est essentielle […] pour relancer le mouvement socialiste ». Outre la dissolution des liens communautaires induit par le totalitarisme, qui a pour caractéristique le contrôle de l’histoire – et donc du passé –, George Orwell déplore « les perversions auxquelles sont sujettes les économies centralisées » et la prise de pouvoir d’une « nouvelle aristocratie ». Dans son célèbre roman 1984, il décrit celle-ci comme « composée pour la plus grande part de bureaucrates, de scientifiques, de techniciens, [et] d’experts », issus pour la plupart « de la classe moyenne salariée et des rangs plus élevés de la classe ouvrière ». Pour Simone Weil, qui considère qu’un État centralisé a nécessairement pour but de concentrer toujours plus de pouvoir entre ses mains, l’URSS possède « une structure sociale définie par la dictature d’une caste bureaucratique ». Sur la critique de la centralisation, elle va même plus loin et se distingue radicalement du marxisme, auquel elle a appartenu dans sa jeunesse. Alors que pour Lénine et les bolcheviks, le parti communiste est le véritable créateur de la lutte des classes et l’instrument qui doit permettre au prolétariat de conquérir le pouvoir afin de libérer la société, Simone Weil propose de détruire toutes organisations partisanes (Notes sur la suppression générale des partis politiques). La Française voit dans le parti « une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres », qui a pour fin « sa propre croissance et cela sans aucune limite » et estime donc que « tout parti est totalitaire en germe et en aspiration ».

    « Il paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies. » Albert Camus

Les pensées de ces deux auteurs difficilement classables convergent ainsi sur des points essentiels – dont certains n’ont pu être approfondis ici, comme leur critique du Progrès ou de la technique –, parfois ignorés par les socialistes, et terriblement actuels. Selon Albert Camus, à qui nous devons la publication posthume de L’Enracinement, « il paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies ». Alors que la gauche n’a jamais semblé aussi éloignée du peuple qu’aujourd’hui, nous pourrions, pour commencer, dire qu’il paraît impossible d’imaginer une renaissance du mouvement socialiste qui se passerait des écrits de Simone Weil et de George Orwell. À travers leur œuvre, ces deux contemporains se sont efforcés de nous rappeler l’importance pour un révolutionnaire d’être en accord avec les aspirations des classes populaires, tout en nous mettant en garde contre certaines dérives, telles que l’autoritarisme.

Nos Desserts :


Notes :

[i] Holt Alice et Zoulim Clarisse, « À la recherche du socialisme démocratique » La pensée politique de George Orwell et de Simone Weil, Esprit, 2012/8 Août. En ligne ici (payant)

[ii] Il est intéressant de noter que George Orwell écrit dans Hommage à la Catalogne (Homage to Catalonia, 1938) : « Si je n’avais tenu compte que de mes préférences personnelles, j’eusse choisi de rejoindre les anarchistes. »

[iii] Pour George Orwell, « le péché mortel c’est de dire “X est un ennemi politique, donc c’est un mauvais écrivain” ».

[iv] Cédric Biagini, Guillaume Carnino et Patrick Marcolini, Radicalité : 20 penseurs vraiment critiques, L’Échappée, 2013

[v] Bruce Bégout, De la décence ordinaire. Court essai sur une idée fondamentale de la pensée fondamentale de George Orwell, Allia, 2008

[vi] Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Castelneau-Le-Lez, Éditions Climats, 1995

[vii] Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, Hermann, 1984 ; Plon, 2006

[viii] Il oppose cependant ce « patriotisme révolutionnaire » au conservatisme. Il écrit notamment dans Le lion et la licorne : « Le patriotisme n’a rien à voir avec le conservatisme. Bien au contraire, il s’y oppose, puisqu’il est essentiellement une fidélité à une réalité sans cesse changeante et que l’on sent pourtant mystiquement identique à elle-même. »

16/06/2015

Expulsions ad nauseam

Un peu partout dans le monde, on se prépare à une journée mondiale des réfugiés.

En Europe et tout particulièrement en France, le 20 juin sera une journée au moins tout aussi importante que le départ des 24 heures du Mans ou que la fête du fromage de Banon.
Un grand merci à tout ces
élu-e-s, hommes et femmes, qui n'hésitent pas une seule seconde à "réajuster" le droit d'asile dans le sens d'une plus grande souplesse, d'une fraternité retrouvée, ou à satisfaire un corps électoral de plus en plus épris d’empathie, d'humanité et de générosité !!!

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Des associations membres de la CFDA [Coordination Française pour le Droit d'Asile] interpellent le ministre de l’Intérieur suite aux expulsions de La Chapelle.

Lettre ouverte à Monsieur le ministre de l’Intérieur

Copies à :
Monsieur le ministre de l’Intérieur,
Monsieur le Directeur général de l’OFII,
Monsieur le Directeur général de l’OFPRA,
Madame la Maire de Paris.
Après avoir transité par Calais ou les rivages de la Méditerranée, au péril de leur vie, des personnes migrantes demandent la protection de la France. A la rue, cachées dans un jardin du 18e arrondissement ou sur le quai d’Austerlitz, aux abords de la cité de la mode, elles sont nombreuses à dormir dehors depuis plusieurs semaines à Paris. Elles viennent dans leur grande majorité de la Corne de l’Afrique, notamment du Soudan et d’Érythrée.

Nos associations peuvent témoigner de la détresse de ces nouveaux arrivants. En même temps que nous les informons de leurs droits, nous sommes bien obligés, à notre grande honte, de les avertir que ces droits ont de grandes chances d’être bafoués.

Leur présence dans la rue fait apparaître au grand jour la défaillance systémique des pouvoirs publics, incapables de fournir un accueil décent aux demandeurs d’asile comme aux personnes précaires en général et qui choisissent de recourir à la répression face à une situation humanitaire qu’ils ont laissée dégénérer.

La priorité, aujourd’hui, est que ces personnes puissent accéder à un hébergement stable. Toutes sont confrontées au manque de place en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, à la saturation du dispositif d’hébergement de droit commun. Certaines n’auraient, nous dit-on, pas le droit d’être hébergées ? Faux : le droit à l’hébergement est un principe inconditionnel.

Ces personnes doivent avoir un lieu pour se laver, se nourrir, mais aussi se retrouver, être accompagnées et prendre le temps de réfléchir à leur avenir et aux démarches qu’elles souhaitent entreprendre en France.

A cet égard, celles qui souhaitent demander l’asile doivent pouvoir le faire rapidement et dans des conditions conformes à la loi. En Ile-de-France comme ailleurs, déposer une demande de protection est un véritable parcours du combattant. Les organismes de domiciliation sont saturés et la préfecture de police fait courir des délais de plusieurs mois avant de permettre le dépôt d’une demande d’asile. Les traitements éclairs exceptionnels par l’OFPRA de quelques demandes d’asile, qui ont ces derniers jours fait la une des médias, ne font que mettre en lumière, par contraste, l’arbitraire qui règne en la matière et l’absence de volonté politique d’accorder l’asile à toutes celles et ceux qui y ont droit.

Il faut enfin et surtout, que cessent les violences policières. Les évacuations pour quelques heures, avec destruction des effets personnels, comme nous en avons été les témoins ces derniers jours, sont inadmissibles car à la fois inhumaines et purement gratuites. Ce type de politique ne fait qu’aggraver la misère et attiser la défiance envers les pouvoirs publics. Le placement en rétention est évidemment intolérable quand il vise à expulser des personnes vers des pays où les violations des droits de l’homme sont généralisées ; mais il est tout aussi inacceptable lorsqu’on sait par avance que ces personnes ne pourront pas être expulsées et que l’enfermement est une mesure purement vexatoire.

Les personnes concernées et les associations qui les soutiennent ne demandent qu’une chose : qu’on applique le droit ! Le contexte de violences internationales nécessite la mise en place de dispositifs d’accueil et de protection pérennes. Ces solutions doivent répondre aux urgences d’aujourd’hui et aux préoccupations futures.

Ainsi nous demandons :

  • La cessation immédiate des violences et du harcèlement policiers (violences, intimidations, menaces, destruction des biens matériels) à l’encontre des personnes étrangères sans hébergement.
  • L’arrêt des interpellations et du recours à la rétention, la libération des personnes enfermées et l’abrogation des décisions d’éloignement.
  • Une réponse immédiate, humaine et conséquente des pouvoirs publics, par la mise en place d’un dispositif pérenne, pour assurer durablement la dignité et la sécurité de toutes ces personnes, et la garantie effective, transparente et égale de leurs droits :
    • à l’hébergement et à la santé,
    • à décider librement de leur sort,
    • à accéder à la demande d’asile.

Le 12 juin 2015

Signataires : ACAT France, ATMF, Centre Primo Levi, La Cimade, Comede, Dom’Asile, Elena, Fasti, GAS, GISTI, JRS, LDH, MRAP, Secours Catholique

 

EVACUER, DISPERSER, ARRETER, ENFERMER, ÇA SUFFIT !

Communiqué LDH

Quelques jours après l’évacuation du campement de la Chapelle à Paris, la majorité de ses occupants se retrouvent à la rue. Privés de contacts, de soutiens, des aides dispensées par les associations, ils tentent de se retrouver dans plusieurs arrondissements pour réorganiser leur survie. Lundi 8 juin, à 14 heures, pendant une distribution de nourriture organisée par des associations autour de la halle Pajol à Paris (18e arr.), la police a, sur ordre, brutalement dispersé ce rassemblement, interpellé plusieurs dizaines de personnes et interné une quarantaine de migrants au centre de rétention de Vincennes.

Ceci n’est pas supportable. Mardi dernier, le préfet de Paris et la mairie de Paris affirmaient que l’opération d’évacuation du campement de la Chapelle serait exemplaire, qu’elle offrirait à tous les occupants du campement une solution adaptée et digne ! Aujourd’hui, ces personnes se retrouvent à la rue, privées des aides humanitaire et sanitaire mises en place par les associations.

Le harcèlement, les mensonges, les dispersions des migrants doivent cesser.

Notre pays ne pourra continuer à éviter le nécessaire débat sur l’accueil des réfugiés et des migrants. Ces femmes, ces hommes, ces enfants sont arrivés ici après des parcours douloureux. Les ignorer ne les fera pas partir, les maintenir dans des campements précaires ne les rendra pas invisibles. Les disperser ne constitue qu’une souffrance supplémentaire et les arrêter, une injustice.

Les pouvoirs publics doivent changer de politique et répudier ces opérations de « nettoyage » et de communication, au profit d’un choix digne et fraternel d’accueil des migrants et des réfugiés.

C’est pourquoi nous demandons que, dans l’immédiat :

- les personnes mises en rétention à l’issue de l’intervention de la police autour de la halle Pajol soient libérées ;

- qu’une solution transitoire soit mise en place avec, par exemple, l’ouverture d’un lieu d’accueil digne permettant d’organiser un suivi social et sanitaire et l’ouverture de droits pour le maintien sur le territoire, pour ceux qui le demandent.

Paris, le 9 juin 2015

15/06/2015

J. Rancière : "du mépris à l’égard d’un peuple ..."

Exergue : « (…) Faute de pouvoir combattre l’accroissement des inégalités, on les légitime en disqualifiant ceux qui en subissent les effets. (…) »

rancière,fn

Dans un entretien avec l'OBS en avril 2015, le philosophe Jacques Rancière analyse le rôle des intellectuels et de la gauche dans l'essor du FN.

 

L’OBS : Il y a trois mois, la France défilait au nom de la liberté d’expression et du vivre-ensemble. Les dernières élections départementales ont été marquées par une nouvelle poussée du Front national. Comment analysez-vous la succession rapide de ces deux événements, qui paraissent contradictoires?

Jacques Rancière : Il n’est pas sûr qu’il y ait contradiction. Tout le monde, bien sûr, est d’accord pour condamner les attentats de janvier et se féliciter de la réaction populaire qui a suivi. Mais l’unanimité demandée autour de la «liberté d’expression» a entretenu une confusion. En effet, la liberté d’expression est un principe qui régit les rapports entre les individus et l’État en interdisant à ce dernier d’empêcher l’expression des opinions qui lui sont contraires.

Or, ce qui a été bafoué le 7 janvier à «Charlie», c’est un tout autre principe: le principe qu’on ne tire pas sur quelqu’un parce qu’on n’aime pas ce qu’il dit, le principe qui règle la manière dont individus et groupes vivent ensemble et apprennent à se respecter mutuellement.

Mais on ne s’est pas intéressé à cette dimension et on a choisi de se polariser sur le principe de la liberté d’expression. Ce faisant, on a ajouté un nouveau chapitre à la campagne qui, depuis des années, utilise les grandes valeurs universelles pour mieux disqualifier une partie de la population, en opposant les «bons Français», partisans de la République, de la laïcité ou de la liberté d’expression, aux immigrés, forcément communautaristes, islamistes, intolérants, sexistes et arriérés.

On invoque souvent l’universalisme comme principe de vie en commun. Mais justement l’universalisme a été confisqué et manipulé. Transformé en signe distinctif d’un groupe, il sert à mettre en accusation une communauté précise, notamment à travers les campagnes frénétiques contre le voile. C’est ce dévoiement que le 11 janvier n’a pas pu mettre à distance. Les défilés ont réuni sans distinction ceux qui défendaient les principes d’une vie en commun et ceux qui exprimaient leurs sentiments xénophobes.

Voulez-vous dire que ceux qui défendent le modèle républicain laïque contribuent, malgré eux, à dégager le terrain au Front national ?

On nous dit que le Front national s’est «dédiabolisé». Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il a mis de côté les gens trop ouvertement racistes ? Oui. Mais surtout que la différence même entre les idées du FN et les idées considérées comme respectables et appartenant à l’héritage républicain s’est évaporée.

Depuis une vingtaine d’années, c’est de certains intellectuels, de la gauche dite «républicaine», que sont venus les arguments au service de la xénophobie ou du racisme. Le Front national n’a plus besoin de dire que les immigrés nous volent notre travail ou que ce sont des petits voyous. Il lui suffit de proclamer qu’ils ne sont pas laïques, qu’ils ne partagent pas nos valeurs, qu’ils sont communautaristes…

Les grandes valeurs universalistes – laïcité, règles communes pour tout le monde, égalité homme-femme – sont devenues l’instrument d’une distinction entre «nous», qui adhérons à ces valeurs, et «eux», qui n’y adhèrent pas. Le FN peut économiser ses arguments xénophobes: ils lui sont fournis par les «républicains» sous les apparences les plus honorables.

Si l’on vous suit, c’est le sens même de la laïcité qui aurait été perverti. Qu’est-ce que la laïcité représente pour vous?

Au XIXe, la laïcité a été pour les républicains l’outil politique permettant de libérer l’école de l’emprise que l’Église catholique faisait peser sur elle, en particulier depuis la loi Falloux, adoptée en 1850.

La notion de laïcité désigne ainsi l’ensemble des mesures spécifiques prises pour détruire cette emprise. Or, à partir des années 1980, on a choisi d’en faire un grand principe universel. La laïcité avait été conçue pour régler les relations de l’État avec l’Église catholique. La grande manipulation a été de la transformer en une règle à laquelle tous les particuliers doivent obéir. Ce n’est plus à l’État d’être laïque, c’est aux individus.

Et comment va-t-on repérer qu’une personne déroge au principe de laïcité ? A ce qu’elle porte sur la tête… Quand j’étais enfant, le jour des communions solennelles, nous allions à l’école retrouver nos copains qui n’étaient pas catholiques, en portant nos brassards de communiants et en leur distribuant des images. Personne ne pensait que cela mettait en danger la laïcité. L’enjeu de la laïcité, alors, c’était le financement: à école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés.

Cette laïcité centrée sur les rapports entre école publique et école privée a été enterrée au profit d’une laïcité qui prétend régenter le comportement des individus et qui est utilisée pour stigmatiser une partie de la population à travers l’apparence physique de ses membres. Certains ont poussé le délire jusqu’à réclamer une loi interdisant le port du voile en présence d’un enfant.

Mais d’où viendrait cette volonté de stigmatiser ?

Il y a des causes diverses, certaines liées à la question palestinienne et aux formes d’intolérance réciproque qu’elle nourrit ici. Mais il y a aussi le «grand ressentiment de gauche», né des grands espoirs des années 1960-1970 puis de la liquidation de ces espoirs par le parti dit «socialiste» lorsqu’il est arrivé au pouvoir.

Tous les idéaux républicains, socialistes, révolutionnaires, progressistes ont été retournés contre eux-mêmes. Ils sont devenus le contraire de ce qu’ils étaient censés être: non plus des armes de combat pour l’égalité, mais des armes de discrimination, de méfiance et de mépris à l’égard d’un peuple posé comme abruti ou arriéré. Faute de pouvoir combattre l’accroissement des inégalités, on les légitime en disqualifiant ceux qui en subissent les effets.

Pensons à la façon dont la critique marxiste a été retournée pour alimenter une dénonciation de l’individu démocratique et du consommateur despotique – une dénonciation qui vise ceux qui ont le moins à consommer… Le retournement de l’universalisme républicain en une pensée réactionnaire, stigmatisant les plus pauvres, relève de la même logique.

N’est-il pas légitime de combattre le port du voile, dans lequel il n’est pas évident de voir un geste d’émancipation féminine ?

La question est de savoir si l’école publique a pour mission d’émanciper les femmes. Dans ce cas, ne devrait-elle pas également émanciper les travailleurs et tous les dominés de la société française ? Il existe toutes sortes de sujétions – sociale, sexuelle, raciale. Le principe d’une idéologie réactive, c’est de cibler une forme particulière de soumission pour mieux confirmer les autres.

Les mêmes qui dénonçaient le féminisme comme «communautaire» se sont ensuite découverts féministes pour justifier les lois anti-voile. Le statut des femmes dans le monde musulman est sûrement problématique, mais c’est d’abord aux intéressées de dégager ce qui est pour elles oppressif. Et, en général, c’est aux gens qui subissent l’oppression de lutter contre la soumission. On ne libère pas les gens par substitution.

Revenons au Front national. Vous avez souvent critiqué l’idée que le «peuple» serait raciste par nature. Pour vous, les immigrés sont moins victimes d’un racisme «d’en bas» que d’un racisme «d’en haut»: les contrôles au faciès de la police, la relégation dans des quartiers périphériques, la difficulté à trouver un logement ou un emploi lorsqu’on porte un nom d’origine étrangère. Mais, quand 25% des électeurs donnent leur suffrage à un parti qui veut geler la construction des mosquées, n’est-ce pas le signe que, malgré tout, des pulsions xénophobes travaillent la population française ?

D’abord, ces poussées xénophobes dépassent largement l’électorat de l’extrême droite. Où est la différence entre un maire FN qui débaptise la rue du 19-Mars-1962 [Robert Ménard, à Béziers, NDLR], des élus UMP qui demandent qu’on enseigne les aspects positifs de la colonisation, Nicolas Sarkozy qui s’oppose aux menus sans porc dans les cantines scolaires ou des intellectuels dits «républicains» qui veulent exclure les jeunes filles voilées de l’université ?

Par ailleurs, il est trop simple de réduire le vote FN à l’expression d’idées racistes ou xénophobes. Avant d’être un moyen d’expression de sentiments populaires, le Front national est un effet structurel de la vie politique française telle qu’elle a été organisée par la constitution de la Ve République. En permettant à une petite minorité de gouverner au nom de la population, ce régime ouvre mécaniquement un espace au groupe politique capable de déclarer: «Nous, nous sommes en dehors de ce jeu-là.»

Le Front national s’est installé à cette place après la décomposition du communisme et du gauchisme. Quant aux «sentiments profonds» des masses, qui les mesure ? Je note seulement qu’il n’y a pas en France l’équivalent de Pegida, le mouvement allemand xénophobe. Et je ne crois pas au rapprochement, souvent fait, avec les années 1930. Je ne vois rien de comparable dans la France actuelle aux grandes milices d’extrême droite de l’entre-deux-guerres.

A vous écouter, il n’y aurait nul besoin de lutter contre le Front national…

Il faut lutter contre le système qui produit le Front national et donc aussi contre la tactique qui utilise la dénonciation du FN pour masquer la droitisation galopante des élites gouvernementales et de la classe intellectuelle.

L’hypothèse de son arrivée au pouvoir ne vous inquiète-t-elle pas?

Dès lors que j’analyse le Front national comme le fruit du déséquilibre propre de notre logique institutionnelle, mon hypothèse est plutôt celle d’une intégration au sein du système. Il existe déjà beaucoup de similitudes entre le FN et les forces présentes dans le système.

Si le FN venait au pouvoir, cela aurait des effets très concrets pour les plus faibles de la société française, c’est-à-dire les immigrés…

Oui, probablement. Mais je vois mal le FN organiser de grands départs massifs, de centaines de milliers ou de millions de personnes, pour les renvoyer «chez elles». Le Front national, ce n’est pas les petits Blancs contre les immigrés. Son électorat s’étend dans tous les secteurs de la société, y compris chez les immigrés. Alors, bien sûr, il pourrait y avoir des actions symboliques, mais je ne crois pas qu’un gouvernement UMP-FN serait très différent d’un gouvernement UMP.

A l’approche du premier tour, Manuel Valls a reproché aux intellectuels français leur «endormissement»: «Où sont les intellectuels, où sont les grandes consciences de ce pays, les hommes et les femmes de culture qui doivent, eux aussi, monter au créneau, où est la gauche?», a-t-il lancé. Vous êtes-vous senti concerné ?

«Où est la gauche ?», demandent les socialistes. La réponse est simple: elle est là où ils l’ont conduite, c’est-à-dire au néant. Le rôle historique du Parti socialiste a été de tuer la gauche. Mission accomplie. Manuel Valls se demande ce que font les intellectuels… Franchement, je ne vois pas très bien ce que des gens comme lui peuvent avoir à leur reprocher. On dénonce leur silence, mais la vérité, c’est que, depuis des décennies, certains intellectuels ont énormément parlé. Ils ont été starisés, sacralisés. Ils ont largement contribué aux campagnes haineuses sur le voile et la laïcité. Ils n’ont été que trop bavards.

J’ajouterai que faire appel aux intellectuels, c’est faire appel à des gens assez crétins pour jouer le rôle de porte-parole de l’intelligence. Car on ne peut accepter un tel rôle, bien sûr, qu’en s’opposant à un peuple présenté comme composé d’abrutis et d’arriérés. Ce qui revient à perpétuer l’opposition entre ceux «qui savent» et ceux «qui ne savent pas», qu’il faudrait précisément briser si l’on veut lutter contre la société du mépris dont le Front national n’est qu’une expression particulière.

Il existe pourtant des intellectuels – dont vous-même – qui combattent cette droitisation de la pensée française. Vous ne croyez pas à la force de la parole de l’intellectuel ?

Il ne faut pas attendre de quelques individualités qu’elles débloquent la situation. Le déblocage ne pourra venir que de mouvements démocratiques de masse, qui ne soient pas légitimés par la possession d’un privilège intellectuel.

Dans votre travail philosophique, vous montrez que, depuis Platon, la pensée politique occidentale a tendance à séparer les individus «qui savent» et ceux «qui ne savent pas». D’un côté, il y aurait la classe éduquée, raisonnable, compétente et qui a pour vocation de gouverner ; de l’autre, la classe populaire, ignorante, victime de ses pulsions, dont le destin est d’être gouvernée. Est-ce que cette grille d’analyse s’applique à la situation actuelle ?

Longtemps, les gouvernants ont justifié leur pouvoir en se parant de vertus réputées propres à la classe éclairée, comme la prudence, la modération, la sagesse… Les gouvernements actuels se prévalent d’une science, l’économie, dont ils ne feraient qu’appliquer des lois déclarées objectives et inéluctables – lois qui sont miraculeusement en accord avec les intérêts des classes dominantes.

Or on a vu les désastres économiques et le chaos géopolitique produits depuis quarante ans par les détenteurs de la vieille sagesse des gouvernants et de la nouvelle science économique. La démonstration de l’incompétence des gens supposés compétents suscite simplement le mépris des gouvernés à l’égard des gouvernants qui les méprisent. La manifestation positive d’une compétence démocratique des supposés incompétents est tout autre chose.

Propos recueillis par Eric Aeschimann

Voir aussi : http://blogs.mediapart.fr/blog/jam/100415/la-reponse-de-jacques-ranciere

Bio express :

Né en 1940, JACQUES RANCIÈRE a été l’élève d’Althusser avant de rompre avec le marxisme traditionnel au début des années 1970.
Très influent à l’étranger, notamment aux États-Unis, il plaide pour l’égalité des individus et n’a cessé de dénoncer l’idée qu’une élite détiendrait un savoir supérieur à celui du «peuple».
Ses ouvrages les plus marquants sont: «le Maître ignorant» (1987), «le Partage du sensible» (2000) «la Haine de la démocratie» (2005) et «le Spectateur émancipé» (2008).

03/06/2015

Censure au cinéma

Censure au cinéma : le Conseil d’État donne encore une fois raison à une association d’extrême droite

Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création

Il est toujours malsain de laisser la culture aux mains des intégristes, d’où qu’ils viennent. L’association Promouvoir prétend défendre ce qu’elle entend être des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale. Elle milite - d’après ses statuts - en faveur de sa conception de la « dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant » (rappelons que la dignité a été introduite dans le Code du cinéma en 2009, comme motif de censure). Elle se propose de faire obstacle au développement de l’ensemble des pratiques contraires à cette dignité, parmi lesquelles elle range indifféremment « l’inceste, le viol, l’homosexualité, la pornographie ou l’embrigadement par les sectes ». Elle n’a donc, par ses statuts, aucune compétence en matière de censure d’œuvres, mais personne ne semble avoir soulevé cet argument devant les juridictions que l’association saisit depuis 1994.

censure & cinéma

Voilà des années que l’Observatoire de la liberté de création dénonce le durcissement des critères de classification des films. Nouvelle démonstration : le Conseil d’État, parce qu’il estime qu’il n’est pas assez sévère, vient d’annuler le visa d’interdiction aux moins de 16 ans du film Saw 3, suite au recours de Promouvoir qui trouve dans les juridictions administratives une oreille de plus en plus attentive. Quant au ministère de la Culture, qui tente de sauver ses décisions, sans l’aide de la profession à qui il est bien difficile de défendre les outils qui la battent, peut-être aujourd’hui va-t-il percevoir que le système a touché le fond de son absurdité ? Si un film qui « heurte la sensibilité des mineurs » doit être interdit, comme le préconise le Conseil d’État, aux moins de 18 ans, partant du fait que tout peut « heurter la sensibilité des mineurs », mais aussi des adultes, le principe, établi depuis plus de vingt ans par la jurisprudence européenne, selon lequel les œuvres ont précisément le droit de choquer, de heurter, de faire bouger les lignes, d’ébranler les convictions, de provoquer le débat, ce principe vient de voler en éclats, à propos d’un film gore pour adolescents.

La motivation du Conseil d’État, hautement subjective, n’est pas tolérable. Outre qu’elle est fondée sur des critères qui ne sont pas prévus par la loi, elle est devenue à ce point imprévisible qu’un film se retrouve, de fait, interdit cinq ans après avoir été diffusé en salles de cinéma.

Que l’industrie du gore soit mise sérieusement en cause par cette décision n’est que l’écume des choses. Ce qui est plus grave dans cette décision, c’est le danger symbolique qu’elle représente pour toute la profession cinématographique. Il serait temps que celle-ci se lève unanimement et se batte, sinon de plus en plus d’annulations de visa auront lieu, et pas seulement pour les films « étrangers » comme ceux de Lars Von Trier, Larry Clark ou ici Darren Lynn Bousman.

Paris, le 2 juin 2015.

Télécharger le communiqué de l’Observatoire de la liberté de création.

02/06/2015

S'engager

Et puisque l'indignation n'est qu'un préalable ... une réflexion qui n'engage pas que son auteure, une éthique des jours hors carcan et embrigadement. Le contraire d'une vieillerie. A lire, questionner, mettre à jour.

Variations autour de l’engagement à l’usage des Engagés

S’engager c’est quoi ?

S’attacher à une cause qui nous tient au corps et interroge notre cœur. C’est une réflexion, une pensée, un mouvement intérieur qui me pousse à agir pour résoudre ce qui m’émeut, m’agite. C’est choisir, prendre parti et le dire. S’inscrire dans une recherche permanente car mon envie de changement sera aussi insatiable que mes questionnements sur la société, sur l’autre et sur moi.

C’est aussi une manière de résoudre l’absurdité d’un système qui ne me convient plus. Une envie profonde d’accompagner le changement de modèle que je souhaite voir advenir.

S’engager, c’est se faire la douce promesse d’entreprendre mes journées en me disant que tout reste à construire, que je veux aller au bout des choses et de mes intuitions.

Selon Sartre, l’engagement est inhérent à chacun, c’est un état de fait, «je ne peux pas ne pas être engagé». Pourtant je crois qu’il faut considérer l’acte de s’engager comme un élan précieux, individuel, lié presque automatiquement à une prise de conscience. Las de constats cafardeux qui pourraient justifier mon inaction, je veux faire non pas pour être mais pour traverser profondément, motiver ma présence au monde et «vivre en existant».

engagement

Un engagement précipite dans l’existence comme principe. Exister ça veut dire faire en prenant en compte l’autre qui n’a pas été placé à mes cotés par hasard.

Cet autre qui est une réponse à un engagement à long terme. Car une fois répondu aux sempiternels pourquoi, vient l’inexorable question du comment.

Par une action collective les idées grandissent en arborescence ; on ne défonce pas un mur seul. Il n’est pas rare que par un souci de résistance les causes nous unissent et les constats nous rassemblent. Ce qui est plus compliqué c’est d’appliquer une solution qui conviennent à tous. C’est pourtant comme cela que nous inventerons un modèle plus juste, moins excluant. Il ne faut plus attendre de nos dirigeants qu’ils changent notre quotidien mais bien prendre le pouvoir en faisant. L’engagement est une des portes qu’il faut absolument se permettre d’ouvrir.

S’engager c’est un refus et un partage, c’est un moyen puissant. L’engagement est en nous mais il faut l’activer pour qu’il existe vraiment. Il faut faire pour qu’advienne un changement. C’est un acte fort, politique et bienveillant.

Et toi tu t’engages quand ?

26/05/2015

88e congrès de la LDH

2015, congrès du Mans –
Une LDH en ordre de marche.
Françoise Dumont, présidente de la LDH

 

Communiqué LDH

Du 23 au 25 mai 2015, la Ligue des droits de l’Homme a réuni ses délégués, représentant les sections, fédérations et comités régionaux, lors de son 88e congrès national, au Mans.

Le délégué régional des Pays-de-la-Loire, Antoine Boutet, le conseiller départemental de la Sarthe, Daniel Chevalier, la députée de la Sarthe, Marietta Karamanli, le premier vice-président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, Christophe Clergeau, l’adjointe au maire du Mans, déléguée à l’Égalité, Marlène Schiappa, ont montré leur attachement à la défense des droits.

Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme, Dominique Guibert, président de l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme, Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, ont rappelé l’importance de la mondialisation de tous les droits, partout et pour tous.

88e congrès LDH

Le congrès a adopté quatre résolutions :

- « Soutenir les droits du peuple palestinien »

- « Rassembler pour un avenir solidaire »

- « Relever tous les défis lancés à la démocratie »

- « Réintégrons les fusillés pour l’exemple, mutins, engagés étrangers et soldats coloniaux dans la mémoire collective »

Le rapport moral, le rapport d’activité et le rapport financier ont été adoptés par une forte majorité des délégué-e-s des sections.

A l’issue du congrès, le Comité central renouvelé a élu le Bureau national. Françoise Dumont a été élue présidente de la LDH. Nadia Doghramadjian, Jacques Montacié sont vice-présidents ; Jean-François Mignard est secrétaire général ; Martine Cocquet, André Déchot, Emmanuelle Fourneyron et Clémence Nowak sont secrétaires généraux adjoints. Jean-Marc Dousse est trésorier national. Françoise Castex, Nadja Djerrah, Alain Esmery, Michel Savy, Mylène Stambouli, Jan Robert Suesser sont membres du Bureau national. Pierre Tartakowsky est désormais président d’honneur.

Le Mans, le 25 mai 2015

25/05/2015

Le chaos est la nature de l’enjeu ...

Dédié aux amuse-gueules et autres pitres qui nous bercent d'illusions et finissent eux-mêmes par y croire, alors qu'il est clair que le scenario "1984" est loin d’être terminé.

"Les masses ne se révoltent jamais de leur propre mouvement, et elles ne se révoltent jamais par le seul fait qu'elles soient opprimés. Aussi longtemps qu'elles n'ont pas d'élément de comparaison, elles ne se rendent jamais compte qu'elles sont opprimés." G. Orwell

chaos, orwell

Le chaos est la nature de l’enjeu pour l’Empire, pas la victoire

Global Research, Par Peter Koenig, le 6 mai 2015

Une fois de plus, un pays « libéré » par l’Occident sombre de plus en plus profondément dans le chaos. Ceci peut s’appliquer à tous les pays actuellement en conflit, où Washington et ses sbires occidentaux et moyen-orientaux ont imposé la guerre – le chaos perpétuel, la misère et la mort – et l’asservissement.

C’est là que se trouve toute la question: la stratégie de Washington et de l’OTAN n’est pas de « gagner » une guerre ou un conflit, mais de susciter un chaos continuel, sans fin. C’est la façon de contrôler les gens, les nations et leurs ressources; de garantir à l’Occident un besoin incessant en troupes et en équipement militaire – souvenez-vous que plus de 50% du PIB des USA dépend du complexe militaro-industriel et des industries et services connexes; et enfin , qu’un pays dans la détresse ou le chaos est ruiné et a besoin d’argent – de l’argent sous des conditions de nécessité, des conditions « d’austérité » du sulfureux FMI, de la Banque Mondiale et d’autres malfaisantes « institutions de développement » et de prêteurs d’argent; de l’argent qui équivaut à un esclavage, surtout avec des dirigeants corrompus qui ne se soucient pas de leurs populations.

C’est la nature de l’enjeu – au Yémen, en Ukraine, en Syrie, en Irak, au Soudan, en Afrique Centrale, en Libye… faites votre choix. Qui se bat contre qui n’a pas d’importance. ISIS / EIIL / EI / Daesh / al-Qaeda et quels que soient les noms des organisations de tueurs mercenaires que vous voulez ajouter à la liste – ce ne sont que des étiquettes pour distraire votre attention. Vous pouvez tout aussi bien y ajouter Blackwater, Xe, Academi et tous ces noms successifs choisis pour ne pas être facilement reconnus. Ce sont des prostituées de l’Empire, des prostituées de raz-de-trottoir. Arrivent ensuite les prostituées de luxe comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Bahreïn et d’autres États du Golfe; puis le Royaume-Uni et la France, bien sûr.

Le Président Hollande vient de signer un contrat de plusieurs milliards d’euros avec le Qatar pour la vente de 24 avions de combat Rafale. Il se dirige à présent vers Riyad (à l’heure d’écriture, ndlr) pour des discussions avec le Roi saoudien Salmane, et pour lui vendre davantage de Rafales – c’est bon pour le commerce et ça contribue à tuer les ennemis fabriqués au fur et à mesure; et aussi pour se rendre à un sommet du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), le 5 mai. Parmi les sujets abordés lors de la réunion figurent les « crises » de la région dont celle du Yémen, provoquée par l’Occident pour le compte de Washington et imputée aux « rebelles » qui ne font que chercher à avoir un gouvernement plus juste.

L’Occident a inventé un vocabulaire si ignoble, c’est comme un virus qui s’incruste dans nos cerveaux – ou ce qu’il en reste – faisant que nous ne connaissons même plus le vrai sens des mots. Nous les répétons et nous y croyons. Après tout, les médias de masse nous les assènent tous les jours jusqu’à l’abrutissement. Les personnes qui se battent pour leur liberté, pour leur survie contre des régimes oppresseurs sont des « terroristes », des « rebelles ». Les réfugiés d’Afrique, fuyant les pays dévastés par les conflits provoqués par Washington, ces réfugiés dont plus de 4000 ont déjà péri cette année en essayant de traverser la Méditerranée à la quête d’une « vie meilleure » – ils ont opportunément été requalifiés « d’immigrants ». Souvent le terme « illégal » est ajouté. Ainsi, la conscience de l’Occident est blanchie de toute culpabilité. Les immigrants sont des clochards. Les immigrants illégaux ont leur place en prison. Ils n’ont rien à voir avec le désordre et le chaos déclenchés par l’Occident dans les pays d’origine de ces « immigrants ». Honte sur vous, Bruxelles!

On revient au chaos – M. Hollande sait pertinemment que ses avions sont utilisés pour servir son maître et faire davantage de ravages dans la région, plus de mort, de désastre, de misère et d’asservissement – davantage de réfugiés dans la Mer Méditerranée – encore plus de chaos perpétuel, des gens aux limites de la survie, des gens qui ne peuvent plus se battre pour leur pays, pour leurs ressources, pour leur liberté – parce qu’il faut qu’ils se battent rien que pour pouvoir survivre, pour la survie de leurs enfants et de leurs familles. C’est ça l’Empire.

Dites-moi – un homme qui vend des armes, des avions de combat – et d’autres sortes de machines à tuer, à des pays en sachant très bien que ces armes servent à tuer des gens, à détruire des pays – un tel homme n’est-il pas un boucher? Un criminel de guerre de la pire espèce?

Hollande, en plus d’être un criminel de guerre, est un bigot refait qui s’imagine qu’à la fin des comptes, quelques miettes du Grand Butin vont retomber dans son assiette – et qu’il pourra nager en compagnie de ses maîtres dans une voluptueuse mer de lait et de miel. Pense-t-il devoir préserver l’économie de son grand pays qui a produit des hommes comme Victor Hugo, Stendhal, Balzac, Dumas – en vendant des machines à tuer à d’autres sbires de l’empire? Ne se soucie-t-il pas du fait que 83% de son électorat le méprise?

Répandre le désordre, le chaos et la misère – c’est ce que Washington et ses vassaux font le mieux. Ils ne désirent pas « gagner » les guerres; ils veulent un chaos sans fin et la misère; des gens pouvant facilement être soumis – la domination à large spectre (full spectrum dominance, ndlr), comme ils disent.

Et puisque l’armée US et son grand frère (ou grande sœur) l’OTAN ne peuvent pas être partout et ne veulent pas être vus partout, ils payent pour tuer. Washington invente et crée, puis finance avec ses ressources inépuisables d’argent les EIIL, Daesh, al-Qaeda – et le répertoire grandit selon la fantaisie de leurs maîtres – pour qu’ils se battent pour eux, tuent pour eux, provoquent le chaos et des attaques sous fausse bannière – afin qu’éventuellement ils, l’OTAN et le bulldozer du Pentagone, puissent débarquer et faire croire qu’ils « détruisent » ces mercenaires qu’ils ont, dès le départ, implantés. Mais les médias de masse ne vont diront pas la vérité.

Ils vous font croire que les Houthis, un groupe de Chiites laïcs, humanistes et socialistes se battent contre les Sunnites au Yémen pour le pouvoir; que les Saoudiens et leurs acolytes du CCG ne font que libérer le Yémen d’une bande de terroristes; que les Houthis sont soutenus par l’Iran (un pays à majorité Chiite) – ce qui a récemment été contesté avec véhémence par un responsable de l’ONU – et donc, que les Houthis doivent être soumis. Par la même occasion, cela fournit à Washington une raison supplémentaire pour porter encore un autre blâme à l’Iran. Une fois que les Houthis ont été assujettis et décimés en quantité suffisante, un pantin de président sera installé au pouvoir comme l’ancien président Saleh ou son successeur Hadi, afin que Washington puisse continuer à mener la danse – en opprimant la population du pays pour garder un accès sans entraves au port stratégique d’Aden et au Golfe Persique.

C’est pareil en Ukraine: est-ce qu’ISIS / EIIL / Daesh / al-Qaeda, ou quel que soit leur nom se trouve en Ukraine? Vous plaisantez, sous le commandement de la CIA avec quelques 6000 soldats US – des instructeurs bien entendu. Ils entraînent les troupes de Kiev à mieux et plus rapidement tuer leurs frères dans le Donbass; ils les entraînent à susciter un chaos qui perdure. Et si les soldats refusent d’être entraînés à tuer leurs frères, le régime nazi de Kiev les abattra en tant que traîtres. À bout portant. C’est si facile. Comme ça personne ne résistera plus.

En outre, les « conseillers » militaires US et la CIA, avec le concours de leurs tueurs à gages – ISIS / Daesh /al-Qaeda – cherchent à provoquer le Président Poutine à entrer en guerre – éventuellement une Troisième Guerre Mondiale. Oui, la troisième en moins d’un siècle, pouvant potentiellement dévaster l’Europe et peut-être le monde. Jusqu’ici le monde a été préservé de ce désastre, grandement grâce à la sagesse de la stratégie de M. Poutine de non-affrontement.

Donc – pas de doute qu’ISIS / Daesh / al-Qaeda soit en Ukraine. Ils sont là où l’Empire leur ordonne d’être. C’est ce pourquoi ils sont payés. C’est ce que font les prostituées. Surtout des prostituées fabriquées pour l’occasion; des prostituées bien payées. L’idéologie n’est qu’une feuille de vigne, commodément reprise par les médias occidentaux – afin que nous puissions tous croire que les Musulmans sont mauvais, certains encore plus que les autres. L’Occident doit les combattre, parce qu’ils représentent un véritable et palpable danger à l’encontre de notre liberté, de notre indépendance et de notre démocratie – et surtout de nos valeurs néolibérales de marché complètement débridées.

Parce que c’est l’objectif ultime: des êtres humains comme biens de marché monnayables, sacrifiables, réduits à de la chair à canon, à se faire décimer en masse par des aliments génétiquement modifiés (et empoisonnés), par des drones, des bombes, par des famines provoquées artificiellement, pour qu’en définitive les survivants soient les serfs d’une petite élite qui contrôle les quatre coins de la Terre et TOUTES ses ressources, pour entretenir le style de vie de gens exceptionnels – oui, la nation exceptionnelle, qui sera réduite à une troupe de gens exceptionnels vivant dans une splendeur opulente.

Souvenez-vous des fameuses paroles de Henry Kissinger, de la vision de l’un des criminels de guerre les plus atroces encore vivants aujourd’hui – un autre Lauréat du Prix Nobel (sic) – énoncées il y a une cinquantaine d’années: « Celui qui contrôle l’alimentation contrôle la population; celui qui contrôle l’énergie contrôle des continents entiers; celui qui contrôle l’argent peut contrôler le monde entier. »

Ces mots sonnent de plus en plus vrais, à chaque jour qui passe. Mais seulement tant que nous le permettons; tant que Nous, le Peuple, Nous les 99.999% des habitants de la planète, l’autorisons.

Peter Koenig est un économiste et un analyste géopolitique. Il a également fait partie de l’encadrement de la Banque Mondiale, travaillant intensivement autour du monde dans les domaines de l’environnement et des ressources en eau. Il écrit régulièrement pour Global Research, ICH, RT, Sputnik News, the Voice of Russia / Ria Novosti, TeleSur, The Vineyard of The Saker Blog, et d’autres sites internet. Il est l’auteur de « Implosion – Un Thriller Économique sur la Guerre, la Destruction Environnementale et l’Avidité Corporatiste », une fiction inspirée de faits réels et de 30 ans d’expérience auprès de la Banque Mondiale autour du monde.

Source: http://www.globalresearch.ca/chaos-not-victory-is-the-empires-name-of-the-game/5447540